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vendredi 23 avril 2021

Homélie pour le 4ème dimanche de Pâques (B) - 25 avril 2021

Sur certains documents officiels, on appose parfois la mention « p.o. » : « par ordre ». Cela rappelle que le signataire ne détient pas d’autorité en propre, mais qu’il la reçoit d’un autre pour l’exercer en son nom. Il en va ainsi des apôtres qui, dans le livre des Actes, sont décris comme agissant « par ordre ». Ils baptisent ainsi « au nom du Seigneur Jésus ». Le pouvoir qu’ils détiennent, et la grâce qui y est liée, ne vient pas d’eux mais du Seigneur lui-même qui les choisit pour faire d’eux ses associés. L’invocation du « nom » du Seigneur opère le sacrement : il donne le salut.  


Jésus, le bon Pasteur, nous sauve. Qu’est-ce que cela veut dire ? Dans les Actes des Apôtres, Pierre conclut son discours en disant : « En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. » (Ac 4,12) Cette phrase très simple exprime quelque chose de tout à fait central dans la foi catholique et dans notre expérience chrétienne. Il y a un sauveur, et il n’y en n’a qu’un seul : c’est Jésus lui-même ! Pourquoi ? C’est uniquement en nous agrippant à Lui, en Le suivant sans le lâcher, que nous pouvons traverser cette chose ultime qui voudrait mettre une fin à toutes choses : la mort. Il est l’unique sauveur parce qu’il est le seul qui fait l’offrande de sa vie pour le salut des hommes. Il ne se suicide pas, il ne cherche pas à mourir dans la « dignité », il ne cherche pas à mourir en héros. Il se laisse conduire à la mort en faisant l’offrande de sa vie par amour pour les hommes, et par obéissance à Dieu. Il est le seul par qui nous puissions être sauvés, non pas seulement parce qu’il a donné sa vie pour nous, parce qu’après tout, il aurait pu donner sa vie et l’histoire aurait pu s’arrêter là ! Il est notre sauveur parce qu’il a donné sa vie et qu’il a le pouvoir de la recevoir à nouveau, c’est-à-dire que Dieu l’a ressuscité. Il montre ainsi que la puissance de Dieu est plus grande que les forces du mal et de la mort.


Jésus se présente lui-même comme un pasteur, un berger. Le pasteur, contrairement au mercenaire, se sent lié à son troupeau. Ses brebis sont un peu de lui. Quand l’une d’elle est en danger, son cœur frémit et il désire la sauver. Cette brebis en danger n’est pas pour lui un steak sur pattes, ou un pullover en devenir. La preuve : il la connaît par son nom. Chose surprenante dans l’évangile pour celles et ceux qui auraient un instinct grégaire et identitaire : « J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. » Ainsi, nous devons prendre garde à ne pas nous assimiler trop rapidement à un troupeau privilégié qui kidnapperait son berger pour en faire sa propriété exclusive. Jésus est aussi le berger d’autres brebis dont il faut qu’il s’occupe. Pourtant toutes sont appelées à ne former qu’un seul troupeau, car il n’y a bien qu’un seul pasteur.


Cela implique pour les brebis déjà intégrées au troupeau – nous, en l’occurrence par le baptême reçu « au nom du Seigneur Jésus » - d’accepter avec joie et sans rechignement que d’autres les rejoignent, sur la seule décision du berger. Elles partagent une même dignité, il n’y a pas de brebis de première ou de deuxième classe. Le Fils prend la tête de l’unique troupeau pour le conduire vers le but ultime, la maison du Père. Alors le pasteur se fait aussi « passeur ». En acceptant de traverser en premier « le ravin de la mort » qu’évoquant le psaume (22), il a donné sa vie en toute confiance pour que ses brebis puissent le suivre sans craindre. 


