Nous avons bien présent à notre mémoire les termes de cette prière : « Père saint, garde mes disciples unis dans ton nom pour qu’ils soient un comme nous sommes nous-mêmes » (Jn 14,21-22). Nous pouvons évidemment comprendre cette prière de Jésus pour l’unité de ses disciples dans un premier sens qui paraît assez clair. Que les disciples de Jésus soient capables de vivre unis les uns avec les autres, c’est la moindre des choses puisqu’ensemble, ils suivent celui qui les a appelés. Mais nous savons que parfois cette unité entre les disciples a pu apparaître fragile, en particulier quand ils discutaient entre eux pour savoir quel serait le premier.
Il y a un deuxième niveau de lecture : l’unité
entre les disciples est une condition pour que leur message soit reçu et que le
monde croit. Mais il ne faut pas nous tromper sur ce que le monde doit croire.
Doit-il croire que les disciples sont meilleurs que les autres et donc que ce
qu’ils disent est plus vrai que ce que disent les autres ? C’est là que nous
arrivons au troisième niveau de lecture de ce que Jésus dit dans cette prière.
L’unité pour laquelle il prie n’est pas simplement une sorte d’arrangement pour
développer, comme on dit aujourd’hui dans notre société, une meilleure manière
de « vivre ensemble » ; ce n’est pas simplement un appel à la tolérance
mutuelle qui s’apparente par bien des côtés à l’indifférence, que chacun, selon
ce qu’il croit, et que tous s’interdisent d’avoir le moindre avis sur ce que
pensent les autres ou ce que vivent les autres… Le vivre ensemble serait cette
espèce de tolérance universelle dans laquelle serait suspendu tout jugement
moral pour éviter de susciter des tensions ou des conflits. Finalement ne rien
penser pour avoir la paix et vivre dans le rêve utopique que tout penseraient
la même chose.
Ce n’est pas cela que Jésus demande pour ses disciples. Il demande qu’il y ait entre ses disciples la même union, la même communion qui existe entre lui et son Père. Cela signifie que l’amour auquel il a invité les disciples, et qu’il leur a laissé comme son commandement, est plus qu’une obligation morale. Dans une amitié forte ou une relation d’amour, cela passe d’abord par la découverte mutuelle, puis par la confiance qui s’établit, cette belle certitude de pouvoir être sans craindre de jugement. Cette confiance ainsi instaurée, l’amour va plus loin encore : il cherche à répondre aux attentes de l’autre, et, s’il le fallait, jusqu’à se donner entièrement pour lui. Il ne s’agit donc pas simplement d’une question de bon exemple, ou d’une belle illustration de la doctrine chrétienne, ou de meilleure efficacité de l’apostolat, c’est la véritable identité de la communauté chrétienne. « Celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas et qui n’aime pas son frère qu’il voit, est un menteur », nous dit saint Jean (1 Jn 4,20).
Aussi, croire au Dieu de Jésus-Christ, c’est croire que Dieu est Père, c’est croire qu’il veut établir une communion radicale avec les hommes. C’est croire que malgré nos différences, malgré nos faiblesses, malgré nos fautes, nous sommes capables, non seulement d’établir des relations les uns envers les autres mais encore d’entrer dans une véritable communion fraternelle. Elle est le premier signe de la foi et donc le premier témoignage que nous sommes appelés à rendre. On ne peut pas vivre comme des frères si on ne reconnaît pas un même Père. Et inversement on ne peut annoncer que Jésus est le Fils de Dieu, que Dieu est notre Père, sans être entraînés immanquablement à vivre comme des frères. Laissons-nous à Dieu la possibilité d’être Père si nous refusons de nous reconnaître frères ?
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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