Nous entrons ce soir dans une longue et unique célébration qui s’achèvera dans la nuit de samedi avec l’envoi solennel : Allez dans paix du Christ, alléluia, alléluia ! Auparavant il nous faudra aller tout à l’heure avec le Christ à Géthsémani pour veiller avec lui, le suivre jusqu’au Golgotha quand il n’aura plus figure humaine, demeurer dans l’attente et nous réjouir, enfin, de l’annonce sa victoire sur la mort. La liturgie nous donne à entendre – c’était la première lecture de cette messe – le passage de l’Exode comme une introduction aux mystères de foi que nous allons rendre présents. Alors que ce soir l’ambiance est celle d’un adieu déchirant, d’un testament spirituel livré par Jésus lui-même « Faites cela en mémoire de moi », le récit de la Pâque nous indique les passages successifs auxquels ces trois jours de liturgie vont nous convoquer.
Le Peuple d’Israël souffrait en Égypte, sous la dure
loi de l’esclavage. Et pour le délivrer de cet esclavage, il n’a rien fallu de
moins que l’intervention de Dieu lui-même quand il a envoyé la mort frapper les
Égyptiens pour qu’il laisse partir les Fils d’Israël sous la conduite de Moïse.
Nous sommes évidemment conduits très vite à transposer et à appliquer ce que
nous entendons à ce qui s’est passé avec la mort de Jésus. Car l’humanité,
après la délivrance d’Israël, n’en n’avait fini ni avec le péché ni avec la
mort. Et les sacrifices qui se renouvelaient année après année pour faire
mémoire de cette nuit inaugurale ne suffisaient pas à apporter définitivement
la liberté à l’humanité. Il avait fallu que Dieu envoie la mort pour qu’Israël
trouve la vie, il faudra la mort de son Fils pour que l’humanité trouve la vie.
Cet acte unique, qui ne se répétera jamais, c’est le moment où Jésus, comme
nous le rappelle l’évangile de saint Jean, a livré sa vie. Il a aimé les siens qui étaient dans le monde et il les a aimés
jusqu’au bout.
En partageant le pain et le vin au cours de la dernière
Cène et en le donnant à ses disciples comme son corps livré et son sang versé,
Jésus, par avance, leur donne la possibilité de communier réellement à
l’événement qui se déroulera le lendemain. En nous avançant tout à l’heure pour
communier, notre geste aura le sens d’un engagement de chacun et de chacune d’entre
nous à communier, c’est-à-dire, à être unis à ce que Jésus a vécu. Il ne s’agit
pas d’une représentation virtuelle, il s’agit vraiment de ce que Jésus va vivre
le lendemain. Et en leur donnant comme consigne de faire cela en mémoire de
lui, il ouvre pour l’avenir la porte qui permettra à toutes les générations,
non pas simplement de faire souvenir du sacrifice du Christ, mais d’entrer
réellement et actuellement, présentement, à toutes les périodes de l’histoire,
en communion avec le don que Jésus fait de sa vie. C’est ce que nous célébrons
dans chaque eucharistie.
Notre communion à l’eucharistie ne peut porter la
plénitude de ses fruits que si nous communions aussi à l’amour du Christ pour
ses frères. Ayant aimé les siens qui
étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout. Nous sommes conviés à
partager l’amour que le Christ porte à l’humanité, et nous sommes donc conviés
en même temps à entrer dans le don qu’il fait de sa vie. Et c’est pourquoi
l’évangile de saint Jean rapporte ce geste d’un Jésus qui se met aux pieds de
ses disciples pour leur laver les pieds, prenant la position de l’esclave. Il
les a aimés jusqu’au bout, et cet amour s’exprime dans le geste qu’il fait à
leur profit.
L'Église, en célébrant l’eucharistie, s’engage à
poursuivre la mise en pratique de cet amour définitif. Elle s’engage à se
mettre elle aussi à genoux pour venir au service de l’humanité. C’est pourquoi
dans cette liturgie de la première Cène, le célébrant qui figure et représente
le Christ dans l’action sacramentelle, va faire maintenant le même geste que
Jésus a fait à l’égard de ses disciples en lavant les pieds de douze personnes
qui représentent les disciples. Il n’aura de sens que si chacun se décide
réellement à se donner lui-même par amour de ses frères.
AMEN.
Michel
STEINMETZ †
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