Le mystère pascal n’est pas un événement privatif dont nous pourrions nous vanter d’être les jaloux bénéficiaires. Car les chrétiens ne sont pas les seuls à naître et à mourir : ils ne sont pas les seuls à être appelés à renaître dans la mort et la résurrection du Christ. Toute l’humanité, sans distinction de races ou de frontières, est renouvelée dans cette joyeuse nouvelle. La responsabilité de ceux qui en vivent déjà, nous les baptisés, est d’en être associés à l’annonce. A nous, maintenant, d’agir et de vivre « par ordre », dans la joie d’une responsabilité reçue. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 16 avril 2021

Homélie pour le 3ème dimanche de Pâques (B) - 18 avril 2021

Les disciples ne cessent d’aller d’expérience en expérience, et leur bouleversement reste intact. Il faut bien avouer qu’il y a de quoi. Passer de la vision de Jésus, leur ami et leur maître, suspendu au bois de la croix, déposé mort au tombeau, à cette présence parfaitement extraordinaire désormais à leurs côtés. 


Il a deux mains, il a deux pieds. Il a de la chair et des os. On peut mettre ses doits dans ses plaies, la main dans son côté. On lui donne du poisson grillé, il le porte à sa bouche. Il mange et mâche. Tout cela témoigne de la matérialité du corps de Jésus ressuscité. Tant pour les disciples d’Emmaüs, que pour les apôtres qu’ils rejoignent, cet apprivoisement progressif ne va pas sans quelque difficulté : « Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit », nous rapporte saint Luc. Il faut donc qu’ils s’habituent à cette modalité de présence, aussi déroutante que réconfortante. Car il ne s’agit en aucune manière d’un simple retour à la vie précédente – ce qui fut le cas pour Lazare, revenu à la vie mais destiné à re-mourir, ce qui n’aurait aucun intérêt. A ces âmes bouleversées, Jésus apporte la paix et la joie. « « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! », leur dit Jésus. Désormais, ils sont témoins d’une réalité nouvelle et insoupçonnée. Le corps de Jésus ressuscité est bien le même, mais en même temps totalement différent. C’est cette différence qui témoigne de la réalité de sa résurrection.


La reconnaissance du Ressuscité passe ensuite par la communion des disciples. Les deux disciples qui ont cheminé sur la route d’Emmaüs avec Jésus reviennent à Jérusalem pour raconter leur aventure mais ils ont une surprise à leur retour. Les autres qui étaient restés là ont eu eux aussi la visite du Christ ressuscité. C’est donc la convergence, l’addition de toutes ces expériences fragmentaires portées dans la communion de l’Église des onze Apôtres et de leurs compagnons qui constituent le témoignage communautaire de l’Église au sujet du Christ. Ce n’est pas chacun pris isolément qui devient témoin de la résurrection. C’est le corps ecclésial tout entier qui est comme constitué par la présence du Christ ressuscité et envoyé comme nous le dit l’Évangile : « la conversion serait proclamée en son nom à toutes les nations en commençant par Jérusalem. A vous d’en être les témoins. » Nul ne peut donc se prévaloir à lui seul de savoir ce qu’est la réalité de la résurrection, ni d’en faire à lui seul l’expérience, il en va toujours d’une expérience communautaire et ecclésiale. La matérialité du corps du Seigneur ressuscité se vit ainsi dans le corps de l’Eglise qu’ensemble nous formons, nous tous, et nous avec Lui. 


Nous avons en mémoire le passage de l’Évangile qui précède dans lequel les disciples prient le Christ de rester avec eux à l’auberge et comment au moment où il bénit et partage le pain, leurs yeux s’ouvrent et ils comprennent que l’inconnu avec lequel ils ont cheminé est le même qu’ils avaient connu avant. Et aujourd’hui encore c’est par l’expérience corporelle que nous sommes invités à accueillir le Ressuscité : non le penser, mais en faire l’expérience, ce qui est fort différent. Pour venir à la messe, nous nous déplaçons et nous nous rassemblons en un lieu. Là nos sens sont stimulés et mis en éveil : en ces jours brûle le cierge pascal et nous avons reçu l’eau tout à l’heure qui rappelle notre baptême. Nous chantons, nous nous levons, nous nous asseyons, nous nous déplacerons pour recevoir la communion. Notre corps devient le chemin privilégié de la rencontre avec le Vivant. Cela veut dire pour nous que l’expérience sacramentelle de la fraction du pain, l’eucharistie que nous célébrons semaine après semaine, mais aussi toute l’expérience sacramentelle de l’Église, fait partie de la reconnaissance du Christ ressuscité. C’est ce geste, pourtant si discret, mais si plein de sens parce que posé par Jésus à la veille de sa Passion pour en donner clé de compréhension, qui permet de reconnaître Jésus comme Ressuscité. 


