Nous sommes entrés maintenant
dans le Carême, qui, avec le temps pascal, est le courant profond qui fait de
nous non pas seulement des humanistes, mais des chrétiens, des disciples de
Jésus, décidés à vivre de son Esprit, à chercher la vérité et non les apparences,
l’essentiel et non les faux semblants. A la suite de Jésus qui a triomphé des
tentations mensongères, nous entrons dans le grand mouvement baptismal qui nous
fait passer de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière, de l’esclavage à la
liberté, de l’offense au pardon, de la rupture à la réconciliation. Ce grand
mouvement de la mort à soi-même pour vivre en relation de confiance et de
réciprocité, d’abondance et de générosité, en recevant en plénitude la vie qui
nous est proposée par notre Père, ce Dieu qui sans cesse nous crée et nous
recrée. Sophia, vous allez vivre cette renaissance en Dieu par le baptême qui
vous sera donné dans la nuit pascale ; avec vous, nous nous engageons dans
notre propre renaissance et nous vous confions ce soir deux trésors de notre
foi : le Credo et le Pater.
Dans un instant nous
allons recevoir les cendres. C’est un geste ténébreux de pénitence, d’humilité
lucide et d’abaissement volontaire, mais ce n’est pas pour nous rouler
indéfiniment dans la poussière, tout au contraire, c’est pour renaître de nos
cendres ! Ce geste montre qu’on veut changer notre façon d’agir. Dans le livre
de Jonas, les habitants de Ninive décident de changer leurs habitudes après l’avertissement
du prophète : « Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des
grands jusqu’aux petits. Le roi se leva de son trône, il fit glisser sa robe
royale, se couvrit d’un sac, s’assit sur de la cendre… » (Jonas 3, 5-6). Abraham, quant à lui, affirme
: « Je ne suis que poussière et cendre » (Genèse 18,27) lorsqu’il
négocie avec Dieu pour sauver Sodome et Gomorrhe. Les chrétiens ne vivent le
Carême comme un acte de soumission, mais comme un exode, comme une progression
qui les amène aux trois jours saints, au cœur de l’année chrétienne, au sommet
de la liturgie, à ce grand moment où la foi se dit, se célèbre et se communique
à tous les nouveaux adultes baptisés. Il est vital pour notre foi d’y
participer. 40 jours jusqu’à la Résurrection, mais aussi 40 jours depuis la
Résurrection jusqu’à l’Ascension et dix jours encore jusqu’à la Pentecôte avec
les langues de feu et le don de l’Esprit Saint. Cette pédagogie liturgique qui
va des Cendres jusqu’aux langues de feu du baptême dans l’Esprit, nous permet
de progressivement renaître de nos cendres et faire l’expérience que Dieu veut
nous sauver. Nous ne pouvons pas désirer moins ! Heureusement pour nous, il ne
s’agit pas d’un « travail à réaliser ». Certes, cela ne se fera pas sans nous
mais cela ne dépend pas non plus uniquement de nous. Il s’agit avant tout de
répondre à l’appel de Dieu qui nous dit « viens ! » Ne reste pas dans ton
péché, dans ta désespérance, dans ta médiocrité, dans tes remords. Viens ! J’ai
un projet pour toi, une ambition pour toi, toi humanité, toi Eglise et toi
aussi personnellement. Il est possible de renaître, il est possible de commencer
à vivre pour de vrai, pour de bon, il est possible d’entrer d’inscrire ta vie
dans le grand projet du Dieu vivant. Rien n’est perdu, rien n’est désespéré.
Il n'est jamais trop
tard pour Dieu, rien n’est impossible pour lui. Pour cela Jésus est clair. Il
nous appelle à prier, dans le secret, dans le fond de notre cœur, à exprimer
notre désir, à souhaiter la rencontre avec Dieu qui est déjà là au plus intime
de nous-mêmes. Ensuite Jésus nous appelle à jeûner, un jeûne qui n’a pas pour
objet de limiter la surcharge pondérale ni le taux de cholestérol, un jeûne qui
n’a rien à voir avec l’esthétique mais avec le désir. Il s’agit de reconnaître
ce désir comme essentiel, d’accepter de ne pas être rassasié. Il s’agit de
prendre conscience du manque fondamental que rien ne peut combler, hormis Dieu.
Prier, jeûner et partager, donner sans contrôle, sans retour, gratuitement, à
celui qui nous ressemble, à cet autre que nous devons aimer comme un autre
nous-même. Reconnaître dans le pauvre celui qui est notre propre chair.
Que ce Carême nous
donne, à tous et à chacun, de renaître de nos cendres et de vivre du feu de
Dieu !
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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