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vendredi 31 décembre 2021

Homélie pour la solennité de l'Epiphanie - dimanche 2 janvier 2022

Devant un certain raidissement des positions, digne parfois d’une guerre des tranchées, et d’un repli identitaire assez typique du catholicisme français, certains donneraient l’impression d’avoir mis Dieu sous cloche. L’Eglise serait une citadelle assiégée et le devoir des bons soldats que nous devrions être serait alors d’enfermer Dieu au donjon en attendant des jours meilleurs. Ce jour la visite des mages vient faire tomber les murs de la forteresse. Car ce jour, celui où nous célébrons l’épiphanie, c’est-à-dire la manifestation du mystère de Dieu en son Fils Jésus, nous redécouvrons que c’est Dieu qui demeure à la manœuvre, toujours et de toutes les manières.


De fait, alors qu’on peut supposer à bon droit que les bergers de la nuit de Noël étaient des croyants juifs, on peut imaginer que le message des anges n’était pas tombé dans des oreilles incultes. L’espérance d’Israël devait leur dire quelque chose. Peut-être la partageaient même-t-ils avec ardeur ? Aujourd’hui l’évangile prend bien soin de préciser, par contre, que les visiteurs sont « des mages venus d’Orient ». La manière dont ils posent leur question à Hérode traduit leur inculture : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? ». Ils ne sont pas mus par leur grande connaissance des Ecritures et des prophéties qu’elles contiennent. Peut-être ne les ont-ils jamais lues ? Ils se fient à une étoile qu’ils ont vu apparaitre dans leur contrée lointaine. De toute évidence ce sont des hommes de science. La rationalité les a mis en route. C’est à la fois leur langage et leur méthode. Nous pourrions penser qu’ils n’ont pas les codes pour aller au Messie de Dieu, et donc qu’ils ne pourront le trouver. Ils ne partagent rien avec Israël, ni la nationalité ni la foi. Ce sont des étrangers et des païens. 


Pourtant Dieu a décidé de parler leur langue et d’utiliser leur méthodologie propre. Par une ingénierie, dont Dieu seul a le secret, il va les guider à Lui. Ils arrivent à l’endroit où l’astre semble s’immobiliser, marquant la demeure de l’enfant recherché. Leur quête n’est donc pas dû au hasard. Là ils comprennent enfin que leur quête dépasse leur entendement à la joie profonde qu’ils ressentent. « Tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. » Leur geste – se mettre à genoux – manifeste leur révérence devant le mystère à eux manifesté. Là encore sans doute n’ont-ils pas les clés pour comprendre précisément et rationnellement ce qui est en jeu. Une fois encore Dieu les précède : par les présents qu’ils offrent à l’Enfant, ils disent, telle une prophétie, qu’il est roi, mais un roi bien différent de ceux du monde ; qu’il est véritablement Dieu car l’encens est le propre de l’offrande au divin ; qu’il sera appelé à être mis au sépulcre car la myrrhe sert à l’ensevelissement des morts. 


Par un effet de singulier retournement, ces hommes, à la poursuite d’un phénomène pour eux inexpliqué, découvrent par l’effet de la grâce Celui qui est à l’origine de tout, la Parole créatrice, le Verbe de Dieu. Et comme pour montrer ce retournement, les mages-scientifiques s’en retournèrent par un autre chemin, car ils comprirent que leur attente a été dépassée par cette rencontre et qu’il y a ici bien plus que le roi des Juifs. L’expérience des mages rejoint celle qu’évoquait Paul de la deuxième lecture ; lui qui expérimenté ce « en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. »


Alors que par un noble effet de peur, de préservation, de mise en sécurité, nous pourrions être tentés de garder Dieu pour nous, de n’en livrer le mystère qu’à celles et ceux que nous jugerions capables et dignes de le recevoir, les mages venus d’Orient nous rappellent avec force combien l’épiphanie de Dieu ne connaît pas de limites. Contemplons ce mystère dans l’humilité et dans la gratitude d’en être nous aussi illuminés. « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile », sans exclusion.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


Homélie pour la solennité de Sainte Marie, mère de Dieu - 1er janvier 2022

Notre société se bat avec sa mémoire. Ou bien qu’elle n’arrive pas à s’en défaire ou bien qu’elle est atteinte dans sa capacité à se souvenir. De fait, certaines institutions civiles et politiques créent à l’envi des organismes chargés de veiller à la dimension mémorielle de la société, y compris dans notre Ville avec une « mission » rassemblant tout azimut les « cultes » et la « mémoire » !, tandis que, par ailleurs, on ne cesse de pointer le déficit de cette capacité mémorielle. Les prochaines échéances électorales que connaîtra notre pays ce printemps en seront, à n’en pas douter, un nouvel et triste exemple. Pourtant nous ne cessons de déplorer une certaine amnésie qui, inexorablement, nous pousse à retourner dans les ornières des erreurs passées.

Saint Jean XXIII, au moment d’ouvrir le Concile Vatican II, parlait de l’Histoire comme « maîtresse de vérité ». Il s’agit non pas tant de considérer l’Histoire comme un carcan duquel nous serions prisonniers car bridant toute évolution possible, mais de l’envisager comme un substrat duquel on ne peut se passer au risque d’errer, voire d’aller à sa perte.


Depuis huit jours, cette Octave de Noël nous aura fait rencontrer à nouveau des figures bibliques de « mémoire » au sens le plus honorable du terme. En effet, toutes et tous ne cessent de méditer ce qui leur a été donné de vivre comme une force qui les pousse et les motive aujourd’hui. L’évangéliste Luc s’attache tout particulièrement à nous les présenter : ainsi Marie « qui retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » ; les bergers qui ; « après avoir vu », « racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant ». Nous sentons combien, dans l’Ecriture, la mémoire est toujours nécessaire. Elle impose de se souvenir de ce que Dieu fait pour nous. Déjà dans l’Ancienne Alliance, cette faculté est indispensable de la foi. Le Peuple l’a bin compris quand il ne cesse de faire mémoire des hauts-faits et des bénédictions de Dieu. La première lecture nous le rappelait : ses paroles de bénédiction ne cessent de marquer, aujourd’hui encore, le judaïsme et sont pour nous un rappel à ne jamais oublier. 


Se souvenir, cependant, ne saurait suffire dans le registre de la foi. Le croyant ne peut s’estimer en règle avec ce seul devoir de mémoire. Le Christ qui l’appelle exige de lui qu’Il le suive. Ainsi les bergers ont à cœur, nous l’entendions, de « raconter », c’est-à-dire de faire le récit des événements. Sans doute ne l’ont-ils pas fait de manière froide et détachée, mais bel et bien de la manière dont ils ont eux-mêmes été touchés et saisis par le mystère qu’ils ont contemplé. Frères et sœurs, nous avons perdu cette capacité à « faire le récit ». Dans nos communautés mais aussi, et tristement, dans nos familles. Quels grands-parents prennent-ils encre le temps de « raconter » à leurs petits-enfants le monde de leur jeunesse et la façon dont ils ont vécu les soubresauts de l’Histoire et ses grands moments ? Car le monde d’aujourd’hui est certes différent, son rythme s’est accéléré, les techniques ont fait des bonds prodigieux, mais c’est la même histoire qui nous relie. En matière de foi, cette mise en récit est de l’ordre du témoignage : non ce que j’ai appris, non ce que je devrais redire, mais d’abord la manière dont je ressens que Dieu m’a touché et qu’il s’est fait proche de moi. Le récit des bergers ne laisse pas indifférent puisque « tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers ».


« Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé », poursuit saint Luc. C’est ainsi que la mémoire conjuguée à la mise en récit – au témoignage, dirions-nous – produit la louange. Ces hommes ne sont pas seulement éblouis ou ébahis de ce qu’ils ont vécu : une joie profonde les envahi tau point que la louange déborde d’eux-mêmes. Puissions-nous sortir, frères et sœurs, d’une amnésie spirituelle qui nous pousse au défaitisme ! Oui l’année qui nous venons de quitter aura été marquée par des crises, y compris au niveau ecclésial. Nous ne devons balayer cela du revers de la main comme on tournerait la page d’un livre. Mais nous allons conserver tout cela dans notre cœur, car Dieu nous en dévoilera tout le sens. 


AMEN. 