Croire à la résurrection, cela veut dire que nous sommes capables de reconnaître dans le pain qu’il nous partage le corps qu’il a livré pour nous. Et nous nous découvrons en Lui déjà ressuscités. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †


samedi 10 avril 2021

Homélie pour le 2ème dimanche de Pâques "in albis" - 11 avril 2021

« Personne ne disait que ses biens lui appartenaient en propre, mais ils avaient tout en commun. […] Aucun d’entre eux n’était dans l’indigence, car tous ceux qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient, et ils apportaient le montant de la vente pour le déposer aux pieds des Apôtres ; puis on le distribuait en fonction des besoins de chacun. »

N’y aurait-il pas quelque signe avant-coureur du communisme dans le Livre des Actes des Apôtres, à la fois dans la mise en commun de tous les biens et dans le bannissement de la différence des classes sociales ? Rassurez-vous ! Je ne me livrerai pas à l’apologie du stalinisme qui avait instauré, au mépris des droits fondamentaux de l’être humain et par un génocide, une économie entièrement basée sur les kolkhozes et les sovkhozes. Car cette idéologie avait précisément oublié l’ingrédient essentiel et vital : l’Evangile. 


Pourquoi donc librement, et sans y être donc forcé comme dans la dictature communiste, les croyants allaient-ils jusqu’à mettre tous leurs biens en commun pour qu’aucun ne soit dans l’indigence ? La première lecture nous décrit, avec quelque idéalisme certes, la première communauté chrétienne. C’est à la vue de cette communauté, nous disent les Actes des Apôtres, « que chaque jour ceux qui étaient appelés au salut entraient dans la communauté des croyants » et donc, à leur tour, croyaient. Cette première communauté, même idéalisée dans la description qui est en faite, a ceci en propre qu’elle a toute animée de la présence du Ressuscité en son sein. « Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. » C’est-à-dire que cette présence est forte au point de franchir tous les murs : ceux évidemment dans lesquels les apôtres se claquemurent par peur, et qui ne sont finalement que le symbole de toutes les (bonnes) raisons qu’ils trouvent à ne pas se mettre en situation de sortie. Désormais plus rien ne résiste à la puissance de vie que Dieu vient manifester en Jésus, ressuscité. Cette peur d’aller témoigner sera définitivement vaincue par l’envoi en mission, concomitante à la réception de l’Esprit, Pentecôte que saint Jean situe, quant à lui, au soir de Pâques. 


Là c’est encore la présence du Ressuscité qui est déterminante au sens où cette présence inclut une expérience.  Ils vont pouvoir toucher le corps du Ressuscité, s’assurer qu’il ne s’agit ni d’un fantôme ni du produit de leur imagination collective. Un parmi eux est absent : Thomas. A son retour, et au récit de ce qu’il s’est passé, il refuse de croire les autres car, à son tour, il exige de faire la même expérience. Il veut mettre ses doigts à l’endroit des clous et la main dans le côté transpercé. Huit jours plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, Jésus y consent. Il ne fait pas l’apologie du doute en l’érigeant en modèle, pas plus qu’il ne le réprimande. Thomas sera associé à la même expérience pour demeurer dans la même présence et pour être envoyé, lui aussi, en mission avec la force de l’Esprit. Mais le Ressuscité le précise : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Ce sera la condition des disciples désormais. Ils ne seront pas appelés à fonder sur leur foi sur le néant ou le vide, mais sur les signes que la communauté des disciples émet de la certitude qu’elle a que Jésus est avec elle. Pour nous, la connaissance de la parole du Christ, notre fidélité à cette parole, notre assiduité à l’eucharistie et à la vie de prière, aideront les gens à voir ce que nous sommes et à croire à travers nous au Dieu de Jésus-Christ, vivant ; à recevoir ainsi le salut proposé par Dieu dans la foi.


Nous croyons sans avoir vu le Christ, nous croyons plus fermement en voyant les fruits de la puissance du Christ agissant par son Esprit. « Nous avons vu le Seigneur », tel devrait être le cri d’émerveillement de tous ceux qui, de nos jours, regardent de l’extérieur les assemblées de chrétiens. Si nous correspondions à l’image qu’en suggère l’épître de Jean ou les Actes, tous les Thomas parmi nos contemporains verraient alors de leurs propres yeux la fécondité de la victoire du Christ sur le mal. La question est lancée à nos communautés comme un défi : que donnons-nous à voir ?


