On ne peut guère aller plus loin dans le
sarcasme. Voilà un homme qui est nu, suspendu à la croix, qui se tord de
douleur, sur le point de mourir. Et au-dessus de sa tête, on a fixé un
écriteau, sur lequel on explique qui est ce crucifié : « Jésus le
Nazaréen, le roi des Juifs ».
C'est Pilate, le gouverneur, qui est à l’origine
de cette œuvre de mauvais goût, voire de cette claire provocation humaine et
politique. Cet écriteau vise par sa raillerie à la fois les Juifs et Jésus
lui-même que les autorités juives ont condamné à ce supplice. C’était pour
Pilate une manière de se moquer des Juifs, de les prendre à leur propre piège.
Ils étaient venus le trouver pour leur livrer un dangereux criminel qui
menacerait, selon eux, le pouvoir de l’empereur. Pilate s’était lavé les mains
de cette affaire. Voilà qu’au sommet du Golgotha, il se livre à un bon coup
politique. Devant tous, aux portes de Jérusalem qui grouille de monde pour les
fêtes pascales, il fait savoir que les Juifs n’ont finalement rien à dire. Nous
sommes les occupants, vous êtes les soumis, vous êtes nos sujets. Vous êtes
finalement aussi impuissants que cet homme étrange, qui vient de Galilée, et
qui prétend être votre roi !
Et en même temps il se moquait de Jésus :
quel drôle de roi celui qui déclarait : « Mon Royaume n’est pas de ce monde ! ». Mais la
raillerie ne vient pas que de Pilate, elle vient aussi des chefs qui se
moquaient de Jésus. Ils n’ont pourtant aucune raison de rire, en face de la
puissance de l’occupant romain et du camouflet qu’il leur inflige.
Les sarcasmes fusent de partout. Même un des
crucifiés « injuriait » Jésus : « N’es-tu pas le
Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! ». Il convient de
s’arrêter ici, et de méditer un peu. N’y a-t-il pas dans notre vie à tous ce
risque récurrent de la moquerie ? Nous sommes tellement enclins à nous
moquer des autres, de ceux qui sont déjà anéantis. Parce que toute raillerie
n’est pas forcément un trait d’humour. Comme il nous vient vite le réflexe,
peut-être, de dire : « c’est bien fait pour lui ». Sans doute,
comme moi, vos années de classe vous rappellent-elles le souvenir de tel ou tel
souffre-douleur. Personnellement, je me souviens avec honte d’un camarade de
classe, certes pas très dégourdi, qui était devenu le bouc-émissaire de tous,
le sujet de toutes les blagues de mauvais goût. Quelle bêtise de notre
part ! Un jour, j’avais, pris de remords sans doute, tenté d’aller vers
lui et je m’étais rendu compte que le mal subi et enduré avait été trop loin
pour qu’une confiance soit possible. Nous l’avions épuisé sans la moindre
pitié.
Comme celui qu’on appelle « le bon
larron », est ici un exemple ! Lui, l’autre criminel qui est à côté
de Jésus sur le gibet de torture ! Il ne blasphème pas. Il ne se moque
pas. Il voit ses propres fautes ; il sait qu’il a commis des crimes :
« Pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons
ce que nous méritons ». Il sait faire la distinction entre le juste et
l’injuste. Il sait que Jésus est suspendu, injustement, à côté de lui sur la
croix. C’est pourquoi il s’adresse à cet innocent qui souffre. Lui, le
criminel, il est le premier qui confesse et qui reconnaît que Jésus est
roi : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton
Royaume ». Et il sera le premier à entrer dans ce Royaume de Jésus :
« En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans la
Paradis ». La tradition nous rapporte que le nom de cet homme était
Dismas. Quelle chose étrange : celui qui peut nous apprendre à confesser
et à voir que Jésus est vraiment le roi de l’univers, c’est Dismas, un criminel
repenti !
Et c’est ce même Dismas qui donne aujourd’hui une
formidable espérance. Notre vie n’est jamais scellée, écrite à l’avance,
déterminée par ce que nous faisons ou ce que les autres pensent de nous. Cet
acte de foi à l’ultime moment a suffi pour que surabonde la miséricorde. C’est
la seule arme de notre Roi, mais la plus forte aussi qui soit, lui en qui
habite toute plénitude et qui réconcilie toutes choses dans sa croix.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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