Michel STEINMETZ †


jeudi 23 décembre 2021

Homélie pour la fête de la Sainte Famille (C ) 26 décembre 2021

Quand le Fils de Dieu vient prendre chair de notre nature humaine, il ne le fait pas à moitié. Il ne la survole pas, il n’en retient pas seulement les aspects les plus reluisants. Aujourd’hui nous retrouvons l’enfant, laissé hier dans la mangeoire avec ses vagissements de nouveau-né, devenu adolescent. Comme un véritable adolescent, il n’est guère soucieux de ses actes : peu importe si ses parents s’angoissent devant sa disparition. Comme tout adolescent, il ne connaît guère de limites : il converse d’égal à égal avec les docteurs de la Loi dans le Temple. Comme un adolescent frondeur, il se montre taquin devant l’angoisse de ses parents : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? ». Jésus, l’Emmanuel, Dien-avec-nous, ne fait pas semblant de partager notre humanité, il l’assume dans toutes ses dimensions, y compris celles délicates – et c’est un euphémisme – de l’adolescence. Le récit que nous venons d’entendre nous présente à la fois une manifestation du mystère de Jésus et l’incompréhension de ses plus proches.

 

Manifestation, tout d’abord. Que cette famille se soit rendue à Jérusalem pour la Pâque, rien d’étonnant. Que cela ait duré huit jours, rien d’étonnant non plus : les deux fêtes réunies de la Pâque et des Azymes qui n’en faisaient déjà plus qu’une duraient effectivement huit jours. Mais c’est la suite qui est étonnante : le jeune garçon reste au Temple sans se soucier, apparemment, de prévenir ses parents ; eux quittent Jérusalem avec tout le groupe, comme chaque année, sans vérifier qu’il est bien du voyage. Cette séparation durera trois jours, chiffre que Luc précise, bien sûr, intentionnellement. Cette indication laisse esquisser qu’un mystère se dévoile à nos yeux, comme à ceux de Marie et de Joseph. Jonas resta jadis prisonnier du monstre marin durant trois jours avant de réapparaître et il en sera de même pour le Christ avant que ne resplendisse ce que Dieu son Père a fait pour lui en le réveillant de la mort. D’ailleurs, ici, dans l’évangile du Luc, la première parole de Jésus, avant même qu’il ne commence son ministère public, et comme ce sera le cas pour sa dernière parole, est pour nommer son Père. Voilà la clé de notre compréhension : le Père. Jésus révèle ici le lien intime qui l’unit à Dieu. A douze ans, il ne peut maîtriser la sagesse des anciens, il ne peut prétendre ni à leur expérience ni à leur expertise de la Loi. Même doté d’un don hors du commun, il fait preuve d’une intelligence qui dépasse l’entendement. Assis sur le parvis, là où se tiennent les docteurs de la Loi et là où il enseignera lui-même plus tard il converse avec ces spécialistes d’égal à égal, et plus encore : ceux-là « s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses ». Il n’est nullement précoce ; la Loi sur laquelle il disserte avec aisance et assurance n’est pas une parole extérieure pour lui et qu’il aurait apprise. Elle lui est intime. La Parole de Dieu, c’est sa Parole ! Il est le Verbe de toute éternité, Parole de Dieu désormais faite chair.

 

Incompréhension, ensuite. L’évangile nous suggère que Marie, elle-même, ne comprend pas tout, tout de suite : elle retient tout et s’interroge, et elle cherche à comprendre. « Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. » Après la visite des bergers à la grotte de Bethléem, nous lisions déjà : « Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 2,19). Luc nous donne là un exemple à suivre : accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, mais laisser se creuser en nous la méditation.

 

La dernière phrase du récit de Luc donne à réfléchir : « Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes.» Cela veut dire que Jésus lui-même, comme tous les enfants du monde, a besoin de grandir ! Le mystère de l’Incarnation va jusque-là : ce qui signifie d’une part que Jésus est complètement homme, et d’autre part que Dieu a la patience de nos maturations : pour lui, mille ans sont comme un jour. (Ps 89/90). Contempler Jésus au Temple, c’est paradoxalement contempler les profondeurs de l’âme, même adolescente, que Dieu vient remplir de sa présence, et nous rappeler que toute vie, vie humaine et spirituelle, est toujours une croissance. Mais Jésus ne fait rien dans l’éloignement par rapport à son Père. C’est là la clé pour notre propre croissance dans l’Esprit.


AMEN

                                                                                                          

 Michel Steinmetz

Homélie pour la messe du jour de Noël - 25 décembre 2021

L’impatience nous caractérise. En ces temps, peut-même plus encore qu’à d’autres. Impatience des derniers jours à l’attente de ces moments de fête ; impatience devant les retrouvailles familiales ; impatience de pouvoir à nouveau accéder avec tranquillité au centre-ville ; impatience de pouvoir se défaire de nos masques ; impatience de voir ce virus enfin s’éloigner de nous ; impatience que quelque chose enfin dans notre société… Chacune et chacune pourra se reconnaître dans ces impatiences et les égrener à l’envi en rajoutant les siennes. Bref : nous sommes des êtres impatients. Et la Bible elle-même est remplie de gens impatients. Nous en avons croisé ces derniers dimanches du temps de l’Avent : prophètes qui s’époumonent à annoncer l’imminence du Règne de Dieu, foule des disciples qui accourent à Jean-Baptiste. Toutes et tous attendent un changement radical. Quelle sera la réponse de Dieu ? Un signe banal et insignifiant d’un petit enfant naissant au sein famille atypique, et couché dans une étable. Rien de plus. A l’impatience multi-séculaire, Dieu répond par la patience.

 

Déjà, « à bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils ». Maintenant pour répondre à l’impatience, et surtout à la surdité et à la cécité des hommes qui n’ont su reconnaître les signes de sa présence, Dieu décide, de manière plénière et achevée, de se donner lui-même en son fils Jésus. La divinité rejoint l’humanité. Dieu devra s’habituer à être homme pour nous sauver. Saint Irénée de Lyon l’a admirablement exprimé : « Oui, c'est le Verbe de Dieu, qui a habité en l'homme, et qui s'est fait fils de l'homme, pour habituer l'homme à recevoir Dieu, et habituer Dieu à habiter en l'homme comme cela paraissait bon au Père. ».

 

Il y a donc une accoutumance réciproque qui suppose aussi que nous nous habituions à la divinité. C’est une chose de la réclamer, de la désirer, c’est autre chose de vivre avec ! Cette pédagogie de Dieu va agir comme une sorte de rééducation pour nous permettre de redevenir ce que nous sommes à l’origine, non des handicapés du péché, mais des porteurs de la grâce. « Comme un médecin fait ses preuves auprès des malades, ainsi Dieu se manifeste aux hommes », écrit encore Irénée. Et de poursuivre : « car nous ne pouvons être sauvés par nous-mêmes, mais par le secours de Dieu ». L’homme reçoit la mission de devenir « imitateur de Dieu ». Il est difficile cependant d’imiter ce qu’on ignore. Voilà pourquoi Dieu consent à ce que le Verbe devienne chair. Sa Parole, celle qui a créé l’univers, par un renversement inimaginable, va consentir en prendre corps. Ce Verbe de Dieu, chanté par Jean au début de son Evangile, « s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. ». En Jésus de Nazareth, aujourd’hui petit-enfant de la crèche, mais déjà rayonnant de la gloire de Père, nous permet à sa fréquentation de redevenir ce que nous sommes.

 

Que sommes-nous donc ?, me direz-vous. Et qu’avez-vous à redevenir ? Ces femmes et ces hommes qui, déjà, se savent fondamentalement aimés de Dieu et accueillis de lui. Nul n’est rejeté. Chacune et chacun a sa place auprès de lui. Il est vrai que nos existences, nos fragilités, les blessures de la vie peuvent nous entraîner à déformer ce que nous sommes en réalité : des personnes bonnes et capables du bien. Dieu ne souffre pas que nous restions enfermés avec de telles séquelles. Alors « à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu. ».

 

Resterez-vous avec vos impatiences ou consentirez-vous à voir comment Dieu, en sa patience, y répond ? Accepterez-vous de vous habituer à lui, comme il l’a fait pour vous ? Vous êtes des enfants de Dieu, c’est l’image que vous renvoie l’enfant de la crèche.

 

 AMEN.

