Le
temps de la grande histoire du salut qui éclaire notre histoire
Cette
veillée s’est ouverte par la bénédiction d’un feu. Et « dans la grâce de
cette nuit », nous demandions alors au Père d’accueillir, « le
sacrifice du soir de cette flamme que l’Église [lui] offre par nos mains, elle
qui brille en l’honneur de notre Dieu, flamme qui se transmet sans jamais
perdre sa clarté » (Exultet).
Cette colonne de cire n’était pas sans rappeler celle de nuée qui, jadis, guida
le peuple durant sa longue errance au désert. A cette lueur, symbole de la
présence de Dieu à son peuple, nous avons pu alors parcourir le temps de la
grande histoire du salut, devenant pour ainsi dire contemporains de tous ces
moments insignes où Dieu a transformé l’histoire humaine pour la former, au
sens où œuvre le potier, pour lui donner forme afin qu’elle soit prête à accueillir
le tournant de son histoire.
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Depuis
la création, dans laquelle méthodiquement Dieu sépare pour distinguer, et qu’il
scande par le constant « cela était bon », culminant dans un
« cela était très bon » quand il crée l’homme, jusqu’au jardin de la
résurrection, Dieu n’est jamais résigné. A grand renfort de puissance, s’il le
faut, il libère son peuple et demeure fidèle à ses promesses. Mais cette grande
histoire du salut est aussi celle, a contrario, des infidélités, des péchés,
des lâchetés de ce peuple. Dieu pourtant ne lâche rien, dans l’obstination d’un
amour sans défaut. Il envoie son propre Fils. Pour vaincre jusqu’à la rupture
ultime, Il consent à la mort pour la vaincre sur son propre terrain.
L’infranchissable est désormais franchissable ; il se fait passage. Pour
celui qui le désire, il est possible de ne plus se laisser asservir aux liens
de la mort et du péché. « Et si nous sommes passés par la mort avec le
Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet :
ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de
pouvoir sur lui. ».
Le grand récit du salut qui traverse les âges depuis la création du monde
s’achevait par celui de la résurrection. Au temps impatient de la foule
versatile de Jérusalem auquel avait répondu celui de l’offrande et de
l’oblation, est venu le temps où l’homme retrouve sa dignité première. Mieux il
entre peut-être plus profondément encore dans l’intimité de Dieu. Créé à son
image et sa ressemblance, il peut délaisser les souillures qui déformaient
cette image. En Jésus, il devient enfant, lui aussi, du Père. Dès lors nous ne
passions pas une veillée, comme on en faisait dans le passé, pour relire
uniquement le récit des origines familiales ; ce qui rassemble les chrétiens
en cette nuit, c’est leur présent et leur avenir. Ce qui leur est déjà offert
et ce qu’ils ont à accueillir.
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Laissons
un peu d’espace autour de cet immense poème de la création qui revient à son
origine, pour que ce poème s’organise en nous et qu’il devienne vraiment le
chant de notre vie. Car vraiment « cela était très bon ». Nous avons
été créés pour la vie et parce que cette vie est fondamentalement belle parce
que nous la recevons de Dieu, fondamentalement belle parce qu’elle est appelée
à retourner à Dieu. « Pourquoi continuer à abîmer la vie ? Pourquoi faire
le jeu de la mort et nous livrer à cette athérosclérose de l’esprit et du cœur
qui fait de tant d’êtres des vieillards précoces ? Pourquoi ne pas aller vers
le Dieu de l’éternelle jeunesse et de l’éternelle beauté ? Pourquoi ne pas
donner à notre existence sa pleine dimension, puisque l’Évangile nous en découvre
l’immensité, puisque Dieu nous attend au cœur de notre intimité, puisque c’est
la gloire de Dieu que notre vie soit immense, puisque Jésus est venu pour que
la vie soit en nous, et qu’elle soit débordante (cf. Jn 10,10). » (Maurice
Zundel, Le poème de la sainte liturgie)
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La pierre du tombeau « qui était pourtant très grande » est déjà roulée.
Le don de la Pâque nous est fait et « ils sont finis les jours de la
Passion ». Déjà le Ressuscité nous précède ; en nous précédant, il
nous attend. Allons-nous le faire patienter pour le suivre dans sa gloire
de Ressuscité ? Allons-nous refuser que la lumière de sa victoire illumine ce
qu’il y a de sombre et d’obscur en nous ?
Michel Steinmetz †
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