Un
aveugle assis à la sortie du temple mendiait sa pitance quotidienne. Il n’a pas
de nom. Pourquoi lui en donner un ? Il est aveugle. Voilà sa condition, voilà
son nom : un aveugle de naissance. Il ne connaît que le noir de sa vie, de sa
condition. Il est aveugle de naissance, c’est-à-dire que jamais il n’a vu la
lumière. C’est ainsi. Irrémédiable. L’aveugle ne demande rien. Il n’interpelle
même pas Jésus.
Le
regard de Jésus se pose sur l’aveugle. La guérison se fait dans la simplicité d’une
rencontre entre Dieu et l’homme. La raison de l’aveuglement de cette personne
est claire dans la logique de l’époque. La foi populaire assimilait une telle
infirmité à une faute (Dt 5,9 ; Ex 20,5 ; Nb 14, 33 ; Lm 4,7). Jésus par son regard
casse les clichés. Il rompt le lien maladie-péché. Il se révèle comme un Dieu
qui sauve, un Dieu qui guérit, un Dieu qui donne vie ! Il n’est pas un Dieu qui
punit, génération après génération. Ce qui est l’œuvre de Dieu, ce n’est pas la
maladie, mais la guérison. L’œuvre de Dieu ou la mission de l’envoyé du Père c’est
de donner la vie en abondance ! Malgré la guérison spectaculaire, tous ne
croiront pas. Tous n’accéderont pas à la vue, à la lumière vivifiante comme l’aveugle
qui sera guéri corps et âme dans sa confession de foi.
Le
procédé thérapeutique de Jésus, qui peut rappeler la guérison de Naaman le
Syrien dans l’Ancien Testament (2 R 5), se fait avec les moyens du bord. L’usage
de la salive dans le procédé de guérison n’est pas un détail farfelu qu’aurait
rajouté l’évangéliste dans son récit. Il se retrouve dans bien d’autres textes
de guérisons d’aveugle (Mc 8,22-26) ou de sourd-muet (Mc 7,31-37). Le geste de
Jésus rappelle celui du Créateur : il prend de la terre, il fait de la boue
avec sa salive, il l’applique sur les yeux de l’aveugle. L’homme est modelé à
partir de la terre du sol et animé du souffle de vie (Gn 2,7). Jésus rend l’humanité
à cet homme qui n’a même pas de nom. Il lui offre la lumière, comme au premier
jour de la Création : « Que la lumière soit ! ». Le récit ne s’arrête
pas à la guérison physique de l’aveugle. Le cheminement ne fait que commencer
pour aller de plus en plus vers la lumière, vers le Christ, « lumière du monde
» (Jn 8,12). Le signe renvoie à Jésus. Il signifie un peu plus qui il est. Dans
l’Ancien Testament, seul Dieu a le pouvoir de guérir les aveugles (Ex 4,11 ; Is
29,18 ; 35,4-5).
L’aveugle
est envoyé à la piscine pour s’y laver. Il ne voit pas encore pour l’instant. La
boue est sur ses yeux. Il n’a pas vu celui qui l’a guéri. Il n’a pu qu’entendre
sa voix. Il espère retrouver la vue, découvrir cette vie. Cette piscine, située
sur le flanc sud-ouest de la colline de la vieille ville, est elle aussi source
de vie pour Jérusalem. Il faut dire que le problème de Jérusalem a toujours été
son alimentation en eau du fait de sa situation géographique. Le roi Ezéchias
(VIIIe siècle av. J.-C.) régla ce souci grâce à des travaux
souterrains. La population de Jérusalem était alors assurée de survivre en cas
de siège. La piscine est alimentée par la source du Guihôn (2 R 20,20 ; Es
22,11). L’eau passe dans un tunnel et sort à la lumière dans la piscine du nom
de Siloé, de l’hébreu « envoyé ». L’homme est envoyé par Jésus, lui-même
l’envoyé du Père. La piscine de Siloé est bien plus qu’une petite indication
géographique dans le récit. Elle renseigne sur le signe accompli par Jésus et
sur sa mission d’envoyé du Père.
Par
deux fois, Jésus vient chercher cet homme. Quand il le croise à la sortie du Temple
et quand les pharisiens l’ont jeté dehors. Sa guérison suscite la division,
auprès de ses voisins, auprès des autorités juives. L’aveugle-né est témoin de
la puissance et du don divin, mais il est aussi en marche. Nous pourrions dire qu’il
illustre la vie de chaque baptisé, témoin du Christ Ressuscité, toujours en
recherche. L’aveugle ira jusqu’à la confession de foi. C’est là le deuxième
signe, le deuxième don, celui de la foi.
Ce
récit de guérison, comme il y a en a tant dans les évangiles, n’est pas un
signe de plus... Il illustre le combat entre la lumière et les ténèbres pour
cet homme, mais aussi pour chacun de nous. Le Christ vient vers nous, qui bien
souvent ne lui demandons rien. À nous de faire le pas supplémentaire.
AMEN.
Michel Steinmetz †
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