AMEN.


Michel STEINMETZ †


mardi 6 avril 2021

Homélie pour la Messe de la Résurrection - Saint jour de Pâques 4 avril 2021

 Le temps de la vie qui ne connaît pas de fin

 

Beaucoup, depuis des mois, attendent le retour de la vie d’avant et soupirent quant au monde d’après qui n’en finit d’arriver. Il est vrai qu’il y a de quoi désespérer. Et certains sombrent dans la déprime. Rappelez-vous : c’est au moment où le jour déclinait que le corps de Jésus fut descendu de la croix et déposé au tombeau. « Déjà brillaient les lumières du sabbat », nous dit l’évangile. Et dans ce grand repos, Dieu ne restait pas inactif : il préparait une nouvelle création. C’est encore dans l’obscurité, mais cette fois celle de l’aurore – on dit qu’elle est à son paroxysme juste avant le lever du jour – que Marie-Madeleine arrive au tombeau. Sans doute son chagrin l’étreint-il à ce point qu’elle n’a pas dû trouver le sommeil. Et l’obscurité de la nuit rejoint l’obscurité de son cœur. Il n’y a pas d’issue : elle a vu Jésus mort sur la croix. Elle a vu comment on l’a déposé dans ce sépulcre. Maintenant il reste à accomplir les rites funéraires que le sabbat avait interrompu. Sa démarche est une démarche de deuil.


Pourtant, coïncidant alors au premier rayon de soleil qui vient déchirer la nuit, ses ténèbres intérieures se changent fébrilement en une joie à laquelle le doute prévaut encore, pragmatique : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » C’est alors que Pierre et Jean accourent. Est-ce seulement possible ? Jean laisse la préséance à Pierre, l’aîné et le chef, la pierre de l’Eglise naissante, pour entrer dans le tombeau. Tous deux le constatent : les linges sont posés à plat, le suaire « qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » Et l’évangile nous dit, de manière aussi lapidaire qu’assurée : « il vit et il crut ». C’est à ce moment seulement, dans cette lumière nouvelle qui se lève, qu’ils comprennent et que toutes les zones d’ombre qui avaient subsisté pour eux de l’agir et de l’enseignement de Jésus sont dévoilées. Ils en ont la certitude : le corps n’a pas été enlevé, Jésus est vivant. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Le jour qui se lève marque une ère nouvelle.


Frères et sœurs, quelles que soient nos ténèbres personnelles, quelles que soient les circonstances du moment et qui peut-être nous fragilisent, n’attendons pas en vain un « monde d’après », car le nouveau monde est déjà là et nous courrions le grand risque de ne pas en percevoir la nouveauté. Ce temps de la vie qui ne connaît pas de fin et que Jésus inaugure pour nous, nous y sommes associés par notre baptême. Nous portons en nous le germe d’une vie éternelle, de la vie même de Dieu. Ce qu’est Jésus, vivant ressuscité, Il l’est pour nous. Sa résurrection rejaillit sur nous. Cadeau inestimable d’un mystère ineffable,  révélé aux témoins « que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts ». Et les Actes des Apôtres de poursuivre : « Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. »

 

Ceux qui ont mangé et bu avec lui après sa résurrection, c’est vous qui prenez part à cette eucharistie et devenez contemporains de l’évènement pascal. « Vous êtes le Christ des autres. Ils n’ont pas d’autres Christ que vous, parce que c’est uniquement à travers vous qu’ils voient le Christ. Où voulez-vous que l’homme de la rue, où voulez-vous que nos contemporains découvrent Dieu comme une expérience vivante, sinon à travers nous ? Pour eux, ce ne sont pas les livres, ce ne sont pas les discours qui pourront jamais rien changer à rien… » (Maurice Zundel, Le poème de la sainte liturgie). C’est la force du témoignage, celui modeste d’une vie où résolument nous ne laisserons pas les ténèbres et les raisons de désespérer de nous-même et des autres être plus fortes que le rayon de soleil à l’aube de Pâques. 

 

Ainsi donc, nous serons l’expression du visage glorieux du Christ. Saint Augustin le disait : « Nous n’avons pas seulement été faits chrétiens, nous avons été faits Christ ». A vous de l’assumer et d’en être fiers.  


AMEN.

                                                 

Michel Steinmetz

Homélie pour la Vigile pascale - Samedi-Saint 3 avril 2021

Le temps de la grande histoire du salut qui éclaire notre histoire

 

Cette veillée s’est ouverte par la bénédiction d’un feu. Et « dans la grâce de cette nuit », nous demandions alors au Père d’accueillir, « le sacrifice du soir de cette flamme que l’Église [lui] offre par nos mains, elle qui brille en l’honneur de notre Dieu, flamme qui se transmet sans jamais perdre sa clarté » (Exultet). Cette colonne de cire n’était pas sans rappeler celle de nuée qui, jadis, guida le peuple durant sa longue errance au désert. A cette lueur, symbole de la présence de Dieu à son peuple, nous avons pu alors parcourir le temps de la grande histoire du salut, devenant pour ainsi dire contemporains de tous ces moments insignes où Dieu a transformé l’histoire humaine pour la former, au sens où œuvre le potier, pour lui donner forme afin qu’elle soit prête à accueillir le tournant de son histoire.

 


Depuis la création, dans laquelle méthodiquement Dieu sépare pour distinguer, et qu’il scande par le constant « cela était bon », culminant dans un « cela était très bon » quand il crée l’homme, jusqu’au jardin de la résurrection, Dieu n’est jamais résigné. A grand renfort de puissance, s’il le faut, il libère son peuple et demeure fidèle à ses promesses. Mais cette grande histoire du salut est aussi celle, a contrario, des infidélités, des péchés, des lâchetés de ce peuple. Dieu pourtant ne lâche rien, dans l’obstination d’un amour sans défaut. Il envoie son propre Fils. Pour vaincre jusqu’à la rupture ultime, Il consent à la mort pour la vaincre sur son propre terrain. L’infranchissable est désormais franchissable ; il se fait passage. Pour celui qui le désire, il est possible de ne plus se laisser asservir aux liens de la mort et du péché. « Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. ».

 

Le grand récit du salut qui traverse les âges depuis la création du monde s’achevait par celui de la résurrection. Au temps impatient de la foule versatile de Jérusalem auquel avait répondu celui de l’offrande et de l’oblation, est venu le temps où l’homme retrouve sa dignité première. Mieux il entre peut-être plus profondément encore dans l’intimité de Dieu. Créé à son image et sa ressemblance, il peut délaisser les souillures qui déformaient cette image. En Jésus, il devient enfant, lui aussi, du Père. Dès lors nous ne passions pas une veillée, comme on en faisait dans le passé, pour relire uniquement le récit des origines familiales ; ce qui rassemble les chrétiens en cette nuit, c’est leur présent et leur avenir. Ce qui leur est déjà offert et ce qu’ils ont à accueillir.

 


Laissons un peu d’espace autour de cet immense poème de la création qui revient à son origine, pour que ce poème s’organise en nous et qu’il devienne vraiment le chant de notre vie. Car vraiment « cela était très bon ». Nous avons été créés pour la vie et parce que cette vie est fondamentalement belle parce que nous la recevons de Dieu, fondamentalement belle parce qu’elle est appelée à retourner à Dieu. « Pourquoi continuer à abîmer la vie ? Pourquoi faire le jeu de la mort et nous livrer à cette athérosclérose de l’esprit et du cœur qui fait de tant d’êtres des vieillards précoces ? Pourquoi ne pas aller vers le Dieu de l’éternelle jeunesse et de l’éternelle beauté ? Pourquoi ne pas donner à notre existence sa pleine dimension, puisque l’Évangile nous en découvre l’immensité, puisque Dieu nous attend au cœur de notre intimité, puisque c’est la gloire de Dieu que notre vie soit immense, puisque Jésus est venu pour que la vie soit en nous, et qu’elle soit débordante (cf. Jn 10,10). » (Maurice Zundel, Le poème de la sainte liturgie)

 


La pierre du tombeau « qui était pourtant très grande » est déjà roulée. Le don de la Pâque nous est fait et « ils sont finis les jours de la Passion ». Déjà le Ressuscité nous précède ; en nous précédant, il nous attend. Allons-nous le faire patienter pour le suivre dans sa gloire de Ressuscité ? Allons-nous refuser que la lumière de sa victoire illumine ce qu’il y a de sombre et d’obscur en nous ?

