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samedi 30 octobre 2021

Homélie de la solennité de Tous les Saints - 1er novembre 2021

L’autre matin, je peinais à distinguer l’église depuis le presbytère. Entre les deux, la seule place Arnold. Mais l’épais brouillard automnal rendait à peine perceptible les lignes de l’édifice. Un étranger la découvrant n’aurait pu en décrire l’ornementation de la façade, l’agencement des pinacles et des contreforts. Une simple forme aux contours flous, voilà ce qu’il était possible de discerner. Et pourtant, l’église était bien la même que celle que le soleil, dissipant les nappes un peu plus tard dans la matinée, allait à nouveau laisser apparaître. La même, dans sa réalité et sa matérialité, mais une autre dans sa perception. Il me semble que c’est exactement ce qu’exprime l’apôtre Jean quand il affirme : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. » Et il ajoute que cela deviendra possible quand en fin nous verrons nous-mêmes Dieu « tel qu’il est ». 


Ainsi, il se peut que vous soyez comme dans du brouillard et que vous voyiez les autres comme étant tout aussi embrumés que vous. C’est d’une part la condition normale de l’homme de ne pas être encore dans la claire vision de Dieu. Car si c’était le cas, la foi ne vous servirait plus à rien ; il serait inutile de vous inscrire dans la confiance et l’espérance car vous seriez dans le domaine de la certitude. La foi implique de fait la confiance, et d’une certaine manière même, un pari sur Dieu. Nul ne peut prétendre être dispensé ou guéri du doute tant qu’il n’est pas en Dieu. Et être en Dieu, cela correspondra au moment où nous aurons vécu notre Pâque à la suite de Jésus. C’est l’expérience de tous les saints, y compris de plus célèbres et des plus vénérables. D’autre part, la vie se charge de flouter nos contours. Tantôt elle rabote nos zones de certitude et de confort, tantôt elle opacifie nos traits. La vie, avec son lot d’épreuves et de difficultés, peut mettre à mal ce que nous aimerions laisser transparaître de nous-mêmes. Les autres peinent à percevoir la vérité de notre être. En retour nous pouvons aussi ne pas arriver jusqu’à la profondeur de leur âme. Ce que nous sommes ne paraît pas encore clairement.


Pourtant, malgré des apparences trompeuses et donc désavantageuses, la réalité demeure. Il y a « ce que nous sommes » et ce que nous sommes déjà : par amour du Père, « enfants de Dieu ». Quand le soleil de la charité n’arrive pas à nous illuminer de ses rayons, cette identité n’en disparaît pour autant. Que nous soyons pauvres de cœur, en pleurs, que nous soyons doux et donc affaiblis par le dur esprit du monde, que nous ayons faim et soif de justice malgré les injustices des hommes, que nous soyons déjà miséricordieux, avec un cœur pur, que nous soyons artisans de paix au milieu des conflits, que nous soyons persécutés pour la justice ou à cause du Règne de Dieu, nous nous découvrons peut-être malheureux aux yeux du monde. Il nous semble placer notre idéal dans un décalage complet avec ce qui fait immédiatement recette. Nous nous exposons aux brouillards des relativismes qui obscurcissent l’identité de Dieu que nous portons en nous. Et bien, malgré tout, nous demeurons ce que nous sommes. Plus encore, Jésus nous dit aujourd’hui qu’à ses yeux, aux yeux de son Père, nous sommes en réalité « heureux ». 


Si vous désespérez de vous, frères et sœurs, pensant que vous vous perdez en chemin sans plus trop y voir, souvenez-vous de la grande cohorte des saintes et des saints. Il n’en est aucun qui n’ait eu des zones d’ombre. Rappelez-vous les Apôtres que Jésus appelle à devenir des pierres de fondation dont rien n’ébranle l’assise : il y eut parmi eux un terroriste, un traître, un homme de doute, des arrivistes et un renégat pardonné. Ce qui fait précisément leur sainteté, c’est de ne s’être jamais résigné à être réduit à leurs manquements. Vous valez plus que vos flous, vos aspérités et vos ténèbres. Et Dieu le sait, Lui que ne cesse de vous appeler à devenir ce que vous êtes déjà. A l’exemple de celles et ceux qui sont déjà dans le cœur de Dieu, qui ont lavé leur robe dans le sang de l’Agneau et qui contemple Dieu face à face, poursuivez votre route. Dieu n’oublie pas ce que vous êtes, une fois le brouillard disparu : ses enfants bien-aimés.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 29 octobre 2021

Homélie du 31ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 31 octobre 2021

A tous ceux qui légitimement se demande ce qu’il conviendrait de faire pour que les choses changent positivement dans l’Eglise, à celles et ceux qui scrutent attentivement les préconisations du rapport de la CIASE et qui attendent la réaction des évêques de France rassemblés ces prochains jours à Lourdes, la petite voix malicieuse du scribe de l’évangile vient se rajouter… « Quel est le premier de tous les commandements ? », ou pour dire les choses autrement : « quelle est la solution à côté de laquelle il ne faut passer sous aucun prétexte ? ».


A cette question, pour laquelle le scribe a déjà sa réponse, Jésus répond par la Parole de Dieu qu’il cite. L’amour de Dieu et l’amour du prochain, les deux intrinsèquement liés, résument toute la quintessence des commandements. Pour Jésus, aucune matière à disserter, pas de grande analyse, mais la Parole de Dieu dans toute sa force sereine.  De fait, les commandements bibliques apparaissent comme la plus parfaite trace de l’amour de Dieu et de la liberté qu’il nous offre. En effet, si Dieu ne veut pas la mort du pécheur, il ne nous contraint pas non plus à nous soumettre. Nous demeurons libres : libres de suivre ce qu’il nous propose, libres de nous en détourner. Ainsi, les commandements doivent être considérés comme des guides et non comme des interdits. Ils sont paroles de vie, à l’image des Béatitudes que nous entendrons demain. Après que Moïse a rapporté au peuple les propos reçus sur la montagne, il n’oublie pas d’ajouter ce qui en donne le sens profond : « tu observeras tous ces commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie ». Et il ajoute un peu plus loin : « tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité […] comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes pères » (Dt 6). Ces commandements mobilisent notre volonté et notre détermination : « de tes décisions, je ne veux pas m’écarter, car c’est toi qui m’enseignes » (Ps. 118). 

Les commandements sont une manière pour Dieu de nous enseigner : ils sont des guides, des repères, « une lumière pour nos pas » comme le dit encore le psaume. Cette lueur a vocation d’entrer en nous et d’illuminer notre cœur : elle requiert notre humilité et notre disponibilité, sans a priori. Sans réticence, marchandage ou état d’âme. Parce que s’assimilant peu à peu à tout notre être, parce que pénétrant jusque dans notre cœur, les commandements nous transforment. Le compagnonnage quotidien que nous acceptons de vivre avec eux nous modèle peu à peu : loin de nous faire abandonner toute marge de manœuvre, ils orientent nos pas et nous apprennent à demeurer fondamentalement libres par rapport à toute sollicitation extérieure. Ils deviennent des critères de discernement profond et authentique. 


Le scribe de l’évangile n’est pas félicité par Jésus pour le caractère judicieux, voire malicieux, de sa réponse mais parce qu’il a saisi un point capital : « aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices » (Mc 12). Il en tire, pour lui, une règle de conduite qu’il s’efforce de traduire en actes. Chacun de nous peut et doit en arriver à la même conclusion. Aimer Dieu et son frère, c’est la chose la plus simple, la plus évidente, mais aussi la plus exigeante qui soit ! Toi qui aimes ton conjoint et tes enfants d’un amour fidèle et quotidien, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui fais de ton travail une occasion de servir et de témoigner, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui réserves chaque jour quelques instants à la prière pour écouter ton Seigneur, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui as pris un engagement dans la société ou l’Eglise pour faire briller la lumière de l’Evangile, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui n’instrumentalises pas l’autre, mais demeure dans un rapport sain et juste avec lui, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».


 « Seigneur, accorde-nous de progresser sans que rien ne nous arrête vers les biens que tu promets ! » (oraison d’ouverture).

AMEN.


Michel STEINMETZ † 


vendredi 22 octobre 2021

Homélie du 30ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 24 octobre 2021

Certains sont prompts à trouver toutes les bonnes excuses pour se rester loin de Jésus. Avouons que nous avons chacune et chacun les nôtres. Je n’ai guère de temps à consacrer à la prière ; je me sens loin de l’Eglise et en décalage avec elle ; ce qu’on dit des institutions ecclésiales me dégoûte ; l’Evangile est un idéal inaccessible ; Jésus ne peut rien faire pour moi, etc… Assurément l’aveugle de l’évangile a, lui aussi, des excuses imparables. Il est non seulement non-voyant, mais aussi mendiant. La foule nombreuse l’empêche d’aller vers le Christ, d’autant plus qu’il est assis au bord du chemin en train de quémander. Pourtant, lui, va faire fonctionner ce qui fonctionne chez lui. Son ouïe tout d’abord car elle lui permet de comprendre que cet attroupement est provoqué par la présence de Jésus. Sa parole, ensuite, pour crier et ses jambes pour répondre à l’invitation de Jésus.  


L’aveugle ne connaît pas Jésus. Il ne l’a probablement jamais rencontré ; sa seule connaissance se limite à ce qu’on dit de lui, à sa réputation grandissante. Marc prend le soin de préciser que Bartimée était un mendiant. Il serait d’ailleurs parfaitement autorisé de traduire ici : « Bartimée, le fils de Timée, assis au bord de la route, en train de mendier ». L’attitude de cet homme rejoint sa disposition intérieure : ainsi, lance-t-il vers Jésus une vibrante prière, la prière du pauvre, du pécheur, de celui qui sait qu’il ne peut rien et qui attend tout de Jésus. « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! ». La foule veut faire taire l’aveugle, comme si son handicap visuel ne suffisait pas, comme s’il fallait, en plus, lui retirer sa faculté de parole. Lui, au contraire, crie de plus belle. Il n’a rien à perdre. 


Remarquons bien que la réponse de Jésus à Bartimée est d’abord un appel. « Appelez-le », dit Jésus. Ceux-là mêmes qui interpellaient l’aveugle pour le faire taire, ou du moins certains parmi eux, l’exhorte alors à la confiance. « Confiance, lève-toi : il t’appelle ». Quand Jésus appelle, il relève ; d’assis au bord de la route pour mendier, Bartimée se met debout pour aller vers le Seigneur. Poursuivons. L’aveugle jette son manteau, il se dessaisit de ce qui pourrait l’entraver, et symboliquement il se dessaisit de l’habit du mendiant car il sait au fond de lui que, déjà, il a été exaucé. Il bondit alors et court vers Jésus, lui le non-voyant !


Jésus, marchant vers Jérusalem, réalise la prophétie de Jérémie ; le prophète précise que, dans ce cortège, se trouvent des aveugles : « je les dirige par un chemin où ils ne trébucheront pas ! », dit le Seigneur. Jésus pose le geste de la délivrance. Bartimée, l’aveugle guéri, suivra la troupe dans sa montée vers la Ville sainte. On ne comprend alors, et que mieux encore, l’exclamation de Bartimée, toute empreinte de messianisme : « Fils de David, aie pitié de moi ! ». Le Christ, en le guérissant, se révèle comme l’espérance du peuple, comme la concrétisation des promesses divines.

Jésus, seulement après avoir fait appeler et venir à lui Bartimée, lui demande ce qu’il désire. Alors, ne posant aucun geste et sans aucune parole de guérison, il lui dit que sa foi l’a sauvé. C’est parce que Bartimée a cru, qu’il a vu avec les yeux de la foi, qu’il lui est donné de voir maintenant avec les yeux du corps. 


Avant même que Jésus ne prononce les paroles qui lui ont rendu la vue, Bartimée se sent reconnu et déjà aimé, lui que l’on voulait faire taire. Cette jubilation, cette joie, cette action de grâce sont le signe de la présence du Sauveur au sein de son peuple. En ces jours, la joie est difficile, aride et ternie. L’Eglise souffre. Par-delà pourtant l’inacceptable, le Christ nous invite à déployer des énergies nouvelles pour que les plaies soient pansées, que les cœurs sont pacifiés et que les baptisés que nous sommes ne se retranchent pas derrière des excuses pour que rien ne change. Nous crions vers le Seigneur « Jésus, fils de David, aie pitié de nous ! ». Lui en retour nous appelle. Ne nous dérobons pas. Emboitons le pas à Bartimée, mendiants que nous sommes. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 15 octobre 2021

Homélie pour le 29ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 17 octobre 2021

Imaginons la scène. Jacques et Jean, les fils de Zébédée, sont des braves gens. Ils ont trouvé leur maître. Celui-ci parle d’un Royaume qui se met en place. Ils préparent leur avenir. C’est naturel. Jésus, lui, a annoncé à ses disciples, et pour la troisième fois, sa Passion et sa Résurrection maintenant toute proche. Plus les jours passent, plus il sait comment va s’écrire l’histoire. Ses disciples ne comprennent toujours pas. Ils sentent bien que quelque chose se prépare : « ils étaient effrayés et avaient peur », nous rapporte saint Marc. C’est dans cette imminence, dans cette urgence, que Jacques et Jean se décident à interpeller Jésus : « Maître, nous voudrions que tu exauces notre demande ». Et quelle est-elle cette demande si ce n’est un abus de pouvoir quémander au maître pour que, fait du prince oblige, il les privilégie sur les autres et les propulse à sa droite et à sa gauche dans son Royaume !

Quoi de plus légitime, de plus normal, de plus compréhensible que de préparer son avenir, et qui plus est lorsque les temps sont troubles, incertains ? N’avons-nous pas déjà connu pareille tentation ? Faire jouer du piston, comme on dit, pour se préparer un avenir assuré et tranquille, pour avoir, peut-être même, le pouvoir et être servi ? Ne jetons pas trop vite la pierre à Jacques et Jean ! Leur demande est finalement bassement humaine. 


« Vous ne savez pas ce que vous demandez ! ». Voilà la réponse de Jésus. Il recadre les choses. Siéger à la droite et à la gauche du Fils de l’Homme, ce n’est pas rien ! Le Christ rappelle, si besoin était, que d’accorder cela ne lui revient pas mais relève de l’initiative du Père. Lui-même se reçoit du Père et reçoit de lui son pouvoir. Boire à la coupe que Jésus s’apprête à boire, recevoir le baptême dans lequel il va être plongé, voilà les conditions sine qua non pour accéder au Royaume. La coupe est souvent, dans l’Ancien Testament, un symbole de la souffrance ; à cette image, Marc ajoute celle du baptême, qui désigne la mort à soi-même pour la renaissance en Dieu. Jésus, en effet, ne vient-il pas d’annoncer pour la troisième fois, sa Passion, alors même que, déterminé, il fait route vers Jérusalem ? Entrer dans le Royaume ne pourra jamais se confondre avec un pouvoir, ou pire encore un abus de pouvoir. 

Jacques et Jean réponde à l’interrogation de leur maître de manière on ne peut plus claire : « Nous le pouvons ». Et ils le pourront, en effet : leur vie de foi toute entière vouée à l’annonce de l’Evangile et couronnée par la gloire du martyre n’en est-elle pas l’expression parfaite ? Ils ont persévéré, ils ont tenu fermes. « A cause de ses souffrances [ ou, comme nous le suggère un autre traduction : ayant payé de sa personne], le Serviteur verra la lumière, il sera comblé », nous dit le prophète Isaïe.


Isaïe parle de « payer de sa personne ». Peut-être est-il bon de nous rappeler que venir en aide à nos frères, se faire le serviteur de tous demande toujours un effort. Le Christ nous invite, pour le rencontrer, à nous faire solidaires les uns des autres. Il nous exhorte, comme il le faisait pour Jacques et Jean, à boire avec lui la coupe du salut, c’est-à-dire non à courir au devant des souffrances ou de faire de notre volonté de service l’étendard de notre vanité, mais à persévérer dans la foi. Ces jours, cela passe sans doute dans le fait de le reconnaître, Lui broyé par la souffrance, dans les souffrances des victimes d’abus dans l’Eglise. 

Alors nous comprendrons, au travers, parfois, d’âpres moments de combat et de purification intérieure, que c’est celui qui persévèrera  jusqu’à la fin qui sera sauvé. Celui qui garera sa conscience pure et son discernement éclairé. Et c’est la seule gloire que nous devons désirer. Les autres ne sont que vanité. 


« Pouvez-vous boire au calice où je vais boire ? » C’est-à-dire : êtes-vous prêts à donner votre vie pour vos frères par-delà toute souffrance ? Voici la question que nous retiendrons avec cette consigne : en attendant la gloire, mettez-vous au service de vos frères ! Voilà la seule manière d’imiter le Christ et de lui ressembler, la seule manière de ne pas se tromper quoi qu’il advienne ! 

AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 8 octobre 2021

Homélie pour le 28ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 10 octobre 2021

« J’ai prié, et le discernement m’a été donné », disait l’auteur du Livre de la Sagesse. Je ne sais si nous n’avons pas assez prié, mais, de tout évidence, nous avons gravement manqué de discernement. Cela est apparu alors que nous le pressentions. Cette carence est apparue comme plus effroyable encore, car doublée d’un silence pesant, complice et criminel. Nous devons désormais regarder cette réalité en face, sans nous y accommoder, sans la minimiser, sans l’excuser. Elle est intolérable. Mais, passée la stupéfaction du constant, nous ne pourrons en rester là, au risque de nous rendre doublement complices, car nul d’entre nous ne pourra plus dire désormais : je ne savais pas. Ce mal endémique, systémique, il faut le combattre, pour que non seulement notre Eglise redevienne une « maison sûre » mais aussi crédible en sa parole et en ses actes. 
Cela engage en effet chacune et chacun d’entre nous. Le rapport de la CIASE a bien évidemment mis en lumière les crimes de prêtres et de religieux. Pourtant, c’est tout le corps ecclésial qui est touché, à la fois atteint et concerné. Peut-être avons-nous préféré « les trônes et les sceptres », entendus comme espaces de pouvoir, plutôt que la « richesse » de la sagesse, celle qui fait demeurer humble donc lucide. Peut-être avons-nous survalorisé les prêtres et leur rôle, les mettant sur des piédestaux indéboulonnables de « saints prêtres », plutôt que de considérer leur ministère essentiel dans nos communautés sans pour autant en faire des surhommes ? Il est temps désormais de retrouver une nouvelle richesse, celle de cœurs qui écoutent, non celle de donneurs de leçons mais de compagnons d’humanité, temps « d’apprendre la vraie mesure de nos jours ». 


Au cœur de ce travail, seule la Parole vivante de Dieu pourra nous guider. Car il faudra abandonner les rivages dessinés par une époque et les certitudes qu’on pensait éternelles. Il faudra risquer de nouvelles formes de vie en Eglise et de nouvelles manières d’envisager le ministère. Au cœur de ce grand chambardement, qui est celui d’une conversion profonde et urgente, la Parole de Dieu sera notre boussole, « énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ». Dans un corps qui se gangrène, la chirurgie devient inéluctable si l’on veut garder la vie, alors cette Parole, tel un bistouri, ira « jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles », « en jugeant des intentions et des pensées du cœur. » Nous ne pourrons pas dédouaner, même si cela fait mal. Et l’auteur de la Lettre aux Hébreux de poursuivre nous l’entendions : « Pas une créature n’échappe à ses yeux, tout est nu devant elle, soumis à son regard ; nous aurons à lui rendre des comptes. ». Quand les circonstances de la vie sont plaisantes, on en vient sans doute à ne plus considérer l’action de Dieu. Quand par contre les conditions sont difficiles, et qu’il semble que nous n’avons plus de prise, alors nous discernons combien Dieu conduit les choses. Il le fait par une Parole qui sauve. 


Si nous restons là, stupéfaits peut-être ou révoltés, comme l’homme de l’évangile, à demander : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? », Jésus nous rappelle le bon sens des commandements, de ces garde-fous que sa Parole nous donne, pour ne pas aller à notre perte. Mais comme à son interlocuteur, rempli de bonne foi, comme nous sans doute : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse », Jésus pose son regard sur nous et nous aime. Frères et sœurs, je ne sais si Dieu a été en colère cette semaine, mais je ne doute pas que son amour nous reste donné pour peu que nous acceptions qu’il nous transforme. Jésus appelle à aller plus loin encore : à avoir un trésor dans le ciel en donnant à ceux qui n’ont rien. L’homme de l’évangile part tout triste en sachant qu’il rate quelque chose. Nous, ne rebroussons pas chemin, nous le regretterions !


L’Eglise du Christ mérite bien plus que ce que nous en avons fait. Elle est plus grande et plus sainte que les crimes infâmes. A nous de la réparer, cette Eglise toujours à réformer, selon le mot même de saint Augustin. L’heure de la réforme a sonné. A nous désormais de ne pas nous dérober.   


AMEN.


Michel STEINMETZ †

vendredi 1 octobre 2021

Homélie pour le 27ème dimanche du Temps ordinaire(B) - 3 octobre 2021

Notre société est comme obnubilée par l’égalité. Il est vrai que c’est là un des trois substantifs fondateurs de la nation française et porté au fronton des édifices publics. Si le concept est noble, son exploitation est parfois problématique. Egalité à tout prix, égalité des chances, égalités des sexes, au point que cette égalité rime parfois avec indifférenciation. Précisément là où la Bible a un regard bien plus inclusif – et donc paradoxalement très à la mode, c’est qu’elle ne pense pas l’égalité dans le nivellement au plus dénominateur commun mais qu’elle intègre de fait les diversités comme autant de richesses. Le texte du livre de la Genèse que nous entendions est en cela révélateur.


Trois mots du texte d’origine sont à la source d’une mauvaise compréhension. Le premier concerne le terme hébreu ezer, qui a été traduit par « aide ». La Bible écrit ainsi : « Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée. » (Gen, 2, 18). En hébreu, ezer n’est pas du tout la personne qui fait le repassage ou le ménage. Ce terme a plutôt le sens de « secours vita». Assez loin de la notion de « servante », il s’agit donc plutôt d’une « part indispensable » de l’homme.

Un autre terme hébreu très difficilement traduisible est tsela, la « côte » prise de l’humain pour façonner la femme. A chaque fois que ce terme est utilisé dans l’Ancien Testament, il désigne les « poutres maîtresses » du Temple. Il s’agit donc également d’une partie fondamentale de l’homme. C’est en tout cas une chose que nous, les hommes, n’avons plus, parce qu’elle nous a été prise pour façonner la femme. Cela fait dire à certains théologiens qu’il s’agit peut-être de la matrice». Un élément qui fait sens lorsqu’on se rappelle qu’Eve veut dire « la vivante ». Si ces deux termes ont été traduits de façon réductrice, il en est un troisième dont l’interprétation change fondamentalement la perspective du texte : le mot adam lui-même. On l’a en effet interprété comme le premier « homme », alors qu’en hébreu, cela veut dire « l’humain ». Ainsi, jusqu’à Genèse 2, 23, à chaque fois qu’il est écrit adam, il est question de l’être humain et non de l’homme.

Dans cette perspective, le terme « femme » apparaît en premier dans la Création. « Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise » (Gen 2, 23). Il y a donc d’abord l’adam - qui signifie littéralement « le glaiseux-celui qui est tiré de la terre » - dont Dieu se dit qu’il n’est pas bon qu’il soit seul, et auquel il fait un vis-à-vis. Pour cela, il est obligé de lui prendre quelque chose, et il ne sera donc plus tout à fait ce qu’il était au départ, il devient « homme ». C’est ainsi uniquement dans la relation avec celle qu’il découvre face à lui qu’il découvre sa propre identité.


Cette distinction homme-femme se manifeste en hébreu dans un jeu de mot génial avec les termes ish et ishah. La terminaison ‘ah’ est le suffixe classique du féminin. Elle désigne aussi un « mouvement vers ». Ishah est donc celle vers laquelle l’homme est attiré et par rapport à laquelle il se définit. Bien sûr, ce sont des concepts qu’on ne peut pas traduire correctement en français, mais les traducteurs de dernière traduction liturgique de la Bible, sortie en 2016, mentionne désormais les termes ish et ishah.


Quand Jésus cite les versets de la Genèse, il entend sans doute plus rappeler l’unité fondamentale et inclusive de la Création, de cette humanité telle que Dieu l’a voulue, plutôt que de s’insérer dans un débat législatif et juridique autour des institutions du mariage. Il n’est pas tant question de légalisme et de répudiation que de vocation à entrer dans le Royaume de Dieu, dans la simplicité dont l’enfant est ici le symbole. « Celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » L’humanité selon le cœur de Dieu est fondée sur la différence et la véritable égalité, celle qui accueille avec respect sa condition de créature.  


AMEN.


Michel STEINMETZ †