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jeudi 31 décembre 2020

Homélie pour la solennité de l'Epiphanie du Seigneur - dimanche 3 janvier 2021

Qui d’entre nous n’a pas déjà fait l’expérience assez malheureuse, il faut le dire, d’offrir ou de recevoir un cadeau incongru ? On connaît le regard triste et déçu d’un enfant qui déballe un tel présent et qui ne rejoint pas ses attentes les plus profondes. Nous-mêmes, en prenant de l’âge, nous ressentons une pareille tristesse même si la politesse et les convenances nous apprennent à faire bonne figure, à relativiser, à apprécier d’abord le fait qu’un autre veuille nous faire plaisir. Et en faisant plaisir qu’il veuille nous rejoindre et nous dire sa proximité. Imaginez donc l’incongruité des présents offerts par les mages à l’enfant de la crèche. Mais qui aurait l’idée saugrenue d’offrir à un nouveau-né de l’or, de l’encens et de la myrrhe ? Que peut-il en faire ? Tout au plus voilà des présents pour les parents. Mais Marie et Joseph n’ont-ils pas d’autres besoins plus urgents pour subvenir à l’arrivée d’un nouveau-né ou pour assumer leur délicate situation ? 


Assurément les mages ne furent guère doués pour offrir des présents. Ou encore imaginaient-ils trouver, d’après leurs prédictions savantes, un tout autre décor ? Celles-là mêmes qui les font se précipiter d’abord dans le palais d’Hérode auquel ils demandent audience. Ma foi, pour un traditionnel échange protocolaire de cadeaux, l’or, l’encens et la myrrhe eurent été de bon aloi. Mais là, auprès de braves gens, dans la pauvreté d’une étable ou peut-être d’un gîte sommairement aménagé, quel contraste !  Oui, un enfant n’a que faire de tels cadeaux. L’enfant-Dieu, lui, y trouverait-il plus de plaisir ? Mais Dieu n’a nul besoin qu’on lui offre de telles richesses car toutes richesses viennent de Lui, de sa libéralité envers nous. Et Dieu ne se plaît à aucun sacrifice – Jésus dans l’évangile ne cessera de rappeler ce que les prophètes avant lui avaient déjà prêché : ce qu’il désire, c’est un cœur contrit, offert à sa miséricorde. Voilà ce qui lui plaît et ce qu’il agrée.


Un cadeau ne relève-t-il pas pourtant toujours d’un échange, si ce n’est le témoignage d’affection donné en retour ? Ici ces présents sont une annonce de la royauté, de la divinité, et de la mort à venir du Fils de Dieu. Les Pères de l’Eglise ont beaucoup insisté sur cette idée d’échange. Irénée, au IIe siècle, affirme ainsi que « le Verbe de Dieu s’est fait cela même que nous sommes pour faire de nous cela même qu’il est ». Augustin le formule de la manière suivante : « Pour faire dieux ceux qui étaient des hommes, lui qui était Dieu est devenu homme » (Sermo 192, 1). L’incarnation est mise au centre tout en étant étroitement reliée à la passion, ce qui fait ainsi dire à Augustin : « Sa passion fait partie de son incarnation » (Sermo 22, 1, 1) L’Incarnation a une portée universelle : le Christ partage la nature des hommes, il leur devient solidaire pour leur permettre d’être à leur tour divinisés. Cet échange est dès lors mentionné dans la liturgie sous le nom d’admirabile commercium. C’est le pape Léon le Grand l’y a inséré, reprenant une expression qui datait sans doute du Concile d’Ephèse (431). Une des préfaces de Noël porte aujourd’hui encore cette expression.  


La formulation par Augustin du « Christ marchand » se situe dans cette lignée. Pour les auditeurs d’Augustin, immergés dans ce monde du commerce, le marchand était un personnage bien identifié. La comparaison du Christ avec un marchand, venu nous vendre les richesses de son pays en échange des nôtres, vient tout logiquement à l’esprit. Au thème du marchand est aussitôt associée l’idée de « troc ». Le troc que propose le Christ, venu dans notre monde, est pour le moins étrange : la vie contre la mort, le bonheur contre le malheur. Dans ce troc, il n’a lui-même strictement rien à gagner, puisqu’il ne trouve dans nos contrées humaines que la mort, alors qu’il vient d’un pays qui regorge de richesses. Tout le bénéfice est donc pour nous. Dans ce troc, nous sommes les grands bénéficiaires puisque, ce que le Christ récolte en échange de ses richesses, ce sont nos misères, tandis que nous, en échange, nous obtenons la vie bienheureuse. 


Aux mages qui pensaient faire de somptueux cadeaux, le Christ leur répond par un don plus grand encore. Dieu en lui se manifeste à toutes les nations comme le Sauveur. Voilà pourquoi « ils repartirent par un autre chemin ». Nous aussi, nous recevons du Christ des dons qui dépassent de loin ce que nous pouvons lui offrir. Que cet admirable commerce nous fasse quitter la crèche par un « autre chemin », celui d’une conversion irradiée de la joie d’une telle rencontre !


AMEN.

Michel STEINMETZ †


mercredi 30 décembre 2020

Homélie pour la messe de la solennité de sainte Marie, Mère de Dieu - 1er janvier 2021

Dans l’Antiquité, on honorait une divinité bien particulière, dont le nom colore aujourd’hui encore le premier mois de l’année civile. Janus est le dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes1. Il est bifrons (« à deux visages ») et représenté avec une face tournée vers le passé, l'autre sur l'avenir. Il est fêté le 1er janvier. Son mois, Januarius (« janvier »), marque le commencement de la fin de l'année dans le calendrier romain. Le temple de Janus était situé sur le forum de Rome. Il était rituellement ouvert en temps de guerre et fermé en temps de paix. L’une des collines de Rome, le Janicule, lui est consacrée.


Intéressant Janus, qui en lui seul, réunit ainsi le passe et l’avenir. N’est-ce pas là ce que nous faisons nous-mêmes aujourd’hui ? D’une part nous jetons un regard rétrospectif sur les mois écoulés et avec une certaine crainte nous tentons, pour autant que cela soit possible, de nous projeter dans ceux à venir. Pourtant, cette année de manière ben particulière, nous ne nourrissons aucun rêve un peu fou. Nous ne pensons pas que le début de l’année au moins sera différent que la fin de la précédente. Il nous faudra encore vivre avec un virus qui perturbe nos vies et parfois les malmène. Les distanciations sociales demeureront. Les maques sur nos visages cacheront encore nos sourires ou nos mines renfrognées. Ce passage donc, nous le vivons avec le sentiment d’une simple glissade mais pas avec le rêve d’une rupture. Les semaines à venir ressembleront à celles passées. 


Janus pourtant ne peut rien pour nous et nous ne mettons pas notre foi dans une divinité païenne. Notre foi, nous la plaçons en Jésus-Christ, ce Fils donné par le Père à l’humanité pour « racheter ceux qui étaient soumis à la Loi et pour que nous soyons adoptés comme fils ». Il est vrai : nous pourrions devenir des êtres ou blasés ou dépressifs. Las de tout cela, nous pourrions désespérer de nous et de Dieu par la même occasion. Comme Marie, cependant, nous allons « retenir tous ces évènements dans notre cœur » et nous les méditerons. C’est-à-dire que nous allons volontairement les placer dans la lumière offerte par la présence de l’enfant-Dieu. Comme les bergers, sans cesse, nous allons revenir à la crèche pour nous guérir de notre doute, s’il le fallait, et pour nous laisser remettre toujours en chemin. Nous allons écouter le chant des anges qui convoque les hommes et les femmes de bonne volonté. Nous allons nous mettre au service de la grâce. Et surtout, avec eux, avec Marie, nous n’omettrons pas de rendre grâce, de remercier. Peut-être trouvez-vous cela incongru de dire merci ou n’y trouvez-vous pas de motif après ces derniers mois ? Alors passez lentement et humblement en revue tout ce qui a néanmoins pu être vécu comme générosité et partage entre vous, dans vos immeubles, vos familles notamment dans les semaines de confinement ; ce qui a été vécu dans la communion de prière, dans l’attention à l’autre ou encore dans l’appétit insatisfait de l’eucharistie. Car l’eucharistie précisément, que nous ayons pu la vivre ensemble ou par retransmissions, que nous ayons été en communion avec elle par une prière familiale, que nous ayons été nourris de son pain ou non parfois, cette eucharistie sans cesse nous a protégés de l’oubli de l’action de grâce. Tel un vaccin, elle a fonctionné comme antidote pour nous maintenir dans la louange. Elle nous a maintenu dans l’offrande de nous-mêmes pour demeurer en communion avec le Christ, faisant de nous ses « cohéritiers », comme le rappelait Paul.


Au début de cette année nouvelle, nous revenons donc à l’enfant de la crèche. Il est notre paix, la paix de notre cœur, comme l’exprime saint Bernard dans un sermon pour l’Épiphanie : « Voici que la paix n’est plus promise mais envoyée, non plus remise à plus tard mais donnée, non plus prophétisée mais proposée. C’est comme un couffin plein de sa miséricorde que Dieu le Père a envoyé sur la terre ; oui, dis-je, un couffin que la Passion devra déchirer pour laisser se répandre ce qu’il contient : notre paix ; un couffin, peut-être petit, mais rempli. Un petit enfant nous a été donné, mais en lui habite toute la plénitude de la divinité. » Ce sont là des réserves suffisantes pour tenir une nouvelle année et bien plus encore. 


AMEN. 


Michel STEINMETZ 


Homélie pour les premières vêpres de la solennité de sainte Marie, Mère de Dieu, en action de grâce pour l'année écoulée - 31 décembre 2020

« Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils ; il est né d’une femme, il a été sujet de la Loi juive pour racheter ceux qui étaient sujets de la Loi et pour faire de nous des fils. » (Ga 4, 4-5)


Il est de coutume de se lancer, en ces derniers jours de l’année, dans des rétrospectives diverses. D’une certaine manière, cette célébration est l’occasion pour nous aussi de confier au Seigneur ce que fut cette année, pour nous, nos familles, nos communautés religieuses et paroissiales, notre monde.


Sans l’ombre d’un doute, tous nous nous accordons à reconnaître qu’elle fut aussi atypique qu’elle sera historique. D’aucuns n’ont pas manqué à la comparer à ce que fut jadis 1348 avec l’apparition de la grande peste qui décima inéluctablement l’Europe. Sans doute nos sociétés, pourtant si technologisées, avaient-elles mûri le rêve – le fantasme ? – de plus être confrontées à de tels fléaux dignes de temps révolus, ou tout du moins de savoir y faire face à la hauteur du progrès qui est le nôtre. Nous le savons : il n’en a rien été. Et le rêve s’est évanoui. Ce que nous avions oublié des crises du monde, qui viennent défier le cours du temps et la banalité d’une existence tranquille, nous rattrapent à grande vitesse. Un virus bouleverse nos existences.


Si nous ne pouvons résumer l’année qui s’achève à la Covid-19, nous ne pouvons ne pas prier pour celles et ceux qui en ont été affectés d’une manière ou d’une autre : celles et ceux qui en sont morts, souvent dans des conditions particulièrement inhumaines, privés du secours des sacrements et de la présence apaisante des leurs ; les familles qui n’ont pu vivre un deuil serein ; les personnes fragiles dont l’isolement n’a cessé de croître et de faire des ravages ; les travailleurs impactés dans leurs conditions de vie et tombant souvent dans une précarité nouvelle. Nous en avons fait le constat avec notre Equipe Saint-Vincent. Ce sont donc autant de visages, de souffrances et d’angoisses que nous présentons au Seigneur. 


