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vendredi 31 décembre 2021

Homélie pour la solennité de l'Epiphanie - dimanche 2 janvier 2022

Devant un certain raidissement des positions, digne parfois d’une guerre des tranchées, et d’un repli identitaire assez typique du catholicisme français, certains donneraient l’impression d’avoir mis Dieu sous cloche. L’Eglise serait une citadelle assiégée et le devoir des bons soldats que nous devrions être serait alors d’enfermer Dieu au donjon en attendant des jours meilleurs. Ce jour la visite des mages vient faire tomber les murs de la forteresse. Car ce jour, celui où nous célébrons l’épiphanie, c’est-à-dire la manifestation du mystère de Dieu en son Fils Jésus, nous redécouvrons que c’est Dieu qui demeure à la manœuvre, toujours et de toutes les manières.


De fait, alors qu’on peut supposer à bon droit que les bergers de la nuit de Noël étaient des croyants juifs, on peut imaginer que le message des anges n’était pas tombé dans des oreilles incultes. L’espérance d’Israël devait leur dire quelque chose. Peut-être la partageaient même-t-ils avec ardeur ? Aujourd’hui l’évangile prend bien soin de préciser, par contre, que les visiteurs sont « des mages venus d’Orient ». La manière dont ils posent leur question à Hérode traduit leur inculture : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? ». Ils ne sont pas mus par leur grande connaissance des Ecritures et des prophéties qu’elles contiennent. Peut-être ne les ont-ils jamais lues ? Ils se fient à une étoile qu’ils ont vu apparaitre dans leur contrée lointaine. De toute évidence ce sont des hommes de science. La rationalité les a mis en route. C’est à la fois leur langage et leur méthode. Nous pourrions penser qu’ils n’ont pas les codes pour aller au Messie de Dieu, et donc qu’ils ne pourront le trouver. Ils ne partagent rien avec Israël, ni la nationalité ni la foi. Ce sont des étrangers et des païens. 


Pourtant Dieu a décidé de parler leur langue et d’utiliser leur méthodologie propre. Par une ingénierie, dont Dieu seul a le secret, il va les guider à Lui. Ils arrivent à l’endroit où l’astre semble s’immobiliser, marquant la demeure de l’enfant recherché. Leur quête n’est donc pas dû au hasard. Là ils comprennent enfin que leur quête dépasse leur entendement à la joie profonde qu’ils ressentent. « Tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. » Leur geste – se mettre à genoux – manifeste leur révérence devant le mystère à eux manifesté. Là encore sans doute n’ont-ils pas les clés pour comprendre précisément et rationnellement ce qui est en jeu. Une fois encore Dieu les précède : par les présents qu’ils offrent à l’Enfant, ils disent, telle une prophétie, qu’il est roi, mais un roi bien différent de ceux du monde ; qu’il est véritablement Dieu car l’encens est le propre de l’offrande au divin ; qu’il sera appelé à être mis au sépulcre car la myrrhe sert à l’ensevelissement des morts. 


Par un effet de singulier retournement, ces hommes, à la poursuite d’un phénomène pour eux inexpliqué, découvrent par l’effet de la grâce Celui qui est à l’origine de tout, la Parole créatrice, le Verbe de Dieu. Et comme pour montrer ce retournement, les mages-scientifiques s’en retournèrent par un autre chemin, car ils comprirent que leur attente a été dépassée par cette rencontre et qu’il y a ici bien plus que le roi des Juifs. L’expérience des mages rejoint celle qu’évoquait Paul de la deuxième lecture ; lui qui expérimenté ce « en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. »


Alors que par un noble effet de peur, de préservation, de mise en sécurité, nous pourrions être tentés de garder Dieu pour nous, de n’en livrer le mystère qu’à celles et ceux que nous jugerions capables et dignes de le recevoir, les mages venus d’Orient nous rappellent avec force combien l’épiphanie de Dieu ne connaît pas de limites. Contemplons ce mystère dans l’humilité et dans la gratitude d’en être nous aussi illuminés. « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile », sans exclusion.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


Homélie pour la solennité de Sainte Marie, mère de Dieu - 1er janvier 2022

Notre société se bat avec sa mémoire. Ou bien qu’elle n’arrive pas à s’en défaire ou bien qu’elle est atteinte dans sa capacité à se souvenir. De fait, certaines institutions civiles et politiques créent à l’envi des organismes chargés de veiller à la dimension mémorielle de la société, y compris dans notre Ville avec une « mission » rassemblant tout azimut les « cultes » et la « mémoire » !, tandis que, par ailleurs, on ne cesse de pointer le déficit de cette capacité mémorielle. Les prochaines échéances électorales que connaîtra notre pays ce printemps en seront, à n’en pas douter, un nouvel et triste exemple. Pourtant nous ne cessons de déplorer une certaine amnésie qui, inexorablement, nous pousse à retourner dans les ornières des erreurs passées.

