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lundi 17 novembre 2008

Notice à paraître in "Caecilia" N°1/2009 sur le Chemin de Croix



Le chemin de croix


Aborder une dévotion telle que le chemin de croix exige d’abord d’éclaircir ce qu’on entend par le terme « dévotion » et de préciser la relation nécessaire et structurelle entre liturgie de l’Eglise et dévotions dites populaires. La liturgie serait-elle à ce point déconnectée de la « vie » qu’on aurait besoin de manifestations de la foi qui la rendrait singulièrement proche et plus abordable, alors que la liturgie apparaîtrait comme trop complexe, trop hermétique ? La médiation des souffrances et de la mort de Jésus ne serait-elle pas honorée dans nos liturgies qu’on ait besoin de recourir à des exercices de piété tels que le chemin de la Croix ?

Dans un document aussi décisif qu’éclairant que le Directoire sur la piété populaire et la liturgie, publié en 2001 par la Congrégation romaine pour le Culte divin et la discipline des sacrements, il est rappelé dès le décret introductif un premier principe :
« En affirmant la primauté de la liturgie, ‘sommet auquel tend l’action de l’Eglise et en même temps, la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10), le concile œcuménique Vatican II rappelle, toutefois, que ‘la vie spirituelle n’est pas enfermée dans la participation à la seule liturgie’. En effet, la vie spirituelle des fidèles est aussi alimentée par les «’exercices de piété du peuple chrétien’. […] »[1]
Le texte rappelle un peu plus loin un autre principe fondamental énoncé par les Pères conciliaires :
« Les exercices de piété doivent être réglés de façon à s’harmoniser avec la liturgie, à en découler d’une certaine manière, et à y introduire le peuple parce que, de sa nature, elle leur est de loin supérieure. » [2]
La méthode est d’emblée énoncée : les exercices de piété, naissant d’une religiosité populaire, se fondant sur la piété, et s’exprimant dans la dévotion[3], ne doivent pas verser dans la sensiblerie mièvre, mais ils doivent au contraire s’enraciner sur la liturgie – qui deviendra leur matrice. Ce faisant, ils garantiront un lien évident avec la Parole de Dieu, la foi et l’enseignement de l’Eglise. Et parce qu’ils seront ainsi enracinés dans « la bonne terre » de la liturgie, ils pourront aussi y introduire et la rendre plus accessible à tous.
Concernant le chemin de croix, nous croiserons ces aspects autour de trois questions : la dimension pérégrinante de la Via crucis (I), le lien à la Parole de Dieu (II) et la célébration du mystère pascal (III).

I. – La dimension pérégrinante du Chemin de Croix

Les Franciscains, présents en Terre Sainte à partir de 1220, et suivant eux-mêmes le rite traditionnel en usage dans l’Eglise orthodoxe locale, prirent l’initiative d’inviter les fidèles qui venaient en pèlerinage à Jérusalem, à participer à la passion de Jésus en allant du tribunal de Pilate au Calvaire. A partir du XVème siècle, pour ceux qui ne pouvaient aller à Jérusalem, ils firent des représentations des épisodes de la passion du Christ et transposèrent l’usage du « chemin de croix » dans leurs églises d’Italie, tout comme ils l’avaient fait précédemment pour la crèche. Le nombre de stations varia jusqu’à la fin du XVIIème siècle où il fut fixé à quatorze. Clément XII permit en 1731 seulement de créer des chemins de croix dans d’autres églises que celles des Franciscains et Benoît XVI limita l’extension à un chemin de croix par paroisse !
Dès ses origines donc, le Chemin de Croix se déploie dans l’espace : il n’est pas une dévotion statique, figée. Il appelle à marcher, à se déplacer, bien sûr pour se souvenir de la montée du Christ au Calvaire et pour s’y associer, mais aussi pour rappeler au croyant que cette marche processionnelle n’est qu’une image du chemin qu’il est invité à vivre à la suite de Jésus. En se nourrissant ainsi des scènes de la Passion, en y contemplant les sentiments de Jésus et en les faisant sien, il peut espérer entrer à son tour dans les dispositions même d’espérance et de fidélité confiante qui furent celles de Jésus au moment de son agonie et qui lui valurent de voir sa cause prise en main par son Père en étant réveillé du sommeil des morts.
Il paraît donc indispensable que cette idée de cheminement à la fois physique et spirituel sous-tende toute célébration d’un chemin de croix. Si l’on parle de « station » pour désigner les différents moments de cet exercice de piété, c’est bien parce qu’on fait autant de « haltes » dans une célébration qui se veut « déambulatoire ». Certains lieux, comme à Lourdes ou au Mont Ste Odiel, permettent de vivre le chemin de croix en pleine nature alors que, dans la plupart des églises, les stations sont disposées sur les murs de la nef. Si tous ne peuvent prendre part à la marche, en raison de l’exiguïté des lieux, il est souhaitable que quelques-uns le fassent afin de garantir cette charge symbolique. La musique et les chants, quant à eux, pourront aussi contribuer à accroître l’intensité de la prière au fur et à mesure de l’évolution de la prière.

II.- Le lien à la Parole de Dieu

Si le chemin de croix, transposition simplifiée du pèlerinage à Jérusalem, a été pour des générations de chrétiens, plus parlant que la liturgie, inaccessible, du Vendredi-saint, il ne faut pas pour autant oublier que la liturgie demeure le modèle auquel se référer. Ainsi, alors qu’on entend méditer les derniers moments de la vie de Jésus dans son chemin au Calvaire, comment ne pas les mettre en relation avec une des « Passions » lues aux Rameaux ou le Vendredi-Saint, et tirées des Evangiles, ou encore avec des extraits de l’Ancien Testament qui annoncent les souffrances du Messie et sa fidélité et qui prennent leur sens en Jésus ?
Ce recours à l’Ecriture se fera aussi bien au niveau des textes lus pendant le chemin de croix que des chants qui, avantageusement, pourront s’en inspirer. On peut songer ici particulièrement à la manière dont fonctionne l’articulation des récitatifs et des chorals dans les Passions de Bach.
Par ailleurs, se pose la question même du choix des stations. Parmi celles retenues traditionnellement, plusieurs ne correspondent pas directement à un épisode de la Passion (les trois chutes de Jésus, sa rencontre avec sa mère et celle avec Véronique). Le Directoire précise qu’il est possible, tout en conservant le nombre de quatorze, de remplacer l’une ou l’autre station par d’autres qui évoquent certains épisodes du récit évangélique[4], comme l’a fait d’ailleurs le pape Jean-Paul II lui-même en 1991, 1992 et 1994 au Colisée à Rome.

III.- La célébration du mystère pascal

La dévotion du chemin de croix n’entend pas enfermer le croyant dans une perspective doloriste qui mettrait à ce point l’accent sur les souffrances de Jésus qu’on en viendrait à oublier que le Crucifié est aussi le Ressuscité et le Sauveur ! Si la méditation de la Passion nous fait inévitablement nous concentrer sur la montée au Calvaire de Jésus avec son lot de brimades, de sévices et d’injures, la liturgie du Triduum pascal nous rappelle, pour le coup, que le Vendredi-saint ne saurait être pensé de manière indépendante. La mort de Jésus ne prend de sens que lorsqu’on la relie à l’institution de l’eucharistie, gage de la présence de Jésus à ceux qui se nourriront de sa chair livrée et de son sang versée, à l’acceptation confiante de sa mort à Géthsémani et, bien sûr, à sa résurrection matin de Pâques. Ce mystère pascal – mystère de la mort et de la résurrection – est central dans la foi chrétienne et l’eucharistie nous le fait célébrer en l’actualisant. La résurrection de Jésus éclaire sa mort et nous fait saisir que notre propre mort en est dorénavant éclairée.
Comment donc faire l’impasse sur la résurrection en célébrant le chemin de croix ? Car « il est opportun que la conclusion du chemin de croix permette aux fidèles d’ouvrir leur cœur à l’attente, pleine de foi et d’espérance, de la Résurrection »[5]. On pourrait honorer cette préoccupation de diverses manières. La première consiste à s’interroger sur sa propre attitude spirituelle. La deuxième renvoie à la question souvent posée de l’éventualité d’inclure une quinzième station qui serait celle de la résurrection. Cette manière de faire ne semble pas outrancière, si ce n’est qu’elle présente l’inconvénient de mettre au même niveau les différents moments de la Passion de Jésus et celui de sa résurrection. On pourrait en revanche imaginer mieux encore d’inclure la dimension pascale à l’ensemble des stations, comme une ligne directrice, et de terminer le chemin de croix près d’une représentation du Ressuscité, ou mieux encore de l’autel, signe de la présence à tous « de la pierre angulaire rejetée par les bâtisseurs » avec une prière d’action de grâce spécifique. Ce serait à la fois le lieu tout indiqué et le moment de chanter le psaume 117, éminemment pascal : « Rendez grâce au Seigneur, car il est bon… ! »

Le chemin de croix, célébré dans l’esprit de la liturgie, sera un porche d’entrée, parmi d’autres, dans l’intelligence du mystère pascal du Christ et, ainsi, il « portera tous ses fruits spirituels »[6].



[1] Directoire sur la piété populaire et la liturgie, Rome, 2001, décret. (abrégé ci-après en Directoire)
[2] Vatican II, Sacrosanctum Concilium, 13 (abrégé en SC).
[3] Cf. Directoire, 6-10.
[4] Directoire, 134.
[5] Directoire, 134.
[6] Directoire, 135.

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