 


Michel Steinmetz

Homélie pour la messe de la nuit de Noël - 25 décembre 2021

Que vous soyez petit ou grand, peut-être – sans doute même – avez-vous, ces derniers jours, songé au cadeau que vous alliez recevoir à Noël… Cadeau désiré, voire dont le désir aura été clairement exprimé mais sans savoir s’il sera exaucé ; cadeau auquel vous ne vous attendrez absolument pas ; voire cadeau qui entraînera déception… Mais ce présent d’une manière ou d’une autre vous sera offert pour que vous le receviez. Les plus petits sont mangé par l’impatience et les adultes que nous sommes reçoivent en retour le cadeau de ces yeux scintillants de joie au moment de déchirer les emballages. Noël, c’est avant tout le cadeau que Dieu nous fait de lui-même. Mais pas seulement. Car cette libéralité divine entraîne son lot de conséquences, dont nous ne mesurons sans doute pas assez les effets. Ainsi, saint Paul, nous l’entendions, emploie une parole quelque peu mystérieuse : « il s’est donné pour nous… afin de faire de nous un peuple ardent à faire le bien ». Le bien : serait-ce là le cadeau de Dieu en cette nuit ?

 

En des temps où la métaphore médicale et vaccinale est de mise, je ne vais donc pas m’en priver, et vous voudrez bien m’en excuser. En naissant en effet dans le monde, le Fils de Dieu nous apporte en lui-même un bien qui régénère l’humanité de l’intérieur. Il n’agit pas comme un agent extérieur qui viendrait remettre une nouvelle couche de vernis en des endroits où il se serait craquelé. Le Fils de Dieu fait beaucoup plus : il inocule dans l’humanité ce qui semblait lui faire défaut. Alors que son immunité collective, sa propension à faire le bien, s’était dangereusement fragilisée, il vient stimuler son système immunitaire pour qu’à nouveau le mal puisse être rejeté et le bien choisi. Cela se passe discrètement, comme souvent avec Dieu, dans l’humilité d’une étable de Bethléem avec pour seuls témoins des bergers, c’est-à-dire les parias du moment, des quasi-SDF. Le ciel, lui par contre, ne s’y trompe pas : il sait ce qu’il se passe et combien ce changement sera déterminant. « Il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu… ».

 

De fait, l’homme et la femme avaient été créés pour le bien, dès le jardin de la Genèse, là où Dieu reconnut lui-même « que tout cela était très bon ». L’exercice périlleux mais indispensable de la liberté avait conduit Adam et Eve a succombé aux tromperies du Malin, pensant mieux savoir que quiconque ce qui serait bien pour eux. Cette apparente liberté n’était qu’une soumission. De nos jours, nous constatons combien l’exercice de la liberté peut être entaché par les idéologies, les complotismes, les pseudo-savoirs. Celles et ceux qui croient détenir l’information capitale sont prisonniers de ce que d’autres veulent qu’ils croient. Cela n’est pas bien. Et cela n’est pas le bien. Dieu n’est pas venu à notre rencontre pour une telle réduction. Comment alors mesurer le bien ? Il est clair qu’il se dessine et se construit dans notre conscience, pour peu que nous laissions l’Esprit-Saint l’éclairer. Le bien, cependant, se mesure aussi aux frontières de l’égoïsme qu’il sait nous faire franchir. Le bien est toujours supérieur à la somme de nos intérêts personnels. Peut-être même quand il s’agit de se faire vacciner pour soi et les autres…

 

Le bien, enfin, est un mouvement, une propension de la grâce manifestée en Jésus à venir infuser notre âme. Le bien, quand il est « bien », se diffuse et se répand. Voilà pourquoi Paul parle de « faire le bien ». Ce soir, frères et sœurs, nous ne sommes pas rassemblés pour fêter un anniversaire, aussi illustre soit-il, ni encore pour nous souvenir d’un événement insigne de l’histoire des hommes. En célébrant la venue du Christ au milieu de nous, nous nous souvenons que le bien qu’il est venu nous inoculer est un antidote efficace contre le mal : il « nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété ».

 

Cela passera à la fois par la manière dont nous accueillerons le cadeau de Dieu pour nous, et par la manière dont nous en vivrons en vivant pour les autres, sans jamais épuiser la « grâce manifestée » et reçue. Comment ne pas se réjouir d’un tel vaccin capable de venir à bout de tous les maux du monde que nous sommes prompts à dénoncer ?


AMEN. 


Michel Steinmetz

vendredi 17 décembre 2021

Homélie pour le 4ème dimanche de l'Avent (C) - 19 décembre 2021

Avez-vous déjà fait l’expérience sonore de l’écho ? Vous êtes en haute montagne et, ou bien que vous criiez, ou bien que vous l’entendiez, vous produisez ou recevez le fruit de l’écho. Une parole projetée à flanc de montagne et qui ne finit pas de rebondir. Parole lancée et qui se transmet en se répétant. Figurez-vous que le détail donné par l’évangéliste Luc et qui nous rapporte que Marie se met en route « avec empressement vers la région montagneuse, dans une ville de Judée » m’a fait songer à ce phénomène d’écho… Non que Marie ait crié dans les montagnes lors de son périple, mais que la Parole qu’elle porte en son sein, le Verbe qui va prendre chair, ne cesse de se lancer au milieu de nous.


Le premier écho nous vient en fait de très loin. Aux premiers temps de la Création, la Parole de Dieu est lancée : elle va structurer le chaos pour en faire le cosmos. En séparant les éléments – le jour et la nuit, la terre et la mer…-, elle va organiser la création au point que Dieu lui-même reconnaîtra que tout cela « bon ». En faisant alliance avec un peuple, en le mettant en marche avec Abraham, en le délivrant de l’oppression avec Moïse, cette Parole se révélait une fois encore efficace et libératrice. Et avec elle se transmettait comme un écho la promesse qu’adviendrait le jour où Dieu, enfin, enverrait Celui qui serait la paix définitive « au jour où enfantera celle qui doit enfanter ».


Cette promesse est gravée au plus profond du cœur d’Israël, comme une espérance prête à sourdre. Les prophètes n’ont cessé d’annoncer l’imminence du jour de Dieu ; en ce temps de l’Avent, nous avons pour une part réétendu leurs appels. Cette prédication s’est comme cristallisée avec celle du Baptiste criant l’imminence du Règne de Dieu et l’urgence de la conversion. Mais déjà auparavant deux femmes, en parenté, Marie et Elisabeth avaient compris avec l’intelligence de leur foi que les temps étaient mûrs pour la moisson. Dieu, par elles et avec elles, était en train de préparer quelque chose qui les dépassait de loin. Chacune devait alors méditer, prier, essayer de comprendre sans le pouvoir. Marie, en chemin, sent que cette Parole la travaille de l’intérieur et qu’elle ne cesse de prendre corps. Elle avait d’ailleurs répondu à l’ange-messager : « Que tout se passe pour moi selon ta parole ». Grâce à elle la prophétie de Michée allait s’accomplir.


Quand Marie arrive à bon port, elle salue sa cousine Elisabeth. Nous ne savons pas en quels termes, car Luc ne les mentionne pas, mais ces paroles produisent quelque chose en elle car l’enfant qu’elle porte tressaille alors. C’ets un peu comme si la parole de Marie avait trouvé écho en Elisabeth et qu’Elisabeth avait dû attendre cet écho pour pouvoir s’exprimer à son tour. Ou plutôt c’est comme si la parole lancée au-dedans de Marie par le Seul qui puisse bénir, car Il est lui-même bénédiction, avait commencé par rebondir en Marie pour ricocher en direction d’Elisabeth et jusqu’en ses entrailles. Alors la réponse devient possible. La bénédiction dans la bouche d’Elisabeth s’adressant à Marie « bénie es-tu entre toutes les femmes » est une bénédiction toute célèbre que le judaïsme répétait et répète encore chaque année en souvenir de celle que le peuple hébreu adressa à Judith, cette femme qui, seule, là où les armées d’Israël avaient échoué, sauva tout son peuple d’un anéantissement certain. Voilà qui est Marie, explique Luc à ses auditeurs. Et voilà encore comment la Parole de Dieu ne cesse de résonner en produisant son fruit. 


Frères et sœurs, demandons-nous comment la parole de Dieu fait écho en nous ? Car pour l’accueillir, et ce temps de l’Avent a voulu et veut encore à nous y préparer, il nous faut la lancer rebondir et ricocher. Et sans doute, comme en montagne à l’écoute de l’écho, nous arrêter un instant au moins pour l’entendre et nous émerveiller. Nous arrêter ? est-ce seulement possible en ce temps de préparatif à Noël ? Oui, si vous le décidez. 


AMEN.

