Le texte du Livre
des Nombres précise avec soin que Josué suivait Moïse, « depuis sa jeunesse »
(Nb 11, 28). Il avait donc une certaine ancienneté dans le service du Peuple de
Dieu. De même, au sein de nos communautés chrétiennes, nous sommes un certain nombre
à suivre le Christ depuis notre jeunesse. Nous avons parcouru un long chemin,
nous avons dépensé pas mal d’énergie, nous avons rendu quelques services…, et
nous avons le sentiment que notre place auprès du Christ n’est pas usurpée,
même si nous savons bien que nous sommes faibles. Pour cette raison, notre manière de
comprendre et de penser la mission consiste plus naturellement à nous resserrer
ensemble sur ce que nous avons fait et réalisé, et qui est comme notre
héritage, plutôt que d’imaginer que l’Esprit de Dieu puisse susciter autre
chose, ailleurs et avec d’autres personnes. Et au moment de passer à l’action,
notre réflexe est de nous tourner vers celles et ceux que nous connaissons
depuis longtemps, dont nous savons qu’ils font partie de notre groupe, qu’ils
sont « de ceux qui nous suivent » comme dit Jean dans l’évangile (Mc 9, 38).
Mais le Seigneur
nous pousse constamment à déplacer nos frontières, comme il le fait pour le
peuple d’Israël dans le Livre des Nombres, quand l’Esprit Saint est répandu sur
deux hommes qui étaient restés en dehors du camp et ne faisaient pas partie du
groupe de ces soixante-dix anciens choisis par Moïse pour le seconder. Quand
l’Esprit vient sur eux et qu’ils se mettent à prophétiser, aussitôt, le «
comité de défense » se met en place pour dire : ‘Il faut les arrêter, les
empêcher. Ils ne sont pas légitimes, ils ne sont pas des nôtres.’ Mais Moïse
s’exclame alors : « Plût à Dieu que tout le peuple prophétise » (Nb 11, 29),
que tout le peuple reçoive l’Esprit.
Comment recevoir
dans nos communautés ceux et celles que nous ne connaissons pas, qui ne sont
pas des nôtres, qui ne nous suivent pas habituellement, et qui pourtant ont eu
le cœur touché par Dieu d’une façon qui ne dépend pas de nous ? Car Dieu parle
au cœur de chaque homme comme il le veut. Il suscite au cœur de tout homme des
appels, des demandes et des désirs que nous ne pouvons pas imaginer. Et la
véritable barrière qui empêche des personnes nouvelles d’entrer dans notre
communauté et dans notre église, n’est pas leur manque d’ancienneté, mais le
fait que nous-mêmes pouvons être pour eux une cause de scandale. Car leur
intégration ne consiste pas à les naturaliser en les rendant conformes à ce que
nous sommes. Nous devons d’abord comprendre que par notre manière de vivre et
d’être, par nos paroles, nos gestes et notre attitude, nos omissions ou nos
silences, nous pouvons scandaliser ceux qui découvrent le Christ, lorsqu’ils mesurent
l’écart entre la richesse de la promesse de l’Evangile et la pauvreté de la
manière dont nous les mettons en œuvre.
AMEN.
Michel Steinmetz †