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samedi 5 mars 2022

Homélie pour le 1er dimanche de Carême (C) - 6 mars 2022

Un des rudiments dans l’éducation à la politesse est-il sans doute l’apprentissage à dire « merci ». Avec le « s’il vous plaît », c’est un mot magique et délicieux qui, souvent, distingue les personnes bien élevées, comme on disait jadis… Pourtant savoir dire « merci » n’est pas chose aisée : cela demande de reconnaître ce que l’autre m’apporte et donc de le laisser exister, réellement et pleinement, dans une relation partenariale. Si je te dis merci, c’est donc que je considère non seulement ce que tu as fait, pour moi éventuellement, mais aussi que je te considère pour ce que tu es. Dans la vie de foi, la vie de prière, ce « merci » - que nous appelons alors « action de grâce » - n’est pas, je crois, la chose la plus spontanée qui habite notre prière et la désigne. L’eucharistie qui nous rassemble est pourtant, étymologiquement parlant, une action de grâce. Pour rendre grâce, il faut d’abord reconnaître.


Reconnaître, c’est bien ce que fait Moïse. Tout d’abord quand il exhorte le peuple au geste rituel de présenter les prémices de la récolte au prêtre. Mais surtout par la parole qui devrait accompagner ce geste et en révèle son sens : « Mon père était un Araméen nomade, qui descendit en Égypte…   Et maintenant voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que tu m’as donné, Seigneur. » Ici la reconnaissance repose avant tout sur le souvenir des merveilles que le Seigneur n’a cessé de faire en faveur de son peuple. Il a entendu son cri, il l’a délivré de l’oppression, il l’a conduit jusqu’à une terre de bienfaits, « un pays ruisselant de lait et de miel ». Pour Moïse, cela est indissociable de l’action de grâce. Se souvenir de sa condition passée pour goûter à celle de sa libération. Frères et sœurs, cela devrait préserver de l’amnésie spirituelle qui, bien trop souvent, je crois, nous conduit à une lamentation stérile quant à notre présent.


Reconnaître, c’est encore ce que fait Jésus. Chez lui, la reconnaissance doublée du souvenir, devient une arme contre le Mauvais. L’évangéliste Luc précise que c’est « rempli d’Esprit-Saint » que Jésus est conduit au désert après son baptême par Jean au Jourdain. Son errance de quarante jours rappelle celle du peuple durant quarante années. Ici, pourtant, et curieusement, c’est au sortir de cette période de quarantaine, alors que le match est gagné, oserait-on penser, que le diable jette toutes ses forces dans l’assaut. Comme l’Écriture l’atteste, les tentations qu’il éprouve se présentent sous la forme d’un choc frontal avec le Diable, c’est-à-dire avec l’esprit du mal alors que Luc se plaît à préciser que Jésus, lui, est « rempli de l’Esprit » de Dieu. C’est ce choc qui est l’enjeu, non seulement de la mission de Jésus pour laquelle il a reçu l’Esprit Saint et qui l’a envoyé dans cette épreuve au désert, mais encore pour l’humanité tout entière, car de la façon dont Jésus va faire face dans cette confrontation dépend ce que l’humanité va devenir. Jésus, tenté par le diable, vainc l’ensemble des tentations de l’humanité, ici résumées dans ces trois fomentées par le diable. Cette victoire annonce déjà celle de sa résurrection. 


Jésus, plus encore que Moïse, donne la méthode de sa victoire. Là où le Malin exerce sa ruse, c’est qu’il parle le langage de Jésus. Il se sert de la Parole de Dieu pour la pervertir. Et là où Jésus excelle, ce n’est pas dans son éloquence ou dans sa science – car on ne peut négocier avec le diable –, mais dans la manière dont il bat son adversaire sur le même terrain. « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. ». Pourquoi ne pas le mettre à l’épreuve ? Ne serait-ce pas légitime quand nous nous trouvons nous-mêmes dans l’épreuve ou l’angoisse ? Assurément, non, car ce serait sombrer dans l’amnésie totale et dans l’oubli de ce que le Seigneur a déjà fait pour nous, et donc douter de ce qu’il pourrait faire encore. Ce serait donc manquer de toute reconnaissance. Pourquoi ne commencerions-nous pas par réapprendre les « bonnes manières » en disant d’abord « merci » à Dieu ? Belle conversion à laquelle nous introduit une fois encore l’eucharistie que nous célébrons ensemble. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †


mardi 1 mars 2022

Homélie pour l'entrée en Carême - mercredi des Cendres (2 mars 2022)

Ce n’est pas par hasard que l’Eglise nous propose, au moment où nous entrons dans le temps du Carême, d’entendre ce passage de l’évangile selon saint Matthieu. Peu avant, Jésus a enseigné les foules avec le sermon sur les Béatitudes, puis il poursuivait son enseignement en exhortant à ne pas nous satisfaire d’un légalisme spirituel qui ne nous ouvrira pas les portes du Royaume des cieux. Car la logique évangélique est toujours celle d’un dépassement dans l’amour pour tenter, au moins, de correspondre à l’amour dont Dieu a décidé de nous aimer. Ainsi Jésus scande dans l’évangile ces « Il vous a été dit… Moi, je vous dis » pour aboutir à la quintessence de ce que nous avons à devenir et à être : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). 


Finalement cet horizon, qui nous apparaît si difficilement atteignable, au point que nous serions tentés d’édulcorer les paroles de Jésus, en les affadissant de fait, n’est autre que celui d’une réalité que, pourtant, nous connaissons bien. C’est celle de notre baptême. Que nous soyons déjà baptisés, ou que nous nous préparions à l’être, tout nous a été déjà donné. Créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous perdons cette conformation chaque fois que le péché revêt d’un masque de laideur cette ressemblance. Le père du mensonge égare nos pas, tout en nous faisant pernicieusement croire que nous n’avons pas forcément changé de cap, que cela n’est pas si grave, que d’autres le font, etc… Que nous soyons baptisés ou catéchumènes, nous percevons bien que la vie chrétienne réside dans un « toujours-à-convertir ».


Voilà pourquoi, année après année, nous reprenons l’entraînement du carême. Le passage que nous entendions de l’évangile de Matthieu nous donne trois moyens pour y parvenir : le partage, la prière et le jeûne. Pourtant, assez curieusement, la lecture omet quelques versets qui développent le passage sur la prière. C’est là en effet que Jésus indique aux siens la prière véritable et efficace, celle qui doit être le modèle de toutes nos prières : le Notre Père. « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé. Vous donc, priez ainsi : Notre Père, qui es aux cieux… ». Enchâssé dans cette triple recommandation à l’aumône, la prière et le jeûne, le Notre Père en devient pour ainsi dire le centre gravitationnel. C’est aussi lui qui nous demande de pardonner à la manière dont Dieu pardonne. Une fois encore il s’agit de ressembler à Dieu, ou plutôt de revenir à la ressemblance avec lui que nous portons déjà en nous.


Certes, la conscience péché – chose que nous partageons hélas, toutes et tous ! – nous pousse à déchirez nos cœurs et non pas nos vêtements, comme des manifestations purement extérieures d’une conversion de façade. Il nous faut revenir au Seigneur notre Dieu, « car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. ». Que nous le voulions ou non, nous nous découvrons encore solidaires malgré nous du péché du monde, de celui qui précipite des peuples dans l’angoisse et dans la logique infernale et fratricide de la guerre. Car la logique de la paix n’est pas qu’une absence de conflit, elle réside dans la volonté de chacune et chacun de respecter l’autre et d’avoir pour lui, pour elle, un regard a priori de bonté. Logique, une fois encore, de conversion du regard et du cœur : voir comme Dieu regarde, aimer comme Dieu aime. Logique qui nous fait toujours nous demander avec chaque parole, chaque geste, chaque pensée : que ferait Dieu à ma place ?


Nous avons ce jour trois moyens, trois pédagogies essentielles pour revenir à une telle ressemblance avec Dieu : partage, prière et jeûne. Je vous propose peut-être de les combiner à trois objectifs : discerner, s’opposer et espérer. Discerner pour reconnaître le mal, objectivement ; s’opposer pour le dénoncer explicitement ; espérer pour « ne pas laisser sans effet la grâce » venue de Dieu. Ainsi équipés, nous avancerons vaillamment jusqu’à Pâques, jour de notre relèvement dans le Christ. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †