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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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samedi 22 octobre 2016

Homélie de la messe de la Commémoration des Fidèles Défunts - 2 novembre 2016

Il suffirait de reprendre en détails les textes de la liturgie de ce jour pour commencer à douter qu’il faille utiliser ce terme : « mort » pour définir ce que nous célébrons aujourd’hui. C’est dans la lumière pascale et la miséricorde du Seigneur que nous sommes en effet conviés à méditer et à prier en ce jour où nous nous souvenons de ceux qui nous ont quittés. Ils ont été appelés à vivre dans la lumière de la vie divine. Comme nous le sommes également, marqués comme eux du signe de la foi.
 « Nous ne voulons pas, mes Frères, que vous ignoriez la condition de ceux qui dorment dans le Seigneur, afin que vous ne soyez pas tristes comme ceux qui n’ont point d’espérance ». C’était le désir de l’Apôtre Paul (1 Th 4, 13-14). Il faut se souvenir que les Saints – chaque fois que cela est possible ou connu – sont fêtés au jour de leur mort. La liturgie et la tradition chrétiennes désignent d’ailleurs ce jour du beau nom latin de « dies natalis » autrement dit, le jour de leur naissance au Royaume. Frères et sœurs, si notre baptême nous fait déjà naître à la vie d’enfant de Dieu, celui de notre mort nous ouvre en grand les portes de la vie, la vie de Dieu que nous aurons cherché, parfois à tâtons, tout au long de notre existence ici-bas.
 
L'Eglise aujourd’hui nous fait nous souvenir non pas des morts, mais des défunts. « Functus » en latin signifie « s’acquitter de » ou « accomplir ». Défunt signifie donc « celui qui s’est acquitté de la vie » qu’il a reçue de Dieu. Le défunt est bien celui qui a rempli « les vocations » auxquelles Dieu l’a appelé au cours des rythmes de son existence terrestre. Il les a vécues. Bien ? Mal ? Splendidement ou médiocrement ? Cela importe peu en première analyse pour la miséricorde de Dieu. Il a vécu une vie d’homme ou de femme, celle qu’il a reçue de Dieu et ils sont arrivés au terme. La foi chrétienne doit prendre en compte leur vie selon la pensée de Dieu. L’Église, qu’ils le sachent ou non, les a accompagnés de sa prière, et s’ils ont reçu le baptême, de ses sacrements.
 
L'Eglise ne se considère jamais quitte et intercède sans cesse pour tous, « pour le salut du monde et la gloire de Dieu », (offertoire) pour que Dieu en sa miséricorde et son propre jugement, leur accorde, comme une « assurance-vie », le pardon et la paix du Royaume. Il est bien clair que pour le chrétien s’acquitter de la vie n’a de sens que dans la fidélité au Seigneur. La prière instante de l’Église n’ignore pas que nous sommes pécheurs. C’est le sens de son intercession : elle prie pour ceux et celles qui lui furent confiés et elle ne veut pas la perte d’un seul de ceux-ci. Ce jour est un jour de profonde espérance, par-delà la séparation qu’est le fin de notre vie terrestre, dans la paix comme dans la souffrance, la solitude ou la présence de nos familles, la torture du martyre ou l’attentive bonté des soins palliatifs.
La mort, restera toujours et en tout cas, un lieu de combat, un lieu de révolte ou de résignation. La mort chrétienne, si dure soit-elle, est néanmoins passage en Jésus qui est ressuscité et exalté par le Père. Notre civilisation occidentale moderne veut occulter la mort. Elle fait peur et on la dissimule et on la farde tant que l’on peut ! Nous-mêmes récitons parfois si vite l’Ave Maria que nous oublions de penser à ce que nous disons chaque jour : « Maintenant et à l’heure de notre mort » ! Oui, il n’y a que 365 jours dans une année et, sans le savoir, nous passons chaque année sur une date qui sera un jour celle de notre mort. Osons regarder la mort comme un passage, comme le moment où Dieu comblera nos attentes et nos espoirs. C’est sans doute le propre des chrétiens, que de désirer cette vie-là. Voilà pourquoi nous savons aussi que ceux que nous avons aimés et qui nous manquent tant continuent de nous être présents, mystérieusement mais réellement dans la vie que nous partageons. Nous prions pour eux mais nous pourrions aussi les prier. Les prier afin qu’ils nous fassent grandir dans cette attente avec confiance et espérance, sans craindre le jour de la belle et grande rencontre !  Le Seigneur n’est pas le Dieu des morts mais des vivants.
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ

Homélie des vêpres de la solennité de Tous les Saints - 1er novembre 2016

Nous avons entendu Jésus proclamer ce matin heureux et bénis, celles et ceux qui vivent les exigences de l’Évangile et qui en supportent les conséquences difficiles. Or pour beaucoup d’entre nous, (pour tous peut-être d’une façon ou d’une autre), les exigences de l’Évangile nous semblent être plus de l’ordre d’une contrainte et d’une charge que source de bonheur et de bénédiction. Et nous sommes plus encore étonnés lorsque nous entendons Jésus proclamer « heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute » (Mt 5, 11), car nous avons intégré de longue date que le bonheur, consiste à ne pas souffrir, à voir nos désirs satisfaits et à ne rencontrer aucune adversité. Supporter les conflits, l’hostilité, les persécutions, les insultes et les calomnies nous semble être le contraire du bonheur.

Pour nous, aspirer à la sainteté ne signifie peut-être pas principalement rechercher la miséricorde, la pureté de cœur, la paix, et moins encore la persécution, l’insulte ou la calomnie. Nous voyons plutôt la sainteté comme la récompense des efforts fournis et une prime à la perfection morale, qui puissent être authentifiées par une canonisation arrachée de haute lutte. Cette sainteté serait donc forcément réservée à quelques spécimens assez rares de l’espèce humaine mais ne saurait concerner le plus grand nombre dans sa médiocrité, ni nous-mêmes. La sainteté selon Dieu consiste plutôt à accueillir la plénitude de sa bénédiction. C’est ce qu’Il annonçait déjà dans le Livre du Lévitique quand Il appelait le Peuple d’Israël à vivre dans la sainteté, à être saint parce que Lui est saint (Lv 19, 2). Le fondement de la sainteté du peuple de Dieu, comme celui de la sainteté des disciples du Christ, n’est pas notre fabrication morale, mais la fécondité et la fructification de la sainteté de Dieu à travers l’histoire des hommes.

Ceci nous permet de comprendre que cette sainteté n’apparait pas à l’œil nu, et qu’elle ne sera visible qu’une fois arrivée à sa maturité et à son achèvement. La sainteté de Dieu est mystérieusement inscrite en nous, dans notre personnalité, notre liberté et notre cœur par le don qu’Il nous a fait en nous appelant au baptême. Par l’onction d’eau et d’Esprit-Saint, nous sommes marqués au front pour devenir les élus du Seigneur. « Enfants de Dieu, nous le sommes déjà » comme nous le dit la première épitre de Jean (1 Jn 3, 1). « Mais ce que nous sommes n’apparait pas encore clairement » (1 Jn 3, 2). Cette dignité d’enfant de Dieu, cette splendeur de la sainteté divine répandue en nos cœurs par la puissance de l’Esprit Saint restent enfouies et cachées sous les apparences et sous les drames de la liberté humaine et de l’histoire des hommes. Même si cette empreinte qui marque notre existence ne trouvera sa pleine expression qu’au terme de notre vie et à la fin de l’histoire, nous sommes déjà un peuple de saints, encore immergés dans l’histoire de l’humanité, qui est une histoire de péchés, de grâces et de réconciliations.

Aussi quand nous célébrons la fête de tous les saints, nous ne faisons pas la promotion anonyme de quelques saints inconnus. Plus profondément, nous faisons un acte de foi et d’espérance qui concerne notre propre existence. Nous affirmons que la sainteté de Dieu construit la sainteté de son peuple et qu’à travers la liberté des hommes et des femmes que le Père appelle à la sainteté, il leur donne les moyens de devenir saints pourvu qu’ils se laissent conduire sur les chemins de l’amour et ne s’approprient pas la capacité d’atteindre la perfection sans son secours.

Ce soir, nous rendons grâce pour cette multitude d’hommes et de femmes que nous ne connaîtrons qu’à la fin des temps, pour cette multitude d’enfants de Dieu, bénis et sanctifiés par Dieu, pour ceux qui ont accueillis cette sainteté et cette bénédiction à travers les combats quotidiens de la liberté humaine pour choisir ce qui est bon pour l’homme et refuser ce qui est mauvais. Dans l’espérance que s’accomplisse pour nous la promesse de Dieu qui a fait de nous ses enfants, nous sommes aujourd’hui dans la joie de ceux qui en vivent déjà.