 

 AMEN.

 

Michel Steinmetz

Homélie pour la célébration de la Passion et de la Mort du Seigneur - Vendredi-Saint 2 avril 2021

Le temps de l’oblation qui dépasse l’instantané de l’événement

 

Sans doute cet après-midi-là, les badauds et les curieux se sont pressés près du Golgotha pour assister au spectacle de l’agonie de trois hommes. La foule a réclamé le matin-même à grands cris celle de Jésus. Tragique et absurde d’une histoire qui finit mal, comme tant d’histoires au cours de l’humanité. L’instantané de l’évènement semble mettre un terme à une aventure à laquelle beaucoup avaient cru. Leur déception s’est mutée en haine. Le dégagisme n’est pas nouveau, mais cette fois, finalement, c’est Dieu qui en fait les frais. Il n’a pas fallu attendre Nietzsche pour qu’on proclame la mort de Dieu. D’aucuns s’interrogent à propos d’un Dieu qui, s’il n’est pas mort, permettrait le mal et accepterait qu’une telle haine se manifeste. Or Dieu ne permet jamais le mal ; Il en souffre, Il en meurt, Il en est le premier frappé et, s’il y a un mal, c’est parce que Dieu en est d’abord la victime. C’est le mystère d’iniquité de la croix.

 

Là, Dieu, en son Fils crucifié, assume toute la détresse humaine. « La croix du Christ, c’est justement le cri poussé à la face du monde, pour dire aux hommes de tous les temps, que Dieu a partie liée avec tout homme, qu’Il est flagellé dans nos tortures, qu’Il saigne dans nos blessures, qu’Il transpire dans nos sueurs, qu’Il gémit dans nos solitudes, qu’Il pleure dans nos larmes… » (Maurice Zundel, Le poème de la sainte liturgie)


Mais voilà que dans l’instantané de cette mort, l’oblation du Fils vient changer radicalement le cours du temps. Sous l’apparence d’un énième fait-divers, dont la violence sera bien vite oubliée par nombre des spectateurs agglutinés ce jour-là, Dieu fait toutes choses nouvelles. « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel », nous rappelait l’auteur de la Lettre aux Hébreux. Et à l’acclamation de la Passion, empruntée à l’épître aux Philippiens, de préciser encore : « Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. » (Ph 2, 8-9).

 

Le salut éternel, l’exaltation, voilà ce qui est en jeu ici. Nous ne faisons pas mémoire d’un évènement du passé que nous commémorerions comme un sinistre anniversaire. Nous vénérons la croix du Seigneur comme ce bâton planté dans les rayons de la roue  du sordide de l’humain. Comment la joie ne saurait-elle déjà poindre ici ? Comment, même au cœur de notre monde, ne pas nous livrer à la joie, « l’hommage le plus essentiel de notre foi en réponse à la tendresse de Dieu » (Zundel, idem) ? C’est que derrière l’épreuve il y a l’Amour. Que veut dire le signe de la Croix sinon que Dieu meurt d’amour pour ceux-là même qui refusent de l’aimer, qu’au fond de toute réalité, derrière toutes les catastrophes, il y a l’Amour, et davantage, que dans le mal, Dieu a mal. Nous sommes invités à méditer sur cette douleur que le Christ a assumée pour nous en s’identifiant avec nous et à en tarir la source, en nous laissant envahir par son Amour. Si nous pouvions ainsi, chaque jour un peu mieux, nous effacer en lui et le laisser transparaitre en nous, le Christ cesserait d’être en nous le Seigneur crucifié, pour y devenir le Seigneur ressuscité. Nous serions participants de son unique oblation, de son unique sacrifice.

 

Pâques ne serait plus alors le simple rappel d’un évènement passé, mais la plus actuelle réalité de notre vie. C’est ainsi que Pascal comprenait la vocation du chrétien, lorsqu’il écrivait ces mots : « le Christ sera en agonie jusqu’à la fin du monde ; il ne faut pas dormir pendant ce temps‑là. » (Pensée n° 6F / Laf. 919, Sel. 749)

 

 AMEN.


 Michel Steinmetz

Homélie pour le masse "in coena Domini" - Jeudi-Saint 1er avril 2021

Le temps de l’offrande

 


Le temps impatient de la foule en attente d’un sauveur s’abîme déjà devant le temps de l’offrande dans lequel le Christ introduit. Aussi étonnant que cela puisse paraître, jamais vous ne pourrez vous voir vous-même dans un miroir. Un miroir peut être utile à votre toilette, voire indispensable, mais ce n’est pas dans un miroir que vous trouverez la révélation de vous-même. Votre vie profonde, celle par laquelle vous vous transformez vous-même, échappe à tout artifice de l’apparence. La vie de Jésus ne peut ainsi être comprise que dans la donation du Père qui culmine ce soir dans le don que le Christ consent à faire de lui-même. Dieu se donnant pour notre salut. Dieu s’abaissant jusqu’à l’insoutenable de la rupture de la mort.

 

La vie profonde échappe à la réflexion du miroir ; « elle ne peut se connaître que dans un autre et pour lui », écrit Maurice Zundel. Et il poursuit :

« Quand vous vous oubliez parce que vous êtes devant un paysage qui vous ravit, ou devant une œuvre d’art qui vous coupe le souffle, ou devant une pensée qui vous illumine, ou devant un sourire d’enfant qui vous émeut, vous sentez bien que vous existez, et c’est même à ces moments-là que votre existence prend tout son relief, mais vous le sentez d’autant plus fort que justement l’événement vous détourne de vous-même. C’est parce que vous ne vous regardez pas que vous vous voyez réellement et spirituellement, en regardant l’autre et en vous perdant en lui. »

Jésus, en consentant à s’abaisser, à se dépouiller lui-même, non parce qu’il y serait contraint mais parce qu’il le choisit par amour, révèle le sens paradoxal de l’offrande véritable. Vous n’existez pas plus en donnant quelque chose, car vous risquez d’être renvoyés à une image qui, de manière narcissique, vous augmentera. C’est au contraire en vous donnant, en vous oubliant, que vous grandissez jusqu’à la maturité de vous-même, comme le fruit mûr tombé en terre et qui porte du grain. « C’est cela le miracle de la connaissance authentique. Dans le mouvement de libération où nous sortons de nous-mêmes, où nous sommes suspendus à un autre, nous éprouvons toute la valeur et toute la puissance de notre existence… Dans ce regard vers l’autre, nous naissons à nous-mêmes », écrit encore Zundel.

 


Et précisément c’est dans cette offrande de nous-même, à laquelle ne cesse de nous configurer l’eucharistie, que nous nous découvrons tel que nous sommes ou plutôt tel que nous devons être. Ce n’est pas la conservation magique d’une présence matérialisée, c’est l’offrande infiniment réelle d’une présence universelle et qu’on ne peut joindre qu’en nous faisant nous-mêmes universels aussi. L’eucharistie rassemble toute l’Église, au sens où elle est « le lieu éminent de la Charité ». Elle exige que nous soyons prêts à tous les dépouillements, à toutes les humilités, à tous les pardons qu’entraîne notre rencontre avec l’Homme-Dieu.

 


Il est riche d’enseignement pour nous qu’au jour où l’Eglise, entrant dans la célébration du mystère pascal et faisant mémoire de l’institution de l’eucharistie, nous donne à entendre à la fois le récit de Paul et celui de Jean. La dernière consigne qui retentit dans le récit johannique, c’est que « vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés ». Et cette consigne est aussi le critère qui fait reconnaître les disciples de Jésus : « C’est à cela que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. » Et, pour donner une leçon de choses à ses disciples, Jésus leur lave les pieds. « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Aussi curieux que cela paraisse, l’eucharistie semble avoir disparu, elle n’est même pas nommée en cet endroit : pourquoi ? Parce qu’elle est implicitement contenue dans ce mandatum (ce commandement). Elle est implicitement contenue et dans le geste et dans la consigne ultime du Seigneur, « Aimez-vous les uns les autres », parce que c’est exactement la même chose. Si nous voulons célébrer l’eucharistie en fidélité au Seigneur, nous ne pouvons omettre cela. Jamais. Voici le temps de l’offrande de nous-mêmes.

 

 AMEN.


Michel STEINMETZ

Homélie pour le dimanche des Rameaux et de la Passion (B) - 28 mars 2021

 Le temps impatient de la foule


Voici trois ans que Jésus annonce que le Règne de Dieu est désormais tout proche, et même qu’il est déjà là. Au gré de ses pérégrinations en Galilée et ailleurs, des disciples l’ont rejoint. Sans doute des personnes qui ont ouvert leur cœur et se sont laissées toucher. Avaient-elles particulièrement souffert dans leur vie ? Portaient-elles en elles des blessures encore vives ? Nous ne le savons pas. Par contre ce que nous savons, parce que l’Evangile nous le dit, c’est que toutes ces personnes ont été touchées tant par les paroles de Jésus que par ses actes. Parce qu’en Jésus, les paroles et les actes coïncident : ils ne font qu’un. Alors ils cheminent dans cette certitude que, lui, contrairement à tous les puissants qui les gouvernent, fussent-ils juifs ou romains, tous vautrés dans l’hypocrisie, est différent. Les apôtres constituent le premier cercle rapproché avec les femmes qui suivaient le groupe : ils sont introduits dans les mystères divins et Jésus les prépare à ce qui va, à partir d’aujourd’hui, se passer. D’autres ont été intermittents, c’est vrai : les hommes et les femmes d’un moment, mais là encore l’évangile reste discret sur la manière dont la rencontre avec le Christ a changé leur existence. Tous, de cette foule bigarrée, ont ceci en commun : ils attendent avec foi que Dieu instaure son temps.


On comprend que l’impatience aille grandissant. Toute la foi d’Israël est sous-entendue par cette espérance latente que Dieu va tenir promesse. Malgré les infidélités du peuple, les prophètes exhortent à la conversion car, de la part de Dieu, ils l’annoncent : Dieu n’oubliera pas les siens. Mais le temps du salut et de la délivrance est un temps long. On s’impatiente. On aimerait tout, tout de suite. On rêve les yeux ouverts à un monde différent, à un monde « d’après », celui dans lequel les choses changeraient comme par miracle. Ce monde serait débarrassé des vieilles ornières dans lesquels on s’embourbait à l’envi. Enfin : plus de justice, de fraternité, d’amour. 


Le temps long du salut, le temps connu de Dieu seul, se heurte à l’impatience des impatients. Aujourd’hui l’impatience est à son paroxysme. Pourtant Dieu, en Jésus, a dit sa présence. Rien n’y fait. L’hostilité envers lui a grandi jusqu’au point de rupture. Jésus en a conscience : il pourrait se sauver en reniant qui Il est. Mais il sait aussi que le chemin qu’Il doit parcourir exige de lui la fidélité. « Abba... Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! ». Il comprend que le geste mystérieux, et pour une part largement provocateur, de cette femme dans la maison de Simon à Béthanie, annonce son ensevelissement futur. Une fois encore, pas de partition en lui : ce qu’il a dit du Royaume de Dieu, il le vivra. Devant le Sanhédrin, autant que devant Pilate, il ne revendiquera aucun titre mondain. Il n’est pas venu pour cela. « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » Il consent à l’abaissement du serviteur, de celui dont Isaïe disait que l’oreille est en éveil pour mieux entendre. Il ne va ni se dérober, ni se révolter.


En lui, le temps du salut va tenir tête au temps impatient des hommes. Sa mort, dans l’obéissance de la croix, va réconcilier notre humanité avec l’éternité de Dieu. Nous aussi, nous sommes les femmes et les hommes d’un moment, nous avons du mal à tenir le temps long, nous n’en pouvons plus d’attendre le temps d’après, qu’il soit celui d’après la pandémie, ou celui qui viendra changer quelque chose dans nos vies que nous jugeons parfois trop monotones. L’impatience de la foule l’a fait basculer dans la haine sordide du : « Crucifie-le ! Crucifie-le ! », cinq jours seulement après les hourras de l’entrée à Jérusalem. Frères et sœurs, n’allez pas trop vite en besogne, et laissez Dieu vous conduire à son rythme. C’est là que sa vie grandira dans la vôtre. 



AMEN.


Michel STEINMETZ †