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samedi 24 novembre 2012

Homélie de la solennité du Christ, roi de l'Univers (B) - dimanche 25 novembre 2012

La fête que nous célébrons aujourd’hui, la fête du Christ, roi de l’univers, a été instituée en 1925. C’était une manière de proclamer l’autorité universelle de Dieu et de son Messie. C’était le début de l’époque des grandes idéologies politiques, le communisme et le fascisme. Staline était au pouvoir dans l’Union Soviétique, le premier état communiste du monde, et Mussolini en Italie, le premier état fasciste. Pour ces régimes totalitaires, l’homme est complètement subordonné à l’état, ou au dictateur qui est censé incarner l’esprit du peuple. Notre fête est en partie une sorte de réponse à ces idéologies, une réponse que dit qu’aucune idéologie politique ne doit dominer sur l’homme, que l’état n’est pas la source de la vie humaine, qu’il n’est non plus la vraie fin de notre vie. L’état n’est pas « l’alpha et l’oméga ». L’alpha et l’oméga, celui qui a le premier mot et le dernier mot, notre origine et notre fin, c’est Dieu, le Dieu qui nous est révélé par et en Jésus Christ, comme le dit la lecture de l’Apocalypse de Jean. Ce n’est donc pas à Staline que devons obéir, ni à Mussolini, ni à d’autres aujourd’hui qui prétendraient imposer leur vision du monde ou de la société, mais au Christ.

Les années 20 du XX siècle n’étaient pas une époque de rois, mais de dictateurs et d’idéologues. L’Église nous présente le Christ comme roi, non pour insister sur le décalage avec les régimes politiques d’alors, ou pour favoriser un type de régime. L’Eglise emploie plutôt ce vocabulaire parce qu’elle le reçoit du langage biblique. C’est évidemment un titre très paradoxal. Si nous appelons Jésus « roi », c’est un roi qui n’assujettit pas son peuple mais qui les libère, qui ne s’impose pas à son autorité mais qui lave les pieds de ses disciples, c’est un roi dont le trône est un gibet. Le terme « roi » n’est pas approprié pour décrire Jésus. La royauté de Jésus, son règne, dépassent de loin tout ce que les systèmes politiques de ce monde pourraient nous en donner comme représentation. Et pourtant, Jésus règne bel et bien. Sa royauté n’est pas de ce monde. Son pouvoir, il le tien de Dieu, son Père ; les finalités de son action se trouvent dans le salut de l’humanité. En fait, quand Pilate lui demande : « Alors, tu es un roi ? », Jésus détourne la question, il change le vocabulaire. « C’est toi qui dit que je suis roi. Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix ».

Les gouvernements totalitaires, tous les idéologues, tous les dictateurs, essaient, comme tout le monde, de se justifier ; ce faisant, ils essaient de supprimer la vérité. Ils doivent essayer de la supprimer, parce que la vérité est trop grande et trop diverse pour eux. Elle est trop riche pour être conforme à une idéologie. Ils doivent déformer la vérité, mentir, faire taire ceux qui essayent de dire la vérité. Il y avait un historien maoïste en Chine qui a écrit une histoire de son pays. Un de ses lecteurs a remarqué que certaines choses rapportées par cet historien n’étaient pas conformes aux faits historiques, et il lui a reproché ce manque de vérité. L’historien lui a répondu : « Si les faits historiques ne s’accordent pas avec la théorie marxiste, il faut changer les faits. » C’était au moins un idéologue honnête. Pour lui, l’important n’était pas de proclamer la vérité, mais de suivre la ligne du parti.

Le Christ, par contre, n’est pas venu imposer une idéologie, mais apporter de la lumière, rendre témoignage à la vérité. Suivre le Christ, être obéissant au Christ, c’est être fidèle à la vérité, c’est toujours chercher la vérité. Cette vérité n’est pas la production d’un tel ou d’un tel, le résultat de son désir de puissance et de domination. Cette vérité, vérité de l’Evangile, dépasse tous les courants de pensées, toutes les idéologies. Elle s’impose comme l’évidence de la vérité de Dieu. Vérité qui n’écrase pas mais qui rend libre, vérité qui ne fait pas souffrir mais remet debout. L’adhésion au Christ n’a rien à voir avec le fait de suivre la ligne du parti. L’Eglise elle-même reçoit cette vérité comme le don le plus précieux qui lui est fait. Elle est en dépositaire au milieu des hommes. Toujours à réformer, toujours à convertir, sa mission est de préserver cette vérité dans sa pureté et la transmettre pour le salut de tous. Les chrétiens, ceux qui suivent Celui qui est venu rendre témoignage à la vérité, ont toujours le devoir de chercher la vérité et de ne pas se laisser séduire par ce qui est moins que la vérité, par ce qui est partiel et partial. Si nous cherchons la vérité, nous pouvons nous tromper, bien sûr - nous pouvons tomber, même sur le bon chemin - et en la cherchant il faut profiter de la sagesse et de l’expérience des autres, mais c’est finalement notre responsabilité de rester fidèle à la vérité elle-même.

Si la vérité était le fruit d’une majorité, la résultante d’un consensus, nous pourrions en changer au gré des modes ou des revirements de pensée. Or, la vérité, celle que le Christ nous révèle, ne souffre aucune dictature, ni celles d’hier, ni celle du relativisme aujourd’hui, qui voudrait nous faire croire que tout se vaut. Y compris sur des questions morales, éthiques ou sociétales. Nous ne pouvons pas rester fidèles au Christ en ne restant pas fidèles à la vérité ; mais si, par contre, nous insistons pour suivre le chemin de la vérité, nous restons forcément fidèles au Christ, même sans le savoir, car le Christ est la vérité. Et cette vérité est notre vie.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

vendredi 16 novembre 2012

Homélie du 33ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 18 novembre 2012

Le texte que nous venons d’entendre apparaît, chez l’évangéliste Marc, comme une dernière révélation avant la Pâque dont le récit commence juste après. L’évangéliste veut, ici, donner un sens à l’aventure de Jésus qui se termine : où va-t-on ? Que va-t-il se passer ?, Dieu va se manifester. A l’époque où Marc écrit son évangile, les Juifs vivent une situation dramatique de menace : l’ennemi est là. La crainte sera confirmée car Jérusalem va être prise par les Romains en 70 et son Temple détruit. Le climat n’est aucunement à la sérénité, mais bien plutôt à la peur devant l’avenir. Jésus utilise alors les images habituelles correspondant à la conception de son temps au sujet de l’univers et que l’on trouve déjà dans les derniers livres de l’Ancien Testament : des étoiles pendent comme des lustres et elles vont tomber, grand branle-bas dans le ciel qui va nous tomber sur la tête ! Voilà que les choses apparemment les plus solides auxquelles nous nous raccrochons sont en fait précaires. Si la mission de Jésus doit aboutir à une telle catastrophe et à un tel ébranlement, cela pose question.

En fait, dans la Bible, la manifestation de Dieu apparaît toujours sous des images apocalyptiques. Dieu se fait voir et entendre : Il se révèle, au sens grec du terme « apocalypse ». Beaucoup de fondamentalistes aujourd’hui nous font croire que le retour de Jésus est proche puisque des événements graves et des catastrophes naturelles en seraient les signes. On nous annonce même la fin du monde pour le 21 décembre prochain ! Jésus, quand il parle de signes de sa présence, de sa manifestation, de sa venue, nous dit de regarder le figuier qui reverdit et annonce la vie, signe de renaissance printanière et donc de vie. L’apparition de ses bourgeons et de ses premières feuilles est le signal infaillible de la venue des beaux jours. Le message est clair : des signes sont sous nos yeux qu’un nouveau monde est en train de naître.