 
Michel STEINMETZ

Homélie de la messe de la solennité de Tous les Saints - 1er novembre 2016

Par huit fois, Jésus qualifie certains de « bienheureux ». Il considère, à bien entendre l’Evangile, comme particulièrement heureux huit groupes de personnes. Car être « bienheureux », c’est bien plus que d’être happy, que de se sentir « bien ». Bienheureux signifie un état de bonheur tout à fait extraordinaire. En quoi consiste donc ce bonheur des bienheureux ?
 
C'est  ici que la liste des huit béatitudes nous intrigue. Car ce qui est présenté et loué comme bonheur suprême ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons du bonheur. Les pauvres, les affligés, les persécutés, ceux que l’on insulte, que l’on calomnie, sont appelés « heureux ». Il est difficile d’être d’accord avec tout cela. C’est vrai aussi : il est plus facile d’adhérer aux béatitudes restantes. Que les doux, les miséricordieux, les justes et les artisans de paix soient déclarés heureux, c’est juste. Tout simplement. Mais on ne peut retenir dans les béatitudes uniquement celles qui nous conviendraient et rejeter les autres. Alors quel est ce bonheur promis ? Bonheur pour tous ou bonheur d’une élite de puristes ? Arrivera-t-il un jour ? Jésus ne dit-il pas à la fin de l’évangile : « Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! ».
 
Ce ne serait donc qu’une consolation après la mort ? L’opium du peuple chrétien pour nous faire patienter bien sagement dans l’antichambre ou la salle d’attente ? Mais à bien écouter l’évangile, nous entendons Jésus s’exprimer au présent. Heureux, car le Royaume « est » à vous, maintenant ! On peut déjà en faire l’expérience, et non pas on ne sait quand. Que chacun examine son parcours personnel : si j’observe la liste des huit situations qui génèrent le bonheur, n’y en a-t-il pas une parmi elles, dont je puisse dire : « cela je l’ai vécu moi aussi » ?
Ainsi en ce qui concerne les artisans de paix. C’est sans aucun doute une joie profonde, quand on réussit, dans une situation conflictuelle, à ramener la compréhension, la réconciliation et la paix. On oublie alors tous les efforts qu’il a fallu déployer pour ramener la paix, tous les revers et toutes les résistances qu’il a fallu surmonter. N’est-ce pas un bonheur profond d’être miséricordieux et compatissant, plutôt que dur et sans cœur ? C’est toujours particulièrement émouvant de rencontrer des personnes au cœur pur et limpide, sans fausseté ni sournoiserie, mais droits et sincères. Assurément ce bonheur n’est pas simple. Ce sont souvent les pacifiques et les bienveillants qui ont la vie difficile. Car, eux, tentent de prendre en compte les autres. Ceux qui ne vivent que pour eux-mêmes semblent s’en tirer à bien meilleurs frais.
 
Etre pauvre devant Dieu ? Qu’y a-t-il de bienheureux ? Mais si. Et rappelez-vous l’évangile de dimanche dernier : celui de la parabole du pharisien et du publicain ? C’est une source de vrai bonheur que de se savoir pauvre devant Dieu, de paraître devant lui les mains vides, et de ne pas être satisfait de soi-même.
 
Certainement, le plus difficile à comprendre c’est que le deuil ou la persécution puissent apporter le bonheur. Vous avez sans doute déjà rencontré, comme moi, des personnes qui, au cœur d’un deuil ou d’une situation humaine difficile, comme la maladie, impressionne ou par la joie ou pour la sérénité qui transparaît en eux. A vue humaine, cela n’est pas possible. C’est parfois même déroutant. D’où pourrait venir cette paix et cette foi sinon de Dieu ? Elles sont le signe de sa présence bienveillante et de son action efficace. Elles sont la trace de la proximité du Royaume des Cieux, ici pour nous. Nous percevons que nous sommes comme devant un infini insaisissable.
 
Tout cela s’est confirmé en la présence de Jésus. Les huit béatitudes sont en accord parfait avec sa vie. Elles sont comme de brefs résumés de son itinéraire. Cet évangile est lu aujourd’hui, à la fête de Tous les Saints, parce qu’il décrit exactement comment les hommes deviennent des saints. Et aucun saint n’a jamais donné l’impression d’être triste. Un saint triste serait un triste saint.  
 
AMEN.
 
