L'épisode de Cana a très
souvent été caricaturé comme un miracle presque magique de Jésus. Or,
l’évangile n’a rien à voir avec du miraculeux, encore moins avec de l’illusion.
Le récit de Cana nous offre le premier signe – c’est ainsi que saint Jean
qualifie les miracles dans son évangile – qui préfigure tous les autres signes.
C’est le signe d’une transformation, d’un passage, le signe de Pâques tout
simplement.
Les six jarres vides en
pierre constituent l’élément de départ du récit, tout comme le tombeau vide pour
les récits de Pâques. Mais ces jarres de pierre demandent à être remplies.
Elles symbolisent cette humanité vide, en quête de sens, obsédée par la tension
entre le permis et le défendu. Et à ce vide, cette angoisse existentielle,
Jésus vient substituer une dynamique d’amour symbolisée par le vin nouveau de
l’Esprit, le vin de la joie.
Le symbole de l’eau nous
plonge dans les premières lignes de la Bible, au commencement, où l’esprit de
dieu planait sur les eaux. Le vin, par contre, nous plonge dans les dernières
lignes de la bible. C’est le symbole de l’accomplissement, des noces. Et entre
les deux, il y a vous ! Oui, vous comme moi : nous avons à vivre cette
transformation de Cana au quotidien. Vivre Cana, c’est quitter l’eau d’une vie
stagnante, transformer l’homme ancien qui sommeille en nous, pour découvrir
cette joie profonde, ce vin de la fête, qui se risque à croire que le meilleur
est devant ! Quand à la messe, le prêtre, préparant l’autel, verse une goutte
d’eau dans le vin, c’est justement pour signifier que l’humanité, symbolisée
par l’eau, est appelée à s’uni à la divinité, symbolisée, elle, par le
vin. Nous sommes invités à voir le bon
pour la fin, à avoir cette conviction – qui n’est justement pas une illusion –
que du meilleur est toujours possible et à faire advenir plus nous sommes unis
à Dieu.
On emploie de temps à autre
l’expression : « mettre de l’eau dans son vin », comme si
c’était un peu le propre des sages. Que de fois ne me l’a-t-on pas dit ?
Maintenant, un peu moins… J’ai l’impression cependant que c’est l’inverse qu’il
faut faire ! Suivre le Christ, c’est mettre du vin dans son eau. C’est mettre
de la joie et du goût là où il n’y en a pas. C’est agir non par devoir, de
manière rituelle, mais par amour, par gratuité. C’est laisser le Christ
transformer notre humanité.
Oui, permettez-moi la
formule, mais comme chrétiens, nous sommes invités non pas à mettre de l’eau
dans notre vin, c’est à dire à mettre du devoir et des obligations partout,
mais plutôt à mettre du vin dans notre eau ! A mettre un peu d’ivresse dans la
vie à mettre un peu joie dans nos existences parfois pleines de larmes. A
mettre un peu d’évangile de nos vies. L’évangile est le meilleur vin qui soit.
Mais il faut le boire. Pas le conserver bien au chaud. Avouez qu’il n’y a rien
de plus triste qu’une belle cave de vin quand toutes les bouteilles sont
passées ! Alors, reprenons un peu d’évangile que nous pouvons et devons
consommer sans modération ! Pour mettre de la joie divine dans notre humanité
blessée.
Dans l’évangile, l’eau se
change en vin non pas dans les jarres mais
lorsqu’on la sert. C’est donc bien dans la relation et dans le don que
se réalise cette promesse du Christ. Pour cela, il ne s’agit pas de
s’illusionner soi-même, de faire comme si la tristesse n’était pas là ou affirmer
que le devoir et les limites n’ont pas de sens. Mais si nous voulons prendre
l’évangile au sérieux, il s’agit plutôt de découvrir que l’espérance chrétienne
veut que la tristesse peut toujours être transfigurée en joie, pour de vrai. Que
le premier signe que Jésus opère à Cana n’est pas une manifestation de
puissance, mais l’unique signe, celui de Pâques, où l’eau de nos larmes fait
place à la joie de Pâques, où un tombeau vide nous invite au festin des noces.
Cana, c’est le premier
miracle, le premier signe. Jésus nous y fait découvrir qui il est : Celui
qui permet de faire entrer enfin un peu de Dieu dans cette vie sans
persistance, carrure ni équilibre s’Il n’y est pas.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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