Sûrement on s’étonne
devant ce petit prodige. Un jeune de douze ans, qui a certes atteint la
majorité religieuse pour le judaïsme d’alors, mais qui, avec un aplomb
déconcertant, répond aux docteurs de la Loi. Nous-mêmes nous pouvons être
impressionnés par la sagesse et l’intelligence qui se dégagent de cet enfant.
Nous pouvons être saisis par sa hardiesse dans une pareille situation.
Pourtant, la pointe de l’évangile n’est pas à chercher dans cette direction.
Ici point de casting pour une émission de télé-réalité, nul « Jérusalem a un
incroyable talent » pour paraphraser un titre devenu célèbre, nul
« Voice kids ». Il y a bien plus.
Le pèlerinage à
Jérusalem en dit long sur l’état d’esprit dans cette famille, tout aussi
atypique qu’elle est sainte. Marie et Joseph respectent scrupuleusement la loi
qui demande dans le livre de l’Exode et du Deutéronome (Ex 23, 14-17 ; 34,
22-23 ; Dt 16, 16) à monter à trois reprises durant l’année en pèlerinage
à Jérusalem. L’occasion est donc religieuse et la démarche spirituelle. On
imagine sans mal cette famille entourée d’une très large parenté insérée à un
« convoi de pèlerins », comme le dit Luc. C’est au retour qu’on en
vient à chercher l’enfant. Peut-être s’est-il mis avec d’autres jeunes de son
âge. Il n’y a aucun reproche d’insouciance à adresser à Marie et Joseph. Ils le
cherchent et leur angoisse grandit au fur et à mesure que les heures passent.
Ils font le chemin inverse et enfin trouvent Jésus au temple.
L’indication des
trois jours n’est évidemment pas anodine. Elle laisse esquisser qu’un mystère se
dévoile à nos yeux, comme à ceux de Marie et de Joseph. Jonas resta jadis
prisonnier du montre marin durant trois jours avant de réapparaître et il en
sera de même pour le Christ avant que ne resplendisse ce que Dieu son Père a
fait pour lui en le réveillant de la mort. D’ailleurs, ici, dans l’évangile du
Luc, la première parole de Jésus, avant même qu’il ne commence son ministère public,
et comme ce sera le cas pour sa dernière parole, est pour nommer son Père. Voilà
la clé de notre compréhension : le Père. Jésus révèle ici le lien intime
qui l’unit à Dieu. A douze ans, il ne peut maîtriser la sagesse des anciens, il
ne peut prétendre ni à leur expérience ni à leur expertise de la Loi. Même doté
d’un don hors du commun, il fait preuve d’une intelligence qui dépasse l’entendement.
Assis sur le parvis, là où se tiennent les docteurs de la Loi et là où il enseignera
lui-même plus tard il converse avec ces spécialistes d’égal à égal, et plus encore :
ceux-là « s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses ».
Il n’est nullement précoce ; la Loi sur laquelle il disserte avec aisance
et assurance n’est pas une parole extérieure pour lui et qu’il aurait apprise. Elle
lui est intime. La Parole de Dieu, c’est sa Parole ! Il est le Verbe de
toute éternité, Parole de Dieu désormais faite chair.
Alors que saint
Bernard de Clairvaux compare l’incarnation à un couffin rempli de la
miséricorde divine que Dieu nous aurait envoyé et que la Passion fera éclater
pour que se répande cette miséricorde, aujourd’hui au Temple ce couffin laisse
entrevoir ce qu’il contient : l’amour d’un Dieu qui vient à notre
rencontre. Marie et Joseph eux-mêmes commencent à percevoir le mystère de la filiation
divine, bien qu’ « ils ne comprirent pas [à ce moment-là] ce qu’il leur disait ».
Ainsi cette scène de
Jésus au milieu des docteurs de la Loi est une révélation, une épiphanie, du mystère
de Dieu en Jésus. Comme l’annonce des anges aux berges, comme les présents symboliques
qu’offriront les mages, comme la colombe et la voix céleste au baptême qui
témoigneront de sa condition de Fils bien-aimé, comme le signe messianique de l’eau
changée en vin à Cana, aujourd’hui Jésus, au temple, révèle qui il est. Soyons comme
Marie et Joseph des témoins de cette scène et entrons avec eux dans ce mystère
d’un Dieu parmi nous. Ne nous arrêtons pas aux pieux sentiments qui nous
feraient nous extasier devant un prodige en herbe. Jésus nous révèle qu’il est
le Fils de Dieu, la Parole de Dieu faite chair.
AMEN
Michel
Steinmetz †