 
Michel Steinmetz

Homélie du 31ème dimanche du Temps oridnaire (C) - 30 octobre 2016

Jésus traverse Jéricho sans parole, sans dire mot. Jéricho : la ville la plus ancienne selon l’archéologie, mais, pour un Juif, à la fois la ville sacerdotale et le lieu païen de trafic douanier. Rome y a ses comptoirs et sa garnison. Jéricho, c’est aussi la porte de la Terre promise laquelle Josué envoya deux espions…

 
Ce ne doit pas être par « pure » curiosité que Zachée cherche à voir Jésus. Il court, dira Luc, sort de la ville, monte sur un arbre...Voilà non seulement qui est peu compatible avec sa position d’homme rangé en Israël, mais voilà surtout qui révèle, selon l’évangéliste, sa volonté active, efficace et persévérante de rencontrer Jésus. Zachée escalade donc un sycomore. Ce figuier sauvage à branche basse, est, en Israël, le symbole de la loi mosaïque et du temple. Ainsi, pour trouver comment bien vivre, Zachée se servait de la Loi et du culte, du moins, il en était informé. Mais tout cela ne serait-il pas périmé ? Il grimpe à l’arbre mais le Salut n’est pas obtenu par l’escalade de préceptes ni par la multiplication d’efforts impossibles. Pour être sauvé, il faut descendre et suivre l’invitation de Jésus. Il voulait voir Jésus, et c’est lui qui va être vu ! Jésus sait que Zachée ne résistera pas à son appel.  Cela se passe avec empressement, car c’est « à toute vitesse » déclare Luc, que Zachée descend de son arbre et « reçoit » Jésus. L’évangéliste souligne toujours combien l’amour est pressé, est empressé d’agir. Il le note lors de la visite de Marie à sa cousine Elisabeth. Il le montre à propos du Père dans la parabole de l’enfant prodigue, à l’occasion de la préparation du repas festif. Il y revient dans l’épisode des disciples d’Emmaüs au sujet de Cléophas et de son ami s’empressant vers Jérusalem pour y témoigner de leur foi en la résurrection. Zachée, fébrile, cherche Jésus. C’est avec une égale diligence que Jésus cherche l’humanité ! Dieu et l’homme en recherche de communion !

 
L'accueil de Jésus, par Zachée, dans sa maison, constitue le deuxième tableau de ce passage de l’évangile. Si c’est dans l’empressement et la joie que Zachée reçoit Jésus, ce n’est pas la joie pour tous ! De cette réception les Pharisiens se scandalisent et les gens-biens s’irritent. Loger chez un pécheur, y prendre son repas, pour un Juif légaliste, c’est le témoignage même, et public, d’une ratification du péché, c’est s’aliéner à la faute et au mal ! Et les voilà, ces bons Pharisiens, qui « murmurent ». Les pécheurs sont ravis de manger les paroles du Seigneur. Les justes-pieux les avalent de travers ou les ravalent et en étouffent. Paradoxe de la venue de Dieu ! Joie pour le pécheur, morosité chez le parfait ! Etrange !

 
Le troisième tableau de l’épisode de Zachée se passe dans le secret de la maison, c’est le choc de la conversion. Rien ne sera dit de l’entretien entre Jésus et Zachée au sein de sa famille, mais deux choses apparaissent. Plus encore que sa Parole, la présence de Jésus transfigure les personnes et transforme les choses. La simple présence de Jésus comble et convertit. Certes, Zachée ne quittera pas son métier, il ne quittera pas tout pour mieux suivre Jésus comme l’on fait les Douze appelés à une mission spéciale, mais il abandonnera son aisance, restituera ses larcins et partagera ses biens. Partage, don et restitution majorée, car il s’appliquera la loi romaine, source de ses biens : il restituera au quadruple, note Luc. La loi juive n’imposait la restitution qu’au double. Et c’est la moitié de ses richesses qu’il offrira aux pauvres.

 
"Aujourd'hui cette maison a reçu le Salut ". Ces dernières paroles de Jésus scellent et confirment la conversion du publicain Zachée. Jésus lui-même est bien l’ « aujourd’hui du Père » non seulement pour Zachée et les siens - la maison de l’infidèle est devenue le temple de Dieu - mais pour chacun d’entre nous. Notre première conversion eût lieu lors de notre baptême et toute notre vie chrétienne est comme une seconde conversion, journalière. La vie durant, chaque jour passant, communiant au Seigneur de gloire lors de nos célébrations, nous avons à répondre avec empressement à l’invitation du Seigneur qui veut demeurer en nous. Le ferons-nous ?

 

 
AMEN.

