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Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

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dimanche 22 janvier 2012

Homélie du 24ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 11 septembre 2011

« Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à nous ceux qui nous ont offensés ». Comprenons-nous vraiment ces paroles si familières du « Notre Père »? Que disons-nous quand nous prions ainsi ?
Ordonnons-nous à Dieu de nous pardonner comme nous savons si bien le faire à ceux qui nous font du mal ? Demandons-nous Lui de nous faire miséricorde comme nous-mêmes sommes en mesure de le faire pour notre prochain ?
Si c’est bien là le sens de notre prière, alors, vous en conviendrez, cette phrase est lourde de sens puisque nous affirmons attendre du Seigneur ce que nous sommes capables de faire. Je ne sais pas pour vous, mais de mon côté, cela me fait réfléchir… Franchement, soyons honnêtes : à nous connaître un peu sans vantardise ni orgueil, pouvons-nous légitimement alors attendre beaucoup de Dieu ? Il nous prend au mot : tel est l’enseignement de l’Evangile d’aujourd’hui. « Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? » (MT 18, 33).
Nous comprenons que nous devons pardonner. Mais nous savons aussi que cela n’est pas facile et que nous y arrivons bien mal. Nous peinons en vain face à l’amour infini du Seigneur, amour pardonnant qui toujours dépasse nos limites. Alors, parce que faisant l’expérience de notre petitesse, nous devenons encore plus capables de pardonner encore mieux, à notre tour.
I.- Nous devons pardonner.
Notre conscience morale nous fait sentir que nous devons pardonner. Pourtant, quand nous sommes confrontés à une telle situation, nous constatons la réticence de notre cœur à un tel acte. Que faire devant la mort de son enfant torturé par un pervers ? Comment agir quand sa confiance est salie et trahie, son honneur bafoué aux yeux de tous ? « Pense aux commandements et ne garde pas de rancune envers ton prochain, pense à l’Alliance du Très-Haut… », nous dit Ben Sirac.
Nous avons sans doute peur de pardonner, car nous pensons que pardonner est synonyme d’oublier. Il me semble que pardonner, c’est peut-être plus donner à l’autre une nouvelle chance, accepter de faire encore un bout de chemin ensemble. C’est, tout compte fait, ne pas se résigner à la fatalité du mal. Quand vous êtes blessés, la plaie, elle aussi, peu à peu se ferme ; elle disparaît, mais pas entièrement : la cicatrice en demeurera sur votre peau comme la marque et le signe. La vie reprend le dessus, et elle le reprend, parce que fortifiée.
Si nous attendons – et à raison ! – de Dieu qu’Il nous pardonne, nous devons faire de même. « Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis ». « Si un homme n’a pas pitié pour un homme, son semblable, comment peut-il supplier pour ses propres fautes ? ».

II.- L’impossible logique de pardon de Dieu.
A la question de Pierre : « Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? », Jésus répond par l’infini de l’amour. Abandonnez là vos tables de multiplication ! Ce n’est pas tant le nombre indiqué qui est ici important que la démesure à laquelle nous sommes appelés.
De même, dans la parabole dont Jésus se sert pour mieux encore se faire comprendre, l’énormité de la dette du serviteur, équivalente à soixante millions de francs-or, doit faire penser que ce serviteur est dans une situation sans issue. Il est cependant relevé de sa dette : il ne devra son salut qu’à la pitié de son maître. Telle est aussi la situation de l’homme devant Dieu. Or, ce serviteur n’est pas capable d’avoir seulement une once de cette indulgence envers son compagnon qui, lui, ne lui doit que la modique somme de cent francs-or.
Voilà la logique de Dieu confrontée à notre triste réalité humaine ! Nous la chantions encore avec le psalmiste : « Il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses ».

III.- Faire l’expérience du pardon.
Face à cette démesure de l’amour de Dieu qui pardonne, nous ne pouvons qu’être pris en défaut. Alors, mission impossible ? Je ne le crois pas.
Car pour qui a fait l’expérience du pardon libérateur de Dieu, à qui il a été fait, un jour, la grâce d’une nouvelle chance, et la grâce de se sentir aimé en vérité par delà ses actes, pour celui-là le pardon devient possible.
La logique de la miséricorde divine, c’est d’avoir pitié de nous et de nos mains vides. Qui a fait l’expérience de cette miséricorde qui efface toutes les ardoises, même les plus lourdement chargées, en a le cœur bouleversé. Dès lors, n’est-ce pas ?, il est impossible de se montrer dur et exigeant envers quiconque.

Frères et sœurs, demandons aujourd’hui au Seigneur d’ouvrir notre cœur à son pardon pour que nous soyons toujours plus en mesure de pardonne à notre tour comme Lui le fait envers nous.
« Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits ! Car il pardonne toutes tes offenses. »

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 23ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 4 septembre 2011

« Fils d’homme, je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël ! ». Devenir un guetteur, c’est-à-dire devenir celui qui, du haut des murailles de la cité, remplit cette haute charge de détecter le danger lorsqu’ils survient, de prévenir ses compagnons afin de garantir leur sécurité. Le guetteur accomplit son service avec zèle et attention, sans une once de relâche qui pourrait s’avérer fatale. Il est encore celui qui sait voir au loin, qui scrute et discerne. Cette mission est certes confiée au prophète, mais Jésus, dans l’évangile, nous rappelle que nous en sommes aussi dépositaires. N’avons-nous pas été faits, à notre baptême, « prêtre, prophète et roi », à la suite du Christ ?
Pourtant, j’ai déjà tant de mal avec mon propre péché et voilà que le Seigneur veut que je me mêle de la santé spirituelle de mes frères ! Non, croyez m’en ! Que chacun s’occupe de ses propres oignons, sans quoi ce sera la pagaille, non ? Imaginez si chacun se prenait de réprimander autrui !
Que signifie donc ce précepte de la correction fraternelle ? Si je dois reprendre mon frère qui a péché, c’est pour moi, c’est pour lui, c’est pour l’Eglise.

I.- Pour moi, tout d’abord.
La première lecture nous enseigne que le salut du prophète dépend de l’exercice de son ministère : il ne « sauvera sa vie » que s’il a « averti le méchant d’abandonner sa conduite ». Entendons bien : le Seigneur ne rejette pas le prophète qui aurait failli ; mais l’indifférence de celui-ci trahirait qu’il n’est pas - ou qu’il n’est plus - en communion avec Dieu, « qui fait lever son soleil lui, sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les justes » (Mt 5,45).
"Si ton frère a péché…" Tout d'abord, ne jamais oublier que celui qui a péché, c'est "mon frère". Avant d'être un coupable à punir, il est un frère à aimer. Cela change tout par rapport au regard que nous allons porter sur lui. Ce ne sera plus un regard soupçonneux ou accusateur, mais un regard qui accueille et redonne confiance. Jésus se présente à nous comme le médecin par rapport aux malades spirituels que nous sommes tous.
Si Jésus nous demande d'agir avec patience et délicatesse, c'est parce que lui-même agit ainsi. Et s'il agit ainsi c'est parce que son Père agit ainsi. Jésus avance lentement, s’il le faut, il marche à mon rythme. Il ne se décourage pas devant mes difficultés à me corriger. Là où le péché a abondé, son amour a surabondé. C'est ainsi que chacun de nous doit agir vis-à-vis de ses frères.
Vous l’aurez compris, c’est à notre propre conversion que le Christ nous appelle. Car, comment souhaiter la conversion des autres sans d’abord penser à la sienne propre ? Telle cette grand-mère qui disait : « Vingt ans j’ai prié pour la conversion de mes petits-enfants jusqu’au jour où j’ai entendu : ‘Et la tienne, Madeleine ?’. »

II.- Pour mon frère, ensuite.
Le pécheur est, hélas, toujours sa propre victime. C’est à nous-même d’abord que nous faisons le plus grand mal en succombant au péché, parce que nous nous éloignons de Dieu.
Nous devons faire cependant très attention à ne pas nous tromper sur le sens de cet évangile : vouloir "corriger" son frère, lui faire la morale, lui dire ses quatre vérités, c'est une manière de justifier tous les anathèmes lancés au nom de Dieu, c'est la porte ouverte à tous les fanatismes, tout cela au nom de l'idée que nous nous faisons de Dieu. Nous oublions alors que Jésus en est le centre. Il veut la vie et non la mort du pécheur. C'est autour de lui que doit se construire l'unité de ses disciples.
Lorsque quelqu'un se noie ou est victime d'un accident, la loi nous impose de lui porter secours. Si nous ne le faisions pas, nous serions coupables de non-assistance à personne en danger. Aujourd'hui, l'évangile nous rappelle que ce danger n'est pas que matériel. Il peut aussi atteindre l'esprit, l'âme et le cœur. Il peut compromettre l'équilibre psychologique et affectif d'une personne.

III.- Pour l’Eglise, enfin.
L’Eglise n’est pas un tas de sable, une poussière d’individus insulaires. Elle est ce grand corps dont nous parle l’apôtre Paul. Un membre est-il affecté ? C’est tout le corps qui souffre. Un membre est-il corrompu ou malade ? C’est tout le corps qui en pâtit. Croyez-vous que l’un de nous puisse faire le mal sans que cela nous affecte tous ?
A la question de Caïn « Suis-je le gardien de mon frère » , Jésus répond sans hésiter : « Bien sûr, puisque je te l’ai confié ; comment pourrais-tu prétendre m’aimer, sans porter le souci de ceux que j’aime ? » Si le prophète Ezékiel est établi comme guetteur pour la Maison d'Israël, c’est la même mission qui est confiée à l'Eglise d'aujourd'hui. S charité doit être non seulement prévenante, il faut qu’elle soit aussi guérissante. En tout ce qu’elle entreprend, elle doit viser non seulement à la construction de la communauté dans l’unité, mais aussi au maintien de sa paix, en la gardant dans la vérité de l’Evangile. Et il faut nous souvenir que nous ne sommes pas propriétaires, mais « serviteurs » de la Parole de Dieu : « L’Eglise envoie des évangélisateurs … prêcher non leurs idées personnelles, mais un Evangile dont ni eux ni elle ne sont maîtres et propriétaires… mais dont ils sont ministres (serviteurs) pour le transmettre avec une extrême fidélité. », écrivait Paul VI . Et ceci ne vaut pas que pour les communautés paroissiales ou religieuses : nous portons cette responsabilité au cœur de tous les groupes humains que nous fréquentons : familiaux, professionnels, associatifs.

Cet évangile se termine par un appel à la prière. Quand deux ou trois sont réunis en son nom, il est là. Il est présent tout comme au Cénacle parmi les apôtres. Il veut entrer toujours plus dans notre vie personnelle, familiale, professionnelle pour la rendre de plus en plus conforme à son amour. En venant à l'Eucharistie, nous accueillons tout cet amour qui est en lui pour mieux le communiquer aux autres.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 22ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 28 août 2011

« Seigneur, tu m’as fait subir ta puissance, et tu l’as emporté ». Il est, dans la Bible, n’est-ce pas ?, des paroles étonnantes de liberté à l’égard de Dieu, d’autant plus lorsqu’elles sortent de la bouche d’un prophète. Souvent, nous nous faisons l’idée d’une Bible aseptisée, dépourvue de tout sens critique, de toute passion. Pourtant, l’histoire, la grande et belle histoire, de l’homme avec Dieu est remplie de tourments, de cris de joie, de pleurs, de révoltes.
L’histoire du prophète Jérémie est bien, à ce titre, l’histoire d’un croyant qui se livre sans fausse pudeur. C’est une histoire singulière qui, aujourd’hui, nous rejoint tout particulièrement, me semble-t-il.
En effet, notre société contemporaine marquée en maints endroits par un exhibitionnisme certain – pensez à ce qu’on appelle la « télé-réalité » ou aux magazines people – aime les gens qui se livrent ainsi. Et la solitude, dont témoigne le prophète, nous interpelle : sans tomber dans le pessimisme, nous savons bien que, si les chrétiens demeurent numériquement majoritaires, leur influence et leur visibilité sont inférieures à celles des décennies passées. Les phénomènes évènementiels, tels les JMJ, traduisent bien une vitalité de la foi, ou tout du moins un intérêt pour elle, mais la question d’une foi précisément vécue au quotidien, et non uniquement sous la modalité de la fête, reste posée notamment pour les jeunes générations.
La solitude de Jérémie, sa vie intérieure marquée par le combat contre sa volonté propre et, malgré tout, l’expérience du caractère irrésistible de la Parole de Dieu font du prophète une figure hautement attachante.

I.- La solitude du prophète, tout d’abord.
Au lecteur du livre qui porte son nom, Jérémie se présente comme un grand solitaire. « Je reste à l’écart » : ce sont les termes mêmes qu’il emploie pour caractériser ses rapports avec la société (15, 17). Incompris et persécuté, mal-aimé de ceux qui devraient l’entourer et l’encourager, les membres de sa famille, il n’est avec eux ni quand ils font la fête à des jeunes mariés ni quand ils pleurent un mort. Il ne connaîtra jamais le réconfort et les responsabilités de la vie conjugale et il ne sera jamais père. Incarcéré, brutalisé, entraîné malgré lui vers l’Egypte, il finira ses jours dans une terre lointaine et nul ne gardera le souvenir de sa tombe.
Pourtant, nous sommes assez bien renseignés sur sa vie intérieure. Nous savons que cette solitude ne correspondait nullement chez lui à une disposition naturelle. Elle lui était imposée par une force extérieure qui lui faisait violence, qui l’assaillait, qui le remplissait, le tenaillait, requérait une adhésion totale sa volonté, qui avait besoin de sa solitude comme d’un moyen d’action. Cette force impitoyable, c’était la Parole de Dieu.

II.- La liberté de Jérémie vis-à-vis de Dieu.
Si le prophète avoue s’être laissé séduit, il n’en demeure pas moins critique à l’égard de Dieu, semblant dire : « Tu m’as eu, et me voilà dans de beaux draps ! ». Résister pour lui n’est plus possible, car la Parole du Seigneur est désormais en lui comme une force explosive.
Aucun prophète n’évoque la Parole de Dieu et sa manière d’agir avec autant de douloureuse précision que Jérémie. « Dès que je trouvais tes paroles, je les dévorais », dit-il (15,16) ; bien qu’elles le réjouissent, leur effet est souvent dévastateur : « à cause de tes paroles, je tremble de tous mes membres, je deviens comme un ivrogne, un homme pris de vin » (23,9). Quoi qu’il en soit, dans la vie de cet homme, la Parole est devenue le facteur-clé, le centre encombrant, trouble-fête aussi bien que raison d’être.
Jésus, annonçant à ses disciples l’inévitable Passion qui semble peu à peu se dessiner pour lui, fait une pareille expérience de solitude, de moquerie et de rejet : il lui faudra souffrir beaucoup, être tué pour ressusciter dans la gloire. C’est là assurément la seule voie pour le disciple : « Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

III.- Le joyeux acquiescement, enfin.
Si Jérémie se plaint et souffre, il n’oublie pas pour autant d’avouer : « mais il y a en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être ». Ce feu est à mettre en relation avec la séduction dont il fait l’objet et qu’il confesse pareillement. Peu à peu sa volonté s’est fondue avec celle de Dieu, dont il a été le parfait porte-parole.
Si la parole de l’homme est en prise avec la Parole de Dieu, c’est bien toujours cette dernière qui triomphe. Et pour dissiper les doutes de son existence, ceux qui ravagent son âme, il ne reste plus à Jérémie que l’absurde certitude mais ô combien réelle que c’est vraiment le Dieu vivant qui lui parle.
Il trouve, sa vie durant, le fondement de son action dans cet ardent désir à servir la Parole.
Puissions-nous prendre un peu exemple sur Jérémie : quand nous répondons positivement à l’appel du Seigneur en nous efforçant de vivre chrétiennement, quand nous prenons part à la vie de l’Eglise, nous avons sans doute des raisons de râler, de maugréer contre Dieu. « Tu nous as bien eu ! Il est plus facile, plus confortable de faire et de vivre comme tous les autres, de ne pas nous encombrer encore avec ton Evangile !». Nous nous sommes peut-être laissés séduire contre notre volonté : mais une fois que nous avons pu faire l’expérience de cette convivance, de cette enracinement en nous de la Parole de Dieu, nous sommes aussi en mesure de savoir qu’il est juste, qu’il est bon de perdre un peu de notre volonté pour gagner en proximité avec Dieu.
« Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 21ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 21 août 2011

L’évangile nous relate-t-il une crise d’identité de Jésus ? On pourrait presque imaginer que cette scène se passe au cours de son adolescence comme s'il était un peu incertain sur lui-même ; un besoin de savoir ce que les autres pensent de lui pour pouvoir se construire et se situer dans son propre monde. Le Christ savait que ses jours étaient comptés. Avait-il réussi sa mission ? Allait-on l'oublier aussi vite après sa mort ou quelque chose resterait finalement de lui après les événements dramatiques auxquels il allait être confrontés ? Tant de questions pour un seul homme. Et nous pouvons comprendre qu'une petite crise d'angoisse existentielle ait pu le traverser. Que disent les gens de moi ? M’ont-ils reçu pour ce que je suis ?

Un endroit particulier : Césarée
L’endroit dans lequel Jésus choisit de poser la question à ses amis n’est pas neutre. Au contraire, il est plein de sens. Il nous aide à mieux comprendre la réaction du Christ, et à comprendre que son interrogation est bien plus profonde qu’il n’y paraît. Ce n'est sans doute pas sans raison que le Christ s'interroge de cette manière précisément dans la région de Césarée-de-Philippe. Césarée-de-Philippe, ville hautement religieuse dans sa diversité. La ville était parsemée de nombreux temples dédiés au dieu syrien Baal. Nous pouvons en dénombrer quatorze. Césarée vivait donc sous l'ombrage d'anciens dieux. Mais ces dieux syriens étaient loin d'avoir le monopole du culte et de la vénération. Dans cette ville, il y avait également une caverne dans laquelle, le dieu grec Pan, dieu de la nature vit le jour. De plus pour les juifs de l'époque, le Jourdain prenait sa source dans cette même caverne. Juifs, Grecs, Syriens avaient fait de Césarée une ville d'adoration de leurs dieux. Les Romains, eux aussi, érigèrent un temple de marbre blanc en l'honneur de la divinité de César. Dès lors, je crois que nous pouvons affirmer que cet endroit choisi par le Christ pour poser ses fameuses questions est loin d'être neutre. Voilà un homme, un homme simple, entouré de douze hommes tout aussi simples, dans un endroit littéralement submergés de magnificence, de temples syriens, grecs, romains, dans un lieu plein de sens pour les juifs également ; voilà cet homme qui demande à ceux qui l'accompagnent « Le Fils de l'homme, qui est-il d'après ce que disent les hommes ? ».

Du « qu’en dira-t-on » à la question personnelle
Les réponses fusent. Au résultat, il est peut-être bien tout le monde, sauf lui-même ! Cette question de l’identité de Jésus est sans cesse posée dans l’évangile. Elle l’est encore, et parfois violemment, à ceux qui aujourd’hui se risquent à annoncer l’évangile. A chacun, Jésus pose alors la question de manière personnelle : « Pour vous, qui suis-je ? ». Ce que déclare Simon-Pierre et qui lui est révélé par le Père des cieux : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant » va devenir le trésor de la foi, confiée dès lors à l’Eglise. L’Eglise, instituée par Jésus, fondée sur la foi de Pierre et des Apôtres, sera pour ses membres, et pour ceux qui chercheront le Christ, la source du salut : « Je te donnerai les clés du Royaume des Cieux. » Pour l’heure, Jésus ordonne à ses disciples de ne dire à personne qu’il est le Messie. En effet, pour que s’accomplisse ce qu’il annonce, il lui faut aller jusqu’au bout de sa mission : la passion, la mort et la résurrection. L’Eglise, « sainte Eglise de pauvres pécheurs », selon la si belle et si vraie expression du Père Congar, naît du mystère pascal et du don de l’Esprit. Elle pourra proclamer avec assurance le salut en Jésus le Fils de Dieu.