Pourtant, en ces temps qui ne cessent de s’accomplir, comme le rappelait l’apôtre Paul, nous savons que l’enfantement du Verbe de vie ne cesse de se produire avec toutes les douleurs d’un enfantement. Les chrétiens en effet ont l’audace de croire qu’il ne s’agit pas là d’une déchéance du monde, mais que, de crises en crises, de discernements en discernements, de purifications et purifications, le temps de Dieu ne cesse de se dilater pour englober en lui le temps des hommes. De cette transformation, Dieu nous rend acteurs et participants. 


Alors que le monde termine une année, au milieu de lamentations ou de suppliques, la liturgie de l’Eglise, dans sa grande sagesse, nous fait vivre ce soir autre chose. Nous chantons les premières vêpres de la solennité de sainte Marie, Mère de Dieu, fête qui est aussi l’octave de Noël. Ainsi, nous ne faisons pas que clôturer douze mois comme on fermerait un livre en étant arrivés à la dernière de ses pages, nous nous projetons plutôt dans ce qui vient et ce qui est devant nous. Nous le faisons avec toute la force de l’espérance et de la grâce de Dieu. Nous contemplons ce Fils que Marie offre au monde comme Sauveur. Nous savons que c’est avec lui qui nous écrirons les semaines et les mois à venir. Nous avons l’assurance que le mystère de Dieu manifesté à Noël et rendu si proche et accessible ne cessera pas aux douze coups de minuit. 


Voilà pourquoi, ce soir, baignés de cette espérance, nous pouvons supplier le Seigneur de faire germer ce que nous lui avons offert comme plants d’amour, de générosité, de compassion, de pardon, de souffrance et d’abandons. Il les fera dorer comme dorent les moissons.


AMEN.


Michel STEINMETZ †



mardi 22 décembre 2020

Homélie pour la solennité de la Nativité du Seigneur - 25 décembre 2020

Messe de la nuit


Je ne sais si vous avez encore en mémoire l’une des cogitations fameuses qui, comme beaucoup d’autres, a agrémenté les dernières semaines. Voilà qu’à grand renfort d’analyses pointues sur la situation sanitaire, les plateaux télévisuels de chaînes d’informations en continu convoquèrent, avec l’art qu’ont leur connaît, des experts patentés et des commentateurs avisés pour disserter de l’épineuse question : faut-il remettre la fête de Noël à plus tard ? J’avoue être resté pantois, oscillant alors entre sidération et ironie.


Remettre la fête de Noël à plus tard ? Pourquoi pas finalement dans un esprit païen dont la seule référence attend de Noël des réunions familiales et un échange des cadeaux. Ma foi, cela, au regard de la crise sanitaire, pourrait s’entendre. Décaler à plus tard, à des jours meilleurs que, visiblement, Dieu seul connaît. Nous autres, nous avons pu raisonnablement nous demander comment nous allions pouvoir nous retrouver en ces instants : avec quelles jauges, quelles restrictions de temps ou d’espace. Et Il faut bien l’avouer nous mesurons la chance, finalement, de pouvoir ainsi célébrer avec quelques contraintes au demeurant mineures.


Mais aurions-nous pu remettre cette fête ? Cela eut été impossible pour une double raison. D’abord parce que nous sommes croyants : notre présence ici est déjà le signe que, pour nous, Noël ne peut se concevoir sans Dieu et que la fête n’est pas réductible à ses contingences matérielles. C’est précisément le moment où nous faisons mémoire de cet événement toujours en train d’advenir de la visitation de Dieu au milieu de nous. En Jésus, son Fils, Dieu se fait si proche de nous que notre humanité se voit révélée sa vraie nature et sa destinée : ne faire qu’un avec Dieu, découvrir en nos vies tout ce qu’elles ont de divin, entendez de beau, de vrai et de bon. Ensuite, deuxième raison pour laquelle Noël ne peut être changé au gré des circonstances ou des humeurs : précisément parce que nous célébrons l’initiative de Dieu en Jésus. Nous n’intimons pas à Dieu ses faits et gestes, tout simplement parce que nous ne sommes pas Dieu. Nous pouvons le supplier, comme nous l’avons fait encore pendant tout le temps de l’Avent, d’hâter sa venue, mais Lui seul connaît et le jour et l’heure. « Veillez et priez car vous ne connaissez ni le jour ni l’heure », nous a rappelé Jésus dans l’évangile au premier dimanche de l’Avent. 


Pourtant il n’aurait pas été impertinent de nous questionner en vérité pour savoir quelle saveur aurait ce Noël aussi atypique que les mois qui l’ont précédé. N’y aurait-il pas de Noël possible cette année ? Bien sûr que si ! Plus silencieux et plus profond, plus semblable au premier dans lequel Jésus est né, dans la solitude. Sans beaucoup de lumières sur terre, mais avec celle de l’étoile de Bethléem, illuminant des chemins de vie dans son immensité. Sans démonstrations de fastes mais avec l’humilité de nous sentir des bergers à la recherche de la Vérité. Sans grandes foules dans nos églises et avec des absences amères, mais avec la présence d’un Dieu qui emplira tout. Il n’y aurait donc pas de Noël possible ? Bien sûr que si ! Sans les rues débordantes, mais avec un cœur ardent pour celui qui doit venir sans bruits ni festivals, ni réclamations ni bousculades... Mais en vivant le mystère sans peur face aux prophètes de malheur qui prétendent nous enlever même le rêve d’espérer. Noël aura lieu parce que Dieu est de notre côté et qu’il partage, comme le Christ l’a fait dans une crèche, notre pauvreté, nos épreuves, nos pleurs, nos angoisses. Noël a lieu parce que nous avons besoin d’une lumière divine au milieu de tant d’obscurité. Jamais la Covid19 ne pourra atteindre le cœur ou l’âme de ceux qui mettent dans le ciel leur espérance et leur haut idéal. 


Nous nous rappelons ce soir, cette nuit, que nous ne sommes pas maîtres de tout, et heureusement pour nous. Dieu se plaît à nous visiter et à naître en vous, pour peu que nous soyons des hommes et des femmes de bonne volonté. Nous le prions, c’est-à-dire que nous le laissons entrer en nous pour vivre ces temps présents dans l’espérance de son amour. Noël aura lieu ! Dieu naît au milieu de nous, en nous et nous apporte la liberté !


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 18 décembre 2020

Homélie pour le 4ème dimanche de l'Avent (B) - 20 décembre 2020

David est très vénéré dans le judaïsme. On lui attribue la composition de tous les psaumes et, selon la tradition, il priait Dieu en chantant et en s’accompagnant de la lyre à dix cordes ou de la harpe (cf. Ps 33,2). Pas de doute, c’était un poète, un musicien, un artiste ! C’est ainsi que les peintres et les sculpteurs l’ont souvent représenté ! Mais David fut aussi un pécheur ! N’est-il pas important pour nous de constater que les plus grands personnages bibliques ne sont pas irréprochables. La Bible en effet garde la mémoire de son double péché : son adultère avec Bethsabée, la femme d’Urie le Hittite, et son homicide puisqu’il a fait tuer ce pauvre homme pour cacher son adultère ! Pourtant tout semble réussir à ce pécheur, puisque le prophète Samuel évoque le fait qu’il « habite enfin dans sa maison ». Homme parvenu, qui n’a peut-être ni la cinquantaine ni une Rolex au poignet, mais homme dont le pouvoir est établi et à qui tout semble sourire.


David alors, est-ce dans un sursaut de conscience (de mauvaise conscience) ?, se rend compte de la disproportion de la situation. Il a tout, mais tout cela il le doit à Dieu. Sans lui, que serait-il ? Sans doute encore un homme frêle et chétif au milieu de ses frères, à garder encore le troupeau. Le choix de Dieu en a fait, par l’onction d’huile, l’oint du Seigneur, son envoyé. Quoi qu’il en soit de sa réussite, ou de sa responsabilité par rapport à Dieu, la Bible se plaît à souligner en contrepoint le profond repentir de David et le pardon que son attitude de conversion a obtenu de Dieu.  Dans la prophétie de Samuel que nous entendions, Dieu y rappelle à David qu’il a toujours habité avec son peuple, non pas dans une maison mais sous la tente : il a choisi d’accompagner son peuple dans ses déplacements. Dieu ne s’est pas installé dans un lieu mais dans un peuple. Sa maison, c’est son peuple au milieu duquel il a choisi de planter sa propre tente !


Alors que David tient à construire une maison au Seigneur, ou pour se dédouaner de sa propre réussite, ou pour mieux l’assumer, ou encore pour acheter son pardon, Dieu refuse. David cherchait-il à faire de Dieu son obligé ? A ce que Dieu lui soit redevable ? Or Dieu échappe à toute main mise. Il ne convient pas d’inverser les rôles : ce n’est pas à David d’accorder une faveur à Dieu ; au contraire, par la bouche du prophète Nathan, Dieu rappelle les bienfaits dont il a comblé son serviteur et il ajoute encore celui-ci : « Ta royauté et ta maison subsisteront toujours devant moi ». Dieu se porte garant de la maison de David et n’a pas besoin d’une maison pour lui-même, comme si on pouvait l’avoir sous la main. Il est « le Dieu des grands espaces et des larges horizons » faisait chanter un cantique (d’assez piètre qualité, d’ailleurs). Mais sur ce point le texte était juste : Dieu ne se laisse pas enfermer, même dans la plus belle des demeures et c’est Lui qui a l’initiative de son habitation. 


Dieu procède ainsi. Quand nous avons la prétention de penser pour lui, de décider pour lui, et de ne soustraire au fait de demeurer les instruments de sa grâce, Il nous rappelle qu’il est à l’origine de toute chose. Notre rôle est d’accueillir cette visitation dont il est l’auteur et l’hôte. Il vient à notre rencontre. La plus belle des demeures que nous puissions lui offrir est un cœur prompt à faire le bien et une vie droite. Et c’est le signe qui nous est donné en Marie. Elle est choisie pour nous donner le Sauveur, pour accueillir en elle la grâce dont jaillit la vie. Elle offre sa personne à la volonté de Dieu, en se faisant « la servante du Seigneur » afin que tout se passe pour elle et en elle selon la parole de l’ange. 


A la maison que David voulait bâtir en résidence pour Dieu, Dieu répond en se choisissant Marie comme demeure digne de lui. A quelques jours de Noël, il nous rappelle que c’est en nous qu’Il continue de vouloir naître et c’est en nous qu’il veut demeurer. Ne nous y méprenons pas… 


AMEN.


Michel STEINMETZ †  


vendredi 11 décembre 2020

Homélie pour le 3ème dimanche de l'Avent (B) - 13 décembre 2020

« Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance » (1 Th 5,16-18). Cette parole, nous la recevons sans doute avec étonnement, comme elle le fut dans la communauté des Thessaloniciens. Peut-on toujours être dans la joie ? Peut-on prier sans relâche ? Peut-on rendre grâce en toute circonstance, comme si les événements qui marquent l’existence humaine étaient tous bénéfiques ? Il est vrai qu’en ces temps une certaine lassitude peut nous gagner, devant une vie profondément hantée par le virus, par les confinements successifs, les peurs, les interrogations et les mesures liberticides. Nous sommes atteints jusque dans notre réalité de chrétiens quand il s’agit de pouvoir nous retrouver. Nous sommes ébranlés jusque dans notre foi alors que la joie peine à pouvoir s’exprimer. Pourtant les paroles de l’apôtre résonnent comme une parole de Dieu pour nous. Et sans doute n’était-il pas plus facile pour les chrétiens de Thessalonique que pour nous d’être dans la joie. Pour être disciple de Jésus et pour mettre en pratique l’invitation de saint Paul, faut-il anesthésié la situation. Nous ne le pouvons pas. Faut-il devenir comme insensible à tout ce qui survient ? Ce serait dangereux pour notre âme. Faut-il fermer les yeux sur ce qui arrive, les garder perpétuellement fixés vers le ciel, au risque de trébucher sur les embûches du chemin ? Cette attitude d’action de grâce permanente, de joie perpétuelle, de prière incessante, est-elle compatible avec une existence normale ? Ou bien, prenons-nous cela comme une exhortation pour calmer un peu la mauvaise humeur mais sans y accorder vraiment d’importance ?


Prier sans relâche, cela veut dire que nous nous tenons constamment dans la présence de Dieu, évidemment pas toujours de façon consciente et active, mais de façon permanente. Cette permanence s’exprime à travers la régularité de notre prière et la manière dont nous faisons de notre existence une prière. Ainsi ne s’agit-il pas de caler dans un emploi du temps toujours surchargé du temps pour Dieu. Mais il s’agit bien plus d’associer Dieu à tout ce que nous vivons. Allez-vous rencontrer telle personne ? Demandez à Dieu de vous accompagner. Marchez-vous dans la rue ? Plutôt que de dévisager tel ou tel, confiez-le à Dieu. Croisez-vous une ambulance ? Suppliez Dieu d’aider celui ou celle qui est soigné et ceux qui prodiguent les soins. Nous avançons ainsi sous le regard de Dieu, et ce regard de Dieu nous fait partager la lumière que Dieu projette sur les événements du monde, nous permettant, pour poursuivre le raisonnement de saint Paul, de discerner la valeur de toute chose. Car en toute chose de ce monde sont mêlés le bien et le mal, l’espérance et la souffrance. En toute chose de ce monde sont mêlés des sentiments contraires qui habitent tour à tour notre cœur. 


Être chrétien, ce n’est pas fermer les yeux sur l’ambiguïté de cette expérience humaine, et faire comme si de rien n’était. Être chrétien, c’est discerner, c’est-à-dire, à la lumière de la parole de Dieu, essayer d’identifier, de repérer, ce qui est bon pour le garder et le faire fructifier, essayer de repérer ce qui est mal pour s’en éloigner. C’est au prix de cette lumière de la foi que nous nourrissons par la prière constante que nous pouvons vivre dans l’action de grâce car à ce moment-là, ce n’est pas simplement l’effet immédiat des événements qui marque notre vie, c’est la manière dont il participe, d’une façon mystérieuse, à l’accomplissement du dessein de Dieu à travers l’histoire des hommes. Certes, certains de ces événements peuvent être pour nous gênants, douloureux ou difficiles à vivre, mais à travers eux, Dieu construit quelque chose qui va progressivement accomplir son œuvre. C’est pourquoi, même si nous souffrons de quelques désagréments ou de véritables souffrances, nous sommes encore invités à rendre grâce car nous comprenons qu’à travers ce chemin difficile, Dieu est en train de tracer une route à travers le désert. Redresser le chemin du Seigneur, c’est une œuvre quotidienne, et nous le faisons sans édulcorer notre existence, sans noircir aussi le tableau, mais en replaçant toutes choses sur le chemin que Dieu prépare pour nous.  


AMEN.

Michel STEINMETZ †  


vendredi 4 décembre 2020

Homélie pour le 2ème dimanche de l'Avent (B) - 6 décembre 2020

Comment préparer les chemins du Seigneur dans nos vies ? Face à cette question qui nous accompagne, et qui sans doute nous taraude, pour peu que nous ayons à cœur de vivre selon l’évangile, l’épître de saint Pierre nous invite à regarder le temps que nous vivons, non pas comme un temps inutile ou un temps particulièrement périlleux, mais comme une espérance.


Le temps qui nous est donné, c’est le temps que Dieu nous accorde pour que nous puissions nous convertir. La première génération chrétienne à la suite de l’Ascension du Seigneur croyait que tout était fini et que Jésus allait revenir à très brève échéance. Et puis, il a fallu accepter, non seulement des années, mais des décennies, des siècles, et essayer de comprendre ce que cela voulait dire. Pourquoi faut-il attendre puisque tout est accompli dans la mort et la résurrection du Christ ? Que peut-il encore bien se passer ? N’est pas une contradiction de nous dire que tout est accompli dans le Christ et puis que l’histoire de l’homme continue de dérouler pendant des siècles ? Est-ce que Jésus-Christ aurait oublié de faire quelque chose ?


L’apôtre Pierre nous donne un élément de réponse et de compréhension. « Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard. Au contraire, il prend patience envers vous, car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. » (2 P 3,9). Nous retrouvons à travers l’apôtre Pierre la ligne fondamentale de la mission du Christ qui n’est pas venu imposer sa loi aux hommes, mais appeler les hommes à la conversion pour que leur attachement à la parole de Dieu ne soit pas forcé de l’extérieur mais conquis de l’intérieur par le retournement du cœur. Le royaume de Dieu ne s’impose pas comme un royaume terrestre, il se propose, il appelle la liberté humaine à le reconnaître et à y répondre. C’est pourquoi nous continuons d’attendre la venue du Seigneur. Non pas que nous oublions qu’il est venu il y a deux mille ans à Bethléem, mais parce que nous reconnaissons que le chemin ouvert par sa naissance et par sa vie, n’est pas encore complètement achevé. Il faut sans doute que tout soit d’abord « en voie de dissolution », que « les cieux disparaissent avec fracas, les éléments embrasés soient dissous », pour que dans ce chaos apparent se manifeste un ordre nouveau, complètement transfiguré par la gloire du Seigneur. 


Ainsi, et le prophète Isaïe insistait sur ce point, la gloire du Seigneur ne nous fait pas défaut ; elle nous est déjà donnée. Mais il lui manque un rayonnement. Prenons une comparaison simple : une ampoule n’est pas moins puissante parce qu’on la recouvre d’un abat-jour ! Mais plus cet abat-jour se fera transparent, moins la lumière ne sera freinée pour es répandre et éclairer alentour. Cette transparence à gagner en nos vies pour que l’amour répandu par l’Esprit-Saint en nos cœurs se répande, c’est un chemin de conversion. On pourrait dire en d’autres termes : de nettoyage sans cesse repris.  Le nettoyage consiste bien souvent à accepter de se déposséder de ce qui encombre ou s’accumule avec le temps. Et ce n’est pas pou rien que le désert a tenu une place considérable dans l’expérience fondatrice de l’alliance entre Dieu et Israël. Nous savons qu’il a été un lieu d’expérience extraordinaire pour un certain nombre de prophètes qui ont vécu dans ce passage au désert la relation radicale avec la présence de Dieu manifestée par le sentiment de son absence. Nous savons que Jésus lui-même, avant de commencer son ministère public est passé par l’épreuve du désert. La prophétie d’Isaïe, comme le ministère de Jean-Baptiste, ne nous surprennent donc pas. Nous savons que c’est par ce passage au désert que se construit l’histoire du salut. Nous savons que c’est par cet appel venu du désert que le cœur de l’homme peut être éveillé à l’accueil de celui qui vient.

  

Il n’y a pas d’accueil possible du Christ dans nos vies si nous n’accueillons pas d’abord cet appel à la conversion et au pardon de nos péchés. Il n’y a pas de conversion et de pardon de nos péchés si nous n’entendons pas la prédication du Baptiste, si nous ne sommes pas touchés au cœur par l’annonce de la venue du Christ.


AMEN.  


Michel STEINMETZ †