Michel STEINMETZ †


samedi 11 décembre 2021

Homélie pour le 3ème dimanche de l'Avent "Gaudete" (C) - 12 décembre 2021

En général les prophètes comme Jean Baptiste annoncent des personnes plus importantes qu’eux! Et dans l’évangile que nous venons d’entendre, la foule se demande si Jean n’est pas la personne la plus importante. Elle se méprend donc sur son identité et opère un détournement. Elle l’appelle son maître, et lui demande ce qu’elle doit faire. Mais finalement, Jean leur annonce qu’il y a encore plus grand que lui, et qu’il est là simplement pour nous conduire au Christ. C’est cela le baptême que Jean amène : annoncer en nous, qu’il y a plus grand que nous.


Cependant, la méprise première de la foule est avant tout de croire que ce qu’elle doit faire est une question simplement d’éducation. Sa méprise est de croire que si elle savait vraiment ce qu’elle devait faire, elle le ferait ! Et sur ce point, la réponse de Jean Baptiste est extraordinaire. Il dit à ceux qui se font baptiser ce qu’ils savent déjà ! Il ne leur apprend rien. Il demande aux soldats et aux collecteurs d’impôt ce qui est à leur portée, ce qui est à leur mesure.  « Ne faites ni violence ni tort à personne ; et contentez-vous de votre solde. » Rien de bien extraordinaire là-dedans.  Alors, sur quoi la foule se méprend-t-elle ?  Elle pense que la source de ce qu’ils doivent faire et du changement est dans l’enseignement de Jean, et pas dans la joie qui leur est promise ; cette joie de la Bonne Nouvelle qui doit maintenant devenir le principe de leurs actions. Le discours du Baptiste n’est pas premier. Ce qui est premier c’est Celui qu’il désigne. C’est un peu comme ceux qui, dans nos paroisses, s’attachent tellement à tel ou tel prêtre ou même ne vont plus du tout à la messe lorsqu’un autre prêtre célèbre. Ou encore les personnes qui s’attachent à telle personnalité charismatique, que cette personne devient pour eux plus importante que le message qu’elle porte. C’est à se demander si le Christ, tel qu’il est annoncé ou reçu, demeure encore au cœur de l’annonce. 


Aujourd’hui, nous sommes invités à découvrir que la source de notre agir est dans la joie, et non dans le commandement. « Réjouissez vous », nous dit Paul. « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ». Et le livre de Sophonie insistait déjà sur cette joie : « Le Seigneur est en toi... Il aura en toi sa joie et son allégresse ». Alors, la question « que devons-nous faire ? » ne doit plus prendre simplement sa source dans un enseignement, dans ce qui nous est demandé de faire, mais dans notre espérance et notre joie ! Attendre la venue du Christ à Noël, c’est attendre plus qu’une réponse à la question « que devons-nous faire ? »  Jean nous donne plus qu’un message de repentance et d’action. Il annonce Celui qui nous amène sa joie, qui doit devenir la source de nos actions. 


La mère de notre conduite doit être la joie, pas le commandement de ce que nous devons faire. Alors, réjouissons-nous ! Peut-être plus facile à dire qu’à faire en des temps troublés où nous aimerions nous raccrocher à des choses claires et bien établies. Ce que nous devons combattre, c’est donc cette absence de joie et ce désespoir radical, qui n’arrive pas à voir Dieu dans son lieu natal, en l’homme et en sa capacité à se transcender et à aimer ! Porter l’Evangile, ce n’est donc pas transmettre un contenu, mais permettre un relèvement, capable de transfigurer la tristesse en joie, permettre à chacun une nouvelle naissance qui conduit à l’espérance d’une joie qui ne passera pas. Noël est là pour nous faire découvrir en l’autre, dans la surprise de son être, la vraie clé de notre bonheur. Comme le dit Bernanos, le secret du bonheur, « c’est être capable de trouver sa joie dans la joie de l’autre. » La joie partagée conduit à ce bonheur qui ne finit pas. 


Par conséquent, aujourd’hui nous est offert quelque chose de plus profond pour nous distinguer qu’un commandement : c’est notre joie capable de transfigurer la tristesse, une  espérance en cette joie qui ne finira pas ! C’est à cela que nous devons désormais conduire nos frères et sœurs. Frères et sœurs, avez-vous la joie de l’Evangile inscrite dans votre cœur ? Pas une joie mielleuse qui ne prend pas en compte ce que nous sommes et nos fragilités. Mais une joie à notre mesure, et qui paradoxalement dépasse tout ce que nous pouvons imaginer et traverser.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


samedi 4 décembre 2021

Homélie pour le 2ème dimanche de l'Avent (C) - 5 décembre 2021

Quand l’évangile de Luc nous annonce la mission de Jean-Baptiste, il prend soin d’énoncer très clairement le cadre géographique et historique de cette mission : non seulement qui est empereur à Rome, mais encore gouverneur en Judée, celui qui a le pouvoir en Galilée, au pays d’Iturée et de Traconitide, en Abilène, et puis les deux grands prêtres qui ont le pouvoir au grand Sanhédrin à Jérusalem : Hanne et Caïphe. De tous ces personnages, on trouve trace dans l’histoire universelle. Ils situent l’intervention de Dieu dans un cadre défini d’espace et de temps, dans des événements historiques repérables. Le chemin de Dieu va concrètement s’esquisser au cœur de la vie tumultueuse des hommes. Pas de manière extérieure ou extraordinaire, mais en traversant l’histoire. C’est là que Dieu y révèle son salut. Le christianisme est donc une religion historique, non une sagesse intemporelle ni une fuite du monde. Le chemin triomphal du retour dont parle le prophète Baruc et le chemin aride au milieu du désert, et toujours à reprendre, qu’annonce Jean le Précurseur, sont les voies que Dieu emprunte pour nous permettre d’aller à lui. Et ce cheminement exige trois attitudes que désignent trois verbes issus des lectures que nous venons d’entendre : cheminer, discerner et continuer.


Cheminer. Cela tombe sous le sens. Car sans mouvement, aucun progrès possible. Le sur-place ou l’immobilisme ne conduisent qu’à l’atrophie. Or nous savons qu’il est impérieux de préserver notre capacité motrice, tant physiologiquement que spirituellement. On peut donc s’étonner que certain prêchent aujourd’hui, en parfaits gardiens du temple, et appellent de leurs vœux une situation de statuquo qui serait, pensent-ils, salutaires. Je fais allusion, vous l’aurez compris, à la situation ecclésiale que nous connaissons et devons affronter avec lucidité. Or l’Ecriture ne cesse d’indiquer l’impérieuse nécessité pour nous d’être en marche. Non comme une fuite en avant, pour se dessaisir d’un passé nauséabond, mais en réponse à aller plus loin, c’est-à-dire plus près du Christ qui est le Chemin, la Vérité et la Vie. Dieu trace ce chemin, comme il le fait contempler à Jérusalem enfin capable de retrouver sa joie en voyant revenir de loin les déportés au temps de l’exil. 


Discerner. Le chemin annoncé par Jean-Baptiste appelle le discernement. « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. » En effet, au cœur du désert, on n’a guère de mal à comprendre qu’un tel sentier ne soit pas une piste longiligne, bien balisé, voire bitumée. C’est un tracé toujours à reprendre quand il tend à s’effacer sous l’effet des vents et des sables. C’est une voie toujours à nettoyer pour qu’elle demeure visible. Il en est ainsi de nos vies. Les sentiers de notre cœur tendant à disparaître sous les salissures du péché qui voudraient nous perdre dans des méandres et des impasses sans Dieu. C’est ce que le Baptiste nomme la « conversion ». Et la conversion exige un « discernement » au sens où notre conscience, éclairée de l’Esprit-Saint, nous montre les chemins à emprunter et ceux qu’il convient d’éviter. Elle demande de notre part une volonté, non de se laisser porter au gré des évènements plus ou moins chaotiques de nos vies, mais de prendre nos destinées en main.


Continuer. Evidemment cela s’entend au sens premier où l’n n’a jamais fini de prendre et reprendre le chemin vers Dieu, chemin de conversion, pour nous accorder à Lui. Mais cela s’entend aussi au sens où, par ce chemin, Dieu continue son œuvre en nous. « J’en suis persuadé, dit l’apôtre Paul, celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus. ». Il peut arriver que nous désespérions de nous-mêmes. N’oublions pas que Dieu nous accompagne, pour peu que nous le voulions bien. Si nous nous laissons conduire par sa grâce, alors nous faisons qu’il mènera à son terme ce qu’il a commencé en nous. 


Cheminer, discerner, continuer. Trois verbes que nous allons emporter avec nous maintenant. Ils nous permettront de parvenir à un quatrième : « progresser ». Nous progresserons dans l’amour. C’est là l’essentiel. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 26 novembre 2021

Homélie pour le 1e dimanche de l'Avent (C) - 28 novembre 2021

Jésus annonce des faits terrifiants, dignes d’un film-catastrophe ou de science-fiction. Ce que nous vivons correspond-il à ces apparentes prédictions ? Face aux défis du réchauffement climatique, on nous appelle à la raison, et il faut nous appeler à la raison pour essayer de maîtriser la destruction de la planète. On nous appelle à la résistance, et il faut nous appeler à la résistance pour que nous ne cédions pas à la peur. On nous appelle à la prudence, et il faut redoubler de prudence face à un virus qui voudrait revenir, une fois encore. Mais Jésus, nous l’entendions, ajoute : « Quand vous verrez tous ces événements, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption est proche » (Lc 21,28). 


Mais de quels événements parlent-ils au juste ? Faut-il les comprendre comme des signes ? Si ce sont des signes, cela veut dire qu’ils nous appellent à quelque chose. Ce qu’ils nous appellent à voir, c’est « le Fils de l’homme qui vient avec puissance et grande gloire » (Lc 21,27). Vous vous direz : mais si le Fils de l’homme vient avec « puissance et grande gloire », comment toutes ces choses-là peuvent-elles arriver ? Vous oubliez que le Fils de l’homme est déjà venu avec puissance et grande gloire, et cela ne l’a pas empêché de mourir sur la croix. Au contraire, c’est dans l’offrande qu’il a fait de sa vie que sa puissance et sa gloire se sont manifestées par la résurrection. Si le Fils de l’homme vient à nous à travers des épreuves diverses, c’est pour aiguiser notre foi, c’est pour solliciter de notre part un acte de confiance dans la fidélité de Dieu. Et emprunter le chemin qu’il a consenti à emprunter pour nous sauver.

Beaucoup de nos contemporains s’étonnent en se demandant : quelle terre allons-nous laisser à nos enfants ? D’autres sont saisis de peur en voyant comment des jeunes qu’ils connaissent ou qu’ils ont connus, ont pu être dévoyés vers un chemin de mort. Il n’en est pas ainsi pour nous, car notre confiance est dans celui qui vient : le Christ Jésus. Avec lui, nous pouvons traverser les ravins de la mort sans craindre aucun mal. Avec lui nous pouvons affronter les tempêtes et les ouragans sans péril. A ces événements qui marquent l’histoire des hommes à chaque génération, nous avons notre part, comme nos pères ont eu la leur et nos enfants auront la leur. Ils sont d’abord un appel à reconnaître le Christ qui vient au plus près des pauvres, des blessés, des victimes et leur permet de se remettre debout devant lui. Mais pour que nous puissions discerner cette présence du Christ dans les événements, il faut que notre esprit soit éveillé, vigilant, attentif. Car quand on ne fait attention à rien, ou qu’on ne regarde que soit, on finit par ne plus rien remarquer d’autre. L’Avent nous invite non à nous replier sur nous-mêmes mais à aller vers les autres. Pour cela, il faut que toujours, nous soyons en communion avec le Christ, pour sentir comment il est présent dans notre vie. Ce que j’ai évoqué de l’histoire des hommes rejoint l’expérience de chacun et chacune d’entre nous. Nous aussi, nous traversons nos tempêtes et nous portons nos blessures. Comment reconnaître la présence aimante de Dieu à travers les épreuves de notre vie si notre cœur n’est pas éveillé, si notre prière n’est pas permanente, durable, fidèle ? Si nous oublions de lever les yeux vers le Seigneur, comment reconnaître le Seigneur sur la terre ?


Cette vigilance et cette prière auxquelles le Christ nous invite pour le reconnaître quand il vient, nous pouvons aussi les exercer les uns envers les autres, comme saint Paul le rappelle dans l’épître aux Thessaloniciens : « Entre vous, et à l’égard de tous les hommes, que le Seigneur vous donne un amour de plus en plus intense et débordant » (1 Th 3,12). Cette vigilance de l’esprit et cette attention du cœur transforment notre manière d’être les uns avec les autres, nous rendent plus fraternels, plus proches, plus aimants de chacun et de chacune.


En ce temps où nous marchons vers Noël, que la lumière du Christ éclaire notre route et nous fasse sentir combien il est présent à travers les incohérences, les ruptures, les violences dont nous sommes témoins, combien « il vient avec puissance et grande gloire » (Lc 21,27). 


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 19 novembre 2021

Homélie pour la solennité du Christ, roi de l'univers (B) - 21 novembre 2021

Quel contraste n’y a-t-il pas entre la vision rapportée par le prophète Daniel et le récit de l’évangile ? D’un côté, la vision grandiose d’un Fils d’homme venant des nuées et établissant un règne sans fin, de l’autre un Fils d’homme, traduit devant le tribunal inique de ses semblables, sans armées et esseulé. Pourtant c’est bien du même Seigneur dont il s’agit. Car sa puissance et son royaume ne peuvent s’estimer à l’aulne de nos représentations. Il est heureux qu’en ce jour, qui marque la fin d’une année liturgique, et surtout qui oriente nos regards vers le « monde à venir » que nous confesserons tout à l’heure en disant la foi de l’Eglise, nous soyons ainsi contraints à ne pas faire du Seigneur, quand bien nous le reconnaissons comme « le premier-né des morts, le prince des rois de la terre » et le « Souverain de l’univers », un puissant de plus dans l’histoire de l’humanité.


Dans l’évangile de ce jour, le Christ apparaît comme un roi, non celui que s’imaginent les hommes, qui gouverne en puissant, mais celui qui règne par la manière dont il rend témoignage à la vérité. Il en impose car sa puissance se dégage de sa faiblesse. Son unique trône sera celui de la croix dans laquelle toute l’humanité sera rassemblée. Ce Christ n’est pas venu imposer une idéologie, mais apporter de la lumière, rendre témoignage à la vérité. Suivre le Christ, être obéissant au Christ, c’est être fidèle à la vérité, c’est toujours chercher la vérité. Cette vérité n’est pas la production d’un tel ou d’un tel, le résultat de son désir de puissance et de domination. Cette vérité, vérité de l’Evangile, dépasse tous les courants de pensées, toutes les idéologies. Elle s’impose comme l’évidence de la vérité de Dieu. Vérité qui n’écrase pas mais qui rend libre, vérité qui ne fait pas souffrir mais remet debout. L’Eglise elle-même reçoit cette vérité comme le don le plus précieux qui lui est fait. Elle est en dépositaire au milieu des hommes. Toujours à réformer, toujours à convertir, sa mission est de préserver cette vérité dans sa pureté et la transmettre pour le salut de tous. Les chrétiens, ceux qui suivent Celui qui est venu rendre témoignage à la vérité, ont toujours le devoir de chercher la vérité et de ne pas se laisser séduire par ce qui est moins que la vérité, par ce qui est partiel et partial. Si nous cherchons la vérité, nous pouvons nous tromper, bien sûr - nous pouvons tomber, même sur le bon chemin - et en la cherchant il faut profiter de la sagesse et de l’expérience des autres, mais c’est finalement notre responsabilité de rester fidèle à la vérité elle-même.


L’Église nous présente le Christ comme roi, non pour insister sur sa préférence en faveur d’un type de régime politique. L’Eglise emploie plutôt ce vocabulaire parce qu’elle le reçoit du langage biblique. C’est évidemment un titre très paradoxal. Si nous appelons Jésus « roi », c’est un roi qui n’assujettit pas son peuple mais qui les libère, qui ne s’impose pas à son autorité mais qui lave les pieds de ses disciples. La royauté de Jésus, son règne, dépassent cependant de loin tout ce que les systèmes politiques de ce monde pourraient nous en donner comme représentation. Et pourtant, Jésus règne bel et bien. Sa royauté n’est pas de ce monde. Son pouvoir, il le tient de Dieu, son Père ; les finalités de son action se trouvent dans le salut de l’humanité. En fait, quand Pilate lui demande : « Alors, tu es un roi ? », Jésus détourne la question, il change le vocabulaire. « C’est toi qui dit que je suis roi. Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix ».