L’actualité de la question
Cette histoire s'est passée, il y a bientôt deux mille ans. C'était bien loin d'ici. Les lieux ont changé et il en va de même pour les dieux. Ces derniers sont aujourd'hui différents mais tout aussi présents. Nos dieux contemporains sont peut être plus matériel, leur soi-disant bonheur est immédiat. Ils sont en tout cas plus palpables, plus réels. Les bourses mondiales les estiment plus ou moins à la hausse, ils demeurent terrifiants au risque de provoquer crises et paniques. Mais comme les faux-dieux d'hier, ils risquent de nous enfermer dans une spirale qui va nous éloigner de nous-mêmes, nous enlever de notre raison d'être. C'est sans doute pourquoi cet évangile s'adresse à chacune et chacun d'entre nous dans le silence de nos cœurs. Un peu comme si le Christ nous susurrait : « je n'attends pas d’abord de vous une connaissance intellectuelle sur moi ; je vous demande juste une petite chose : me connaître, c'est-à-dire entrer en relation avec moi. Rien de plus ». Cette relation se vivra de diverses manières, en fonction de chacune de nos histoires personnelles. Elle sera directe, régulière pour certains ; elle passera par l'amour et l'amitié pour d'autre. Chacune et chacun nous avons notre chemin de rencontre avec Jésus. Il n'y a pas de recette. Il n'y a pas de chemin tout tracé. Puisqu'il s'agit avec tout d'une rencontre, d'une relation, voire même d'un amour, c'est à nous de trouver notre manière de connaître le Christ. Epris de ce désir, de cette soif de connaissance, nous aussi nous pourrons dire : « oui, tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la solennité de l'Assomption de la bienheureuse Vierge Marie - 15 août 2011


En cette fête de l'Assomption de Marie, le livre de l’Apocalypse nous livre sa vision cosmique : « Le Temple qui est dans le ciel s'ouvrit, et l'arche d'Alliance apparut. Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. »

Chaque génération vit avec son imaginaire et ses questions. Autres celles des premiers chrétiens, autres celles de nos contemporains européens. Au temps de l'Apocalypse, au début du christianisme, c'est la persécution : le Mal a un visage précis, celui du pouvoir, nombreux sont les martyrs. Il faut avoir la foi qui franchit la mort. Le dragon a sept têtes comme la ville de Rome a sept collines.
Aujourd'hui nous vivons en paix, plus ou moins rassasiés. La mort, nous la vivons tout à fait différemment. La médecine a fait de tels progrès que jamais jusqu'ici l'espérance de vie n'a été aussi élevée. Mais le problème s'est inversé : pour certains, on vivrait trop longtemps. La réforme des régimes de santé, l’allongement du temps de travail pour garantir le système des retraites déchaînent les passions. Les résidences spécialisées coûtent cher et il n'est pas heureux de voir ceux que l'on aime, plus ou moins enfermés, sans possibilité de bouger, alités le plus souvent, toujours à la merci d'un petit problème de tuyauterie, affrontés à la solitude et à l'ennui. « La vieillesse est un naufrage » disait le grand Charles. On ne meurt plus d'un coup mais progressivement, de mort lente, et la séparation se fait petit à petit.

La vieillesse n'est plus, comme en Afrique, un signe de sagesse, elle devient honteuse. On célèbre le sport, la jeunesse, la beauté, alors les vieux s'enferment entre eux. Certains, aux Etats-Unis, interdisent l'accès de leurs résidences aux enfants. Les générations se coupent de plus en plus les unes des autres, et, souvent, il est inconcevable que des générations différentes se côtoient sous un même toit, comme c’était encore fréquemment le cas il y a peu.
La vieillesse serait-elle un péché, serait-elle une maladie ? Non, elle est une réalité humaine naturelle qu'il nous faut accepter, comme toute limite liée à notre condition humaine, comme le fait d'être femme ou homme et non pas les deux, comme le fait de vivre en ce siècle et non pas en un autre, et ici plutôt que dans un autre pays.
La vieillesse n'est pas un péché, mourir non plus, même de mort lente et dans son lit, tout naturellement. Marie, la mère de Jésus n'a pas été martyrisée. Elle a connu d'autres souffrances, voir torturer son fils de trente ans lui a valu le titre de « vierge des douleurs ». Marie, comme tout le monde aujourd'hui, ou presque, Marie a vieilli. Elle est morte finalement. Mais l'histoire n'a pas retenu pour elle de tombeau. Ni à Jérusalem ni à Ephèse où, avec saint Jean, elle aurait fini sa vie. La question est donc pour elle la question de « l'après mort ». Qu'est-elle devenue, où est son corps ? Et la foi des chrétiens depuis toujours, sans bien comprendre comment, mais de manière poétique comme s'expriment toutes les intuitions qui ne peuvent être démontrées, celle de l'amour en particulier, la foi des chrétiens a tout de suite perçu que Marie était associée à la Résurrection de son Fils, sans attendre la résurrection finale de la récapitulation de l'histoire avec toute l'humanité. Marie anticipe en son corps la victoire de l'amour sur la haine et sur la mort.

Le mot « résurrection » n'est cependant pas prononcé, par égard pour nos frères orthodoxes qui parlent de « dormition » et non pas de « mort ». Le mot « assomption » est donc utilisé, qui se rapproche de l' « ascension ». Marie est « auprès de Dieu » et si l'on imagine celui-ci « en haut », elle est « montée » auprès de Lui. Marie nous précède, on peut dire qu'elle est au-devant de nous. Avec son Fils, elle représente l'humanité en son devenir. Elle représente l'humanité saisie par la résurrection de Jésus, elle qui a représenté l'humanité dans son accueil de l'Esprit, et donné corps au Verbe de Dieu. C'est par elle qu'il est entré dans notre histoire, c'est par lui qu'elle sort de notre histoire et prend corps de gloire.
Marie est l'arche d'alliance à laquelle fait allusion l'Apocalypse, elle est le Temple de la présence de Dieu. Les litanies, en leur symphonie disent mieux que le langage abstrait de la théologie, à chacun son instrument.
Savez-vous de quelle année date le dogme de l'Assomption ? Ce dogme est le plus jeune de tous les dogmes ! La moitié du siècle passé ! 1950 ans, voilà le temps qu'il a fallu à l'Eglise pour dire ce qu'elle croyait, depuis toujours et en tout lieu, mais encore confusément. Comment s'est déroulée l'assomption ? Qu'est-ce que cela signifie vraiment ? L'Eglise y croit mais ne sait pas tout ce qu'elle croit. A nous de réfléchir, de méditer. « Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. »
Cette femme, c'est l'humanité accomplie, revêtue de la lumière de Dieu. Toute la création la contemple et lui sert de parure : le soleil, la lune et les étoiles soulignent sa beauté. C'est l'Eglise, transfigurée, c'est Marie, en tout premier lieu, la petite fille d'Israël, celle qui a cru à la promesse, celle qui a conçu le Fils de Dieu, celle qui l'a partout accompagné, celle qui est toujours à ses côtés, au pied de la croix et maintenant dans l'accomplissement de sa résurrection.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 20ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 14 août 2011

Voici quelqu'un qui pourrait être moi, qui pourrait être vous, ou toi, n'importe qui parmi nous ici. Cette personne a un proche qui est malade. On ne connaît pas son nom ni celui de sa fille. On sait qu'elle est femme, Cananéenne, c'est-à-dire non juive. De sa fille, on ne sait rien ni son prénom, ni son âge, ni sa maladie. Vraiment, c'est toi, ou toi, ou moi. Je n'ai pas de fille mais ma mère est malade. Nous avons tous un proche qui va mal.

Cette femme n'a donc rien d'extraordinaire, et c'est cela qui est intéressant. Parce que ce qui va lui arriver peut nous intéresser.

Ce qui lui arrive est banal. Triste mais classique, excusez moi. Elle s'adresse aux disciples de Jésus et elle se fait rembarrer. Vous me direz, c'est normal : c'est une femme et en plus elle est d'une autre religion. Normal, ou pas normal ? Ce n’est pas normal, nous sommes d'accord, mais c'est malheureusement très courant. Elle m'intéresse de plus en plus. Les disciples veulent la faire taire. Elle les ennuie. Elle doit souligner un point chez eux qui est sensible, voir douloureux. Il n'est pas agréable d'être incapable, de ne pas pouvoir guérir quelqu'un qui le demande instamment. Cela révèle notre impuissance et cette impuissance, nous pouvons difficilement nous l'avouer, nous pouvons difficilement l'accepter. Impression d'être impuissant, toujours fâcheux, pour des hommes, mais aussi impression de culpabilité, de n'être pas à la hauteur, de ne pas pouvoir rendre l'autre heureux. D'être défaillant, insuffisant, coupable d'une certaine manière.

Alors les disciples en appellent à Jésus. Ils ne s'adressent pas à Jésus pour lui demander de guérir son enfant, cela serait pourtant très bien. Non, ce sont des disciples comme nous en connaissons beaucoup, qui ont d'abord le souci de leur confort et ensuite celui de la vie des gens. Ils en appellent à Jésus pour qu'il les libère de ce démon qui les poursuit de ses cris ! Pauvres disciples, victimes d'une personne qui demande la guérison de sa fille. Et si cette femme représentait l'humanité et si sa fille représentait les nouvelles générations qui ne trouvent pas leur place et qui sont déboussolées ? Les disciples ne font pas d'analyse, ils ne posent pas de questions. Ils recherchent la paix. Et, et c'est là que cet évangile est décidément très intéressant, parce que déroutant, disons le mot, il est scandaleux : Jésus, au lieu de réprimander ses disciples, leur emboite le pas. Il va dans leur sens. Il en rajoute au plan de l'exclusion ! Il le dit clairement : il n'est pas là pour des gens de son espèce. Ils ne sont d'ailleurs pas tout à fait des hommes, ces non-juifs... et il ne convient pas de jeter le pain des enfants aux petits chiens. Même si le diminutif donne une nuance de tendresse, les « petits chiens » restent des chiens. En clair Jésus la traite de chienne ! Il ne vaut pas mieux que son entourage. A la place de cette femme, je me serais découragé cinquante fois. J'aurais haussé les épaules et je serais parti.

Mais non. Elle accueille les paroles qui lui sont données. Elle va même dans leur sens : « Oui, dit-elle... » Oui. Elle entre en sympathie, elle accepte ce qu'on lui a dit. Mais elle s'empare de cette image, pour la pousser dans son sens. Elle prend cette logique au mot. Oui, mais, mais, les petits chiens, ils mangent les miettes. Elle n'en demande pas plus : quelques miettes ! Vous me direz des miettes de Dieu, c'est toujours Dieu. Des miettes d'infini, c'est encore infini. Mais elle n'a pas Dieu devant les yeux, simplement un juif intolérant et prétentieux. Il n'empêche, même s'il y a très peu d'espoir, elle s'accroche jusqu'au bout. Elle va dans le sens de ce qu'on lui dit et elle le pousse à ses conclusions. Jésus est beau joueur et il le reconnaît : elle a gagné.

Voici donc la championne toutes catégories. C'est, avec la Vierge Marie à Cana, la seule personne de tout l'Evangile qui ait réussi à faire changer Jésus d'avis. Mais c'est une personne normale, comme je le disais en commençant. Elle n'a rien qui la distingue, sinon certains points qui sont plutôt des handicaps : elle n'est pas juive, elle est une étrangère, et elle est femme et sa fille aussi...

Alors qu'aujourd'hui, faut-il que je vous fasse un schéma, tant de personnes souffrent d'être exclues, rabrouées, rejetées, critiquées, de la part de bien des milieux et aussi des milieux d'Eglise, que cette cananéenne inconnue, anonyme, nous donne courage de vouloir jusqu'au bout, de désirer jusqu'au bout, de ne surtout pas nous décourager, et d'insister, d'insister envers et contre tout. « Femme, grande est ta foi, qu'il te soit fait selon ton désir » Grande est ta foi. Elle n'est pas juive et Jésus ne la convertit pas. Il n'en fait pas une chrétienne non plus. Il lui confirme que son désir de vie et de santé ne peut être déçu. Que nous soyons fils et filles spirituels de cette femme là !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 15ème dimanche du Temps ordinaire (A) - 10 juillet 2011

Quelle est la mission que Jésus est venu accomplir ? Matthieu l’a précisé dès le début de son livre : au lendemain de son baptême et après avoir rejeté les projets diaboliques, « Jésus commença à proclamer : ‘Convertissez-vous : le Règne des cieux s’est approché’ » (4, 17). Donc avec Jésus, Dieu commence à établir son règne sur les hommes. S’ils se convertissent ! C’est-à-dire s’ils l’acceptent et laissent Dieu transformer leur vie. Car Dieu ne règne que sur des libertés. En quoi consiste donc ce Règne divin ? Nulle part il n’en est fourni de définition. Mais, au cœur même de son évangile, dans le discours central (le troisième sur les cinq que comporte l’évangile), Matthieu a regroupé sept paraboles fondamentales par lesquelles Jésus tente de révéler « les mystères du Royaume des cieux »(13, 17). Nous les écouterons ces trois prochains dimanches.
Aujourd’hui la liturgie nous donne à entendre la première de ces paraboles, et sans doute la plus importante.

« Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison et il était assis au bord du lac. […] Il leur dit beaucoup de choses en paraboles… »
Assis dans la barque (de Pierre, vraisemblablement) attachée au rivage, Jésus se tient dans la posture de l’enseignant et la barque devient comme une « chaire » d’où va retentir la Révélation fondamentale. Elle sera offerte en paraboles, en récits imagés. Ce ne sont certainement pas « des histoires pour enfants », ni des énigmes distillées par un maître savant et qui demeureraient incompréhensibles au commun des mortels. Mais le symbole est la seule façon d’exprimer une réalité tellement profonde qu’elle ne peut s’enfermer dans des concepts. Jésus ne peut pas dire : « Le Royaume, c’est ceci... » mais seulement « Le Royaume divin est comme cela, il est comparable à... » et il le compare à des choses connues des auditeurs.
Si le Royaume de Dieu est un « mystère », c’est parce qu’il est une réalité immense dans laquelle on n’en finit pas d’entrer. Nous pouvons connaître, posséder une matière scientifique mais nous ne pouvons posséder le Royaume de Dieu.
Par sept symboles, sept paraboles, Jésus ne nous offre pas une connaissance intellectuelle à maîtriser mais il révèle l’arrivée d’un nouveau monde dans lequel je suis invité à pénétrer, qui bouleversera ma vie, et que je ne comprendrai que peu à peu, au fur et à mesure que j’accepterai de m’y conformer. Si au contraire, j’exige de « saisir » avant de m’engager, je demeurerai toujours sur le seuil.

« Voici que le semeur est sorti pour semer… »
Grosse surprise : on attendait du Messie promis qu’il instaure instantanément un état de bonheur parfait pour les bons. Comme par un coup de magie – et de génie –, il n’y aurait plus de mal ni de souffrances, on serait transporté au paradis. Or Jésus se présente comme un Messie qui commence et non qui achève. Il n’est pas le moissonneur mais le semeur. Il ne s’impose pas par un coup de force : il parle. Au lieu d’utiliser des moyens de coercition (comme le diable l’y incitait), il propose un message, il explique, il enseigne. Le Royaume de Dieu vient d’abord par une Parole qui doit être écoutée, reçue et accueillie et il faudra, ensuite, comme pour une graine, veiller sur sa croissance, son bon développement. Cadeau de Dieu et collaboration de l’homme ! Devant la foule rassemblée devant lui, Jésus ne se berce pas d’illusion : il sait que ses annonces et ses prédications resteront souvent lettre morte, discours sans lendemain, semailles sans effets durables.

Les quatre terrains de la parabole sont expliqués par la suite :
1. Un homme écoute la prédication...mais elle ne le pénètre pas. Elle est comme une graine tombée sur le macadam. Aucun intérêt... « ça ne me dit rien ! ».
2. Un autre homme reçoit le message avec plaisir, il le trouve beau, véridique. Mais sa réception demeure superficielle, elle n’a pas de racines. Aussi quand survient l’épreuve, la critique, la persécution, il se hâte d’abandonner. Tel le baptisé qui a suivi le catéchisme, a fait sa profession de foi, mais des copains le ridiculisent pour sa pratique religieuse et, gêné, sans bruit, il renie tous ses engagements.
3. Un autre a acquiescé à l’évangile mais il n’a pas le courage de renoncer à certains attachements de la terre. Il voudrait être chrétien et mondain. Dualité impossible ! Or cet homme aujourd’hui est légion : par dizaines de millions, des baptisés occidentaux auraient voulu une religion compatible avec les modes du temps, avec la dissolution des principes fondamentaux du vivre ensemble : compromis illusoire ! La foi, la pratique religieuse, l’engagement chrétien deviennent vaporeux, sans attraits. On n’a pas eu le courage d’opter franchement. On ne voulait pas perdre sa vie pour le Christ et l’Evangile...et voilà qu’on la perd !
4. Mais en dépit de cette multitude d’échecs, Jésus reste confiant : il est certain que sa Parole pénètrera quelques cœurs, les transformera, et rendra des existences admirablement fécondes. Selon les divers degrés d’ouverture et de don de soi, l’Evangile provoquera des fruits merveilleux. Tous les chrétiens ne deviendront pas St François ou Ste Thérèse mais chacun, selon sa vocation et ses réponses à la grâce, donnera des fruits.

« Celui qui a des oreilles qu’il entende » : comme les anciens Prophètes, Jésus nous hèle, nous supplie d’ouvrir nos oreilles : « Ecoute, Israël, ... ». La foi naît de l’écoute, dira St Paul. Aujourd’hui, ouvrons notre cœur à la Parole de Dieu. En ce temps d’été et de repos, qu’elle résonne et chemine jusqu’au plus profond de nous !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

lundi 9 janvier 2012

Homélie du 14ème dimanche du temps ordinaire (A) - 3 juillet 2011

Jésus nous provoque, fidèle à ses habitudes ! Lorsqu'Il loue son Père, en s'exclamant : « Ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout petits », évitons les contresens grossiers ! Il ne peut y avoir là d'anti-intellectualisme primaire. Nous ne pouvons pas nous contenter de penser : « je crois mais je ne cherche pas à comprendre, c'est trop compliqué ! ». Nous ne pouvons ériger la foi du charbonnier en Credo sans faire injure à celui qui nous a donné l'intelligence ! Tout l'Evangile montre que le Christ demande à ceux qui le suivent un effort d'intelligence pour comprendre sa parole afin de mieux en vivre, pour en vivre toujours davantage afin de mieux le comprendre. Alors ?

« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange… »
Alors, ce qui m'intrigue, c'est que Jésus s'adresse d'abord à son Père – « Père je te loue » et qu'il semble ensuite s'adresser à ceux qui l'écoutent en parlant de sa relation avec le Père : « Tout m'a été confié par mon Père. Personne ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » Jésus n'en finit pas de rappeler que nul ne peut aller vers le Père sans passer par lui. Un jour un disciple lui dit : « montre-nous le Père, cela suffit ! » Et Jésus de répondre : « Je suis avec vous depuis si longtemps et tu ne m'as pas reconnu ! Celui qui m'a vu a vu le Père ! »
Comprendrons-nous qu'aller vers Dieu, c'est du concret ! Aller vers Dieu, c'est s'inspirer des gestes et des paroles du Christ pour inventer aujourd'hui nos gestes et nos paroles. Tout au long de l'Evangile, Jésus se heurte à ces sages et ces savants de l'époque, scribes ou pharisiens qui veulent l'entraîner dans des discussions d'école. Tout au long de l'Evangile aussi Jésus ne cesse de ressasser : « ce que vous faites au plus petit, c'est à moi que vous le faites ». Aller vers Dieu ce n'est pas une prise de tête ! C'est risquer son amour, c’est fonder son être sur l’humilité. Car la foi ne dépend pas de la culture ou des études, même si elles aident à l’approfondir et l’enraciner. La foi est offerte à tous. Les savants et les sages sont ceux qui croient savoir, ceux qui croient posséder complètement la connaissance de la religion au point d’être persuadés, paradoxalement, de ne plus avoir besoin d’apprendre quoi que ce soit. Ailleurs, dans l’Evangile, Jésus taxera ce genre d’attitude de « dureté du cœur ». Jésus ne fait pas de différence entre les gens, mais il demande à chacun de se montrer pleinement disponible pour accueillir le don de Dieu. Geneviève Antonioz De Gaulle, présidente du mouvement « Aide à toute détresse » dans un petit livre intitulé Le secret de l'espérance raconte comment elle a rencontré les exclus du quart monde, comment elle a appris à faire face à sa peur et quel a été son combat pour non pas parler au nom des pauvres, mais pour qu'ils puissent parler eux-mêmes. Elle écrit : « Si j'ai la tentation forte de me détourner de ce que vivent les pauvres, c'est leur espérance qui me remet sur le chemin. Je ne me bats pas seulement pour eux, mais pour tous les hommes. La révolution commence par moi-même. » Ainsi, les tout-petits dont parle Jésus sont bien les « sages » en matière de foi, qui se consacrent à l’Evangile, qui font preuve de charité à l’égard de leurs frères proches et lointains.

« Je vous procurerai le repos ».
J'en viens maintenant à un deuxième passage qui m'a provoqué dans l'Evangile de ce matin. Jésus dit : « Mon joug est facile à porter et mon fardeau léger ». Prise au pied de la lettre, cette expression est choquante ! Je pense à nous tous qui subissons parfois l'ironie de ce monde contre la foi. Nous tous qui sommes parfois confrontés à des drames familiaux tels qu'on en vient à penser : « Mais où est-il, Dieu ? ». Allez donc dire à des gens qui viennent de perdre un proche, allez donc dire à ceux que touche la maladie que leur fardeau est léger ! Cette parole de Jésus sera irrecevable pour eux. La vie est dure certains jours, Jésus ne le nie pas lorsqu'il dit : « Venez à moi, vous qui peinez sous le poids du fardeau et moi, je vous procurerai le repos ».
Et pourquoi Jésus dit-il qu'avec lui notre fardeau peut être allégé ? Attention, je dis bien allégé et non pas nié ! Jésus n'est pas un Dieu qui reste sur la touche du stade de nos luttes humaines. Jésus est Dieu qui porte comme nous les coups durs de l'existence. Il les affronte bel et bien et nous montre une voie. Trouver en lui le repos : que nous soyons déjà en vacances ou pas, cette promesse du Christ est la bienvenue en nos vies surchargées. Jésus nous convie à la solidarité, il nous invite à porter nos fardeaux les uns des autres et ainsi il est notre unité. Jésus est enfin celui qui suggère de jeter en Dieu nos soucis : non pas les nier, faire comme s’ils n’existaient pas, mais les jeter en lui, perdre l'illusion que nous seuls pouvons sauver le monde. Ce n'est pas nous qui sauvons le monde, mais c'est Dieu qui par nous peut le faire.

En conclusion, je crois que la page d'Evangile que nous venons de lire est une invitation amicale à ne pas nous montrer prétentieux devant Dieu. Pensons-y, voulez-vous, lorsque dans un instant tournés vers l’autel, nous dirons : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ! ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la solennité du Corps et du Sang du Christ (A) - 26 juin 2011

« Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ? ». Cette phrase, c’est Jean qui la met, dans son Evangile, sur les lèvres des Juifs. Oui, mais parmi vous, il y a bien quelqu’un qui l’a prononcée. On croirait vous entendre : « Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ? ».
Ces dernières semaines, plus d’une trentaine d’enfants de notre communauté de paroisses ont communié pour la première fois. Je suis sûr que, parmi eux, certains – et sans doute à leur manière, avec leurs mots – se sont posés cette question. Même nous, les adultes, qui communions depuis longtemps, il nous arrive encore de murmurer une fois ou l’autre : « Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ? ».
Si vous êtes sensibles à cette question, je vous invite à écouter la réponse en ce dimanche qui est la fête du Corps et du Sang du Christ. En ce dimanche, la parole de l’Eglise est claire, pas question de la minimiser. La foi de l’Eglise est formelle. Les catholiques sont convaincus que c’est Jésus lui-même qu’ils accueillent lorsqu’ils communient à la messe.
Cette affirmation continue de vous étonner ? … Tant mieux, car l’Eucharistie est une réalité étonnante, merveilleusement étonnante.

I.- C’est étonnant, c’est merveilleux de croire que dans l’Eucharistie, à la messe, Jésus est réellement présent au milieu de nous.
Vous n’avez pas attendu pour le croire. Les enfants qui ont fait récemment leur Première Communion, le savent bien, qu’en recevant l’hostie, c’est Jésus lui-même qu’ils reçoivent réellement.
Vous qui, tout à l’heure, en venant communier, présenterez peut-être un écrin pour qu’on y dépose une hostie : est-ce pour transporter un simple morceau de pain ? Non, la présence réelle de Jésus pour un frère ou une sœur malade.
Vous qui entrez dans cette église durant la journée, quand vous allez faire vos courses ou que vous rentrez du travail : que venez-vous cherchez ? Un peu de silence et de calme. Sans doute, mais aussi pour rejoindre une présence.
Vous qui venez participer à l’eucharistie chaque jour ou le dimanche : est-ce par seule habitude ? J’espère – je vous le souhaite : aussi pour refaire vos forces et vous laisse nourrir par Jésus.
Les chrétiens croient de toutes leurs forces à la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie. Pas une présence symbolique, pas une présence furtive, une présence réelle. C’est merveilleux… et c’est étonnant.

II.- C’est étonnant, mais pas au sens d’incompréhensible. C’est mystérieux mais pas absurde.
Il ne nous est pas demandé de croire en des absurdités. « Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ? ». Prises au pied de la lettre, certaines phrases de l’évangile que nous venons d’entendre auraient des relents de cannibalisme. Boire le sang, manger la chair. Que personne n’ose prononcer ce mot quand il s’agit de l’eucharistie, ce serait absurde de croire cela !
De même que sont naïves ces réflexions d’enfants :
- Dis, papa, comment Jésus peut-il se cacher tout entier dans une petite hostie ? - Où sont ses pieds et ses mains ? - Quand on casse l’hostie, est-ce qu’on lui fait mal ? Et puis, certains se souviennent encore de la recommandation, voire de l’interdit, de ne pas mordre une hostie.
Quand on reçoit la communion, on s’unit à la personne vivante de Jésus. Nos dents ne croquent pas sa chair, mais nos cœurs accueillent sa vie. Sa présence n’est pas comme une présence matérielle, chimique, c’est la présence de Jésus ressuscité qui se propose à notre rencontre. Il se fait notre nourriture. Oui, cette nourriture nous permet d’assimiler la vie de Jésus, l’Esprit de Jésus, de ruminer, digérer ses paroles, de nous nourrir de sa proximité d’avec le Père. C’est cela qui est étonnant et merveilleux.

III.- Mais il y a encore plus merveilleux. C’est qu’à la messe nous communions au corps du Christ, pour devenir nous-mêmes le corps du Christ.
Saint Augustin le disait bien dans cette formule : « Deviens ce que tu as reçu ! ». Deviens celui que tu accueille dans tes mains en t’avançant vers l’autel. Nous rejoignons la présence réelle de Jésus à la messe, pour devenir nous-mêmes une présence réelle de Jésus après la messe. Nous sommes chargés de former son Corps, de rendre visible, repérable la présence du Sauveur au cœur de notre monde.
C’est une banalité de le rappeler : la parole de Jésus « Faites cela en mémoire de moi » ne signifie pas seulement : « faites ce repas en mémoire de moi ». Mais dans ce repas, Jésus a dit : « C’est mon corps livré ! C’est mon sang versé ! ». J’offre ma vie pour la vie du monde. Faites-en autant… faites-le… faites ceci en mémoire de moi !Nous ne pouvons pas communier à la chair et au sang du Fils de l’Homme sans, du même coup, vouloir rejoindre la chair et le sang de l’humanité : ses souffrances, ses forces de vie.
Cette communion à Jésus s’opère en même temps dans une communion entre nous : « puisqu’il y a un seul main, la multitude que nous sommes est un seul corps », nous rappelait saint Paul. La communion à l’unique Corps du Christ nous fait membres de son Corps dans la même foi.

Voilà ce que nous croyons. Sommes-nous devenus plus croyants en l’Eucharistie ? Vous l’aurez compris, il ne suffit pas d’être seulement croyants – c’est certes déjà beaucoup, il faut aussi être crédibles. Devenir concrètement des témoins de la présence réelle de Jésus au cœur du monde. Nous sommes entourés de beaucoup de « sourds » : des enfants, des jeunes, des adultes qui sont sourds à la Parole de Dieu et qui n’ont jamais entendu parler du trésor de l’eucharistie. Dites-moi, si un jour, ils entendaient la parole de Jésus, son invitation à la messe… pourraient-ils nous rendre cette justice, en disant : « A vrai dire, nous avions deviné ce qu’était l’eucharistie en regardant le visage de ceux qui en vivaient ?… ».

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la solennité de la Sainte Trinité (A) - 19 juin 2011

Qui est Dieu ? Voilà la question qui nous est lancée à l’occasion de cette fête de la Trinité. Bien souvent nous nous demandons comment vivre notre foi, comment la mettre en œuvre ; il ne faudrait pas oublier que la foi est avant tout une relation avec Dieu. Comment alors penser les termes d’une relation sans connaître, sans apprendre à connaître Celui que nous entendons ainsi rencontrer. Qui est Dieu ? La grâce nous est faite aujourd’hui de nous laisser interpeller par la Parole de Dieu et de réajuster notre image de Dieu et aussi notre image de l’homme !

I.- Un secret d’amour
Ce que l’on appelle «le mystère de la Sainte Trinité» est beaucoup plus un secret qu’un mystère, un secret que Dieu révèle à ceux et à celles qui prennent le temps d’écouter sa parole et qui font un effort pour en vivre. Nous découvrons un Dieu bon, paternel, plein de compassion, qui accueille la prostituée et le collecteur d’impôts, qui approche les lépreux et les aide à réintégrer leur communauté respective, qui pardonne à Pierre et fait place au bon larron, qui est proche de nous, habite en nos cœurs et nous donne le courage de faire face aux intempéries de la vie.
Notre connaissance de Dieu ne vint pas de nos spéculations savantes mais de la révélation qu’il nous fait de lui-même. Voltaire a dit : «Dieu a fait l’homme à son image et l’homme le lui a bien rendu ». Il n’avait rien compris au christianisme. Nous n’avons pas inventé Dieu, c’est lui qui s'est révélé à nous à partir d’Abraham et de Moïse ! Et d’ailleurs, si nous l’avions inventé à notre image, il ne s’appellerait pas «Dieu de tendresse et miséricorde!». Nous pouvons spéculer et philosopher sur l’existence de Dieu, mais sans la révélation, jamais nous n’arriverions à la conclusion que notre Dieu est un Dieu Trinité, un Dieu d’amour et de bonté.
Ce Dieu de tendresse et d’amour nous invite à une alliance avec lui. Il nous inspire et nous fortifie, il est notre soutien et notre réconfort. Parce que nous avons été créés à son image, Dieu nous invite à l’imiter, à vivre comme lui : «soyez miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux» (Luc 6, 36).

II.- L’unité de Dieu n’est pas une solitude : Il est communion et alliance.
Ce « Dieu -Amour » ne nous a été révélé que par la foi que nous transmet le Christ. L’échange d’amour entre le Père et le Fils et l’Esprit n’est pas un mystère facultatif que l’on peut mettre de côté quand on parle de Dieu.
On ne peut ni aimer ni s’aimer si on est seul. La solitude n’engendre aucun amour et l’amour du seul soi-même n’est qu’une sorte de narcissisme. Parce qu’il naît d’échange et de don, l’amour est nécessairement communion intime de plusieurs personnes. L’homme ne peut exister que s’il est en relation avec les autres et cette relation est constituée par l’amour. C’est là le sens nouveau du commandement : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »
Remarquons qu’au livre de la Genèse, nous voyons Dieu donner à l’homme la mission de nommer les créatures, mais l’homme ne nommera pas Dieu. C’est Dieu qui se nommera lui-même devant Moïse comme le rappelle la première lecture de ce dimanche. En se nommant, Dieu ne fait pas « qu’afficher » ce qu’il est, il propose à l’homme une alliance, qui va trouver sa plénitude dans le don de Jésus, donné à l’humanité, don gratuit de son amour.

III.- Répondre à l’invitation et croire
Tel est notre Dieu, et notre vie s’en trouve transfigurée ! C’est bien de dire « je crois en Dieu », mais c’est notoirement insuffisant pour signifier la nature de notre foi qui est en même temps expérience de vie. Si notre foi ne s’attachait qu’au Père seul, en estompant le Fils et le Saint-Esprit, nous sombrions dans un vague déisme de plus en plus flou ; n’est-ce pas, hélas, le sort de beaucoup de “chrétiens” qui disent croire "en quelque chose". Si nous prétendions nous adresser au Fils seul, en gommant le Père et l’Esprit, nous tomberions dans un humanitarisme finalement assez plat, en une sorte d’athéisme fraternel d’inspiration chrétienne. Et si nous n’avions d’attention que pour l’Esprit seul, en effaçant le Père et le Fils, nous serions menacés d’un illuminisme inconsistant, où nous confondrions Dieu avec les agitations de notre cœur...
Nous croyons en Dieu qui est Père, créateur du ciel et de la terre. Ce Père nous fait don de son Fils : Il est Dieu-avec-nous. Pour que nous devenions nous-mêmes enfants de ce Père de bonté, nous recevons l’Esprit du Père et du Fils, Vie de Dieu communiquée, dont le rôle est de nous modeler chacun, à l’intime de nos vies, en fils du Père, de sculpter en chacun de nous les traits du Fils, de peindre en nous l’icône vivante de Jésus-Christ.
Quand au début de la messe et du toute prière chrétienne, nous traçons sur nous le signe de la Croix : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit », nous ne faisons rien d’autre que d’inscrire la Trinité sur notre corps, de signifier par ce geste que nous sommes unis à ce Dieu-Trinité.

Célébrer la Sainte Trinité huit jours après la fête de Pentecôte, ce n’est pas faire de la théorie sur Dieu ou se réfugier dans de pieuses abstractions. C’est parler d’une expérience. C’est exprimer quelque chose de notre destinée humaine, appelée à partager la vie divine. C’est grandir dans notre identité de baptisés. C’est devenir fils dans le Fils, animé du même Esprit que lui.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

mercredi 4 janvier 2012

Homélie de la solennité de Pentecôte - 12 juin 2011


En fêtant la Pentecôte, en nous souvenant du don de l’Esprit après la résurrection de Jésus, nous faisons une place dans notre prière à l’Esprit-Saint. Avouons-le : il en est en général le grand absent… Dans la tradition occidentale, d’ailleurs, l’Esprit est souvent même l’oublié. Le monde oriental – et orthodoxe – le vénère bien plus en le reconnaissant comme la puissance agissante et bien présente de Dieu. Si nous avons ainsi du mal à recourir à lui, c’est peut-être bien parce que nos esprits pratiques et cartésiens sont plus à l’aise avec la personne du Père, le Créateur, et avec celle du Fils, Jésus venu en notre monde. Comment s’imaginer ou même représenter l’Esprit du Père et du Fils ? L’art a abondamment eu recours à l’image de la colombe. L’image, elle est peut-être là la clé : nous ne pouvons nous représenter l’Esprit que par des images, des comparaisons…
Je vous propose d’en méditer trois que nous livre les lectures bibliques de ce jour. L’Esprit comme feu, comme souffle et comme eau.

I.- L’Esprit comme feu.
Nous l’entendions dans le passage des Actes des Apôtres : « ils virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d’eux ».
L’Esprit de Dieu leur est donné à eux, les compagnons d’épreuve qui avaient vu leur maître et ami crucifié. Il le leur avait promis : « Je m’en vais, mais je vous enverrai un Défenseur, l’Esprit de vérité ». C’est chose faite. L’Esprit en descendant sur eux sous la forme du feu les remplit de cette force intérieure qui les pousse à sortir et à annoncer les merveilles de Dieu. En se donnant ainsi, l’Esprit, comme le feu, n’en est pas moindre : le feu en se divisant reste du feu et conserve toutes ses qualités. Ainsi en est-il de l’Esprit de Dieu. Il les brûle maintenant intérieurement du feu de l’amour, les consume en les purifiant de leurs peurs, de leur sentiment de culpabilité, de leurs péchés.
L’Esprit est comme le feu : en se partageant, il garde sa force et nous brûle de l’amour de Dieu.

II.- L’Esprit comme un souffle.
Qu’est-ce qu’un souffle ? Quelque chose d’invisible, de tenu, de vital. Ne parle-t-on pas du souffle de vie ? Un grand souffle, le vent, par exemple, est toujours invisible. Il en va de même de l’Esprit, discret et indispensable. Le vent de la Pentecôte est reconnaissable à ses effets, et notamment au bruit violent qu’il provoque – nous l’entendions encore dans les Actes des Apôtres.
L’Esprit-Saint est souvent, dans nos vies, la brise légère plutôt que le grand vent de tempête. S’il est ténu, il n’en est pas moins indispensable. Le psalmiste le chante bien ainsi : « Tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre » (ps. 103). Nous avons reçu cet Esprit à notre baptême et à notre confirmation : c’est lui seul qui, habitant en nous, nous rend capables de dire : « Jésus est le Seigneur ! » (1 Co 12). Est-ce cette phrase ou plutôt ce cri d’émerveillement que les Apôtres ont lancé aux quatre vents dans Jérusalem, à la Pentecôte ? Ce qui intéresse Luc, c’est que chacun des pèlerins étrangers présents ce jour-là dans la ville sainte a été interpellé dans sa langue maternelle, entendez dans tout ce qui fait la matière de nos vies. Jésus « répand son souffle » sur les Apôtres et leur dit : « Recevez l’Esprit-Saint ! ».
Oui, l’Esprit est comme un souffle : il se laisse reconnaître à ses effets ; discret, mais indispensable, il pénètre en nous et nous donne la vie de Dieu.
III.- L’Esprit comme l’eau.
Saint Paul affirme : « Nous avons été baptisés dans l’unique Esprit pour former un seul corps. Tous nous avons été désaltérés par l’unique Esprit ». Nous sommes bien baptisés avec de l’eau et invités à renaître de l’eau et de l’Esprit.
Saint Cyrille de Jérusalem explique aux nouveaux baptisés du IV ème siècle pourquoi le don de l’Esprit est appelé une eau. Il leur dit : « C’est parce que l’eau est à la base de tout ; parce que l’eau produit la végétation et la vie ; parce que l’eau descend du ciel sous la forme de pluie ; parce qu’en tombant sous une seule forme, elle opère de façon multiforme. […] Elle est différente dans le palmier, différente dans la vigne, elle se fait toute à tous. Elle n’a qu’une manière d’être, et elle n’est pas différente d’elle-même. La pluie ne se transforme pas quand elle descend ici ou là mais, en s’adaptant, à la constitution des êtres qui la reçoivent, elle produit en chacun ce qui lui convient ». Et Cyrille poursuit : « L’Esprit-Saint agit ainsi. Il a beau être un, simple et indivisible, il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté. […] Bien que l’Esprit soit simple, c’est lui, sur l’ordre de Dieu et au nom du Christ, qui anime de nombreuses vertus ».
L’Esprit est comme l’eau. Il procure en nous l’ « adoucissante fraîcheur » (Veni Sancte Spiritus) : il « lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé ».

L’Esprit est comme le feu : il nous fait brûler de l’amour de Dieu. L’Esprit est comme un souffle : il nous donne la vie de Dieu. L’Esprit est comme l’eau : il est nécessaire à notre vie de baptisé.
« Viens, Esprit-Saint, en nos cœurs !
Viens en nous, père des pauvres ! Viens dispensateur des dons ! Viens lumière de nos cœurs ! »

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 7ème dimanche de Pâques - 5 juin 2011

Cette petite communauté qui attend la venue de l’Esprit de Dieu nous paraît bien loin de celles dans lesquelles nous vivons. Les conditions ne sont pas les mêmes. Ils sont encore proches de Jésus, apôtres ou disciples qui sont là autour de Marie. La description que donne saint Luc de la réalité vécue par la communauté de Jérusalem n’est peut-être pas celle qui est vécue dans nos communautés paroissiales ou ecclésiales. Ils sont « assidus à la prière »… Nos rassemblements du dimanche connaissent des arrivées tardives, des participations irrégulières, des fidèles parfois éloignés les uns des autres ou regroupés dans les derniers bancs. Le contexte urbain qui est le nôtre montre combien il est de plus en plus difficile de vaincre l’anonymat de la ville et de proposer, malgré tout, un esprit communautaire qui ne sera sans doute en définitive que véritablement vécu par un petit groupe « dévoué ».
En lisant l'évangile de ce dimanche entre Ascension et Pentecôte, nous sommes témoins d’une autre prière encore, celle de Jésus au moment où il va « passer de ce monde à son Père », alors qu’il s’apprête à vivre sa Passion. Parce qu’ils ont vu prier Jésus, parce qu’ils ont prié avec Lui, les apôtres ont appris à prier en vérité. Parce que nous-mêmes, nous nous inscrivons dans la Tradition qui nous vient des apôtres, parce que l’Ecriture ne cesse de nous initier à la prière de Jésus, nous pouvons prier avec eux. Nous partageons le constat des apôtres de ne pas arriver par nous-mêmes à relever le défi de la mission vers laquelle nous envoie le Christ. Alors comme eux, avec eux, plus que jamais, il nous faut prier. Mais en quoi consiste donc cette prière ?

I.- La prière est communion
« Tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi.» Jésus est en communion totale avec le Père. L'ensemble de cette prière extraordinaire, dont nous n’avons lu aujourd'hui que le début, laisse apparaître ce partage d'être, d'amour et de vie, de volonté et de projet entre le Fils et le Père. Non seulement ils sont présents l'un à l'autre, mais une union éternelle les lie totalement : « Tu es en moi et moi en toi. » Cette union, qui surpasse tout ce que nous pouvons imaginer et vivre à notre niveau, nous dit tout de l'intensité de la prière de Jésus. Elle s'identifie complètement à ce que veut et fait le Père.
Nous sommes éblouis, et notre prière, en regard de celle de Jésus, nous semble bien faible et limitée. Souvent, elle n'est faite que de mots enchaînés rapidement et distraitement, sans communication réelle avec le Seigneur.
La vraie prière est communion avec Dieu, parfois dans le silence. Elle est aussi communion fraternelle avec tous les priants et avec celles et ceux qu'elle veut porter. Elle tisse des liens mystérieux entre les êtres, au-delà même de la mort. Elle déborde le temps et l'espace…

II.- La prière est action de grâces
« Je t'ai glorifié sur la terre en accomplissant l'œuvre que tu m'avais confiée. » La gloire dont il est question ici n'a rien à voir avec le faste et les honneurs réservés aux chefs d’Etat, aux grands sportifs ou encore aux artistes importants. Étymologiquement, elle est synonyme de « poids » dans la Bible, donc de consistance, d'être, de présence à soi-même et aux autres. Jésus a rendu Dieu présent et agissant sur la terre. Par son Fils, le Père a vraiment donné toute la mesure de son amour. « J'ai fait connaître ton nom aux hommes. » Dans la tradition biblique, le nom n'est pas autre chose que Dieu lui-même. Jésus a révélé le Père par le témoignage de sa Parole et de son action auprès des humains pécheurs, malades et pauvres ; on pourrait d’ailleurs remplacé dans l’évangile de Jean le verbe « glorifier » par « manifester ». En accueillant ce message efficace et son porteur, les disciples en ont reconnu l'origine : « Ils ont cru que c'était toi qui m'avais envoyé. »
Notre prière est si souvent plainte et cri… Elle en vient à oublier que sa plus belle expression est l'action de grâces, la louange, le merci dans une conscience renouvelée et émerveillée du don de Dieu.

III.- La prière est confiance
Jésus veut protéger ses disciples du « Mauvais ». Il sait combien leur tâche est risquée dans le monde : « Garde-les ceux que tu m’as donnés ! ». Leur fidélité sera sans cesse mise à l'épreuve. Il se soucie particulièrement de leur unité. « Qu'ils soient un ! » La plus grande partie de cette prière après la Cène est intercession pour les disciples de tous les temps. Chacun de nous peut se dire : le Christ a prié pour moi ce soir-là !
La prière pour les autres est une des plus belles expressions d'amour fraternel. Elle est confiance fondamentale en Dieu, parce que nous croyons qu’il peut nous exaucer ; elle est confiance fondamentale en nous-même et en l’autre, parce que nous croyons que Dieu peut agir et nous transformer dans son amour. Certainement, le Christ « se reconnaît » dans cette compassion de celui qui prie pour « ceux qui lui ont été donnés » et qu’il porte devant Dieu.

C’est bien pourquoi nous avons à retourner sans cesse au cénacle pour y attendre l’Esprit Saint, qui seul peut nous donner la force d’aimer. Lorsque le disciple vidé de lui-même est enfin devenu un instrument de l’Esprit, il « connaît » l’Envoyé du Père, qui trouve sa gloire en lui. A son tour le Père le glorifiera en lui donnant part à sa propre vie. Nous ne devenons pas « chrétiens » par la seule profession de foi qui sort de nos lèvres, mais par notre identification au Christ : il s’agit de mourir en lui au vieil homme, afin d’avoir part à sa résurrection dans l’Esprit. C’est en suivant ses traces « dans le monde » que nous nous acheminons vers lui et qu’« il trouve sa gloire en nous ». Cela se joue dans la prière, celle liturgique et communautaire, celle aussi personnelle et quotidienne. Puissions-nous, chers amis, devenir ou redevenir d’authentiques priants ! Puissent d’autres apprendre la prière véritable en nous voyant prier !

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie de la solennité de l'Ascension du Seigneur - 2 juin 2011

En cette fête de l’Ascension, il nous faudrait nous réjouir du départ de Jésus. Les Apôtres, bouleversés il y a peu de temps encore, par le corps suspendu à la croix, réconfortés par la présence nouvelle de Jésus à leurs côtés, se réjouiraient. Nous-mêmes, qui si souvent nous lamentons de savoir où est le Seigneur dans nos vies, et qui ne cessons de le chercher, nous ferions de son départ une fête. Tout cela ne tient pas. On ne se réjouit pas à l’idée du départ d’un ami, d’un proche.
Alors que fêtons-nous ? Nous célébrons non pas notre abandon par Jésus, un Jésus qui s’en irait à son Père comme s’il avait fait son temps ici et qu’il ne pouvait plus rien pour nous, mais nous célébrons son entrée dans la gloire. Par là, nous comprenons mieux encore ce qui est en jeu avec sa Pâque. Jésus n’est pas ressuscité pour ressusciter, un peu comme s’il fallait tout simplement montrer aux hommes que, finalement, Dieu est plus fort, qu’il est même plus fort que la mort. La résurrection de Jésus n’a de sens que dans sa mise en relation avec notre vie. Jésus a été ressuscité pour nous. Il monte aujourd’hui au ciel pour nous. Dès lors, Pâques, Ascension et Pentecôte ne peuvent être séparées. Ce « pour nous » en est le lien. Jésus est ressuscité pour nous rendre à la vie ; il monte au Ciel pour nous conduire au Père ; il nous promet son Esprit pour prendre part à la vie de Dieu.

I.- Une même dynamique pascale.
L’évangile que nous venons d’entendre ne dit rien de la montée de Jésus au ciel. Matthieu nous dit simplement que « les onze disciples s’en sont allés à la montage où Jésus leur avait ordonné de se rendre ». C’est là le seul indice qui nous permet de penser que la scène se déroule tout juste avant l’Ascension. Dans le livre des Actes des Apôtres, Luc, qui en est aussi l’auteur, nous apprend par contre que son premier livre, son évangile, s’arrête « au jour où Jésus fut enlevé dans le ciel après avoir donné, dans l’Esprit-Saint, ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis ». L’évangile de Luc, comme celui de Matthieu, ne vont plus loin. En quelque sorte comme si l’Ascension marquait un point final. Jésus n’est plus.
En fait, l’Ascension marque un nouveau commencement, elle éclaire la résurrection et lui donne sens. Alors que les disciples se prosternent à la vue de Jésus, sur la montagne, certains ont des doutes. Il leur adresse la parole, et, visiblement, tient à les réconforter : « Moi, je suis avec tous les jours jusqu’à la fin des temps ! ». Ce sont là les toutes dernières paroles de l’Evangile.

II.- Une brèche ouverte dans le ciel
L’évangile s’achève sur une brèche ouverte dans le ciel. Jésus a vécu au milieu des siens, il a annoncé le Royaume, il en est mort. Dieu l’a ressuscité. Quarante jours durant il s’est rendu présent aux siens. Les disciples se sont faits à cette idée, à cette présence inédite mais bien réelle. Si telle est la volonté de Dieu, ils sauront s’en accommoder. Tout compte, ils ne sont guère livrés à eux-mêmes. A ce stade, la résurrection de Jésus n’est pour eux que la réalisation des promesses de l’Ecriture et des paroles mystérieuses de Jésus au cours de sa vie terrestre.
Quand il disparaît aujourd’hui à leur regard, la donne change. Ils se rendent bien compte qu’il s’agit là d’un adieu. Les paroles de Jésus prennent la saveur d’un testament spirituel. Ils en sont à ce point sous le choc qu’ils demeurent les yeux rivés au ciel. Malgré le rappel à l’ordre des « deux hommes en vêtements blancs », ils ont raison de di fixer le ciel. Maintenant ils comprennent. Le ciel leur est ouvert, le ciel nous est ouvert. Les anges l’attestent : « Jésus qui a été enlevé du milieu de nous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel ».

III.- Une mission à accomplir
Cet horizon n’est cependant pas encore une actualité. Jésus montre le chemin ; sa montée au ciel rend possible notre propre ascension. Auparavant, il nous faudra répondre à ses consignes : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés ».
Les anges ne somment pas les disciples d’oublier le ciel et ce qu’ils ont vu en les invitant à aller de l’avant, ils les exhortent à ne pas oublier la mission qu’ils ont reçue de Jésus et à ne pas mépriser le monde. La terre devient le champ de la mission désormais à cultiver sans relâche. Mais ils ne pourront mener à bien cette mission qu’en demeurant relier au ciel, c'est-à-dire à Dieu, dans la contemplation et la prière et en gardant les pieds sur terre.

Comme les Apôtres, nous récriminons bien souvent eu cherchant le Seigneur et en pensant qu’il est loin de nous ; comme eux, aujourd’hui, nous voyons le ciel ouvert pour l’accueillir ; avec eux, aujourd’hui nous comprenons mieux que la Pâque de Jésus n’a de sens que parce qu’il est ressuscité pour nous. Comme pour les Apôtres, encore, nous regardons le ciel qui nous attend avec le souvenir des promesses de Jésus : « Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ! ». Nous demeurons jusqu’à la Pentecôte dans le désir de son Esprit pour être ses témoins, les membres du Corps dont il est la Tête.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 6ème dimanche de Pâques (A) - 29 mai 2011

Le temps pascal nous fait revenir à la grâce du baptême ; les cinquante jours, de Pâques à Pentecôte, sont considérés comme un jour de fête unique. D’ailleurs la liturgie a le souci de nous maintenir dans cette tonalité festive : le cierge pascal est allumé à chaque messe dans le chœur de l’église, le dimanche nous nous préparons à la célébration de l’eucharistie en étant marqués de l’eau bénite qui nous rappelle celle de notre baptême. Quand nous disons la foi de l’Eglise nous le faisons en nous souvenant que dans la nuit de Pâques cette profession de foi a renouvelé en nous les engagements de notre baptême. Le texte de la préface de la messe, enfin, mentionne qu’il « est juste et bon de louer le Seigneur mais plus encore en ces jours-ci où le Christ, notre Pâque, a été immolé ». Le temps pascal est bien, chers amis, un temps liturgique d’une particulière densité.
L’apôtre Pierre manifeste le souci, dans sa lettre aux chrétiens de Rome, de leur donner une feuille de route, de leur prodiguer quelques conseils pratiques pour vivre en authentiques disciples du Christ ressucité. Cette préoccupation devrait rejoindre la nôtre : en quoi le fait d’être baptisé me rend-il différent ? Quels sont les choix de vie qui s’imposent à moi ? Ai-je le souci de porter l’annonce implicite et explicite de la Bonne Nouvelle ? Je vous invite à nous arrêter quelques instants sur la feuille de route laissée par Pierre à ses contemporains.

I.- Connaître le Seigneur dans nos cœurs.
L’expérience fondamentale et première de la foi repose sur la certitude que Jésus est vivant et qu’il est à nos côtés. Il faut faire cette expérience-là, avant toutes autres. Saint Pierre nous disait, il y a quelques instants : « c’est le Seigneur, le Christ, que vous devez connaître dans vos cœurs comme le seul saint », c’est-à-dire que c’est lui qui doit occuper dans notre cœur une place à laquelle personne d’autre ne peut prétendre. Pas une place qui évincerait les autres, pas une petite place dans un coin encore disponible, non ! La première place, celle qui n’est en concurrence avec aucune autre, celle qui, au contraire, permet à tous les autres de tenir dans notre cœur. Car Il agit en nous comme ce dynamisme qui nous pousse à aimer en vérité, comme cette force qui repousse toujours plus loin les limites de notre cœur.
Connaître le Christ comme le seul Saint, c’est se mettre à son école, c’est adopter, peu à peu, les mêmes attitudes et sentiments que Jésus lui-même, c’est ne faire plus qu’un avec Lui au point de vivre en Lui comme il vit dans le Père ! Se mettre à l’unisson du Fils ouvre à la compréhension d’une part des relations qu’il entretient dans l’amour du Père, et d’autre part nous entraîne à adopter nous-mêmes ces dispositions de l’esprit et du cœur dans nos relations les uns avec les autres. Jésus est donc bien au centre, à la fois comme enseignement, révélation et invitation à faire comme Lui en toutes choses et en tous lieux.

II.- Rendre compte de l’espérance.
Vous le savez bien : beaucoup, aujourd’hui, pensent et disent, statistiques et sondages à l’appui, que tout va mal dans notre monde : les récentes « émeutes de la faim », comme on les appelle, nous interpellent par exemple quant à la souffrance d’hommes et de femmes de plus en plus nombreux et quant à l’avenir de l’humanité. C’est vrai : nous avons de quoi nous poser bien des questions. Pourtant, chrétiens, il est de notre devoir d’avoir un autre regard sur le monde : nous avons à regarder avec les yeux du cœur et de la foi. Parce que nous en faisons l’expérience dans nos vies, nous savons que Jésus est avec nous. « Si le monde est incapable de recevoir l’Esprit du Seigneur, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas – dit Jésus –, vous, vous le connaissez parce qu’il est en vous ».
Adultes dans la foi, il faut aussi se tenir prêt « à rendre compte de l’espérance qui est en nous ». Ne vous faites pas d’illusions : chrétiens, nous posons question. Vous posez question parce que la majorité de vos amis et de vos connaissances ne tiennent pas ou plus à la foi. Les chrétiens ont toujours été pris dans cette dialectique : ils sont du monde, mais leur patrie est auprès de Dieu. Il vous faudra de plus en plus avoir le courage d’expliquer votre choix « avec douceur et respect » : pas comme les fanatiques qui posent des bombes au nom de Dieu, mais en transpirant de l’amour de Dieu et étant fier de croire en Lui, sans être pour autant méprisant.

III.- Avoir une conscience droite.
A l’heure des magouilles, des petits arrangements, des trafics en tous genres, une fois de plus, les chrétiens font bande à part ! C’est vrai qu’il est tellement plus facile de faire comme tout le monde, de suivre les modes, de ne pas passer pour un « ringard » ! Les chrétiens sont appelés à développer une conscience droite, c'est-à-dire une conscience dont la vérité est le fondement. Dans le langage biblique, la vérité ne s’oppose pas à l’erreur mais à la vanité. Le contraire du vrai, ce n’est pas le faux mais c’est ce qui est vain, futile, trompeur, illusoire, mensonger. Le vrai est une catégorie plus morale qu’intellectuelle. Si le monde ne peut recevoir l’Esprit de vérité, c’est parce qu’il est rempli d’un esprit de suffisance, d’auto-suffisance. Il n’est que « poursuite du vent », comme dit l’Ecclésiaste (1, 14).
La vie droite – mais heureuse ! – que Jésus nous invite à vivre avec Lui posera, elle aussi, question. Et je suis prêt à parier qu’elle fera même changer de route ceux qui nous connaîtront ainsi. « Il vaut mieux souffrir pour avoir fait le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt que pour avoir fait le mal », dit encore saint Pierre.

Connaître le Christ dans nos cœurs, rendre compte de notre espérance, avoir une conscience droite, voilà la feuille de route des disciples du Ressuscité, voilà de quoi nous rendre heureux. Ceux qui se laissent mouvoir par l’Esprit de vérité sont dociles comme le vent de l’Esprit de Pentecôte, et solides comme le roc de la vérité ! Ils n’ont pas de solutions toutes faites et imparables pour toutes choses, mais ils savent que le Christ leur est présent jusqu’à la fin des temps. C’est là l’espérance dont ils rendent compte avec joie.

AMEN.

Michel STEINMETZ †