Jésus discerne dans les craquements d’un monde les signes annonciateurs d’un avenir aux couleurs de Pâque. Ce monde nouveau est celui que Jésus inaugurera lors de son retour ; c’est ce qu’il appelait le Règne de Dieu. Il nous invite donc à découvrir et à nous laisser prendre par les germes de vie qui sont des signes du Royaume, c’est-à-dire de lui-même qui vient pour tout renouveler. S’il n’y avait pas le figuier, toute cette description ne pourrait qu’engendrer la peur. Mais qui regarde un petit figuier quand tout le reste semble écrasant ? Ouvrons-les yeux : quel figuier voyons-nous aujourd’hui, pour notre foi, comme signe d’un monde nouveau qui naît et grandit.
Je pense, par exemple, à tous les timides essais de ne plus vivre l’économie comme une fatalité imposée au service du profit, mais comme une manière de vivre ensemble dans le respect. De même, à tous les essais et les réalisations de dialogue interreligieux, phénomène appelé par certains « tolérance active ».
Et les chocs interculturels, les confrontations ne sont-ils pas des signes précurseurs de la justice de Dieu qui vient, justice caractéristique du Règne, tout comme le pénible travail de l’accouchement est signe de la vie qui apparaît plus criante qu’avant. Toutes les oppositions à la guerre, tous les travaux de préparation de la paix ne sont-ils pas aussi des marques de l’Esprit de Jésus qui est à l’œuvre en notre monde, inspire des personnes de toutes races et cultures et ainsi rend vie et espérance au monde ?
Et si aujourd’hui nous sommes intéressés à ce qui se passe ailleurs et que naissent des solidarités réelles, à partir de découvertes humbles d’autres cultures, de la valeur des autres, n’est-ce pas en partie parce que ce qui se passe dans le monde devient transparent grâce à l’information que par ailleurs nous pouvons souvent décrier de ne donner que des images de mort. L’information bien faite peut être pour nous ce figuier qui annonce le printemps.
Mais il ne s’agit pas d’être des spectateurs passifs, il nous faut provoquer ces signes, les faire naître, les créer. Nous sommes placés devant un choix : construire en connaissance de cause de notre foi, un monde qui devienne signe d’espérance pour tous et ainsi rendre plus proche le règne de Dieu.

Peu importe finalement la date de son retour, l’essentiel est de le faire vivre, et préparer son retour est aussi, d’une certaine manière, rapprocher Jésus et son message de la vie du monde. Nous avons le choix entre le « mangeons et buvons, demain nous mourrons ; la fin du monde arrive » et « vivons et construisons cette société, telle que Jésus la veut et où il fera bon vivre ». C’est une option à prendre. C’est le sens de la mise en garde finale. Et prenez garde nous dit Jésus, soyez éveillés, pas simplement comme des gens qui épient le voleur possible, mais comme des enfants qui, éveillés, inventent toutes sortes de façons de manifester qu’ils vivent. Il ne s’agit pas d’attendre et de voir venir des événements qu’on va subir : parce qu’on attend vraiment que Jésus arrive, c’est activement qu’il nous faut préparer cette venue, faire voir qu’il est proche en faisant bourgeonner nos vies et annonçant ainsi le printemps de la vie.

L’espérance est à ce prix.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

Homélie du 32ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 11 novembre 2012

Deux des trois lectures de ce jour, celle d’Ancien Testament et celle d’Évangile, présentent l’une et l’autre une veuve qui donne spontanément « tout ce qu’elle a pour vivre » ou, plus exactement, « de son indigence », de ce qu’elle n’a pas. Non seulement chacune donne bien plus que tant de gens n’offrant que leur « superflu », non seulement chacune donne de son « nécessaire », mais chacune encore donne de son « manque » (v. 44).
Que ce soit un paradoxe, nous n’en pouvons douter. Pour l’approcher, la bonne voie consiste probablement à relire la première des deux histoires, celle de la rencontre du prophète Élie et d’une femme de Sarepta. Ces deux figures de l’Ecriture nous livreront alors le témoignage d’un don qui plaît à Dieu.

I.- La veuve de Sarepta.

Nous sommes alors au IXème siècle avant le Christ. Les veuves et les orphelins, privés de la présence du chef de famille, sont à l’époque les plus pauvres, les plus opprimés du peuple. En un temps de grande sécheresse, Élie a dû fuir devant la colère d’Achab, roi d’Israël, et de Jézabel, son épouse impie. Parvenu au pays de Tyr et de Sidon, au sud du Liban actuel, il croise une femme à l’entrée d’une ville. Il commence par lui demander de l’eau, ce qu’elle fait de bon cœur, puis, voyant sa disponibilité, il implore d’elle un morceau de pain. Mais de pain, en ces jours de famine générale, la femme n’en a plus. Il ne lui reste, explique-t-elle, qu’un peu de farine et d’huile au fond d’un vase et d’une jarre, juste de quoi faire un petit pain pour son fils et pour elle, avant de mourir d’inanition. Or, sans la moindre hésitation, l’homme de Dieu lui adresse ces paroles : « Ne crains pas ! Va, mais d’abord cuis-moi un petit pain et apporte-le moi ; ensuite tu feras du pain pour toi et pour ton fils. Car ainsi parle le Seigneur, Dieu d’Israël : Jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra, jusqu’au jour où le Seigneur enverra la pluie sur la face de la terre » (1 R 17, 14). Aussitôt, la pauvre veuve obéit et crut à la promesse ; aussitôt le miracle advint conformément à la promesse.
Puisque c’était pour elle donner tout ce qui lui restait, soit presque rien, se vider en quelque manière de soi-même pour son prochain, elle a donné à fonds perdus, au risque de ne plus rien avoir, au risque de perdre la vie, et le miracle s’est accompli comme si la jarre se remplissait en se vidant, comme si le vase s’accroissait en se partageant. Du don même de soi, jusqu’à épuisement de soi, est venue l’inépuisable surabondance, pour autrui et pour soi.

II.- La veuve du Temple

Alors que, dans l’évangile de Marc, Jésus a déjà fait son entrée triomphale à Jérusalem et que le moment de sa mort approche, il enseigne encore abondamment ses disciples, notamment sur l’imminence du Règne de Dieu. Il y a là un peu comme un testament. Des paraboles accompagnent cet enseignement. Parmi elles, le récit que nous entendions est une parabole vivante : nulle image, nulle comparaison ici mais une pauvre femme devenant elle-même « parabole ». Que fait-elle ? Rien d’extraordinaire. Comme beaucoup d’autres, elle s’approche du tronc à l’entrée du Temple pour y déposer son obole.
Mais, contrairement à tous les autres qui donnaient de leur « superflu », elle prend sur sa misère et donne de son nécessaire. En jetant dans le tronc ces piécettes, ces quelques centimes, elle n’accomplit pas que son devoir : elle se donne elle-même en donnant tout ce qu’elle a. Voilà le modèle du don qui plaît à Dieu et que parfois nous refusons comme trop modeste, trop absurde. Quelle erreur ! Si nous attendons d’avoir de quoi lui donner quelque chose digne de lui, quand passerons-nous aux actes ? Sans doute jamais. Rien n’est digne de Dieu sauf l’amour, et l’amour comme avec quelques centimes quand ils expriment la générosité et la confiance même dans la détresse. Si notre foi semble en hibernation, si la messe nous ennuie, si nous avons l’impression de ne pas progresser, si nous avons le sentiment que nos efforts sont vains, ne renonçons pas sous prétexte que cela « ne sert à rien ». C’est au contraire le moment de tout donner, de nous donner… en nous abandonnant à l’amour de Dieu.

III.- La force du témoignage

Il y a des moments - chacun connaît les siens - où la vie paraît au bout de ses possibilités : les forces manquent, la confiance chancelle, le chemin est sur le point de s’arrêter au prochain pas, le sol paraît se dérober sous les pieds.
Mais il suffit, en ces temps-là, d’un sursaut de foi ou, peut-être, de risque ; il suffit, sur l’appel d’une Parole, du don de ses dernières forces au service d’autrui ou, plus simplement, de poursuivre sa tâche d’homme ; il suffit que revienne en mémoire, sous le don de l’Esprit, la phrase de l’Écriture : « jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra » (1 R 17, 14), pour qu’aussitôt, sans que nous sachions comment, nous viennent des forces neuves, jusqu’alors insoupçonnées, comme si paraissait auprès de nous, invisible, un ange de Dieu frayant le chemin, ou quelque bon Samaritain déroulant à l’instant le tapis où poser nos pas, et cela contre toute attente, à partir de rien, miraculeusement.

Bref, c’est en donnant ce que nous paraissons ne pas avoir, c’est en engageant dès aujourd’hui les forces de demain que nous recevons, selon qu’il est écrit : « au-delà et plus qu’au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Ep 3, 20).En ces moments-là, sachons-le, en cette obéissance de foi qui n’est jamais facile, encore moins glorieuse, nous sommes plus près de Dieu.

AMEN.

Michel STEINMETZ †

samedi 3 novembre 2012

Recension de l'ouvrage "Der Zeit voraus, Devancer son époque"

Recension de l’ouvrage

Martin KLÖCKENER, Bruno BÜRKI, dir.,
Der Zeit voraus, Devancer son époque,
la science liturgique à l’Université de Fribourg Suisse,
Fribourg : AkademicPress, 2011

 
Michel STEINMETZ


« Der Zeit voraus ». L’ouvrage entend célébrer les cinquante ans d’enseignement de la science liturgique à l’Université de Fribourg en Suisse. Il propose au lecteur de jeter un regard en arrière – un demi-siècle, et même au-delà – mais aussi, fort de ce passé, d’envisager un avenir riche en défis.
« Der Zeit voraus » ou comment la notion de science liturgique (Liturgiewissenschaft) telle qu’elle s’est forgée à Fribourg et qu’elle y a été mise en œuvre a « devancé son époque » par rapport au développement des disciplines théologiques ailleurs. Le volume s’attache à décrire des personnes et des projets qui ont cristallisé l’émergence d’une science liturgique particulière en sa fondation et en sa modalité d’expression. L’ouvrage contient des articles sur l’histoire de la science liturgique au XXe siècle (1), des concepts de théologie liturgique qui mettent au centre le profil christologique, eschatologique et symbolique de la liturgie(2). Les tâches de la science liturgique face aux défis contemporains qui se posent à l’Église et à la société sont de même honorées, en élargissant la perspective d’approche jusqu’au contexte œcuménique du travail en science liturgique. Dans une dernière partie (3), sont présentés les enseignants et chercheurs en science liturgique de l’Université de Fribourg, ainsi qu’une large documentation sur des projets, des études et publications qui ont marqué ces cinquante dernières années.

1. Un particularisme fribourgeois. Le livre est porteur de ce contexte spécifique qui a marqué la manière d’appréhender la recherche liturgique et son enseignement. Si la ville de Fribourg est francophone, l’enseignement dispensé à l’Université est bilingue : cours en français croisent des cours en allemand. La richesse du bilinguisme rejaillit dans la diversité d’approche propre à chaque langue et aire linguistique. La question liturgique se pose différemment, ou au moins avec différents accents, dans ces deux aires. La Suisse, par ailleurs, connaît à la fois une quête de créativité manifeste et un visage plus traditionnel ou conservateur du catholicisme. Les étudiants de Fribourg sont représentatifs de ces divers visages d’une même Eglise. Cette diversité, culturelle, linguistique, mais aussi œcuménique, nourrit le débat, comme en témoigne l’article de Bruno Bürki (4).

2. Le chemin de la science liturgique dans les disciplines universitaires. L’histoire de l’émergence d’une science liturgique est intéressante à plus d’un titre. En effet, Martin Klöckener nous donne de re-parcourir ce chemin depuis le XIXe siècle finissant : participant d’une théologie pastorale, comme la catéchèse, l’homilétique, la liturgie ne peut prétendre à une existence autonome dans l’enseignement. Nulle chaire ne lui est consacrée en propre. A Fribourg, à partir du début du XXe siècle, cependant, les lignes commencent à bouger : la question liturgique se trouve traitée dans plusieurs enseignements, ce qui tend à montrer sa richesse et son implication dans des domaines différents de la vie de l’Eglise. La liturgie se trouve abordée tant de le droit canon, que dans l’archéologie chrétienne, la patristique ou la pastorale. Le Prince Max de Saxe, quant à lui, est le premier à faire de la liturgie la matière d’un enseignement spécifique à partir de 1900. Le traitement spécifique de la liturgie reste néanmoins lié à des personnes sans bénéficier d’un statut propre au sein de l’université. Plusieurs professeurs proposent d’envisager la liturgie dans leurs programmes semestriels sans qu’une chaire lui soit encore pleinement consacrée. On assiste alors à un cheminement, non sans difficultés, de la question autour de figures emblématiques et il faudra attendre 1956 pour que soit enfin inscrit dans le marbre la création d’une chaire de science liturgique à l’Université de Fribourg. Long cheminement, et pourtant six ans avant l’ouverture du Concile Vatican II et sept avant la promulgation de la constitution sur la sainte liturgie. Anton Hänggi sera le premier titulaire, avant de devenir évêque de Bâle. Ce parcours est prophétiquement paradigmatique ce qui adviendra avec la définition conciliaire. Elle affirmera que « si la liturgie n’épuise pas toute l’activité de l’Eglise » (SC 9), « elle le sommet vers lequel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10). La liturgie irradie l’enseignement des autres disciplines théologique, mais non comme quantité négligeable ou partie congrue, mais bel et bien comme principe fédérateur et unificateur qu’elle est en droit de revendiquer, comme un enseignement spécifique vers lequel convergent et se retrouvent tous les autres.

3. Un enseignement qui nourrit l’agir et s’enracine autour de figures emblématiques. Un autre aspect remarquable de l’ouvrage est bien de nous présenter la liturgie non comme une science froide et désincarnée, mais comme une science au service de la vie ecclésiale. Avec ses méthodes d’investigation propre, ses transversalités avec d’autres domaines de la liturgie, le demi-siècle d’enseignement de la Liturgiewissenschaft à la Fribourgeoise s’écrit autour de figures humaines : celles qui auront permis de lui donner corps et qui se seront battues pour obtenir sa reconnaissance de plein-droit, celles qui lui auront permis de devancer son époque en travaillant à son inscription dans l’œcuménisme. C’est ainsi que l’on mesure combien la personne d’Anton Hänggi ou celle de Jakob Baumgartner auront marqué cette histoire. Le témoigne de François Roten est à ce propos particulièrement significatif (5). L’universitaire demeure un homme, un croyant avec son tempérament et sa recherche pédagogique s’enrichit de ses qualités humaines. La rétrospective présentée ici est aussi celle, aussi, d’une aventure humaine.
A côté de telles figures, l’enseignement se double d’un projet de recherche ; la vitalité et la variété des chantiers ouverts, y compris, d’édition (6) augure d’un bel avenir. La Liturgiewissenschaft existe pour se communiquer. L’apport de l’école fribourgeoise est significatif pour le monde des liturgistes : par delà sa localisation bien particulière en contexte suisse, son double ancrage plurilingue et international est à cet égard un atout majeur. L’actuel professeur titulaire, Martin Klöckener, trop discrètement présenté ici, œuvre de manière déterminée à promouvoir ces liens.
La Liturgiewissenschaft existe encore pour servir la vie de l’Eglise. La recherche universitaire à Fribourg précède une nouvelle fois son époque quand, sous la conduite de Hänggi, on songe à fonder un Institut de Liturgie en lien avec l’épiscopat dès 1957. Il sera créé en mars 1963, c'est-à dire avant même que ne soit promulguée la constitution conciliaire ! Institut géographiquement quelque peu itinérant dans son histoire, il se réinstalle à Fribourg en 2004 à l’occasion d’une refondation (7).

En faisant œuvre de rétrospective, l’ouvrage Der Zeit voraus entend ouvrir un avenir pour la recherche en science liturgique à Fribourg. La liste impressionnante des professeurs, chargés de cours et autres intervenants durant cinquante ans témoigne de l’ouverture de cette recherche. La recension des ouvrages publiés, des travaux de recherches, mais aussi des mémoires et thèses suivis par les enseignants montre, s’il le fallait encore, combien la vie de l’Eglise, en Suisse et bien au-delà, en est infusée. La recette d’une telle fécondité réside sans doute dans la volonté de résister à l’enfermement dans une institution universitaire. Mais l’Université de Fribourg est elle-même « génétiquement » riche d’une telle ouverture sur le monde et l’Eglise. Ainsi la Liturgiewissenschaft se situe entre enseignement et recherche, Université et Eglise, science et pastorale, comme le souligne Birgit Jeggle-Merz (8). Fribourg tente de le vivre depuis cinquante ans et invite à entrer dans cette heureuse et féconde tension. Sans faire de la cité suisse un jardin d’Eden pour des liturgistes parfois dubitatifs quant à leur utilité et à leur présence dans le débat théologique, Fribourg interroge. Au-delà du cadre scientifique, la liturgie, « lieu théologique », a une vocation théologale. Puisse-t-elle y être fidèle ad multos annos là-bas et ailleurs !

 
(1) Martin KLÖCKENER, « Vorgeschichte und Errichtung des Lehrstuhls für Liturgiewissenschaft an der Universität Freiburg (Scweiz) im Jahre 1956 », p. 20-56.
Walter von Arx, “Anton Hänggi (1917-1994) : Liturgiehistoriker und Seelsorger”, p. 102-110.
Guido MUFF, “Wie ich die Person und dem wissenschaftlichen Wirken von Anton Hänggi begegnet bin. Ein persönliches Statement.”, p. 111-114.
Alberich Martin ALTERMATT, “Professor Dr. Jakob Baumgartner (1926-1996) : ein leidenschaftlicher Pastoralliturgiker”, p. 115-129.

(2) Patrick PRETOT, « Profil de la science liturgique actuelle en théologie francophone », p. 57-72.

(3) Partie V, « Dokumentation », p. 296-238.

( 4) Bruno BÜRKI, « Un espace pour la science liturgique œcuménique à l’Université de Fribourg », p. 87-100.

(5) François ROTEN, “Ce qu’il me reste de Jakob Baumgartner”, p. 130-134.

( 6) On se reportera à la partie III, « Laufende Forschungs- und Editionsprojekten », p. 145 sq., notamment sur le Spicilegium Friburgense et les Spicilegii Friburgensis Subsidia.

(7) Gunda BRÜSKE, « Das Liturgische Institut des Schweizer Bischöfe : ein Beitrag zur Konzilsrezeption », p. 176-182.
Peter SPICHTIG, « Rückkehr zu den Ursprüngen : Profil, Aufgaben und Perspektiven des Liturgischen Instituts in Freiburg », p. 183-194.

(8) Birgit Jeggle-Mertz, « Das Profil des Liturgiewissenschaft heute zwischen Lehre und Forschung, Universität und Kirche, Wissenschaft und Pastoral : eine Orstbestimmung aus der deutschprachigen Liturgiewissenschaft », p. 73-86.

Homélie du 31ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 4 novembre 2012

Aux adeptes de la culture de la plainte, aux champions toutes catégories du dénigrement systématique, aux partisans de l’idéologie du « c’est interdit d’interdire », j’ai envie, une bonne fois pour toutes, de dire : et si vous adoptiez enfin la « positive attitude »? Si au lieu de toujours tout aborder par la négative, on envisageait positivement la foi comme un don, une chance, une belle aventure ? A ces mêmes, je ne résiste pas à leur mettre sous les yeux l’évangile de ce jour. Que dit Jésus au scribe ? Non qu’il a encore beaucoup de chemin à parcourir ou d’efforts à faire, mais qu’ « il n’est pas loin du Royaume de Dieu ».
Cette phrase, je rêve, j’espère qu’un jour le Christ me l’adressera aussi. Plus encore, j’aime à croire qu’il pourrait le faire dès aujourd’hui.
Nous souffrons trop, ces temps-ci, d’une dépréciation du christianisme, et, avouons-le, nous en sommes à la fois bien souvent les auteurs et les victimes. Nous donnons à d’autres des bâtons pour nous faire battre. Comme si pour être adultes dans la foi, il fallait ne jamais sortir de la crise d’adolescence dont le propre est de s’opposer radicalement à tout.
Les lectures bibliques de ce jour nous invitent à changer notre regard : les commandements sont utiles ; à nous de les prendre au sérieux ; ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons en tirer tous les fruits de grâce.

I.- De l’utilité des commandements.

Depuis trop longtemps maintenant, l’homme moderne et contemporain croit devoir montrer sa liberté, son indépendance en s’émancipant de tout système institutionnel ou moral. Il se plaît à rejeter ce qui a la moindre apparence de commandement. Cette pensée trouve son couronnement dans le désormais célèbre slogan des barricades : « Il est interdit d’interdire ». Bien sûr que si un commandement n’est qu’une pure obligation, qu’il ne fait pas appel au sens de la responsabilité de celui qui le reçoit, ou n’est que l’exercice stupide et moralement désordonné d’une autorité dont le seul plaisir est d’imposer son pouvoir sans ce soucier du bien commun, alors le commandement n’est pas recevable.
Par contre, s’il est l’inverse de tout cela (s’il fait appel à l’intelligence, s’il est service du bien commun, des valeurs de liberté et de respect), il prend une toute autre dimension. C’est le cas dans la Bible. Les commandements viennent de Dieu : ils ne sont ni des empêcheurs de tourner en rond, ni l’expression du despotisme divin qui prendrait un plaisir vicieux à nous imposer ses vues.
II.- De l’utilité de prendre les commandements au sérieux.

Ceci étant posé, les commandements bibliques apparaissent bien comme la plus parfaite trace de l’amour de Dieu et de la liberté qu’il nous offre. En effet, si Dieu ne veut pas la mort du pécheur, il ne nous contraint pas non plus à nous soumettre. Nous demeurons libres : libres de suivre ce qu’il nous propose, libres de nous en détourner.
Ainsi, les commandements doivent être considérés comme des guides et non comme des interdits. Ils sont paroles de vie, à l’image des Béatitudes. Après que Moïse a rapporté au peuple les propos reçus sur la montagne, il n’oublie pas d’ajouter ce qui en donne le sens profond : « tu observeras tous ces commandements, que je te prescris aujourd’hui, et tu auras longue vie ». Et il ajoute un peu plus loin : « tu veilleras à mettre en pratique ce qui t’apportera bonheur et fécondité […] comme te l’a promis le Seigneur, le Dieu de tes pères » (Dt 6). Ces commandements mobilisent notre volonté et notre détermination : « de tes décisions, je ne veux pas m’écarter, car c’est toi qui m’enseignes » (Ps. 118).
Les commandements sont une manière de Dieu de nous enseigner : ils sont des guides, des repères, « une lumière pour nos pas » comme le dit encore le psaume. Cette lueur a vocation d’entrer en nous et d’illuminer notre cœur : elle requiert notre humilité et notre disponibilité, sans a priori.

III.- Des fruits que l’on tire des commandements.

Parce que s’assimilant peu à peu à tout notre être, parce que pénétrant jusque dans notre cœur, les commandements nous transforment. Le compagnonnage quotidien que nous acceptons de vivre avec eux nous modèle peu à peu : loin de nous faire abandonner toute marge de manœuvre, ils orientent nos pas et nous apprennent à demeurer fondamentalement libres par rapport à toute sollicitation extérieure. Ils deviennent des critères de discernement profond et authentique.
Le scribe de l’évangile n’est pas félicité par Jésus pour le caractère judicieux, voire malicieux, de sa réponse mais parce qu’il a saisi un point capital : « aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices » (Mc 12). Il en tire, pour lui, une règle de conduite qu’il s’efforce de traduire en actes. Chacun de nous peut et doit en arriver à la même conclusion. Aimer Dieu et son frère, c’est la chose la plus simple, la plus évidente, mais aussi la plus exigeante qui soit ! Toi qui aimes ton conjoint et tes enfants d’un amour fidèle et quotidien, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui fais de ton travail une occasion de servir et de témoigner, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui réserves chaque jour quelques instants à la prière pour écouter ton Seigneur, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ». Toi qui as pris un engagement dans la société ou l’Eglise pour faire briller la lumière de l’Evangile, « tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».

Décomplexons-nous, chers amis ! Il n’y a pas de crainte à avoir de nous laisser façonner par les commandements de Dieu, de les recevoir avec bonheur et intelligence, de les mettre en pratique. Les ringards ne sont pas forcément ceux qui croient l’être. « Seigneur, accorde-nous de progresser sans que rien ne nous arrête vers les biens que tu promets ! » (oraison d’ouverture).

AMEN.

Michel STEINMETZ †