Saint Jean XXIII, au moment d’ouvrir le Concile Vatican II, parlait de l’Histoire comme « maîtresse de vérité ». Il s’agit non pas tant de considérer l’Histoire comme un carcan duquel nous serions prisonniers car bridant toute évolution possible, mais de l’envisager comme un substrat duquel on ne peut se passer au risque d’errer, voire d’aller à sa perte.


Depuis huit jours, cette Octave de Noël nous aura fait rencontrer à nouveau des figures bibliques de « mémoire » au sens le plus honorable du terme. En effet, toutes et tous ne cessent de méditer ce qui leur a été donné de vivre comme une force qui les pousse et les motive aujourd’hui. L’évangéliste Luc s’attache tout particulièrement à nous les présenter : ainsi Marie « qui retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » ; les bergers qui ; « après avoir vu », « racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant ». Nous sentons combien, dans l’Ecriture, la mémoire est toujours nécessaire. Elle impose de se souvenir de ce que Dieu fait pour nous. Déjà dans l’Ancienne Alliance, cette faculté est indispensable de la foi. Le Peuple l’a bin compris quand il ne cesse de faire mémoire des hauts-faits et des bénédictions de Dieu. La première lecture nous le rappelait : ses paroles de bénédiction ne cessent de marquer, aujourd’hui encore, le judaïsme et sont pour nous un rappel à ne jamais oublier. 


Se souvenir, cependant, ne saurait suffire dans le registre de la foi. Le croyant ne peut s’estimer en règle avec ce seul devoir de mémoire. Le Christ qui l’appelle exige de lui qu’Il le suive. Ainsi les bergers ont à cœur, nous l’entendions, de « raconter », c’est-à-dire de faire le récit des événements. Sans doute ne l’ont-ils pas fait de manière froide et détachée, mais bel et bien de la manière dont ils ont eux-mêmes été touchés et saisis par le mystère qu’ils ont contemplé. Frères et sœurs, nous avons perdu cette capacité à « faire le récit ». Dans nos communautés mais aussi, et tristement, dans nos familles. Quels grands-parents prennent-ils encre le temps de « raconter » à leurs petits-enfants le monde de leur jeunesse et la façon dont ils ont vécu les soubresauts de l’Histoire et ses grands moments ? Car le monde d’aujourd’hui est certes différent, son rythme s’est accéléré, les techniques ont fait des bonds prodigieux, mais c’est la même histoire qui nous relie. En matière de foi, cette mise en récit est de l’ordre du témoignage : non ce que j’ai appris, non ce que je devrais redire, mais d’abord la manière dont je ressens que Dieu m’a touché et qu’il s’est fait proche de moi. Le récit des bergers ne laisse pas indifférent puisque « tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers ».


« Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé », poursuit saint Luc. C’est ainsi que la mémoire conjuguée à la mise en récit – au témoignage, dirions-nous – produit la louange. Ces hommes ne sont pas seulement éblouis ou ébahis de ce qu’ils ont vécu : une joie profonde les envahi tau point que la louange déborde d’eux-mêmes. Puissions-nous sortir, frères et sœurs, d’une amnésie spirituelle qui nous pousse au défaitisme ! Oui l’année qui nous venons de quitter aura été marquée par des crises, y compris au niveau ecclésial. Nous ne devons balayer cela du revers de la main comme on tournerait la page d’un livre. Mais nous allons conserver tout cela dans notre cœur, car Dieu nous en dévoilera tout le sens. 


AMEN. 


Michel STEINMETZ †


jeudi 23 décembre 2021

Homélie pour la fête de la Sainte Famille (C ) 26 décembre 2021

Quand le Fils de Dieu vient prendre chair de notre nature humaine, il ne le fait pas à moitié. Il ne la survole pas, il n’en retient pas seulement les aspects les plus reluisants. Aujourd’hui nous retrouvons l’enfant, laissé hier dans la mangeoire avec ses vagissements de nouveau-né, devenu adolescent. Comme un véritable adolescent, il n’est guère soucieux de ses actes : peu importe si ses parents s’angoissent devant sa disparition. Comme tout adolescent, il ne connaît guère de limites : il converse d’égal à égal avec les docteurs de la Loi dans le Temple. Comme un adolescent frondeur, il se montre taquin devant l’angoisse de ses parents : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? ». Jésus, l’Emmanuel, Dien-avec-nous, ne fait pas semblant de partager notre humanité, il l’assume dans toutes ses dimensions, y compris celles délicates – et c’est un euphémisme – de l’adolescence. Le récit que nous venons d’entendre nous présente à la fois une manifestation du mystère de Jésus et l’incompréhension de ses plus proches.

 

Manifestation, tout d’abord. Que cette famille se soit rendue à Jérusalem pour la Pâque, rien d’étonnant. Que cela ait duré huit jours, rien d’étonnant non plus : les deux fêtes réunies de la Pâque et des Azymes qui n’en faisaient déjà plus qu’une duraient effectivement huit jours. Mais c’est la suite qui est étonnante : le jeune garçon reste au Temple sans se soucier, apparemment, de prévenir ses parents ; eux quittent Jérusalem avec tout le groupe, comme chaque année, sans vérifier qu’il est bien du voyage. Cette séparation durera trois jours, chiffre que Luc précise, bien sûr, intentionnellement. Cette indication laisse esquisser qu’un mystère se dévoile à nos yeux, comme à ceux de Marie et de Joseph. Jonas resta jadis prisonnier du monstre marin durant trois jours avant de réapparaître et il en sera de même pour le Christ avant que ne resplendisse ce que Dieu son Père a fait pour lui en le réveillant de la mort. D’ailleurs, ici, dans l’évangile du Luc, la première parole de Jésus, avant même qu’il ne commence son ministère public, et comme ce sera le cas pour sa dernière parole, est pour nommer son Père. Voilà la clé de notre compréhension : le Père. Jésus révèle ici le lien intime qui l’unit à Dieu. A douze ans, il ne peut maîtriser la sagesse des anciens, il ne peut prétendre ni à leur expérience ni à leur expertise de la Loi. Même doté d’un don hors du commun, il fait preuve d’une intelligence qui dépasse l’entendement. Assis sur le parvis, là où se tiennent les docteurs de la Loi et là où il enseignera lui-même plus tard il converse avec ces spécialistes d’égal à égal, et plus encore : ceux-là « s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses ». Il n’est nullement précoce ; la Loi sur laquelle il disserte avec aisance et assurance n’est pas une parole extérieure pour lui et qu’il aurait apprise. Elle lui est intime. La Parole de Dieu, c’est sa Parole ! Il est le Verbe de toute éternité, Parole de Dieu désormais faite chair.

 

Incompréhension, ensuite. L’évangile nous suggère que Marie, elle-même, ne comprend pas tout, tout de suite : elle retient tout et s’interroge, et elle cherche à comprendre. « Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. » Après la visite des bergers à la grotte de Bethléem, nous lisions déjà : « Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 2,19). Luc nous donne là un exemple à suivre : accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, mais laisser se creuser en nous la méditation.

 

La dernière phrase du récit de Luc donne à réfléchir : « Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes.» Cela veut dire que Jésus lui-même, comme tous les enfants du monde, a besoin de grandir ! Le mystère de l’Incarnation va jusque-là : ce qui signifie d’une part que Jésus est complètement homme, et d’autre part que Dieu a la patience de nos maturations : pour lui, mille ans sont comme un jour. (Ps 89/90). Contempler Jésus au Temple, c’est paradoxalement contempler les profondeurs de l’âme, même adolescente, que Dieu vient remplir de sa présence, et nous rappeler que toute vie, vie humaine et spirituelle, est toujours une croissance. Mais Jésus ne fait rien dans l’éloignement par rapport à son Père. C’est là la clé pour notre propre croissance dans l’Esprit.


AMEN

                                                                                                          

 Michel Steinmetz

Homélie pour la messe du jour de Noël - 25 décembre 2021

L’impatience nous caractérise. En ces temps, peut-même plus encore qu’à d’autres. Impatience des derniers jours à l’attente de ces moments de fête ; impatience devant les retrouvailles familiales ; impatience de pouvoir à nouveau accéder avec tranquillité au centre-ville ; impatience de pouvoir se défaire de nos masques ; impatience de voir ce virus enfin s’éloigner de nous ; impatience que quelque chose enfin dans notre société… Chacune et chacune pourra se reconnaître dans ces impatiences et les égrener à l’envi en rajoutant les siennes. Bref : nous sommes des êtres impatients. Et la Bible elle-même est remplie de gens impatients. Nous en avons croisé ces derniers dimanches du temps de l’Avent : prophètes qui s’époumonent à annoncer l’imminence du Règne de Dieu, foule des disciples qui accourent à Jean-Baptiste. Toutes et tous attendent un changement radical. Quelle sera la réponse de Dieu ? Un signe banal et insignifiant d’un petit enfant naissant au sein famille atypique, et couché dans une étable. Rien de plus. A l’impatience multi-séculaire, Dieu répond par la patience.

 

Déjà, « à bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils ». Maintenant pour répondre à l’impatience, et surtout à la surdité et à la cécité des hommes qui n’ont su reconnaître les signes de sa présence, Dieu décide, de manière plénière et achevée, de se donner lui-même en son fils Jésus. La divinité rejoint l’humanité. Dieu devra s’habituer à être homme pour nous sauver. Saint Irénée de Lyon l’a admirablement exprimé : « Oui, c'est le Verbe de Dieu, qui a habité en l'homme, et qui s'est fait fils de l'homme, pour habituer l'homme à recevoir Dieu, et habituer Dieu à habiter en l'homme comme cela paraissait bon au Père. ».

 

Il y a donc une accoutumance réciproque qui suppose aussi que nous nous habituions à la divinité. C’est une chose de la réclamer, de la désirer, c’est autre chose de vivre avec ! Cette pédagogie de Dieu va agir comme une sorte de rééducation pour nous permettre de redevenir ce que nous sommes à l’origine, non des handicapés du péché, mais des porteurs de la grâce. « Comme un médecin fait ses preuves auprès des malades, ainsi Dieu se manifeste aux hommes », écrit encore Irénée. Et de poursuivre : « car nous ne pouvons être sauvés par nous-mêmes, mais par le secours de Dieu ». L’homme reçoit la mission de devenir « imitateur de Dieu ». Il est difficile cependant d’imiter ce qu’on ignore. Voilà pourquoi Dieu consent à ce que le Verbe devienne chair. Sa Parole, celle qui a créé l’univers, par un renversement inimaginable, va consentir en prendre corps. Ce Verbe de Dieu, chanté par Jean au début de son Evangile, « s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. ». En Jésus de Nazareth, aujourd’hui petit-enfant de la crèche, mais déjà rayonnant de la gloire de Père, nous permet à sa fréquentation de redevenir ce que nous sommes.

 

Que sommes-nous donc ?, me direz-vous. Et qu’avez-vous à redevenir ? Ces femmes et ces hommes qui, déjà, se savent fondamentalement aimés de Dieu et accueillis de lui. Nul n’est rejeté. Chacune et chacun a sa place auprès de lui. Il est vrai que nos existences, nos fragilités, les blessures de la vie peuvent nous entraîner à déformer ce que nous sommes en réalité : des personnes bonnes et capables du bien. Dieu ne souffre pas que nous restions enfermés avec de telles séquelles. Alors « à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. ».

 

Resterez-vous avec vos impatiences ou consentirez-vous à voir comment Dieu, en sa patience, y répond ? Accepterez-vous de vous habituer à lui, comme il l’a fait pour vous ? Vous êtes des enfants de Dieu, c’est l’image que vous renvoie l’enfant de la crèche.

 

 AMEN.