Si la vérité était le fruit d’une majorité, la résultante d’un consensus, nous pourrions en changer au gré des modes ou des revirements de pensée. Or, la vérité, celle que le Christ nous révèle, ne souffre aucune dictature, ni celle d’un fanatisme de la peur, ni celle du relativisme qui gangrène notre société, qui voudrait nous faire croire que tout se vaut. Nous ne pouvons pas rester fidèles au Christ en ne restant pas fidèles à la vérité ; mais si, par contre, nous insistons pour suivre le chemin de la vérité, nous restons forcément fidèles au Christ, même sans le savoir, car le Christ est la vérité. Et cette vérité est notre vie. C’est elle qu’il nous fait chercher à tout prix, en ces jours troublés.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 12 novembre 2021

Homélie pour le 33ème dimanche du temp ordinaire (B) - 14 novembre 2021

Ouverture du  jubilé pour le centenaire de la paroisse Saint-Maurice de Strasbourg 


Alors que nous célébrons aujourd’hui un insigne anniversaire, daté dans le temps des hommes, et que nous ouvrons un jubilé dont nous connaissons et le début et le terme, la perspective d’une sorte de prophétie datée qui permettrait de définir de combien de temps nous disposons se révèle exactement à l’inverse de la prédication évangélique « Personne ne le sait, pas même les anges, pas même le Fils, seul le Père le sait. » 


L’apparition du Fils de l’Homme dans sa puissance et dans sa gloire, sera l’avènement en même temps que l’accomplissement d’un univers nouveau. Les signes cosmiques qui sont évoqués par l’évangéliste Marc :  le soleil qui s’éteint, la lune qui perd de sa luminosité, les étoiles qui tombent du ciel, tous ces signes sont des symboles de la décrépitude de l’univers dans lequel nous vivons, plus que des manifestations extraordinaires qui marqueraient le moment précis de l’avènement. Ce que l’évangile nous dit, c’est que le monde tel que nous le connaissons, depuis ces espaces infinis des étoiles et des planètes jusqu’à la réalité très limitée de nos expériences quotidiennes, tout ce qui est contenu entre la terre et le ciel, tout ce qui fait l’univers réel de ce monde, est un monde marqué par la mort et qui finit par la mort. Il finit par la mort dans différents éléments ; il finira par la mort dans son ensemble ; il finit par la mort pour chacun d’entre nous. L’avènement du Christ vient signifier que cette mort n’est pas le dernier mot de l’histoire de l’humanité et de la création. Au moment où tout paraît se désintégrer, c’est à ce moment-là qu’on voit apparaître le Fils de l’Homme dans la gloire de sa puissance et dans sa luminosité. L’avènement du Christ marque donc à la fois la fin de ce monde et l’ouverture d’un monde nouveau. 


Or, ce qui nous est indiqué par ce passage de saint Marc, c’est que l’avènement du Fils ne se laissera pas voir comme un événement de notre histoire humaine. Pour nous, l’événement se situe nécessairement à un jour du temps, à un lieu de l’espace, et il y a un avant et il y a un après. Ainsi connaissons-nous l’Incarnation du Christ : à un moment de l’histoire des hommes, en un lieu de la géographie humaine, nous datons sa mort, sa résurrection, sa montée auprès du Père et nous attendons son retour dans notre chronologie. Ce que l’Evangile nous suggère, c’est que cette chronologie n’est pas la chronologie de Dieu. Pour Lui, et c’est pourquoi seul le Père connaît le moment et personne de l’histoire humaine ne le connaît, la chronologie n’existe pas car Dieu est un éternel présent et non pas une durée éternelle. Dieu suscite la manifestation du Fils de l’Homme dans un moment unique, et c’est l’histoire humaine qui reçoit cette manifestation et qui la découvre dans la succession des époques et des histoires et des peuples et des pays et des siècles. Ainsi, nous sommes invités à comprendre que ce que nous vivons comme un événement futur est déjà une réalité pour Dieu. 


C’est à quoi nous conduit l’image du figuier pour comprendre le sens du temps. Quand vous voyez que le figuier commence à prendre des feuilles, vous savez que l’été s’annonce. Quand vous voyez se dérouler la chronologie de l’histoire humaine, ses usures, ses destructions, ses décrépitudes, les signes déjà inscrits dans la chair de chacun de nous que nous sommes voués à la mort, les signes de désintégration de l’univers, comment interprétez-vous cela ? L’interprétez-vous comme une vision désespérée du destin de l’humanité, ou au contraire comme le signe que l’été est proche, c’est-à-dire que le Christ est en train de revenir, qu’il est à nos portes. Cette certitude que la conception du délai n’est pas la même selon que nous nous plaçons à notre point de vue ou au point de vue de Dieu, aboutira à l’invitation que le Christ adressera à ses disciples de veiller et de prier puisque nous ne connaissons ni le jour ni l’heure. L’ignorance où la miséricorde de Dieu nous tient de savoir à quel moment les choses se passeront, n’est pas une source d’anxiété et de terreur, elle est au contraire le chemin pour découvrir que le Christ est à l’œuvre au cœur de l’histoire des hommes, développer en nos cœurs la confiance et nous tenir en éveil. 


C’est en ce sens que débute pour nous aujourd’hui ce jubilé, à la fois tourné vers la richesse d’un passé commun et vers les promesses d’un futur béni en Dieu. 


AMEN.



Michel STEINMETZ †


vendredi 5 novembre 2021

Homélie pour le 32ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 7 novembre 2021

Le prophète Elie a sans eu beaucoup de chance de vivre au IXe siècle avant Jésus-Christ, car il me semble que toutes les féministes de la planète se seraient liguées contre lui. Il faut bien avouer que son comportement à l’égard de la pauvre veuve de Sarepta manque outrageusement d’empathie et sombre dans le machisme. Sans même la connaître, sans même prendre le temps d’entrer en dialogue avec elle, Elie, en fuite suite à ses démêlés avec le roi Acab, exige d’elle assez inélégamment qu’elle lui donne à boire et à manger. 


La femme se plie aux demandes d’Elie. Elle obtempère. Elle se met en position de service. Elle, par contre, va entrer en relation et se livrer. Elle explique l’indigence de son existence, sa vie avec son fils. Le peu de farine qui reste constituera leur dernier repas. Ensuite ils n’auront plus rien. « Nous le mangerons, et puis nous mourrons », dit-elle. Qu’à cela ne tienne, le prophète ne se démonte pas et réitère sa demande. Sans doute auriez-vous, dans ce cas-là, renoncer, fait preuve de compassion et auriez tenté de trouver une alternative. Peut-être même, si votre bonté vous avait poussé jusque-là, vous auriez proposé votre aide. Elie, non. Mais finalement Elie va faire bien plus. Il invite la femme à la confiance et à l’acte de foi. Il convoque la Parole de Dieu : «   Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine point ne s’épuisera, vase d’huile point ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur donnera la pluie pour arroser la terre. » Et, de fait, cette promesse se réalise : « la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par l’intermédiaire d’Élie. » La confiance de cette femme à l’encontre d’Elie lui a valu de voir son existence profondément changer de trajectoire. 


L’autre veuve, celle dans le Temple cette fois, vient apporter au trésor sa très modeste offrande. Il est probable qu’elle accomplit ce geste en présence d’un certain nombre de témoins et de scribes qui paradent devant les autres, en la jugeant de façon sévère, puisqu’elle n’apporte pas le dixième ou le centième de ce qu’eux-mêmes ont donné, alors que leurs richesses se constituent en dévorant le bien des veuves. Ou pour dire les choses autrement : l’accueil de la différence leur est insupportable car ils ne supportent que ce qui est à l’image de ce qu’ils ont érigé en normalité. C’est le sens de l’invective de Jésus à leur encontre. Eux dissertent entre eux et se pavanent. Ils s’érigent en donneurs de leçon, tapis dans leur suffisance et leur aisance. « Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières : ils seront d’autant plus sévèrement jugés », dit-il. Jésus s’assoit et observe. La scène doit être cocasse. Les riches déposant très ostensiblement leur offrande et repartant fiers de s’être mis en scène sans que cela les lèse d’aucune manière, et la pauvre veuve rabougrie apportant ces quelques piécettes. Là où les riches ne font que de se conformer à l’usage et à la loi sans que pour autant cette démarche les implique dans leur relation à Dieu, la femme, quant à elle, s’abandonne totalement à la miséricorde de Dieu. Elle donne sans compter et se donne. 


Son attitude ne trouve-t-elle pas écho dans les paroles que nous oserons redire dans un instant : « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour » ? Nous allons une fois de plus rabâcher ces mots, peut-être en exigeant que Dieu se montre généreux à notre encontre, car nous le valons bien, n’est-ce pas ? Mais nous, qu’allons-nous lui donner ? Comment peut-on dire que le Seigneur est le centre de notre vie alors que nous le logeons à la périphérie ? Quelle est notre capacité à préserver un temps honnête et juste La véritable foi, c’est de croire que c’est par Dieu que nous vivons, c’est pour Dieu que nous vivons, c’est grâce à Dieu que nous vivons, quoique nous fassions comme nous le dit saint Paul : « Tout ce que vous faites : manger, boire, ou n’importe quoi d’autre, faites-le pour la gloire de Dieu » (1 Co 10, 31). 


AMEN.


Michel STEINMETZ †  


lundi 1 novembre 2021

Homélie pour la commémoration de Tous les fidèles Défunts- mardi 2 novembre 2021

Depuis des années trône sur le bureau de mon père une belle sculpture de bois intitulée : « la main du père ». On y voit une main d’homme posée de manière fort protectrice sur la tête d’un enfant. « Les âmes des justes sont dans la main de Dieu ; aucun tourment n’a de prise sur eux », entendions-nous dans la première lecture. Il me plaît à penser que cette main divine est tout aussi protectrice et aimante que celle de la sculpture. Dès lors est juste celui ou celle qui demeure ultimement dans cette proximité avec le Père. Et voilà pourquoi « aucun tourment » ne peut avoir de prise sur lui ou sur elle.

 

Des tourments, pourtant, nous savons que la séparation d’avec un être cher et aimé en provoque. Des blessures qui peuvent rester vives à jamais parce que rien ne vient consoler ou combler le sentiment d’absence. L’homme est ainsi confronté au mystère inique de la mort et de la finitude.

« C’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet. L’homme n’est pas seulement tourmenté par la souffrance et la déchéance progressive de son corps, mais plus encore, par la peur d’une destruction définitive. Et c’est par une inspiration juste de son cœur qu’il rejette et refuse cette ruine totale et ce définitif échec de sa personne. Le germe d’éternité qu’il porte en lui, irréductible à la seule matière, s’insurge contre la mort », affirme le Concile Vatican II (Gaudium et Spes, 18).

Le deuil et la souffrance sont autant de manifestations à l’encontre de  cet absurde auquel nous ne voulons nous résoudre.

 

La Révélation divine nous renseigne, et nous l’entendions à travers les lectures de cette messe, que Dieu a créé l’homme en vue d’une fin bienheureuse, au-delà des misères du temps présent. Le Livre de la Sagesse y insistait tout particulièrement. Le foi chrétienne enseigne en outre que cette mort corporelle, à laquelle l’homme aurait été soustrait s’il n’avait pas péché, sera un jour vaincue, lorsque le salut, perdu par la faute de l’homme, lui sera rendu par son tout-puissant et miséricordieux Sauveur. « Car Dieu a appelé et appelle l’homme à adhérer à lui de tout son être, dans la communion éternelle d’une vie divine inaltérable. Cette victoire, le Christ l’a acquise en ressuscitant, libérant l’homme de la mort par sa propre mort. À partir des titres sérieux qu’elle offre à l’examen de tout homme, la foi est ainsi en mesure de répondre à son interrogation angoissée sur son propre avenir. Elle nous offre en même temps la possibilité d’une communion dans le Christ avec nos frères bien-aimés qui sont déjà morts, en nous donnant l’espérance qu’ils ont trouvé près de Dieu la véritable vie. » (Gaudium et spes 18).

 

La résurrection de Jésus d’entre les morts est possible grâce à sa fidélité parfaite au Père. Si Jésus sur la croix crie son angoisse et le sentiment de l’abandon, il ne renie pas le Père : il reste établi dans la confiance. C’est là que la mort est défiée au point de pouvoir être moquée : « Ô Mort, où est ta victoire ? Ô Mort, où est-il, ton aiguillon ? ». Ce qui vaut pour Jésus vaudra aussi pour nous. Non que nous soyons soustraits comme par enchantement à la mort, mais que cette mort ne soit plus la fin absurde d’une existence créée par Dieu et reçue de lui. Ainsi à chaque fois que nous acceptons que la main du Père nous touche, à chaque fois que nous consentons à nous blottir en lui, à chaque fois que nous posons des choix dans notre existence qui nous rapprochent de lui, la grâce de la résurrection prend possession de notre être. Au jour du Jugement nous serons sans doute surpris de nous entendre dire : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Mais c’est ici que tout se joue, ici que tout commence. Sans attendre la fin « quand la trompette retentira ».

 

A chaque fois cependant que nous aurons donné chair à l’Evangile en nos vies si banales et parfois insignifiantes, nous aurons fait place à la puissance indestructible de vie que nous tenons de Dieu. De grâce ne remettons pas à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui encore, s’il en plaît à Dieu.

 

AMEN.


 Michel STEINMETZ

samedi 30 octobre 2021

Homélie de la solennité de Tous les Saints - 1er novembre 2021

L’autre matin, je peinais à distinguer l’église depuis le presbytère. Entre les deux, la seule place Arnold. Mais l’épais brouillard automnal rendait à peine perceptible les lignes de l’édifice. Un étranger la découvrant n’aurait pu en décrire l’ornementation de la façade, l’agencement des pinacles et des contreforts. Une simple forme aux contours flous, voilà ce qu’il était possible de discerner. Et pourtant, l’église était bien la même que celle que le soleil, dissipant les nappes un peu plus tard dans la matinée, allait à nouveau laisser apparaître. La même, dans sa réalité et sa matérialité, mais une autre dans sa perception. Il me semble que c’est exactement ce qu’exprime l’apôtre Jean quand il affirme : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. » Et il ajoute que cela deviendra possible quand en fin nous verrons nous-mêmes Dieu « tel qu’il est ». 


Ainsi, il se peut que vous soyez comme dans du brouillard et que vous voyiez les autres comme étant tout aussi embrumés que vous. C’est d’une part la condition normale de l’homme de ne pas être encore dans la claire vision de Dieu. Car si c’était le cas, la foi ne vous servirait plus à rien ; il serait inutile de vous inscrire dans la confiance et l’espérance car vous seriez dans le domaine de la certitude. La foi implique de fait la confiance, et d’une certaine manière même, un pari sur Dieu. Nul ne peut prétendre être dispensé ou guéri du doute tant qu’il n’est pas en Dieu. Et être en Dieu, cela correspondra au moment où nous aurons vécu notre Pâque à la suite de Jésus. C’est l’expérience de tous les saints, y compris de plus célèbres et des plus vénérables. D’autre part, la vie se charge de flouter nos contours. Tantôt elle rabote nos zones de certitude et de confort, tantôt elle opacifie nos traits. La vie, avec son lot d’épreuves et de difficultés, peut mettre à mal ce que nous aimerions laisser transparaître de nous-mêmes. Les autres peinent à percevoir la vérité de notre être. En retour nous pouvons aussi ne pas arriver jusqu’à la profondeur de leur âme. Ce que nous sommes ne paraît pas encore clairement.


Pourtant, malgré des apparences trompeuses et donc désavantageuses, la réalité demeure. Il y a « ce que nous sommes » et ce que nous sommes déjà : par amour du Père, « enfants de Dieu ». Quand le soleil de la charité n’arrive pas à nous illuminer de ses rayons, cette identité n’en disparaît pour autant. Que nous soyons pauvres de cœur, en pleurs, que nous soyons doux et donc affaiblis par le dur esprit du monde, que nous ayons faim et soif de justice malgré les injustices des hommes, que nous soyons déjà miséricordieux, avec un cœur pur, que nous soyons artisans de paix au milieu des conflits, que nous soyons persécutés pour la justice ou à cause du Règne de Dieu, nous nous découvrons peut-être malheureux aux yeux du monde. Il nous semble placer notre idéal dans un décalage complet avec ce qui fait immédiatement recette. Nous nous exposons aux brouillards des relativismes qui obscurcissent l’identité de Dieu que nous portons en nous. Et bien, malgré tout, nous demeurons ce que nous sommes. Plus encore, Jésus nous dit aujourd’hui qu’à ses yeux, aux yeux de son Père, nous sommes en réalité « heureux ». 


