Nous voici à nouveau
à la Toussaint. Avec ses chrysanthèmes, ses cimetières, et les jours qui
annoncent l’hiver. Nous voici à nouveau rassembler, comme tous les ans. Une
fois de plus nous venons de réentendre les Béatitudes de l’évangile. Ces
paroles nous les connaissons quasiment par cœur et elles nous tombent dans l’oreille.
Vous vous dites qu’en ce jour, je vais vous parler – pour ne pas changer – de la
sainteté. Et vous avez raison. Si vous avez écouté l’évangile d’une oreille
quelque peu distraite car habituée, alors vous avez le droit de penser que la
sainteté concerne ceux que vous avez devant vous, sur les autels. Et vous avez
tout aussi raison de vous dire que vous ne voulez pas de cet avenir-là :
vous ne voulez pas être dispersés dans des reliquaires, vous ne voulez pas d’une
statue à votre effigie qui ne vous rendra pas justice et vous ne voulez pas
vous retrouver entre deux cierges. C’est votre choix, sauf qu’à ce moment-là,
éventuellement, vous n’auriez plus grand-chose à dire.
Plus
fondamentalement, demandez-vous si vous n’avez pas, de la sainteté, une vision
quelque peu partielle et tronquée. Repartons d’un peu plus loin. Saint signifie
à l’origine : ce qui est séparé et mis à part (sanctus en latin). C’est donc assez logiquement que le Dieu de la
Bible s’est fait connaître aux hommes comme le Tout-Autre, qui dépasse de loin
tous les dieux. Pourtant le propre de ce Dieu n’est pas de rester isolé, en
gardant farouchement pour lui l’attribut qui le distingue. Déjà dans le livre
du Lévitique (19,2), Dieu demande aux hommes d’être saints parce que Lui est
saint. Etre de Dieu, c’est donc d’être mis à part, de n’être plus tout à fait
comme les autres, comme le commun des mortels ; et c’est avoir en partage
ce qui fait Son identité divine. En donnant aux hommes son Fils, Dieu se révèle
encore plus proche, sans que sa divinité en soit altérée. Il reste Dieu. Et ce
jour-là sur la montagne, Jésus éclaire de manière très concrète, pragmatique même,
ce qu’il convient de faire pour grandir en sainteté. Les paroles prononcées se
retiennent facilement et nous en faisons l’expérience. Elles deviennent pour
nous des guides et des aides à mieux vivre notre condition d’être-à-Dieu. Du coup,
on reconnaît celui qui est de-Dieu à sa capacité, son envie, sa volonté de
vivre ces maximes. Non comme la revendication d’une identité, mais comme la
trace d’une foi qui se sera tellement sédimentée en lui qu’elle le transformera
aux heures de douleurs, de pleurs, d’injustice, de pauvreté ou de percussion. Celui-là,
c’est vrai, sera quelque peu mis à part et suscitera l’étonnement de ses
semblables. Et la sainteté de Dieu transparaîtra en lui, naturellement, sans
ostentation ni plan de carrière céleste.
Saint Paul ne s’y
est pas trompé quand, reprenant l’usage en cours, il s’adresse aux chrétiens de
Colosses en les désignant ainsi : « aux frères sanctifiés par la foi
dans le Christ qui habitent Colosses. À vous, la grâce et la paix de la part de
Dieu notre Père » (Col 1, 2). Une autre traduction emploie même
directement le mot « saint ». Qui sont-ils ? Non des gens
extraordinaires, mais des personnes qui ont reçu le baptême et sont devenues,
par lui, enfants de Dieu et disciples du Christ. C’est notre cas, à nous aussi.
Le baptême a mis en nous un germe de sainteté. Il a révélé que Dieu nous a
choisis pour nous mettre à part et nous donner en partage sa propre vie. Notre
front a été marqué du sceau de Dieu (cf. Ap7). Ainsi « dès maintenant,
nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été
manifesté » (1 Jn 3, 2). La sainteté n’est pas un horizon lointain
qui viendrait heureusement sanctionner un parcours de vie vertueuse. Elle est
une réalité à faire croître. Elle est l’autre nom de la vie avec Dieu, en Dieu
et pour Dieu.
Aujourd’hui, la
foule des bienheureux qui nous sont donnés en exemple par l’Eglise, celle des
anonymes déjà dans le cœur de Dieu, et nous-mêmes encore en chemin, se révèle
comme un peuple unique, « foule de toutes nations, tribus, peuples
et langues » (Ap 7). Il nous reste à laver sans relâche nos robes
terrestres, maculées de nos difficultés à vivre, croire et aimer, dans le sang
de l’Agneau. Il les rendra pures et resplendissantes.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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