Nous devrions pouvoir remercier et serrer dans
nos bras le disciple anonyme qui a osé cette exclamation : « Cette
parole est rude. Qui peut l’entendre ? ». Jésus vient de délivrer son
long enseignement à la synagogue de Capharnaüm. Nous l’avons suivi ces derniers
dimanches dans ce que nous appelons le discours sur le « pain de
Vie ». Jésus se présente comme la vraie nourriture, comme celui qui donne
sa chair à manger et offre son sang à boire pour avoir la vie. On comprend que
de tels propos puissent choquer. Des contemporains de Jésus s’en
émeuvent ; des bien-pensants récriminent ; d’autres encore, et sans
doute, atténuent la force du propos.
Aujourd'hui, la réaction de ce disciple reste
d’actualité et nous en faisons l’expérience de manière courante. La parole de
Jésus est rude. Nous nous demandons : qui peut l’entendre ? L’interrogation
nous est tout d’abord posée à nous-même. Recevons-nous la parole de Jésus non
comme une option, mais comme une nécessité ? Elle est rude, et il ne faut
pas l’édulcorer par un commentaire lénifiant du genre : cette histoire de
manger sa chair et boire son sang est à prendre au sens symbolique. La parole
du Christ doit nous heurter au sens où elle nous initie aux choses de Dieu. Le
peuple d’Israël, nous l’entendions dans la première lecture, est pareillement
invité à se prononcer pour Dieu. Non comme un choix par défaut, non comme une
option plus intéressante qu’une autre, mais comme la seule solution qui vaille.
Le gage de la vie.
L'interrogation qui nous gagne alors est celle-ci :
suis-je capable d’accueillir cette parole dans sa rudesse et dans sa
force ? Le disciple ne s’y trompait pas : qui peut l’entendre ?
L’entendre pour la faire sienne ? Le Fils de Dieu répond : seul peut
l’entendre celui que le Père envoie vers moi. En Israël à cette époque, bien
des disciples choisissent de s’attacher à tel ou tel rabbin jugé
particulièrement charismatique. Or le Christ dit à ses disciples :
« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai
choisis. » (Jn 15, 16). La réponse ne dépend donc pas d’abord de nos
aptitudes personnelles mais de la manière dont nous serons capables d’ouvrir
notre cœur à un appel. Cela n’enlève rien à la nécessité de poser un choix et
de le tenir, mais en réponse à l’appel à croire que Dieu, le premier, nous
adresse. De même, dans le livre de Josué, le peuple d’Israël décide de servir
le Seigneur en réponse à ce que le Seigneur a déjà accompli : c’est lui
qui nous a libérés, c’est lui qui nous a protégés au désert. C’est aussi
l’expérience spirituelle que le psaume nous invite à faire : « Goûtez
et voyez comme est bon le Seigneur ».
Déjà dans l’évangile, saint Jean le rapporte,
certains croient et pas d’autres. Sans doute que ceux qui ne croient pas n’ont
pas encore faire l’expérience décisive de la rencontre avec cette parole qui
est Vie. Je suis frappé par la réaction de bon nombre qui, aujourd’hui encore,
quand ils ont à parler de leur foi, le font en des termes d’habitude, de
culture, de défense d’une société judéo-chrétienne, voire de patrimoine ou de traditions
d’antan. Rarement j’entends parler d’une vie avec le Christ, rencontré comme
une personne vivante, comme le partenaire d’une relation qui bouleverse une
vie. Des convertis en parlent souvent avec la fraîcheur et l’impétuosité qui
leur est propre. Il en est de même en toute relation. Ensuite la routine et
l’habitude viennent émousser les ardeurs premières. Ne faudrait-il pas de temps
à temps cependant revenir à ce qui fait que nous sommes ici, que nous voulons
vivre en chrétiens, c’est-à-dire en disciples du Christ ? Les gens mariés
dans notre assemblée n’ont-ils régulièrement besoin de se retrouver, de se
souvenir de ce qui les a, un jour, réunis ?
Pour la relation au Christ, la réponse semble
évidente et spontanée, au moins dans la bouche de Pierre :
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie
éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de
Dieu ». C’est l’évidence de l’amour. L’évidence du cœur qui sait qu’il
n’est pas emprisonné mais que l’autre donne un sens à sa vie. Frères et sœurs,
redécouvrons ce lien qui nous fait rester en vie.
AMEN.
Michel Steinmetz
†
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