                      

Michel Steinmetz 

Homélie du 30ème dimanche du temps de l'Eglise (C) - 23 octobre 2016

L'évangile et aujourd’hui en opposition deux prières : celle du pharisien, qui se dit juste, et celle du publicain, qui s’avoue pécheur. Les pharisiens sont les héritiers de juifs courageux, qui ont animé l’héroïque résistance durant la persécution païenne au temps des Maccabées, deux siècles avant le Christ ! Au temps de Jésus, ils représentent sans conteste ce qu’Israël compte de plus pur et de plus noble. Cette fidélité aux traditions des anciens leur vaut la faveur et l’estime de beaucoup. Les publicains, au contraire, sont l’image de la déchéance morale et de l’impureté religieuse. Chargés de percevoir taxes et impôts, ils devaient verser d’avance au fisc une somme déterminée, qu’ils avaient ensuite à récupérer, augmentée bien sûr d’un intérêt personnel laissé à leur libre appréciation, en extorquant le plus possible le malheureux contribuable. Ces percepteurs étaient directement au service de l’occupant romain. 

 
On a peine à imaginer quel a pu être l’étonnement de l’auditoire de Jésus quand ce dernier énonce la sentence finale de la parabole : c’est le publicain qui fait partie de la catégorie des pécheurs qui a reçu un accueil favorable par Dieu et non pas le pharisien qui appartient à la catégorie des justes. Une telle conclusion de la parabole ressemble à une provocation de la part de Jésus, ou plutôt il s’agit d’une invitation vigoureuse à un renversement des valeurs qui ont cours en son temps comme au nôtre : le juste n’est pas forcément celui qui paraît l’être et mieux encore Dieu n’est pas Celui qu’on se représente souvent trop humainement.

 
Le pharisien pieux et zélé de la parabole de Jésus aurait toutes les raisons de remercier Dieu pour toutes les chances de sa vie. Au lieu de cela, il méprise ceux qui ne sont pas aussi pieux que lui. Pire encore, il les condamne, il leur jette la pierre. Et Jésus affirme alors très clairement que toutes ses pieuses actions sont sans valeur, qu’elles sont le contraire de la piété véritable. Le portrait que brosse Jésus du publicain est tout à fait différent : cet homme sait qu’il y a beaucoup de choses dans sa vie qui ne vont pas, qu’il fait beaucoup de choses de travers. Il se tient devant Dieu vraiment comme un pauvre pécheur et reconnaît qu’il n’y a plus que la miséricorde de Dieu qui puisse le secourir : « Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! ». Pour Jésus, cet homme est celui qui est vraiment pieux, l’autre est pour lui un hypocrite qui fait le petit saint.

 
Quand il était encore archevêque de Buenos Aires, le pape François avait publié un livre dont le titre était évocateur : A propos de l’auto-accusation. Et depuis qu’il est pape, il ne cesse de répéter que l’on ait énormément de torts aux autres en disant du mal d’eux. Dire du mal des autres est comme le cancer de toute une communauté. Les suspicions, les méfiances, les messes basses, les racontars, les ragots, les commérages, les erreurs des autres qu’on invente ou qu’on colporte avec délectation, la caution qu’on apporte souvent à ce genre de lynchage collectif des autres : tout cela empoisonne l’atmosphère, ne corrige les fautes de personnes et sème la discorde. Il est rare qu’on attire l’attention de quelqu’un sur ses erreurs, on préfère bien s’en gausser derrière son dos. Contre ce cancer, il n’y a qu’un remède. Jésus nous l’indique avec l’histoire de ces deux hommes dans le Temple. N’accuse pas les autres, frappe-toi la poitrine. Accuses tes propres fautes et péchés, et tu trouveras un Dieu de miséricorde et de pitié, et tu seras toi-même plein de pitié à l’égard des autres et des faiblesses des autres.

 
Observons-nous nous-mêmes, si vous le voulez bien. Comme nous disons facilement de quelqu’un qu’il est un criminel, au lieu de dire qu’il a commis un crime ! Mais l’être humain vaut toujours plus que sa faute. Il y a toujours quelque chose de bon en l’autre, même si nous avons parfois l’impression de nous transformer en Sherlock Holmes de la bonté pour le trouver…  De même il y a aussi du bon et du mauvais qui cohabitent en moi. Remercions Dieu pour le bon, et implorons son pardon pour ce qui est mauvais. N’en profitons pour condamner l’autre !

 
 
AMEN.
 

                                                                                                                                                                                                                      
Michel Steinmetz † 
 

samedi 15 octobre 2016

Homélie du 29ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 16 octobre 2016

La parabole nous parle d’une veuve qui demande justice. Il faut la situer dans le système judiciaire de la Palestine de ce temps-là. Il existait deux juridictions. La juridiction traditionnelle religieuse s’appuyait sur la Thora tandis qu’une autre autorité, politique celle-là, plus arbitraire que la première, dépendait de magistrats qui n’étaient pas liés par la Loi. Il s’agit ici d’un juge administratif. Il nous est présenté d’emblée comme un juge inique, un homme sans foi ni loi. Cette description nous informe déjà qu’il ne faut rien attendre d’un tel juge. Face à lui, une pauvre veuve, le type même de l’être sans défense, mais qui sait ce qu’elle veut. Le texte reste vague sur l’objet de sa plainte mais on sait qu’en dépit des rebuffades reçues, elle ne se décourage pas. En cela, elle est déjà pour Luc, un modèle de persévérance. Le juge est mal à l’aise devant son opiniâtreté. Aussi, il finit par lui donner satisfaction. Jésus termine sa parabole avec cette terrible question  « Mais le fils de l’homme quand il viendra, trouvera-t-il encore la foi ? ». En trouvera-t-il à l’image de la persévérance de cette veuve ?
 
Ce qui mine notre foi, n’est-ce pas que Dieu semble nous laisser dans la détresse malgré nos incessantes supplications ? En réponse à cette question, l’histoire d’un rabbin est éclairante. Un village connaissait une grande sécheresse et la famine menaçait. Les anciens décidèrent de faire appel à un saint des environs afin que sa prière obtienne de Dieu la pluie tant désirée. Celui-ci arrive et trace sur le sol un large cercle et, installé en son milieu, il commence sa prière : « Dieu de nos pères, je me tiens debout devant toi. Je me mets dans ce cercle et fais le vœu de prier et de jeûner sans en sortir jusqu’à ce que tu ais fait descendre sur ce village une pluie bienfaisante. » Mais un jour passe, puis trois, puis sept. Le ciel est aussi bleu que la terre des champs est sèche. Le rabbin s’avoue vaincu et s’en retourne chez lui. Les anciens, se disant que cet homme ne devait pas être assez « juste » aux yeux de Dieu, décident de quérir un rabbin de Jérusalem, la ville sainte. Le second accepte et suit le même scénario que son confrère. Or, en moins de deux heures, une nuée sombre se pointe à l’horizon puis éclate en une forte pluie. La situation est sauvée. Ayant appris cela le premier rabbin arrive tout chaviré et questionne le second : « Comment se peut-il que le Seigneur ne m’ait pas écouté alors que j’avais tant jeûné et prié ? » Le second lui raconte alors une parabole : « Un roi avait deux filles. L’une était disgracieuse, des cheveux comme des brindilles de bois, des yeux frappés de strabisme, une démarche contrefaite et une voix proche d’une crécelle. L’autre était, en revanche, ravissante. Ses cheveux étaient comme de la soie, ses yeux des perles fines et sa démarche souple et légère comme celle d’une gazelle. Enfin sa voix avait le bruissement d’une source naissante. Il arrivait à l’une et l’autre de demander audience au roi leur père afin d’obtenir quelque faveur. Quand la seconde venait à ses pieds, le roi prenait un tel plaisir à sa présence et à ses propos qu’il la gardait auprès de lui le plus longtemps possible, n’accédant à ses demandes qu’après de longues journées d’entretien. Lorsque c’était au tour de l’autre, il éprouvait un tel déplaisir qu’il lui accordait sur le champ l’objet de sa requête. » Et le vieux rabbin de conclure : « cette parabole est destinée à tous ceux qui se fatiguent les genoux sans obtenir de résultat apparent. »
 
Voilà qui ne doit pas nous inviter à tourner le dos à la perfection pour être vite exaucé ! Voilà qui doit nous rappeler que même pécheur, Dieu attache du prix à notre compagnie et à notre bonne volonté foncière. C’est le contraire d’une fin de non-recevoir. Et rappelons-nous toujours trois choses : il faut demander de bonnes choses, c’est à dire que ces demandes soient orientées dans la perspective des valeurs évangéliques. Il faut bien les demander, c’est à dire faire valoir ses titres de noblesse. « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », priait Moïse. Il rappelait à Dieu ses promesses et son Alliance. N’allons pas à Dieu comme des délinquants. Depuis notre baptême nos noms sont inscrits dans le ciel. Faisons valoir notre titre d’enfant de Dieu.
 
Demander de bonnes choses. Bien les demander. Demander en étant bon soi-même. Prier, c’est n’avoir rien d’autre à offrir que son cri. Prier, c’est accueillir la présence divine dans le creux de sa faiblesse  « temps et à contretemps ».
 
 
AMEN.               
Michel Steinmetz †   

samedi 8 octobre 2016

Homélie du 28ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 9 octobre 2016

« On ne rencontre qu’ingratitude en ce bas-monde », dit un proverbe. Et c’est bien de gratitude et d’ingratitude dont il s’agit dans l’évangile d’aujourd’hui. Il montre que l’ingratitude est beaucoup plus fréquente que la gratitude. Jésus, en effet, guérit dix lépreux et un seul revient sur ses pas pour le remercier. Et qui plus est, c’est un étranger et un homme d’une autre religion. Seulement 10 % de rentabilité… Est-ce bien raisonnable par les temps qui courent ?
 
Plus fondamentalement, ce passage de l’évangile révèle une vérité humaine. Comment se fait-il que nous disions si rarement merci ? Voyons la scène d’un peu plus prés. Jésus fait route vers Jérusalem. Il sait ce qui l’attend là-bas. Il n’y trouvera qu’ingratitude et incompréhension, violence et haine. Des lépreux s’approchent timidement d’un village et ils implorent sons assistance. Sans doute leur apparaît-il comme l’ultime recours. La lèpre est la plus horrible des maladies ; ceux qui en sont atteints sont mis au ban de la société. Ils n’ont pas le droit de s’approcher de ceux qui sont en bonne santé et tout le monde les fuit. Ils sont donc abandonnés à eux-mêmes et n’ont plus qu’à attendre leur mort dans la souffrance. C’est un sort un peu comparable qui attend Jésus à Jérusalem. Abandonné de tous, il sera conduit à l’extérieur de la cité, au Golgotha, et mis au ban de la même société, crucifié sur le bois de la honte entre deux malfaiteurs. Il va mourir sur cette croix, méprisé, rejeté, proscrit, tel un lépreux. Est-ce la raison de sa piété envers ces exclus ? Sans craindre de les toucher, Jésus s’approche de ces malheureux dont la seule vision dégoûte la plupart des gens.
Selon la Loi juive, ces lépreux doivent recevoir de la part des prêtres une attestation officielle qu’ils sont guéris, une sorte de récépissé de bonne santé. C’est la raison pour laquelle Jésus envoie ces hommes trouver les prêtres à Jérusalem. En y allant, tous les dix constatent qu’ils sont effectivement guéris. Ce fut sûrement pour eux un sentiment de bonheur indescriptible, quand ils virent la peau de leurs visages mutilés redevenir saine, meurs moignons aux pieds et aux bras disparaître et retrouver leur intégralité corporelle. Une guérison aussi radicale ne peut s’inventer, elle est trop manifeste, trop « voyante » !
 
N’aurait-il pas alors été naturel, au regard du caractère inouï et spectaculaire de leur guérison, de revenir tout de suite pour remercier celui à qui ils devaient cette miraculeuse guérison ? Un seul, seulement, le fait. Tous se dépêchent d’aller se montrer aux prêtres. Ils veulent que les « autorités locales » les inscrivent au plus vite sur les registres des citoyens en bonne santé, pour être à nouveau pleinement intégrés dans la société. Ils ne pensent qu’à eux-mêmes, ils ne pensent pas à dire « merci ». Un seul y songe. Ce sera le Samaritain, l’étranger d’une autre religion qui a l’habitude d’être marginalisé. Lui seul revient auprès de Jésus pour le remercier.
Cet évangile est un miroir dans lequel nous pouvons nous voir, à un double titre, me semble-t-il. Tout d’abord quand nous marginalisons nous-mêmes les autres, et parmi eux les étrangers ou les gens d’une autre religion. Nous avons tendance à globaliser notre pensée, à ne plus faire dans le détail. « Ils sont tous comme ça… ». Les généralisations sont parfois criminelles et souvent source de haine. D’autre part, quand nous suivons l’exemple des neuf autres lépreux. Tous nous harcelons le Seigneur dans la prière avec nos demandes, et nous les trouvons légitimes et importantes. Nous savons trouver le Seigneur pour l’importuner. Quand cependant nous sommes exaucés d’une manière ou d’une autre, que faisons-nous ? Pensons-nous à revenir vers Lui pour lui rendre grâce, lui dire « merci ». Ne phagocytons-nous pas la grâce qui nous est faite en la kidnappant, comme si nous en étions finalement l’origine ? Ingrats que nous sommes…
 
Que notre prière cette semaine ne se construise pas uniquement autour des « s’il te plaît », mais qu’elle trouve aussi les chemins des « mercis ». Car on vit mieux en disant « merci ».
 
AMEN.
 
Michel Steinmetz

samedi 1 octobre 2016

Homélie du 27ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 2 octobre 2016

Homélie prononcée à l'occasion de la messe de rentrée pastorale et des catéchismes
 
« Augmente en nous la foi ! ». Voilà la demande des Apôtres. Pourquoi une telle requête auprès du Seigneur ? S’il s’agit d’augmenter la foi, c’est donc que les disciples considèrent au moins l’avoir déjà un peu. Que viennent-ils d’entendre de la part de Jésus pour, d’un coup, ressentir le besoin d’être ainsi affermis dans la foi ? Comme pour nous dimanche dernier, Jésus vient de leur compter en présence des Pharisiens, qui le tournent en dérision, la parabole du riche et de Lazare. Et Jésus poursuit encore avec des paroles très dures qui invitent à la conversion. Les apôtres, sans doute, ont peur et comprennent que, de la foi, il va leur en falloir une sacrée dose.
 
Jésus n’est guère tendre avec eux. Voici sa réponse : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi ». Dans les gencives !  L’image de l’arbre qui se déracine et va se planter dans la mer peut surprendre. Il ne s’agit pas d’un prodige gratuit, ni d’un tour de magie. Dans la culture juive, la mer symbolise les forces du mal et de la mort. L’arbre, au contraire, évoque la vie et la fécondité. Implanter la vie au milieu de la mort, voilà, ni plus ni moins, ce que les disciples de Jésus sont invités à faire. Ne jamais se résoudre à penser que la foi en Dieu trouvera une limite dans son possible, dans son ouverture à l’espérance. Même un grain de foi suffit à opérer des merveilles. Ce n’est pas une foi théorique. J’ai déjà été souvent impressionné, comme prêtre, par la foi de nombreuses personnes. A côté, ma foi me paraissait petite et bien faible. Je me console en constatant que les apôtres eux-mêmes ont fait une pareille expérience, sinon ils n’auraient pas demandé à Jésus : « Augmente en nous la foi ! ». 

Qu’est-ce donc que la foi ? Je crois qu’elle avant tout une affaire de confiance. Confiance en Dieu. On dit aussi : « avoir foi en quelqu’un ». Mettre sa confiance en Dieu, c’est tout baser sur le fait qu’Il nous a bien pensés. La foi est mise à l’épreuve quand nous rencontrons de graves difficultés. Est-ce que je me fie encore à Dieu, même si je me révolte contre lui : pourquoi permets-tu cette souffrance ? Ce sont des moments où on se dit : « fortifie ma foi », aide-moi à te faire confiance, même si c’est incompréhensible. Me reviennent à l’esprit bien des situations, souvent dramatiques, souvent des funérailles, où des tout-proches m’ont impressionné par leur dignité, par la foi qu’ils me disaient si essentielle pour eux en ces moments, alors que beaucoup autour étaient effondrés. J’ai été marqué aussi par le témoignage publié dans la presse et sur les réseaux sociaux cette semaine du couple âgé et d’une des religieuses qui ont été témoins de l’assassinant du Père Hamel en juillet dernier. Quelle foi, simple, profonde, mais à renverser des montages !
Evidemment, en ces jours, nous ne pouvons passer sous silence en Alsace la tragédie qui secoue notre diocèse, parce qu’un prêtre, l’un des nôtres, a trahi la confiance la plus fondamentale qui soit, celle d’une mineure, liant à ses agissement d’autres, d’un autre ordre, mais profondément choquants pour la confiance qu’avait placée en lui une communauté paroissiale. Là encore, il nous faut demander cette foi : pour ne pas nous résoudre à penser qu’on ne peut plus faire confiance, pour résister à la tentation de voir partout la corruption, la négation de l’Evangile. Là encore, il nous faut demander pour nous tous, pour les prêtres que nous sommes, que le Seigneur augmente en nous la foi.
Dans l’histoire qui clôt l’évangile de ce jour, le service apparaît comme le révélateur de la foi. Le Christ lui-même proclame qu’il n’est pas venu pour être servi, mais pour servir (Mt 20, 28). Combien plus ses disciples, parce qu’ils ne sont pas au-dessus de leur Maître. Servir, c’est essence de la vocation chrétienne, il n’y a pas à en attendre une reconnaissance, une gratification particulière. Au début de cette année pastorale, demandons ensemble au Seigneur qu’Il nous affermisse dans la foi pour que nous ne doutions jamais de Lui. Mettons-nous les uns les autres en tenue de service, sans attendre de retour. « Nous ne sommes de simples serviteurs », nous ne faisons que notre devoir. Le reste appartient à Dieu.
 
Michel Steinmetz