 


Michel Steinmetz

Homélie pour la messe de la nuit de Noël - 25 décembre 2021

Que vous soyez petit ou grand, peut-être – sans doute même – avez-vous, ces derniers jours, songé au cadeau que vous alliez recevoir à Noël… Cadeau désiré, voire dont le désir aura été clairement exprimé mais sans savoir s’il sera exaucé ; cadeau auquel vous ne vous attendrez absolument pas ; voire cadeau qui entraînera déception… Mais ce présent d’une manière ou d’une autre vous sera offert pour que vous le receviez. Les plus petits sont mangé par l’impatience et les adultes que nous sommes reçoivent en retour le cadeau de ces yeux scintillants de joie au moment de déchirer les emballages. Noël, c’est avant tout le cadeau que Dieu nous fait de lui-même. Mais pas seulement. Car cette libéralité divine entraîne son lot de conséquences, dont nous ne mesurons sans doute pas assez les effets. Ainsi, saint Paul, nous l’entendions, emploie une parole quelque peu mystérieuse : « il s’est donné pour nous… afin de faire de nous un peuple ardent à faire le bien ». Le bien : serait-ce là le cadeau de Dieu en cette nuit ?

 

En des temps où la métaphore médicale et vaccinale est de mise, je ne vais donc pas m’en priver, et vous voudrez bien m’en excuser. En naissant en effet dans le monde, le Fils de Dieu nous apporte en lui-même un bien qui régénère l’humanité de l’intérieur. Il n’agit pas comme un agent extérieur qui viendrait remettre une nouvelle couche de vernis en des endroits où il se serait craquelé. Le Fils de Dieu fait beaucoup plus : il inocule dans l’humanité ce qui semblait lui faire défaut. Alors que son immunité collective, sa propension à faire le bien, s’était dangereusement fragilisée, il vient stimuler son système immunitaire pour qu’à nouveau le mal puisse être rejeté et le bien choisi. Cela se passe discrètement, comme souvent avec Dieu, dans l’humilité d’une étable de Bethléem avec pour seuls témoins des bergers, c’est-à-dire les parias du moment, des quasi-SDF. Le ciel, lui par contre, ne s’y trompe pas : il sait ce qu’il se passe et combien ce changement sera déterminant. « Il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu… ».

 

De fait, l’homme et la femme avaient été créés pour le bien, dès le jardin de la Genèse, là où Dieu reconnut lui-même « que tout cela était très bon ». L’exercice périlleux mais indispensable de la liberté avait conduit Adam et Eve a succombé aux tromperies du Malin, pensant mieux savoir que quiconque ce qui serait bien pour eux. Cette apparente liberté n’était qu’une soumission. De nos jours, nous constatons combien l’exercice de la liberté peut être entaché par les idéologies, les complotismes, les pseudo-savoirs. Celles et ceux qui croient détenir l’information capitale sont prisonniers de ce que d’autres veulent qu’ils croient. Cela n’est pas bien. Et cela n’est pas le bien. Dieu n’est pas venu à notre rencontre pour une telle réduction. Comment alors mesurer le bien ? Il est clair qu’il se dessine et se construit dans notre conscience, pour peu que nous laissions l’Esprit-Saint l’éclairer. Le bien, cependant, se mesure aussi aux frontières de l’égoïsme qu’il sait nous faire franchir. Le bien est toujours supérieur à la somme de nos intérêts personnels. Peut-être même quand il s’agit de se faire vacciner pour soi et les autres…

 

Le bien, enfin, est un mouvement, une propension de la grâce manifestée en Jésus à venir infuser notre âme. Le bien, quand il est « bien », se diffuse et se répand. Voilà pourquoi Paul parle de « faire le bien ». Ce soir, frères et sœurs, nous ne sommes pas rassemblés pour fêter un anniversaire, aussi illustre soit-il, ni encore pour nous souvenir d’un événement insigne de l’histoire des hommes. En célébrant la venue du Christ au milieu de nous, nous nous souvenons que le bien qu’il est venu nous inoculer est un antidote efficace contre le mal : il « nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété ».

 

Cela passera à la fois par la manière dont nous accueillerons le cadeau de Dieu pour nous, et par la manière dont nous en vivrons en vivant pour les autres, sans jamais épuiser la « grâce manifestée » et reçue. Comment ne pas se réjouir d’un tel vaccin capable de venir à bout de tous les maux du monde que nous sommes prompts à dénoncer ?


AMEN. 


Michel Steinmetz

vendredi 17 décembre 2021

Homélie pour le 4ème dimanche de l'Avent (C) - 19 décembre 2021

Avez-vous déjà fait l’expérience sonore de l’écho ? Vous êtes en haute montagne et, ou bien que vous criiez, ou bien que vous l’entendiez, vous produisez ou recevez le fruit de l’écho. Une parole projetée à flanc de montagne et qui ne finit pas de rebondir. Parole lancée et qui se transmet en se répétant. Figurez-vous que le détail donné par l’évangéliste Luc et qui nous rapporte que Marie se met en route « avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée » m’a fait songer à ce phénomène d’écho… Non que Marie ait crié dans les montagnes lors de son périple, mais que la Parole qu’elle porte en son sein, le Verbe qui va prendre chair, ne cesse de se lancer au milieu de nous.


Le premier écho nous vient en fait de très loin. Aux premiers temps de la Création, la Parole de Dieu est lancée : elle va structurer le chaos pour en faire le cosmos. En séparant les éléments – le jour et la nuit, la terre et la mer…-, elle va organiser la création au point que Dieu lui-même reconnaîtra que tout cela « bon ». En faisant alliance avec un peuple, en le mettant en marche avec Abraham, en le délivrant de l’oppression avec Moïse, cette Parole se révélait une fois encore efficace et libératrice. Et avec elle se transmettait comme un écho la promesse qu’adviendrait le jour où Dieu, enfin, enverrait Celui qui serait la paix définitive « au jour où enfantera celle qui doit enfanter ».


Cette promesse est gravée au plus profond du cœur d’Israël, comme une espérance prête à sourdre. Les prophètes n’ont cessé d’annoncer l’imminence du jour de Dieu ; en ce temps de l’Avent, nous avons pour une part réétendu leurs appels. Cette prédication s’est comme cristallisée avec celle du Baptiste criant l’imminence du Règne de Dieu et l’urgence de la conversion. Mais déjà auparavant deux femmes, en parenté, Marie et Elisabeth avaient compris avec l’intelligence de leur foi que les temps étaient mûrs pour la moisson. Dieu, par elles et avec elles, était en train de préparer quelque chose qui les dépassait de loin. Chacune devait alors méditer, prier, essayer de comprendre sans le pouvoir. Marie, en chemin, sent que cette Parole la travaille de l’intérieur et qu’elle ne cesse de prendre corps. Elle avait d’ailleurs répondu à l’ange-messager : « Que tout se passe pour moi selon ta parole ». Grâce à elle la prophétie de Michée allait s’accomplir.


Quand Marie arrive à bon port, elle salue sa cousine Elisabeth. Nous ne savons pas en quels termes, car Luc ne les mentionne pas, mais ces paroles produisent quelque chose en elle car l’enfant qu’elle porte tressaille alors. C’ets un peu comme si la parole de Marie avait trouvé écho en Elisabeth et qu’Elisabeth avait dû attendre cet écho pour pouvoir s’exprimer à son tour. Ou plutôt c’est comme si la parole lancée au-dedans de Marie par le Seul qui puisse bénir, car Il est lui-même bénédiction, avait commencé par rebondir en Marie pour ricocher en direction d’Elisabeth et jusqu’en ses entrailles. Alors la réponse devient possible. La bénédiction dans la bouche d’Elisabeth s’adressant à Marie « bénie es-tu entre toutes les femmes » est une bénédiction toute célèbre que le judaïsme répétait et répète encore chaque année en souvenir de celle que le peuple hébreu adressa à Judith, cette femme qui, seule, là où les armées d’Israël avaient échoué, sauva tout son peuple d’un anéantissement certain. Voilà qui est Marie, explique Luc à ses auditeurs. Et voilà encore comment la Parole de Dieu ne cesse de résonner en produisant son fruit. 


Frères et sœurs, demandons-nous comment la parole de Dieu fait écho en nous ? Car pour l’accueillir, et ce temps de l’Avent a voulu et veut encore à nous y préparer, il nous faut la lancer rebondir et ricocher. Et sans doute, comme en montagne à l’écoute de l’écho, nous arrêter un instant au moins pour l’entendre et nous émerveiller. Nous arrêter ? est-ce seulement possible en ce temps de préparatif à Noël ? Oui, si vous le décidez. 


AMEN.

Michel STEINMETZ †


samedi 11 décembre 2021

Homélie pour le 3ème dimanche de l'Avent "Gaudete" (C) - 12 décembre 2021

En général les prophètes comme Jean Baptiste annoncent des personnes plus importantes qu’eux! Et dans l’évangile que nous venons d’entendre, la foule se demande si Jean n’est pas la personne la plus importante. Elle se méprend donc sur son identité et opère un détournement. Elle l’appelle son maître, et lui demande ce qu’elle doit faire. Mais finalement, Jean leur annonce qu’il y a encore plus grand que lui, et qu’il est là simplement pour nous conduire au Christ. C’est cela le baptême que Jean amène : annoncer en nous, qu’il y a plus grand que nous.


Cependant, la méprise première de la foule est avant tout de croire que ce qu’elle doit faire est une question simplement d’éducation. Sa méprise est de croire que si elle savait vraiment ce qu’elle devait faire, elle le ferait ! Et sur ce point, la réponse de Jean Baptiste est extraordinaire. Il dit à ceux qui se font baptiser ce qu’ils savent déjà ! Il ne leur apprend rien. Il demande aux soldats et aux collecteurs d’impôt ce qui est à leur portée, ce qui est à leur mesure.  « Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde. » Rien de bien extraordinaire là-dedans.  Alors, sur quoi la foule se méprend-t-elle ?  Elle pense que la source de ce qu’ils doivent faire et du changement est dans l’enseignement de Jean, et pas dans la joie qui leur est promise ; cette joie de la Bonne Nouvelle qui doit maintenant devenir le principe de leurs actions. Le discours du Baptiste n’est pas premier. Ce qui est premier c’est Celui qu’il désigne. C’est un peu comme ceux qui, dans nos paroisses, s’attachent tellement à tel ou tel prêtre ou même ne vont plus du tout à la messe lorsqu’un autre prêtre célèbre. Ou encore les personnes qui s’attachent à telle personnalité charismatique, que cette personne devient pour eux plus importante que le message qu’elle porte. C’est à se demander si le Christ, tel qu’il est annoncé ou reçu, demeure encore au cœur de l’annonce. 


Aujourd’hui, nous sommes invités à découvrir que la source de notre agir est dans la joie, et non dans le commandement. « Réjouissez vous », nous dit Paul. « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ». Et le livre de Sophonie insistait déjà sur cette joie : « Le Seigneur est en toi... Il aura en toi sa joie et son allégresse ». Alors, la question « que devons-nous faire ? » ne doit plus prendre simplement sa source dans un enseignement, dans ce qui nous est demandé de faire, mais dans notre espérance et notre joie ! Attendre la venue du Christ à Noël, c’est attendre plus qu’une réponse à la question « que devons-nous faire ? »  Jean nous donne plus qu’un message de repentance et d’action. Il annonce Celui qui nous amène sa joie, qui doit devenir la source de nos actions. 


La mère de notre conduite doit être la joie, pas le commandement de ce que nous devons faire. Alors, réjouissons-nous ! Peut-être plus facile à dire qu’à faire en des temps troublés où nous aimerions nous raccrocher à des choses claires et bien établies. Ce que nous devons combattre, c’est donc cette absence de joie et ce désespoir radical, qui n’arrive pas à voir Dieu dans son lieu natal, en l’homme et en sa capacité à se transcender et à aimer ! Porter l’Evangile, ce n’est donc pas transmettre un contenu, mais permettre un relèvement, capable de transfigurer la tristesse en joie, permettre à chacun une nouvelle naissance qui conduit à l’espérance d’une joie qui ne passera pas. Noël est là pour nous faire découvrir en l’autre, dans la surprise de son être, la vraie clé de notre bonheur. Comme le dit Bernanos, le secret du bonheur, « c’est être capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre. » La joie partagée conduit à ce bonheur qui ne finit pas. 


Par conséquent, aujourd’hui nous est offert quelque chose de plus profond pour nous distinguer qu’un commandement : c’est notre joie capable de transfigurer la tristesse, une  espérance en cette joie qui ne finira pas ! C’est à cela que nous devons désormais conduire nos frères et sœurs. Frères et sœurs, avez-vous la joie de l’Evangile inscrite dans votre cœur ? Pas une joie mielleuse qui ne prend pas en compte ce que nous sommes et nos fragilités. Mais une joie à notre mesure, et qui paradoxalement dépasse tout ce que nous pouvons imaginer et traverser.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


samedi 4 décembre 2021

Homélie pour le 2ème dimanche de l'Avent (C) - 5 décembre 2021

Quand l’évangile de Luc nous annonce la mission de Jean-Baptiste, il prend soin d’énoncer très clairement le cadre géographique et historique de cette mission : non seulement qui est empereur à Rome, mais encore gouverneur en Judée, celui qui a le pouvoir en Galilée, au pays d’Iturée et de Traconitide, en Abilène, et puis les deux grands prêtres qui ont le pouvoir au grand Sanhédrin à Jérusalem : Hanne et Caïphe. De tous ces personnages, on trouve trace dans l’histoire universelle. Ils situent l’intervention de Dieu dans un cadre défini d’espace et de temps, dans des événements historiques repérables. Le chemin de Dieu va concrètement s’esquisser au cœur de la vie tumultueuse des hommes. Pas de manière extérieure ou extraordinaire, mais en traversant l’histoire. C’est là que Dieu y révèle son salut. Le christianisme est donc une religion historique, non une sagesse intemporelle ni une fuite du monde. Le chemin triomphal du retour dont parle le prophète Baruc et le chemin aride au milieu du désert, et toujours à reprendre, qu’annonce Jean le Précurseur, sont les voies que Dieu emprunte pour nous permettre d’aller à lui. Et ce cheminement exige trois attitudes que désignent trois verbes issus des lectures que nous venons d’entendre : cheminer, discerner et continuer.


Cheminer. Cela tombe sous le sens. Car sans mouvement, aucun progrès possible. Le sur-place ou l’immobilisme ne conduisent qu’à l’atrophie. Or nous savons qu’il est impérieux de préserver notre capacité motrice, tant physiologiquement que spirituellement. On peut donc s’étonner que certain prêchent aujourd’hui, en parfaits gardiens du temple, et appellent de leurs vœux une situation de statuquo qui serait, pensent-ils, salutaires. Je fais allusion, vous l’aurez compris, à la situation ecclésiale que nous connaissons et devons affronter avec lucidité. Or l’Ecriture ne cesse d’indiquer l’impérieuse nécessité pour nous d’être en marche. Non comme une fuite en avant, pour se dessaisir d’un passé nauséabond, mais en réponse à aller plus loin, c’est-à-dire plus près du Christ qui est le Chemin, la Vérité et la Vie. Dieu trace ce chemin, comme il le fait contempler à Jérusalem enfin capable de retrouver sa joie en voyant revenir de loin les déportés au temps de l’exil. 


Discerner. Le chemin annoncé par Jean-Baptiste appelle le discernement. « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. » En effet, au cœur du désert, on n’a guère de mal à comprendre qu’un tel sentier ne soit pas une piste longiligne, bien balisé, voire bitumée. C’est un tracé toujours à reprendre quand il tend à s’effacer sous l’effet des vents et des sables. C’est une voie toujours à nettoyer pour qu’elle demeure visible. Il en est ainsi de nos vies. Les sentiers de notre cœur tendant à disparaître sous les salissures du péché qui voudraient nous perdre dans des méandres et des impasses sans Dieu. C’est ce que le Baptiste nomme la « conversion ». Et la conversion exige un « discernement » au sens où notre conscience, éclairée de l’Esprit-Saint, nous montre les chemins à emprunter et ceux qu’il convient d’éviter. Elle demande de notre part une volonté, non de se laisser porter au gré des évènements plus ou moins chaotiques de nos vies, mais de prendre nos destinées en main.


Continuer. Evidemment cela s’entend au sens premier où l’n n’a jamais fini de prendre et reprendre le chemin vers Dieu, chemin de conversion, pour nous accorder à Lui. Mais cela s’entend aussi au sens où, par ce chemin, Dieu continue son œuvre en nous. « J’en suis persuadé, dit l’apôtre Paul, celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus. ». Il peut arriver que nous désespérions de nous-mêmes. N’oublions pas que Dieu nous accompagne, pour peu que nous le voulions bien. Si nous nous laissons conduire par sa grâce, alors nous faisons qu’il mènera à son terme ce qu’il a commencé en nous. 


Cheminer, discerner, continuer. Trois verbes que nous allons emporter avec nous maintenant. Ils nous permettront de parvenir à un quatrième : « progresser ». Nous progresserons dans l’amour. C’est là l’essentiel. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †