A tous les visiteurs de ce blog, bienvenue !


Vous y trouverez quelques informations sur ma recherche et sur mon actualité.
Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires !

jeudi 31 décembre 2020

Homélie pour la solennité de l'Epiphanie du Seigneur - dimanche 3 janvier 2021

Qui d’entre nous n’a pas déjà fait l’expérience assez malheureuse, il faut le dire, d’offrir ou de recevoir un cadeau incongru ? On connaît le regard triste et déçu d’un enfant qui déballe un tel présent et qui ne rejoint pas ses attentes les plus profondes. Nous-mêmes, en prenant de l’âge, nous ressentons une pareille tristesse même si la politesse et les convenances nous apprennent à faire bonne figure, à relativiser, à apprécier d’abord le fait qu’un autre veuille nous faire plaisir. Et en faisant plaisir qu’il veuille nous rejoindre et nous dire sa proximité. Imaginez donc l’incongruité des présents offerts par les mages à l’enfant de la crèche. Mais qui aurait l’idée saugrenue d’offrir à un nouveau-né de l’or, de l’encens et de la myrrhe ? Que peut-il en faire ? Tout au plus voilà des présents pour les parents. Mais Marie et Joseph n’ont-ils pas d’autres besoins plus urgents pour subvenir à l’arrivée d’un nouveau-né ou pour assumer leur délicate situation ? 


Assurément les mages ne furent guère doués pour offrir des présents. Ou encore imaginaient-ils trouver, d’après leurs prédictions savantes, un tout autre décor ? Celles-là mêmes qui les font se précipiter d’abord dans le palais d’Hérode auquel ils demandent audience. Ma foi, pour un traditionnel échange protocolaire de cadeaux, l’or, l’encens et la myrrhe eurent été de bon aloi. Mais là, auprès de braves gens, dans la pauvreté d’une étable ou peut-être d’un gîte sommairement aménagé, quel contraste !  Oui, un enfant n’a que faire de tels cadeaux. L’enfant-Dieu, lui, y trouverait-il plus de plaisir ? Mais Dieu n’a nul besoin qu’on lui offre de telles richesses car toutes richesses viennent de Lui, de sa libéralité envers nous. Et Dieu ne se plaît à aucun sacrifice – Jésus dans l’évangile ne cessera de rappeler ce que les prophètes avant lui avaient déjà prêché : ce qu’il désire, c’est un cœur contrit, offert à sa miséricorde. Voilà ce qui lui plaît et ce qu’il agrée.


Un cadeau ne relève-t-il pas pourtant toujours d’un échange, si ce n’est le témoignage d’affection donné en retour ? Ici ces présents sont une annonce de la royauté, de la divinité, et de la mort à venir du Fils de Dieu. Les Pères de l’Eglise ont beaucoup insisté sur cette idée d’échange. Irénée, au IIe siècle, affirme ainsi que « le Verbe de Dieu s’est fait cela même que nous sommes pour faire de nous cela même qu’il est ». Augustin le formule de la manière suivante : « Pour faire dieux ceux qui étaient des hommes, lui qui était Dieu est devenu homme » (Sermo 192, 1). L’incarnation est mise au centre tout en étant étroitement reliée à la passion, ce qui fait ainsi dire à Augustin : « Sa passion fait partie de son incarnation » (Sermo 22, 1, 1) L’Incarnation a une portée universelle : le Christ partage la nature des hommes, il leur devient solidaire pour leur permettre d’être à leur tour divinisés. Cet échange est dès lors mentionné dans la liturgie sous le nom d’admirabile commercium. C’est le pape Léon le Grand l’y a inséré, reprenant une expression qui datait sans doute du Concile d’Ephèse (431). Une des préfaces de Noël porte aujourd’hui encore cette expression.  


La formulation par Augustin du « Christ marchand » se situe dans cette lignée. Pour les auditeurs d’Augustin, immergés dans ce monde du commerce, le marchand était un personnage bien identifié. La comparaison du Christ avec un marchand, venu nous vendre les richesses de son pays en échange des nôtres, vient tout logiquement à l’esprit. Au thème du marchand est aussitôt associée l’idée de « troc ». Le troc que propose le Christ, venu dans notre monde, est pour le moins étrange : la vie contre la mort, le bonheur contre le malheur. Dans ce troc, il n’a lui-même strictement rien à gagner, puisqu’il ne trouve dans nos contrées humaines que la mort, alors qu’il vient d’un pays qui regorge de richesses. Tout le bénéfice est donc pour nous. Dans ce troc, nous sommes les grands bénéficiaires puisque, ce que le Christ récolte en échange de ses richesses, ce sont nos misères, tandis que nous, en échange, nous obtenons la vie bienheureuse. 


Aux mages qui pensaient faire de somptueux cadeaux, le Christ leur répond par un don plus grand encore. Dieu en lui se manifeste à toutes les nations comme le Sauveur. Voilà pourquoi « ils repartirent par un autre chemin ». Nous aussi, nous recevons du Christ des dons qui dépassent de loin ce que nous pouvons lui offrir. Que cet admirable commerce nous fasse quitter la crèche par un « autre chemin », celui d’une conversion irradiée de la joie d’une telle rencontre !


AMEN.

Michel STEINMETZ †


Aucun commentaire: