Il fut en temps, peut-être pas si révolu, où les jeunes aimaient employer l’expression : « ça déchire ! » pour dire leur enthousiasme ou leur étonnement devant telle ou telle situation. Chacun sait, à ses propres dépens, que la jeunesse est, hélas, un concept aussi fugace qu’évolutif. Pourtant, en ce dimanche, l’expression même surannée est pleinement d’actualité à l’écoute de cet évangile. Faisons, si vous le voulez bien, l’espace d’un instant, comme si nous étions encore jeunes ; et vous les jeunes, faites comme si vous l’étiez avec nous ! Oui, en effet : « ça déchire !
», en entendant le récit du baptême de Jésus par Jean dans les eaux du Jourdain. Et il me semble que « ça déchire » pour au moins trois raisons que je vous propose de passer en revue.
« Ça déchire »
tout d’abord dans les cieux. L’évangéliste Marc se plaît d’ailleurs à le rapporter
clairement : « aussitôt, en remontant de l’eau, il vit les cieux se
déchirer ». Comment devons-nous l’entendre ? Sans doute déjà au sens
où, durant le temps de l’Avent, nous nous sommes rappelés la parole du prophète
Isaïe : « Oh ! Si tu déchirais les cieux, et si tu descendais, les
montagnes s’ébranleraient devant toi ! » (Is 63, 19). Lorsqu’Isaïe
demanda à Dieu de déchirer les cieux et de descendre, il priait pour l’accomplissement
de la promesse prophétique qu’il avait reçue dans sa vision bien des années
auparavant. Il disait en fait : « Seigneur, pour que la terre soit remplie
de Ta gloire, il faut que Tu déchires les cieux et que Tu descendes ! ». Isaïe
se rendait compte que pour l’accomplissement du plan de Dieu pour le monde, il
fallait que le ciel s’ouvre et que le Seigneur vienne. Aujourd’hui, le Christ
est manifesté à son baptême : la gloire de Dieu qui est sur lui est
révélée. La promesse tant désirée est en train de s’accomplir. Jean le savait
quand il avait présenté Jésus comme « celui qui est plus fort que lui »
et comme « celui qui baptisera dans l’Esprit-Saint ». Les cieux
ouverts sont le signe de la présence de Dieu et d’une communication entre ciel
et terre, entre Dieu et les hommes.
« Ça déchire »,
ensuite, parce que la voix du Père se fait entendre. Là encore, une révélation
est faite par Dieu lui-même : « Tu es mon Fils bien-aimé ; en
toi, je trouve ma joie ». Dieu ne vient pas adopter l’homme Jésus, comme s’il
le découvrait et venait le choisir pour être son Messie, comme on le ferait en
proclamant un palmarès. Au contraire, Dieu rend audible à tous que celui que
tous voient dans son humanité, celui dont la croissance a fait l’objet des
soins de Marie et Joseph à Nazareth comme on veille sur une flamme fragile afin
qu’elle ne s’éteigne pas, celui que les mages avaient déjà reconnu comme le
Sauveur du monde, celui-là est authentifié par Dieu dans sa divinité. Il est le
Fils bien-aimé. Il est celui qui, venant dans le monde pour nous sauver, fait la
joie du Père. Il est la joie de Dieu à l’œuvre quand il vient à notre
rencontre, à l’instar de notre joie devant une rencontre tant attendue. Dieu se
plaît à venir vers nous.
« Ça déchire »,
enfin, quand l’Esprit-saint fond sur Jésus, sous l’apparence corporelle d’une
colombe. Ici, toute la Trinité est présente : Dieu se rend visible,
audible, manifeste dans une relation à laquelle il veut nous incorporer. Car
Jésus, bien évidemment, ne reçoit pas le baptême pour lui – cela serait
profondément inutile – mais pour nous. Prenons une comparaison. Un fil
électrique a la propriété de conduire le courant. Il est habituellement
recouvert d’une gaine qu’il faut dénuder avant tout branchement pour laisser
apparaître le cuivre. Ici, Jésus est comme un fil électrique tendu entre le
ciel et la terre. Il est le médiateur entre Dieu et notre humanité. La force de
l’Esprit passe entièrement en lui et cette même force de l’Esprit vient électriser
les eaux, non pour notre perte (car on ne meurt pas nécessairement d’une décharge
électrique) mais au contraire pour nous mettre sous tension, nous réveiller, nous
brancher en Lui.
« Ça déchire »,
certes, non pour faire de nous des spectateurs éblouis sur les rives du
Jourdain. « Ça déchire » pour que nous nous laissions prendre par ce
grand mouvement duquel Dieu veut nous faire participants. Et cela commença le
jour-même où nous fûmes baptisés.
AMEN.
Michel Steinmetz †
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