Si vous désespérez de vous, frères et sœurs, pensant que vous vous perdez en chemin sans plus trop y voir, souvenez-vous de la grande cohorte des saintes et des saints. Il n’en est aucun qui n’ait eu des zones d’ombre. Rappelez-vous les Apôtres que Jésus appelle à devenir des pierres de fondation dont rien n’ébranle l’assise : il y eut parmi eux un terroriste, un traître, un homme de doute, des arrivistes et un renégat pardonné. Ce qui fait précisément leur sainteté, c’est de ne s’être jamais résigné à être réduit à leurs manquements. Vous valez plus que vos flous, vos aspérités et vos ténèbres. Et Dieu le sait, Lui que ne cesse de vous appeler à devenir ce que vous êtes déjà. A l’exemple de celles et ceux qui sont déjà dans le cœur de Dieu, qui ont lavé leur robe dans le sang de l’Agneau et qui contemple Dieu face à face, poursuivez votre route. Dieu n’oublie pas ce que vous êtes, une fois le brouillard disparu : ses enfants bien-aimés.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


vendredi 29 octobre 2021

Homélie du 31ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 31 octobre 2021

A tous ceux qui légitimement se demande ce qu’il conviendrait de faire pour que les choses changent positivement dans l’Eglise, à celles et ceux qui scrutent attentivement les préconisations du rapport de la CIASE et qui attendent la réaction des évêques de France rassemblés ces prochains jours à Lourdes, la petite voix malicieuse du scribe de l’évangile vient se rajouter… « Quel est le premier de tous les commandements ? », ou pour dire les choses autrement : « quelle est la solution à côté de laquelle il ne faut passer sous aucun prétexte ? ».


A cette question, pour laquelle le scribe a déjà sa réponse, Jésus répond par la Parole de Dieu qu’il cite. L’amour de Dieu et l’amour du prochain, les deux intrinsèquement liés, résument toute la quintessence des commandements. Pour Jésus, aucune matière à disserter, pas de grande analyse, mais la Parole de Dieu dans toute sa force sereine.  De fait, les commandements bibliques apparaissent comme la plus parfaite trace de l’amour de Dieu et de la liberté qu’il nous offre. En effet, si Dieu ne veut pas la mort du pécheur, il ne nous contraint pas non plus à nous soumettre. Nous demeurons libres : libres de suivre ce qu’il nous propose, libres de nous en détourner. Ainsi, les commandements doivent être considérés comme des guides et non comme des interdits. Ils sont paroles de vie, à l’image des Béatitudes que nous entendrons demain. Après que Moïse a rapporté au peuple les propos reçus sur la montagne, il n’oublie pas d’ajouter ce qui en donne le sens profond : « tu observeras tous ces commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie ». Et il ajoute un peu plus loin : « tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité […] comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes pères » (Dt 6). Ces commandements mobilisent notre volonté et notre détermination : « de tes décisions, je ne veux pas m’écarter, car c’est toi qui m’enseignes » (Ps. 118). 

Les commandements sont une manière pour Dieu de nous enseigner : ils sont des guides, des repères, « une lumière pour nos pas » comme le dit encore le psaume. Cette lueur a vocation d’entrer en nous et d’illuminer notre cœur : elle requiert notre humilité et notre disponibilité, sans a priori. Sans réticence, marchandage ou état d’âme. Parce que s’assimilant peu à peu à tout notre être, parce que pénétrant jusque dans notre cœur, les commandements nous transforment. Le compagnonnage quotidien que nous acceptons de vivre avec eux nous modèle peu à peu : loin de nous faire abandonner toute marge de manœuvre, ils orientent nos pas et nous apprennent à demeurer fondamentalement libres par rapport à toute sollicitation extérieure. Ils deviennent des critères de discernement profond et authentique. 


Le scribe de l’évangile n’est pas félicité par Jésus pour le caractère judicieux, voire malicieux, de sa réponse mais parce qu’il a saisi un point capital : « aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices » (Mc 12). Il en tire, pour lui, une règle de conduite qu’il s’efforce de traduire en actes. Chacun de nous peut et doit en arriver à la même conclusion. Aimer Dieu et son frère, c’est la chose la plus simple, la plus évidente, mais aussi la plus exigeante qui soit ! Toi qui aimes ton conjoint et tes enfants d’un amour fidèle et quotidien, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui fais de ton travail une occasion de servir et de témoigner, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui réserves chaque jour quelques instants à la prière pour écouter ton Seigneur, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui as pris un engagement dans la société ou l’Eglise pour faire briller la lumière de l’Evangile, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui n’instrumentalises pas l’autre, mais demeure dans un rapport sain et juste avec lui, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».


 « Seigneur, accorde-nous de progresser sans que rien ne nous arrête vers les biens que tu promets ! » (oraison d’ouverture).

AMEN.


Michel STEINMETZ † 


vendredi 22 octobre 2021

Homélie du 30ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 24 octobre 2021

Certains sont prompts à trouver toutes les bonnes excuses pour se rester loin de Jésus. Avouons que nous avons chacune et chacun les nôtres. Je n’ai guère de temps à consacrer à la prière ; je me sens loin de l’Eglise et en décalage avec elle ; ce qu’on dit des institutions ecclésiales me dégoûte ; l’Evangile est un idéal inaccessible ; Jésus ne peut rien faire pour moi, etc… Assurément l’aveugle de l’évangile a, lui aussi, des excuses imparables. Il est non seulement non-voyant, mais aussi mendiant. La foule nombreuse l’empêche d’aller vers le Christ, d’autant plus qu’il est assis au bord du chemin en train de quémander. Pourtant, lui, va faire fonctionner ce qui fonctionne chez lui. Son ouïe tout d’abord car elle lui permet de comprendre que cet attroupement est provoqué par la présence de Jésus. Sa parole, ensuite, pour crier et ses jambes pour répondre à l’invitation de Jésus.  


L’aveugle ne connaît pas Jésus. Il ne l’a probablement jamais rencontré ; sa seule connaissance se limite à ce qu’on dit de lui, à sa réputation grandissante. Marc prend le soin de préciser que Bartimée était un mendiant. Il serait d’ailleurs parfaitement autorisé de traduire ici : « Bartimée, le fils de Timée, assis au bord de la route, en train de mendier ». L’attitude de cet homme rejoint sa disposition intérieure : ainsi, lance-t-il vers Jésus une vibrante prière, la prière du pauvre, du pécheur, de celui qui sait qu’il ne peut rien et qui attend tout de Jésus. « Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! ». La foule veut faire taire l’aveugle, comme si son handicap visuel ne suffisait pas, comme s’il fallait, en plus, lui retirer sa faculté de parole. Lui, au contraire, crie de plus belle. Il n’a rien à perdre. 


Remarquons bien que la réponse de Jésus à Bartimée est d’abord un appel. « Appelez-le », dit Jésus. Ceux-là mêmes qui interpellaient l’aveugle pour le faire taire, ou du moins certains parmi eux, l’exhorte alors à la confiance. « Confiance, lève-toi : il t’appelle ». Quand Jésus appelle, il relève ; d’assis au bord de la route pour mendier, Bartimée se met debout pour aller vers le Seigneur. Poursuivons. L’aveugle jette son manteau, il se dessaisit de ce qui pourrait l’entraver, et symboliquement il se dessaisit de l’habit du mendiant car il sait au fond de lui que, déjà, il a été exaucé. Il bondit alors et court vers Jésus, lui le non-voyant !


Jésus, marchant vers Jérusalem, réalise la prophétie de Jérémie ; le prophète précise que, dans ce cortège, se trouvent des aveugles : « je les dirige par un chemin où ils ne trébucheront pas ! », dit le Seigneur. Jésus pose le geste de la délivrance. Bartimée, l’aveugle guéri, suivra la troupe dans sa montée vers la Ville sainte. On ne comprend alors, et que mieux encore, l’exclamation de Bartimée, toute empreinte de messianisme : « Fils de David, aie pitié de moi ! ». Le Christ, en le guérissant, se révèle comme l’espérance du peuple, comme la concrétisation des promesses divines.

Jésus, seulement après avoir fait appeler et venir à lui Bartimée, lui demande ce qu’il désire. Alors, ne posant aucun geste et sans aucune parole de guérison, il lui dit que sa foi l’a sauvé. C’est parce que Bartimée a cru, qu’il a vu avec les yeux de la foi, qu’il lui est donné de voir maintenant avec les yeux du corps. 


Avant même que Jésus ne prononce les paroles qui lui ont rendu la vue, Bartimée se sent reconnu et déjà aimé, lui que l’on voulait faire taire. Cette jubilation, cette joie, cette action de grâce sont le signe de la présence du Sauveur au sein de son peuple. En ces jours, la joie est difficile, aride et ternie. L’Eglise souffre. Par-delà pourtant l’inacceptable, le Christ nous invite à déployer des énergies nouvelles pour que les plaies soient pansées, que les cœurs sont pacifiés et que les baptisés que nous sommes ne se retranchent pas derrière des excuses pour que rien ne change. Nous crions vers le Seigneur « Jésus, fils de David, aie pitié de nous ! ». Lui en retour nous appelle. Ne nous dérobons pas. Emboitons le pas à Bartimée, mendiants que nous sommes. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †