A tous les visiteurs de ce blog, bienvenue !


Vous y trouverez quelques informations sur ma recherche et sur mon actualité.
Progressivement seront mis en ligne ici des articles de fond et d'investigation essentiellement en liturgie, mais aussi en d'autres domaines de la vaste et passionnante discipline qu'est la théologie !

N'hésitez pas à me faire part de vos commentaires !

lundi 18 juillet 2022

Départ de la communauté de paroisses St-Maurice et St-Bernard de STRASBOURG

Après quatre années de présence comme curé de la communauté de paroisses St-Maurice et St-Bernard, Michel STEINMETZ rejoint à la rentrée la faculté de théologie catholique de l’université de Fribourg (Suisse). Il y a été élu professeur ordinaire de Sciences liturgiques / Liturgiewissenschaft et directeur de l’institut éponyme.

Il tient à remercier chacune et chacun pour les mots, pensées, prières, attentions reçus à l’occasion de son départ !



Dimanche 26 juin 2022

REMERCIEMENTS à l’issue de la célébration


Sois remercié, cher Benoît, pour tes paroles que, j’imagine, tu exprimes au nom d’autres… Aimables et délicates, un tantinet laudatives… onctueusement taquines ! Il faut bien confesser que j’aime l’action, et même – osons le tout pour le tout, la conduire ! Mais j’aime moins en être le centre. Alors que venons-nous de faire ? Il n’était nullement question d’un « au-revoir » car la liturgie n’en connaît qu’un (et encore…) : celui des funérailles. Nous avons rendu grâce pour une année pastorale qui s’achève, et plus largement – il est vrai - pour quatre années passées ensemble sous le double patronage des saints Maurice et Bernard. Finalement quatre courtes années, plus courtes que je ne l’imaginais, et marquées pour nous tous par une pandémie qui fera date dans l’Histoire avec ses épisodes déconfinements et déconfinements. Bien des choses ont ainsi été rendues difficiles voire impossibles, notamment en termes de rencontres fraternelles. Il a fallu être imaginatifs, inventer des pis-aller pour que la mission demeure et se poursuive. La pastorale n’était pas équipée pour faire face à cela, mais, paradoxalement, cela aura suscité des enthousiasmes et des collaborations nouvelles. Cela aura peut-même fortifié plus rapidement encore un apprivoisement réciproque.

En premier lieu, j’aimerais remercier chacune et chacun, personnellement, pour ce qu’il a pu m’apporter comme trace de la présence et de la bonté de Dieu. J’aimerais demander pardon à celles et ceux que j’aurais pu blesser ou offenser, celles et ceux à qui je n’ai pu accorder le temps qu’ils auraient souhaité.
Ensuite, je souhaite porter encore dans ma prière vos familles, avec les joies que vous m’avez partagées, parfois aussi vos tristesses et vos interrogations ; porter dans la prière les jeunes et tout particulièrement nos servants d’autel, les enfants et les jeunes de l’institution Sainte-Clotilde dont j’ai eu la joie d’être l’aumônier, mais aussi nos aînés et nos malades. 
Je veux aussi rendre grâce pour les collaborations heureuses vécues au milieu de vous, votre enthousiasme d’annoncer le Christ vivant, votre volonté de témoigner de sa charité prévenante, votre désir de faire monter vers le Seigneur une louange digne et fervente !

Enfin, vous me permettrez de vous dire que j’ai essayé de faire au mieux ce que je sais faire, pour vous et avec vous. Tenter d’avoir une vision pour notre pastorale en l’inscrivant dans la durée, en essayant de discerner les mutations profondes et les besoins nouveaux qui dessinent imperceptiblement l’avenir. Ensuite donner à la communauté les moyens dont elle a et aura besoin pour tenir son rôle au cœur du quartier : sa visibilité, sa proximité, son rayonnement. Je songe ici évidemment aux récents travaux entrepris à Saint-Maurice, mais aussi à l’ouverture chaque jour de nos églises et au soin particulier apporté leur entretien. Nos édifices disent quelque chose de notre foi ; ils en sont même en-dehors de nos célébrations les témoins silencieux. Que celui qui ne croit pas et entre ici découvre en ce lieu un peu de la paix de l’Evangile ! Mais comment ne pas citer aussi l’aménagement des locaux à St-Bernard pour l’Equipe Saint-Vincent, si précieuse et nécessaire à la crédibilité de notre foi ? Avec elle, la foi ne se paye pas de mots. Elle se vit dans l’accueil et le don.

Je vous invite à accueillir mon successeur avec bienveillance et patience. Je souhaite pour lui un début de ministère plus paisible que n’a été le mien mais je sais pouvoir compter sur vous. Ne soyez pas prompts dans le jugement ou la critique ! Prenez le temps de vous découvrir et de vous apprécier !

Je formule le vœu pour la communauté paroissiale : qu’elle reste attachée au cœur de notre ville à un catholicisme joyeux et positif, pas celui qui enferme ou qui exclut, mais celui qui accueille, propose et accompagne, pas celui des replis identitaires mais celui qui ose aller vers l’autre en étant fier du message que nous portons. Le Christ est venu nous aimer et nous sauver, et si c’est l’Evangile est une bonne nouvelle, ce n’est pas pour rien. Je termine avec la phrase que j’avais choisie pour mon ordination sacerdotale, il y a dix-neuf ans : « Cherchez le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6, 33). 


Michel STEINMETZ +

Homélie pour le 13ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 26 juin 2022

Messe d'action de grâce au terme du ministère de curé


On pourrait croire qu’un esprit rusé, rempli d’à-propos, a choisi le passage de l’évangile de Luc que nous venons d’entendre. Car il semblerait qu’il soit question aujourd’hui, aussi, d’un au-revoir. En fait, cet évangile, ces lectures, sont les mêmes partout, en chaque église, en ce jour. Si ce ne sont pas des paroles de circonstance, il f
aut bien avouer qu’elles tombent à point nommé, notamment au moment où une année pastorale, scolaire, universitaire touche à sa fin. Regarder en arrière, faire des bilans, évaluer son action. Mais est-ce là une bonne manière de faire ? N’est-ce pas une manière de centrer notre action sur notre personne, notre capacité à agir ou à entreprendre, notre prétention à la réussite ?


A entendre l’évangile, la méthode serait plus à aller de l’avant, inexorablement. Jésus lui-même, précise Luc, tout en marchant vers sa passion, prend la route de Jérusalem avec un « visage déterminé ». Le moteur de la marche de Jésus est d’accomplir la volonté du Père, sans délai, d’être fidèle à la mission qui est la sienne. La mission ne saurait s’exercer de n’importe quelle manière. Jésus en rappelle ici les conditions et la radicalité au travers les trois rencontres qu’il fait et que Luc nous rapporte. Car, suivre le Christ n’est pas une affaire comme une autre qui puisse se concilier avec des exigences parallèles ou contraires. Tout ce qui s’oppose à cette mission est appelé à être par nous abandonné et rejeté. Jésus précise dans sa première réponse qu’un certain inconfort va de pair avec le service de l’Evangile ; nous parlerions volontiers de ces tiraillements entre discours tenu et témoignage réel, entre attitude d’accueil inconditionné et exigences nécessaires, entre sentiment personnel et sens de l’Eglise. Dans les deux dernières rencontres, Jésus insiste sur le fait que la mission ne suppose pas de délai. Et plus particulièrement dans la troisième : « Je te suivrai, Seigneur; mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison. - Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu ». Ces paroles évoquent l’appel d’Elisée par Elie ; Jésus se montre plus exigeant encore que le prophète qui laissait son disciple prendre congé des siens. Qui marche à la suite du Christ doit savoir qu’il est le disciple d’un homme qui, une fois engagé dans sa mission, n’a pas à regarder en arrière.


L’engagement à la suite de notre vie n’est pas une option de notre vie. Il n’est pas de l’ordre d’un loisir salutaire que nous consentirions à pratiquer parmi d’autres. Autrement dit, il n’est pas négociable. Tu prends tout, ou tu ne prends rien. Dire cela aujourd’hui pourrait paraître dangereusement fondamentaliste. Pourtant ! Le Royaume de Dieu ne se négocie pas. Tout simplement parce que Dieu ne peut se résoudre à nous sauver « à moitié », « à demi ». Ou bien nous acceptons qu’il nous prenne tout entier dans son amour qui nous brûlera et nous purifiera, ou bien nous restons en-dehors. Pour avancer sur ce chemin, il faut développer une profonde liberté intérieure capable de discerner et de poser des choix. Le Christ lui-même est profondément libre quand il prend la route vers Jérusalem et ce qu’Il va y vivre consiste précisément à pouvoir Le suivre dans cet acte prodigieux de liberté. Déjà par notre baptême nous goûtons à cette « sainte liberté des enfants de Dieu ». La vie se charge volontiers de nous enchainer à nouveau par bien des manières ; Paul, lui, nous exhortait à ne pas retomber sous le « joug de l’esclavage », c’est-à-dire à ne pas revenir en arrière, et à purifier notre liberté en la confrontant au service des autres. Et Augustin d’affirmer : « Aime et fais ce que tu veux ! ». Dans la Bible, la femme de Loth, qui se retournant vers Sodome, est pétrifiée (Gn 19, 26) : transformée en statue de sel. Regarder en arrière, vivre dans des souvenirs, ou regretter un passé qui ne reviendra plus par définition pétrifie en empêchant de suivre le Christ. 

Alors que convient-il de faire ? J’en appelle à la perspicacité de ce bon vieux et sage Juif, Gamaliel, dans les Actes alors que les apôtres comparaissent devant le Conseil suprême : « Si leur résolution ou leur entreprise vient des hommes, elle tombera. Mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez pas les faire tomber. » (Ac 5, 38-39) Rendons grâce pour ce que Dieu fait ! Le reste tombera et s’évanouira dans l’oubli.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


mercredi 25 mai 2022

Homélie pour la solennité de l'Ascension du Seigneur - 26 mai 2022

Il me semble que si nous demandions au tout-venant ce qu’évoque pour lui le mot « ascension », la majorité de nos contemporains répondrait assez spontanément ou bien un jour férié du mois de mai ou le fait de gravir un haut sommet. Peu, je ne le crains, ne ferait le récit de ce que nous venons d’entendre dans l’évangile. Est-ce si grave ? Pourquoi ne pas retenir une des réponses pour mieux comprendre nous-mêmes ce que nous célébrons au quarantième jour après Pâques ? Evidemment ne nous arrêtons pas au jour férié, mais regardons de plus près l’image du gravissement d’un sommet.

 

Pour une personne qui s’engage à la conquête d’un sommet, l’aventure impose un certain nombre de conditions. La première, la plus évidente, est de soigner et de travailler sa condition physique. Personne n’entend atteindre un tel but sans s’y préparer quotidiennement et s’astreindre à une rude discipline. On parle bien de « vaincre » un sommet. Cela est d’autant plus vrai qu’il faut préparer son corps à l’altitude élevée et aux changements de pression atmosphérique qui non seulement réduisent considérablement l’oxygène dans l’air mais entraînent aussi un phénomène de coagulation du sang. Et puis il y a encore l’effort musculaire pour s’attaquer à des dénivelés impressionnants. Ainsi faut-il entraînement et accoutumance avant de n’avoir l’impression grisante de tout dominer au somment mais aussi de se rapprocher du ciel, et donc de s’élever de terre. Impression fugace cependant car on ne peut y demeurer, comme l’aurait voulu Pierre au sommet du Thabor au moment de la Transfiguration de Jésus. Il faut donc consentir à redescendre.

 

L’Ascension de Jésus, elle, n’a rien d’éphémère puisque le Christ monte au ciel, non pour y faire un tour, mais pour y rester. Les quarante jours qui viennent de suivre la Résurrection ont peut-être donné aux disciples l’impression d’un entre-deux tout aussi déroutant que finalement confortable. Pourtant l’Ascension apparaît comme la suite logique de la Pâque, et comme le sera dans quelques jours la Pentecôte avec le don de l’Esprit. Multiples facettes d’un unique mystère pascal qu’il nous faut prendre garde de vouloir séparer. Jésus ressuscité habitue les siens à la modalité de cette nouvelle présence de sa part, qui se joue dans son absence, au moins au sens où ils avaient pu l’expérimenter d’ici là. Ces derniers sont donc eux-mêmes pris depuis quarante jours dans des pressions atmosphériques bien différentes : le sentiment de l’abandon et le réconfort d’une présence qui demeure. Leurs cœurs doivent s’accoutumer. Pour autant ils ne seront aujourd’hui que les témoins de l’ascension de Jésus. Restant là, à le regarder, ils ne pourront le suivre, du moins pas pour l’instant : il leur faudra d’abord être les témoins de tout cela « à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. ». Ils recevront à cette fin la force de l’Esprit qui développera leur intelligence spirituelle. Aujourd’hui ils en sont encore à se demander quand Jésus va rétablir le royaume pour Israël.

 

Nous-mêmes, nous avons besoin de préparation pour participer à l’Ascension de Jésus qui pourtant « est déjà notre victoire ».  Préparation par notre vie et le sens que nous lui donnons dans l’entrainement quotidien et parfois rude à la charité. Préparation encore en nous donnant la musculature spirituelle dont nous avons besoin, notamment par la fréquentation de la Parole de Dieu. Préparation encore par la manière dont nous laissons concrètement l’Esprit de Dieu nous conduire et nous accoutumer aux pressions atmosphériques du Royaume à venir. Mais à la différence des sommets que nous pourrions vaincre à la surface du globe et desquels il nous faudrait inévitablement redescendre, l’ascension de Jésus dessine plutôt pour nous une direction et un avenir. C’est la communion, à la suite de Jésus, à la vie en Dieu pour laquelle non seulement nous devons nous préparer mais pour laquelle nous sommes faits. C’est là que Dieu nous attend et c’est pour elle qu’il désire nous prendre dans le mouvement de son Esprit.

 

AMEN.

 

Michel Steinmetz

vendredi 13 mai 2022

Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques (C) - 15 mai 2022

L’évangile, aujourd’hui, nous replace dans un contexte assez sombre, celui du dernier repas de Jésus et des adieux qui l’accompagnent. Jésus sait que, désormais, sa mort est imminente ; ses disciples le comprennent. L’heure est grave, l’ambiance lourde. Il prend l’initiative de confier une mission à ses amis. La fidélité à cette consigne sera signe de sa présence, et peut-être plus encore. « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ».


De fait, la semaine passée, en observant une glycine en plein croissance et voyant comment elle commençait à se nouer au treillis censé la supporter, je me suis dit que c’est ainsi qu’il faut comprendre les deux parties qui composent l’évangile que nous venons d’entendre. Jésus, en effet, perçoit lui-même l’imminence du terme de sa mission. Il sait désormais, à ce moment-là de l’évangile, que Judas a préparé son coup et qu’il ira à son terme. Lui sera arrêté, jugé et condamné. Il devra mourir et offrir sa vie. Mais Jésus sait, au plus intime de lui-même, que ce sera là le seul moyen de « glorifier » Dieu, non à la manière d’un kamikaze qui irait à la mort, mais e pour que la mort elle-même soit définitivement entravée et que se manifeste la puissance du Père. 


Ce constat est assorti d’une dernière recommandation de la part de Jésus. Il la présente même comme un commandement « nouveau ». Or, nous lisons déjà dans la Bible, dans un de ses premiers livres, le Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). En quoi Jésus dit-il quelque chose de plus ? Ce n’est pas tout amour qui rend nouveau celui qui écoute ou celui qui obéit, mais celui que Jésus a qualifié en ajouter pour le distinguer de l’amour charnel : « comme je vous ai aimés ». Car s’aiment les uns les autres les maris et les épouses, les parents et les enfants, les amis, sans parler de tout lien humain qui peut attacher les hommes entre eux.  Jusqu’alors Jésus a révélé l’amour de Dieu pour le monde, pour lui, son Fils : à présent qu’il va lui-même jusqu’au bout de l’amour, il peut donc leur donner ce précepte. C’est parce qu’ils vont découvrir à quel point ils sont aimés que les disciples seront capables de partager entre eux l’amour reçu du Père. 


Remarquez encore qu’il ne dit pas : « Aimez les autres ». La Pâque de Jésus, son entrée dans la gloire de la croix a pour but immédiat et nécessaire de créer une communauté de croyants fraternels. L’Eglise n’est pas une organisation philanthropique, un ramassis de gens pieux qui font du bien à l’occasion. Aller à la messe pieusement, communier à l’hostie sans vouloir « communier » à ses frères présents et s’en aller, fût-ce en glissant une piécette à un mendiant inconnu, ce n’est pas ce que Jésus a commandé ! Nous ne pouvons nous accommoder d’à peu près, nous contenter de gestes superficiels. L’amour entre chrétiens doit être christique, radical, total, entier. Nous devons nous aimer comme Jésus nous a aimés : ce qui a deux sens. Il s’agit de l’imiter, de le prendre comme modèle, mais aussi d’aimer parce qu’Il nous aime. Jésus ne reste pas un modèle extérieur que nous aurions à copier laborieusement. Son amour imprègne ses disciples : nous nous aimerons grâce à l’amour que notre Seigneur nous donnera. Ainsi le commandement de l’amour devient le passage obligé pour avoir part à sa gloire. En nous nous aimant comme Lui l’a fait, amour du prochain et gloire divine seront liés comme la glycine à son treillis.  


" Ils ne s’aiment pas comme s’aiment ceux qui corrompent, dit saint Augustin, ni comme s’aiment les hommes parce qu’ils sont des hommes, mais ils s’aiment parce qu’ils sont ‘des dieux et des fils du Très-Haut’ (Ps 81, 6), de telle sorte qu’ils sont les frères du Fils unique, s’aiment les uns les autres de cet amour dont lui-même a aimés ». 



AMEN.


Michel STEINMETZ †


jeudi 14 avril 2022

VIGILE PASCALE / Homélie pour la messe de la Résurrection - 16 avril 2022

 

La tentation du super-héros

Nous avons cheminé ensemble, depuis dimanche dernier, alors que nous entrions dans la célébration de la Semaine sainte. Ce chemin parcouru a voulu mettre nos pas dans les pas du Christ. Y sommes-nous parvenus ? Nous avons été confrontés à bien des tentations de ne pas recevoir Jésus, ce Messie souffrant, défiguré et cette nuit resplendissante de la gloire divine, pour ce qu’il est réellement.

 

Nous aurions pu nous fourvoyer en le prenant pour un homme providentiel au destin d’abord politique. Nous aurions pu ne retenir de lui que ce frère en humanité, prompt à bouleverser tous les codes jusqu’à prendre la place de l’esclave. Nous ne pourrions que retenir pareillement que notre émotion compatissante et gênée devant l’homme mis à mort comme un criminel. Et nous pourrions encore nous perdre devant le tombeau vide. Comment ?

 

Il serait assez simple, je crois, et peut-être même pour une part légitime, de considérer que la résurrection de Jésus, pour grandiose qu’elle est, ne le concerne que lui. Aux saintes femmes venues de bonne heure au sépulcre, et nous rapportant ce qu’elles ont vu, nous serions tentés de répondre qu’il ne s’agit là que de « propos délirants ». En allant constater par nous-mêmes, avec Pierre, nous repartirions « tout étonnés », ne sachant à vrai dire que penser et que croire, quand bien même ce que nous savons de Jésus, ce que nous avons entendu dire de Lui et surtout ce qu’il a annoncé lui-même, prendrait ici un sens radicalement nouveau. Comment passer de l’homme mort sur la croix, bel et bien mort puisqu’on lui transperce le côté, mis au tombeau, à cette absence troublante et qui, assurément, ne peut être un vol de cadavre comme les paroles de l’ange l’attestent ? Oui, d’une manière qui échappe fondamentalement à notre entendement, Jésus est ressuscité, c’est-à-dire qu’il est revenu à la vie, sans pour autant que cette vie nouvelle soit appelée à finir, et que son corps ressuscité est à la fois le même et pourtant différent. Cela les témoins de sa résurrection l’attesteront à maintes reprises et les évangiles que nous entendront dans les jours à venir nous le donneront à réétendre.

 

Il serait tout aussi simple, encore, de ne penser que la résurrection de Jésus est une énième manifestation de la puissance de Dieu, à qui, nous le savons, rien ne saurait impossible. L’évangile proclamé il y a un instant arrivait au terme d’un parcours dans l’histoire du salut. Nous nous sommes ainsi successivement émerveillés par le souvenir de la puissance créatrice de Dieu qui ordonne l’univers en le distinguant, qui épargne Isaac en sacrifice n’exigeant d’Abraham que sa fidélité, qui fait sortir à main forte son peuple de l’oppression en Egypte et le fait passer la Mer rouge à pied sec, qui s’engage envers son peuple et lui témoigne sa pitié… La résurrection de Jésus ne saurait-elle alors qu’un épisode supplémentaire d’une série de hauts-faits ? En viendrait-elle marquer l’achèvement comme une fin heureuse ?

 

Une fois encore, si nous restons là, nous ne ferons peut-être pas totalement fausse route, mais nous manquerons le terme de ce chemin entrepris à la suite du Christ. Pas plus que Jésus ne meurt pour lui-même, il ne ressuscite pas pour lui-même, en une sorte de revanche manifeste de Dieu sur toute l’iniquité du monde et qui imposerait à tous sa puissance une bonne fois pour toutes. « Si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. » (Rm 6) Ce que nous célébrons ce soir comme le cœur de notre foi, c’est la volonté de Dieu de nous sauver en son Fils Jésus. C’est là le signe du tombeau vide : celui d’une mort qui n’a plus le dernier mot.

 

Pour nous, la route, si elle veut atteindre son but, ne peut manquer aucun passage. Pour avoir part à cette vie nouvelle et indestructible, vie heureuse en Dieu, nous devons clouer à la croix nos lourdeurs, nos fatigues et nos souffrances. Là le Christ les anéantit. Alors, en faisant comme Lui, en acceptant de nous aimer les uns les autres, nous serons assez légers pour passer à la vie. Le Seigneur Jésus n’est pas un super-héros (malgré lui), pas plus qu’Il n’exige de nous que nous le soyons. « Pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ. »

 


AMEN.

 

Michel Steinmetz

VENDREDI-SAINT / Homélie pour la célébration de la Passion et de la Mort du Seigneur - 15 avril 2022


La tentation du dolorisme compatissant

 

En prenant place au cœur de cette foule si versatile qui, il y a cinq jours, voulait faire de Jésus leur roi, qui, ce matin, l’abandonnait à la vindicte populaire et à toutes les compromissions politiques, et qui, maintenant, se tient autour du monticule du Golgotha pour contempler, muette et voyeuse, l’agonie d’un homme, nous éprouvons peut-être le même sentiment de gêne. En rentrant chez nous, nous nous « frappons la poitrine », comme ceux qui assistèrent au sacrifice de Jésus, en repensant à ce qui s’est passé (cf. Lc 23, 48). Oui, comment est-ce seulement possible ?

 

Depuis hier soir, nous avions commencé à saisir, avec les apôtres, que Jésus s’apprêtait à vivre la condition du Serviteur souffrant et qu’il allait le faire librement. Pourtant le chemin des douleurs emprunté depuis les humiliations des soldats jusqu’au sommet du calvaire, pourrait laisser entrevoir un homme passionné par la cause qu’il a voulu servir de manière jusqu’au boutiste. Cela nous émeut. Mais, après tout, cela le regarderait d’abord lui au sens où la croix ne serait que le constat et la conséquence de son échec. Il n’est pas arrivé à se faire suffisamment entendre, à imposer ses idées, les idées de son Dieu. Il n’aura pas su composer avec l’échiquier des forces en présence. Alors, nous sommes là et nous contemplons, pétris d’une révérence polie devant ce destin tragique, au cœur d’une multitude consternée en le voyant, « car il était si défiguré qu’il ne ressemblait plus à un homme ». Oui, « nous l’avons méprisé, compté pour rien ».

 

Nous pourrions encore être pris aux tripes par les souffrances concrètes de cet homme suspendu finalement très injustement à la croix. Et ces souffrances sont réelles. De récentes enquêtes historiques permettent d’ailleurs de la montrer ; non seulement l’angoisse de Jésus consentant à la mort, mais encore les douleurs qu’on lui inflige par supplice, tout cela est d’une profonde atrocité. Notre émotion, une fois encore, reste extérieure devant le tragique ainsi exhibé. D’autres ont souffert et soufrent encore. Des malades en fin de vie, des victimes de la barbarie de la guerre. Jésus apparaît comme un de cela, solidaire avec les souffrants du monde, ceux de toutes les époques. Avec Lui, en Lui, Dieu décide de se faire proche, jusque-là.

 

Mais voici que nous ne pouvons plus seulement rester là, à regarder. Parce que la mort de Jésus n’a de sens que si toutes les souffrances endurées sont aussi nos propres souffrances. Comme l’annonçait déjà Isaïe : « c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. » De fait, « le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes à nous tous. » Cela signifie bien, ainsi que l’exprimait saint Léon le Grand, que : « devant le Christ élevé en croix, il nous faut dépasser la représentation que s’en firent les impies, à qui fut destinée la parole de Moïse : ‘Votre vie sera suspendue sous vos yeux, et vous craindrez jour et nuit, sans pouvoir croire à cette vie’. » Ici, le dolorisme compatissant n’est pas de mise. Frères et sœurs, nous ne souffrons pas d’abord pour Jésus, mais c’est au contraire Lui qui souffre pour nous.

 

Sa mort, maintenant, n’a encore de sens que si nous vénérons la croix, ainsi que nous allons le faire, comme l’instrument de notre salut. « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel » (He 5, 9). Le Christ veut clouer sur ce bois tout ce qui dénature notre condition humaine, la rend difforme, la tord de douleurs. Voilà pourquoi il consent à tout prendre sur Lui. « C’était nos péchés qu'il portait, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. » (1 P2). « Par ses blessures, nous sommes guéris ». Ainsi pour que la résurrection commence déjà à faire son œuvre de guérison en vous, confiez au Christ toutes vos souffrances et communiez à sa mort. Il fera de vous des vivants.

 

AMEN.


Michel Steinmetz

JEUDI-SAINT / Homélie pour la messe "in Coena Domini" - 14 avril 2022

La tentation du frère philanthrope

 

Dimanche dernier, rappelez-vous, la foule bigarrée, qui accompagnait Jésus et l’accueillait aux portes de la ville sainte, aurait pu nous égarer dans sa versatilité et dans la tentation de réduire Jésus au rang de seul messie politique ou d’homme providentiel. Ce soir, à table avec les apôtres, nous pourrions encore nous fourvoyer et penser que le geste que Jésus pose, et que l’évangéliste Jean nous décrivait – le lavement des pieds – serait celui d’un frère philanthrope.

 

En effet, dans un premier temps, Pierre a refusé de se laisser laver les pieds par le Seigneur : ce bouleversement de l’ordre, à savoir que le maître – Jésus – lave les pieds, que le patron fasse le travail de l’esclave, était en opposition totale avec la crainte révérencielle que lui inspirait Jésus et avec sa vision du rapport entre maître et disciple. « Tu ne me laveras jamais les pieds », dit-il à Jésus avec sa véhémence habituelle (Jn 13, 8). La vision du Messie comportait pour lui une image de majesté et de grandeur divine. Il devait apprendre encore et toujours que la grandeur de Dieu diffère de notre idée de ce qu’est la grandeur ; qu’elle consiste précisément à descendre, dans l’humilité du service, dans la radicalité de l’amour, jusqu’à un dépouillement total de soi-même. Nous aussi, nous devons l’apprendre encore et encore, parce que nous n’arrêtons pas de désirer un Dieu du succès et non un Dieu de la Passion.

 

A l’inverse, nous pourrions dans ce renversement des choses céder à une tentation séduisante de réduire Jésus à l’horizontalité du geste. Il en deviendrait seulement un frère universel qui nous demanderait de nous aimer les uns les autres. Mais nous ne pouvons considérer le geste d’abaissement de Jésus sans le mettre en lien, bien évidemment, à tout le mystère pascal. Ce geste, indissociable de celui de l’eucharistie, comme la liturgie l’a bien compris, révèle le « pourquoi » du Fils de Dieu. Jésus n’est pas un philanthrope de plus dans l’histoire du monde, un sage supplémentaire à la postérité insigne. En consentant à l’abaissement de l’esclave, il nous montre à quel point Dieu a décidé d’aller en nous aimant. Jésus retire les vêtements de sa gloire, il met autour de ses reins le « linge » de l’humanité et il se fait esclave. Il lave les pieds sales des disciples et les rend ainsi capables d’accéder au banquet divin auquel il les invite. Lorsque Jésus lave ses disciples, c’est d’abord, simplement, une action qu’il accomplit – le don de la pureté, de la « capacité pour Dieu » qu’il leur fait. Mais ce don devient ensuite un modèle, une invitation à faire de même les uns pour les autres. « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34)

 

Quand le Seigneur dit à Pierre que, sans le lavement des pieds, il ne pourrait pas avoir de part avec Lui, Pierre lui demande tout de suite, avec élan, de lui laver aussi la tête et les mains. Vient alors la phrase mystérieuse de Jésus : « Celui qui a pris un bain n’a pas besoin de se laver, sauf les pieds » (Jn 13, 10). Jésus fait allusion à un bain que les disciples avaient déjà pris, conformément aux prescriptions rituelles juives ; pour prendre part au repas, il ne fallait plus que le lavement des pieds. Mais, bien sûr, il y a dans ce récit un sens plus profond. A quoi est-il fait allusion ? Nous ne le savons pas avec certitude. Mais nous devinons que le bain désigne la vie en Dieu que nous donne le baptême. Tout nous y est donné quand nous devenons enfants de Dieu, et fils dans le Fils. Il semble clair que le bain qui nous purifie définitivement et ne doit pas être recommencé est le baptême – l’immersion dans la mort et dans la résurrection du Christ – un fait qui change profondément notre vie, en nous donnant comme une nouvelle identité qui perdure, si nous ne l’abandonnons comme l’a fait Judas.

 

Pour y demeurer fidèles, une seule voie est possible : nous donner comme le Fils s’apprête à le faire pour chacun de nous.  Aimer jusqu’au don de soi. Alors seulement nous pourrons prétendre avoir part au banquet préparé pour nous.

 

AMEN.


Michel STEINMETZ

vendredi 8 avril 2022

Homélie pour le dimanche des Rameaux et de la Passion (C) - 10 avril 2022

La tentation du messie politique 


La foule est curieuse. Alors que l’évangile n’a cessé de nous montrer combien Jésus est en proie ou à l’hostilité ou à la méfiance, notamment des scribes et des pharisiens, elle semble se distancier des sphères bien pensantes et de l’intelligentsia juive. Aurait-elle été finalement séduite par l’enseignement de Jésus, ses prises de position tout à la fois libérales car libératrices, et exigeantes car évangéliques ? Aurait-elle compris, comme de manière logique et arithmétique, qu’un homme qui accomplit de tels miracles ne peut le faire qu’au nom d’un Autre plus grand que lui et que leurs cœurs discernent comme une lointaine promesse de Dieu en train de se réaliser ?


En ces temps troublés et anxiogènes pour ce petit peuple, dont le territoire est occupé par des Romains qui ne donnent guère de signe de volonté de quitter les lieux, et qui s’emploient à asseoir leur pouvoir par des brimades et des répressions, nous ne pouvons saisir toutes les aspirations qui habitent le cœur de cette foule aujourd’hui si bigarrée. Les instituts de sondage auraient pu interroger et décortiquer : serait-il seulement possible d’identifier l’attente majeure de celles et ceux qui, dans un mouvement de masse, se pressent aux portes de Jérusalem ? Quelles colères les habitent ? Quelles espérances les rassemblent ? Il nous est difficile de les identifier. Mais ce que nous savons, ce que nous voyons, c’est ce dont l’évangile nous parle. Nous connaissons la conséquence de leurs motivations. Tout semble se cristalliser, et peut-être même malgré lui, autour d’un homme qu’ils estiment être l’homme providentiel. Celui dont ne sait trop pourquoi l’Histoire devrait en faire un grand homme et retenir la trace de son passage. Conjonction étonnante de lieux et de moments.


Alors la foule acclame et fait un triomphe à Jésus. L’émeute gronde. Et la sécurité publique semble en péril. Les hommes et les femmes rassemblées étendant leurs manteaux sur le sol comme pour en faire un tapis rouge. Ils jonchent le parcours de branchages et de rameaux. Ils crient : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! ». On tente de les faire taire et on demande à Jésus de s’en charger. Sa réponse sera : « Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. » Par-delà le sauveur politique, l’homme providentiel, par-delà les attentes multiformes, les foules font l’expérience que Jésus est plus que tout cela. Comme si son identité messianique semblait maintenant apparaître au grand jour. L’heure vient. D’ailleurs les plus avertis, les plus pieux dans la foule, doivent bien se rendre compte que le chemin emprunté par Jésus depuis la vallée du Cédron et le fait qu’il soit monté sur un âge, correspond à ce que le prophète Zacharie avait annoncé du retour du Messie.  


Après cet engouement populaire quasi-mystique, la foule, rongée par sa colère, lâchera Jésus au profit d’un criminel notoire, émeutier et assassin, dont elle sait pourtant qu’elle ne peut rien attendre.  « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. » Jésus, lui, n’a cessé de faire le bien et la seule réponse de ses partisans d’un jour sera de demander sa mort, se rangeant du côté de l’ordre établi et de toutes les compromissions politiques. Curieusement le seul à défendre un tant soit peu raisonnablement Jésus est Pilate lui-même. Mais nous savons qu’il s’en lavera les mains. 


Et nous ? Que voyons-nous en Jésus ? Sommes-nous prompts à l’exploiter, à exploiter sa figure pour défendre nos propres idéologies, nos luttes politiques ? Sommes-nous encore de ceux qui paradoxalement prétendent défendre l’Eglise mais sans le Christ ? Car il faut bien nous le rappeler : quand Jésus entre dans sa passion, il dérange. Il n’a rien d’un roi, ni à son entrée à Jérusalem, ni devant Pilate, ni sur la croix. Pourtant, la foule, qui s’est fourvoyée, ne s’y était pas trompée : il est roi mais un roi différent, et plus puissant que tous les autres. C’est Lui qui nous rassemble et c’est Lui qui nous demande de le suivre. Pour aucun autre motif que de mourir avec Lui pour revivre avec Lui. Le reste nous ferait prendre place au cœur de la foule vengeresse.


AMEN.


Michel STEINMETZ †


samedi 5 mars 2022

Homélie pour le 1er dimanche de Carême (C) - 6 mars 2022

Un des rudiments dans l’éducation à la politesse est-il sans doute l’apprentissage à dire « merci ». Avec le « s’il vous plaît », c’est un mot magique et délicieux qui, souvent, distingue les personnes bien élevées, comme on disait jadis… Pourtant savoir dire « merci » n’est pas chose aisée : cela demande de reconnaître ce que l’autre m’apporte et donc de le laisser exister, réellement et pleinement, dans une relation partenariale. Si je te dis merci, c’est donc que je considère non seulement ce que tu as fait, pour moi éventuellement, mais aussi que je te considère pour ce que tu es. Dans la vie de foi, la vie de prière, ce « merci » - que nous appelons alors « action de grâce » - n’est pas, je crois, la chose la plus spontanée qui habite notre prière et la désigne. L’eucharistie qui nous rassemble est pourtant, étymologiquement parlant, une action de grâce. Pour rendre grâce, il faut d’abord reconnaître.


Reconnaître, c’est bien ce que fait Moïse. Tout d’abord quand il exhorte le peuple au geste rituel de présenter les prémices de la récolte au prêtre. Mais surtout par la parole qui devrait accompagner ce geste et en révèle son sens : « Mon père était un Araméen nomade, qui descendit en Égypte…   Et maintenant voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que tu m’as donné, Seigneur. » Ici la reconnaissance repose avant tout sur le souvenir des merveilles que le Seigneur n’a cessé de faire en faveur de son peuple. Il a entendu son cri, il l’a délivré de l’oppression, il l’a conduit jusqu’à une terre de bienfaits, « un pays ruisselant de lait et de miel ». Pour Moïse, cela est indissociable de l’action de grâce. Se souvenir de sa condition passée pour goûter à celle de sa libération. Frères et sœurs, cela devrait préserver de l’amnésie spirituelle qui, bien trop souvent, je crois, nous conduit à une lamentation stérile quant à notre présent.


Reconnaître, c’est encore ce que fait Jésus. Chez lui, la reconnaissance doublée du souvenir, devient une arme contre le Mauvais. L’évangéliste Luc précise que c’est « rempli d’Esprit-Saint » que Jésus est conduit au désert après son baptême par Jean au Jourdain. Son errance de quarante jours rappelle celle du peuple durant quarante années. Ici, pourtant, et curieusement, c’est au sortir de cette période de quarantaine, alors que le match est gagné, oserait-on penser, que le diable jette toutes ses forces dans l’assaut. Comme l’Écriture l’atteste, les tentations qu’il éprouve se présentent sous la forme d’un choc frontal avec le Diable, c’est-à-dire avec l’esprit du mal alors que Luc se plaît à préciser que Jésus, lui, est « rempli de l’Esprit » de Dieu. C’est ce choc qui est l’enjeu, non seulement de la mission de Jésus pour laquelle il a reçu l’Esprit Saint et qui l’a envoyé dans cette épreuve au désert, mais encore pour l’humanité tout entière, car de la façon dont Jésus va faire face dans cette confrontation dépend ce que l’humanité va devenir. Jésus, tenté par le diable, vainc l’ensemble des tentations de l’humanité, ici résumées dans ces trois fomentées par le diable. Cette victoire annonce déjà celle de sa résurrection. 


Jésus, plus encore que Moïse, donne la méthode de sa victoire. Là où le Malin exerce sa ruse, c’est qu’il parle le langage de Jésus. Il se sert de la Parole de Dieu pour la pervertir. Et là où Jésus excelle, ce n’est pas dans son éloquence ou dans sa science – car on ne peut négocier avec le diable –, mais dans la manière dont il bat son adversaire sur le même terrain. « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. ». Pourquoi ne pas le mettre à l’épreuve ? Ne serait-ce pas légitime quand nous nous trouvons nous-mêmes dans l’épreuve ou l’angoisse ? Assurément, non, car ce serait sombrer dans l’amnésie totale et dans l’oubli de ce que le Seigneur a déjà fait pour nous, et donc douter de ce qu’il pourrait faire encore. Ce serait donc manquer de toute reconnaissance. Pourquoi ne commencerions-nous pas par réapprendre les « bonnes manières » en disant d’abord « merci » à Dieu ? Belle conversion à laquelle nous introduit une fois encore l’eucharistie que nous célébrons ensemble. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †


mardi 1 mars 2022

Homélie pour l'entrée en Carême - mercredi des Cendres (2 mars 2022)

Ce n’est pas par hasard que l’Eglise nous propose, au moment où nous entrons dans le temps du Carême, d’entendre ce passage de l’évangile selon saint Matthieu. Peu avant, Jésus a enseigné les foules avec le sermon sur les Béatitudes, puis il poursuivait son enseignement en exhortant à ne pas nous satisfaire d’un légalisme spirituel qui ne nous ouvrira pas les portes du Royaume des cieux. Car la logique évangélique est toujours celle d’un dépassement dans l’amour pour tenter, au moins, de correspondre à l’amour dont Dieu a décidé de nous aimer. Ainsi Jésus scande dans l’évangile ces « Il vous a été dit… Moi, je vous dis » pour aboutir à la quintessence de ce que nous avons à devenir et à être : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). 


Finalement cet horizon, qui nous apparaît si difficilement atteignable, au point que nous serions tentés d’édulcorer les paroles de Jésus, en les affadissant de fait, n’est autre que celui d’une réalité que, pourtant, nous connaissons bien. C’est celle de notre baptême. Que nous soyons déjà baptisés, ou que nous nous préparions à l’être, tout nous a été déjà donné. Créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous perdons cette conformation chaque fois que le péché revêt d’un masque de laideur cette ressemblance. Le père du mensonge égare nos pas, tout en nous faisant pernicieusement croire que nous n’avons pas forcément changé de cap, que cela n’est pas si grave, que d’autres le font, etc… Que nous soyons baptisés ou catéchumènes, nous percevons bien que la vie chrétienne réside dans un « toujours-à-convertir ».


Voilà pourquoi, année après année, nous reprenons l’entraînement du carême. Le passage que nous entendions de l’évangile de Matthieu nous donne trois moyens pour y parvenir : le partage, la prière et le jeûne. Pourtant, assez curieusement, la lecture omet quelques versets qui développent le passage sur la prière. C’est là en effet que Jésus indique aux siens la prière véritable et efficace, celle qui doit être le modèle de toutes nos prières : le Notre Père. « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé. Vous donc, priez ainsi : Notre Père, qui es aux cieux… ». Enchâssé dans cette triple recommandation à l’aumône, la prière et le jeûne, le Notre Père en devient pour ainsi dire le centre gravitationnel. C’est aussi lui qui nous demande de pardonner à la manière dont Dieu pardonne. Une fois encore il s’agit de ressembler à Dieu, ou plutôt de revenir à la ressemblance avec lui que nous portons déjà en nous.


Certes, la conscience péché – chose que nous partageons hélas, toutes et tous ! – nous pousse à déchirez nos cœurs et non pas nos vêtements, comme des manifestations purement extérieures d’une conversion de façade. Il nous faut revenir au Seigneur notre Dieu, « car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. ». Que nous le voulions ou non, nous nous découvrons encore solidaires malgré nous du péché du monde, de celui qui précipite des peuples dans l’angoisse et dans la logique infernale et fratricide de la guerre. Car la logique de la paix n’est pas qu’une absence de conflit, elle réside dans la volonté de chacune et chacun de respecter l’autre et d’avoir pour lui, pour elle, un regard a priori de bonté. Logique, une fois encore, de conversion du regard et du cœur : voir comme Dieu regarde, aimer comme Dieu aime. Logique qui nous fait toujours nous demander avec chaque parole, chaque geste, chaque pensée : que ferait Dieu à ma place ?


Nous avons ce jour trois moyens, trois pédagogies essentielles pour revenir à une telle ressemblance avec Dieu : partage, prière et jeûne. Je vous propose peut-être de les combiner à trois objectifs : discerner, s’opposer et espérer. Discerner pour reconnaître le mal, objectivement ; s’opposer pour le dénoncer explicitement ; espérer pour « ne pas laisser sans effet la grâce » venue de Dieu. Ainsi équipés, nous avancerons vaillamment jusqu’à Pâques, jour de notre relèvement dans le Christ. 


AMEN.


Michel STEINMETZ †   


samedi 5 février 2022

Homélie pour le 5ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 6 février 2022

Expérience exigée. Compétences requises. Qualités demandées. Autant d’expressions qui ponctuent les offres d’emploi et déterminent les embauches. Que de personnes ne se reconnaissant pas dans telle ou telle catégorie et baissent les bras. Je ne coche pas toutes les cases. Je ne suis pas fait pour cela, pensent-elles alors. Pourtant cette expérience singulière est plus commune qu’on ne le croit, y compris en matière de vie spirituelle. Sans doute, vous avec moi, nous nous sentons toujours inférieurs au mystère que nous célébrons, à la foi que nous proclamons et surtout à la manière dont nous la vivons et la mettons en pratique. Peut-être aussi un certain discours ecclésial a improprement mis en exergue ce décalage de fait ontologique, car faisant partie de notre condition, au détriment d’une vision plus positive. La Parole de Dieu que nous venons d’entendre ne tient ni du pessimisme, ni de l’angélisme. Elle appelle à dépasser nos craintes, nos lassitudes ou nos torpeurs.

 

Oui, le mystère de Dieu est grand. Il est même assurément insondable. Devant lui, devant cette gloire manifestée d’un Dieu créateur, tout-puissant, juge, nous ne pouvons que rester bouche-bée. Vision grandiose pour Isaïe : « je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui. Ils se criaient l’un à l’autre : ‘Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur de l’univers ! Toute la terre est remplie de sa gloire.’ Les pivots des portes se mirent à trembler à la voix de celui qui criait, et le Temple se remplissait de fumée. ». Constat dressé par Paul devant la gracieuse miséricorde des apparitions du Ressuscité et la diffusion de l’Evangile. Expérience troublante pour les apôtres d’une pêche miraculeuse après une nuit passée sans rien prendre et au point que les filets menacent rupture. Assurément, le mystère de Dieu est grand.

 

Comme en contre-point, cette perception vient se heurter à la conviction tout aussi forte de la profonde indignité de ceux qui ont sons témoins. Là encore, Isaïe l’affirme tout de go : « « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! ». Paul se décrit, de manière hautement négative, comme étant un « avorton », c’est-à-dire comme un homme chétif, mal fait, monstrueux même. Simon-Pierre, saisi d’effroi tombe à genoux pour avoir douté : « « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »

 

Pourtant on a bien l’impression qu’il s’agit d’un passage obligé, non comme un simple exercice d’autodépréciation, mais comme une expérience authentiquement spirituelle. Il faut consentir à se vider de soi-même, de sa suffisance, de son raisonnement bien huilé, de cet état qui fait de nous des hommes et des femmes blasés. Ce n’est qu’à ce prix, qui n’est autre que celui enduré par le Christ, consentant à se faire obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix, que l’on se découvre capable d’aller plus loin. Face au Seigneur, il semble à Isaïe impossible de tenir la route. C’est au moment où l’ange lui brûle les lèvres avec un charbon pris sur l’autel – ce qui devrait, par la blessure infligée, le réduire fatalement au mutisme –, qu’il est non seulement purifié mais rendu capable d’annoncer la parole du Seigneur ! Il est guéri de son péché et envoyé en mission. Paul, quant à lui, confesse être « le plus petit des apôtres ». De persécuteur zélé des chrétiens, il est « retourné » par la rencontre avec le Christ vivant au point de l’annoncer désormais à temps et à contretemps. Cette conversion radicale, il l’attribue clairement à l’action de la grâce de Dieu en lui. C’est au moment précis où Pierre est pris d’effroi que Jésus lui annonce sa mission : il ramassera des hommes en nombre dans les filets de Dieu par l’annonce de l’Evangile.

 

Frères et sœurs, ne vous souciez pas tant de satisfaire à tous les desiderata que vous vous imaginez figurer sur votre profil d’embauche pour la mission, que d’acceptez vos limites. Le Seigneur, lui, les transformera en aptitudes et compétences les plus affinées.

 

AMEN.

 


  Michel Steinmetz

vendredi 28 janvier 2022

Homélie pour le 4ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 30 janvier 2022

Je ne sais si vous avez déjà fait l’expérience, assez déroutante pour le reste, de vous regarder dans un miroir. Certains se pâment, d’autres se désolent. L’expérience est d’autant plus scabreuse quand le miroir est déformant, vous le savez si vous avez déjà fréquenter les stands d’une fête foraine. Sans aller jusque cela, l’image renvoyée par un vieux miroir pigmenté de rouille donne une vision, elle aussi, quelque peu délabrée, dirons-nous. 


Pourtant c’est là une expérience commune, au moins à en croire saint Paul, vision qui marquerait notre condition présente face à Dieu : « Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face ». Et à l’apôtre de poursuivre : « Actuellement, ma connaissance est partielle ; ce jour-là, je connaîtrai parfaitement, comme j’ai été connu. » L’image que nous pouvons avoir de nous-même n’est pas forcément ni avantageuse, ni flatteuse. Bien souvent d’ailleurs nous nous arrêtons à cette image ou nous essayons de la parfaire avec quelques subtils artifices. Ou bien, adeptes de la méthode Coué, nous arrivons à nous convaincre, ou bien nous refoulons les aspérités, les manquements ou les trahisons que nous portons. Pourtant Paul nous rappelle que, quel que soit le « flou » dans lequel nous nous trouvons, un autre déjà, Dieu lui-même, nous connaît, plus intime à nous-même que nous-même, selon la belle formule de saint Augustin. 


Cette connaissance de Dieu nous précède, comme en témoigne le prophète Jérémie avec les paroles à lui adressées par le Seigneur : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ;  avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré ». Beaucoup – et ils sont trop nombreux – s’imaginent que Dieu nous considère une fois que nous aurons fait des choses, ou quand nous pourrons nous présente devant lui les mains plus ou moins remplies. Or c’est l’inverse qui se produit. Nous sommes le fruit de la volonté aimante de Dieu. C’est lui qui nous a faits, et nous sommes à Lui. Son initiative est toujours première. C’est encore ce que nous faisait chanter le psaume, en reprenant à notre compte ses mots : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse. Toi, mon soutien dès avant ma naissance, tu m’as choisi dès le ventre de ma mère. »


Le décalage entre l’image que nous percevons de nous-même et ce que nous sommes réellement pour Dieu se ressent parfois, hélas aussi, dans le regard que les autres portent sur nous de manière fausse ou inappropriée. Alors que Jésus se révèle d’une certaine manière dans la vérité de son mystère en faisant se confondre sa parole et la Parole de Dieu à la synagogue de Nazareth : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre », il se retrouve en proie à l’interrogation d’abord et à l’hostilité ensuite de ses compatriotes. Comme si le monde ne supportait pas la lumière ou l’évidence qui ferait le propre de la claire vision. De fait Jésus précède la pensée des habitants de Nazareth. Il sait qu’ils se réfèrent à ce qu’ils ont entendu dire de lui et de ce qu’il a fait lorsqu’il était à Capharnaüm. Lui, Jésus, les renvoie au temps de prophète Elie et de sa mission à Sarepta, et encore à Elisée envers Naaman le Syrien. 


A ceux donc qui ne supportent pas de voir ce que Dieu voit, de consentir à changer leur regard et à le convertir pour dépasser les apparences, point de miracle ne s’opèrera. Jésus, passant au milieu d’eux, ira son chemin. Mais en revanche pour ceux qui accepteront que Dieu porte son regard sur eux, tels qu’ils sont et non tel qu’ils se rêvent, « ce qui est partiel sera dépassé ». Eux seront pris dans l’amour de Dieu. Soyons de ceux-là. 

AMEN.


Michel STEINMETZ †


samedi 15 janvier 2022

Homélie pour le 2ème dimanche du Temps ordinaire (C) - 16 janvier 2022

Nous connaissons bien cette page d’évangile, peut-être même trop bien au point d’en avoir une lecture plate et sans relief. A y regarder de plus près cependant, elle ferait pâlir d’envie les meilleurs scénaristes du monde. Tout commence avec une fête, sans doute bat-elle son plein. Comédie. Le vin vient à faire défaut : imaginez un apéritif de mariage sans champagne ou crémant. Drame. Comédie dramatique ou drame comique ? On ne sait trop, mais ce qui est sûr c’est qu’il y aura une « happy end ».

 

Les noces de Cana pourtant sont bien plus que tout cela. C’est le premier signe que Jésus accomplit au début de son ministère public. Le premier miracle qui va profondément éclairer le sens de tous les autres, jusqu’à sa mort et sa résurrection. A Cana, Jésus nous indique quelle est la teneur de sa mission, pourquoi Il est venu se faire proche de nous et ce qu’Il entend accomplir. Nous venons de commencer le temps liturgique dit « ordinaire » : l’évangile que nous venons d’entendre fait encore le lien avec ce que nous avons célébrer les dernières semaines. A Cana, Jésus manifeste la puissance de Dieu, comme elle a été révélée au bord du Jourdain à son baptême, et comme les mages l’ont confessé avec leurs présents. Nouvelle épiphanie, donc.

 

Au moment de la présentation des dons, à la messe, le prêtre accomplit un rite discret, qui s’accompagne de paroles dites à voix basse. Il verse une goutte d’eau dans le vin du calice. Il dit : « comme cette eau se même au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la divinité de Celui qui a voulu prendre notre humanité ». De fait, la tradition a vu, et avec elle la Bible, à la fois dans l’eau le symbole de l’humanité et dans le sang celui de la divinité. Du côté ouvert du Christ sur la croix, jailliront le sang et l’eau, jaillissement qui fera dire au centurion romain : « Celui-là était vraiment le Fils de Dieu ». De l’eau et du sang du Christ naîtra l’Eglise et, avec elle, les sacrements, c’est-à-dire la présence toujours actuelle et agissante du Sauveur dans l’histoire des hommes et le moyen de nous unir à Lui.

 

Aujourd’hui donc, à Cana, les convives à la noce commencent à manquer de vin. Il nous est permis de voir, par extension métaphorique, en ses invités toute l’humanité conviée à la fin des temps aux noces de l’Agneau. De même, le vin qui se tarit symbolise la part de divinité qui vient à faire peu à peu défaut à l’humanité en quête du salut. Marie intercède et se tourne vers son Fils. Devant une telle désolation, elle qui conserve tout dans son cœur depuis le premier jour, sait que son Fils peut inverser le cours apparemment inéluctable des choses. Que fait alors Jésus, lui « Dieu-avec-nous » ? Il demande qu’on remplisse d’eau les six jarres qui servent aux purifications rituelles des Juifs et même qu’on les remplisse à ras-bord. Là encore, cette demande n’est pas anodine. L’eau demeure : c’est notre humanité qui pourtant, sans cesse, est appelée à se purifier. Et Jésus entend toucher l’humanité entière, de manière débordante et généreuse, comme Dieu seul le fait. La présence du Christ opère à elle seule le miracle. A cette humanité dépourvue de toute part divine, Jésus donne en partage le vin de la divinité. Vous noterez qu’il ne s’agit pas d’un retour en arrière, à un état précédent, comme si la fête pouvait se poursuivre sans qu’on ne remarque une différence. « Le maître du repas appelle le marié et lui dit : ‘Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant.’» Ainsi, le miracle de Cana montre à tous combien la présence du Fils de l’Homme qui va consentir à épouser notre humanité change radicalement la donne. Ce sera encore meilleur. Ce vin n’est plus le « fruit de la vigne et du travail des hommes ». Il deviendra le « sang de l’Alliance nouvelle et éternelle », sang du Christ versé pour que nous ayons la vie et que nous partagions cette vie.

 

Pour peur que nous le voulions peu, par notre baptême, c’est ce sang qui coule dans notre veines désormais sauvées et immortelles. Aucun scénariste ne pourrait imaginer cela. Seul Dieu le peut, car à Dieu rien n’est impossible.

 

AMEN.

 

 Michel Steinmetz

vendredi 7 janvier 2022

Homélie pour la fête du Baptême du Seigneur (C) - 9 janvier 2021

Le lien, qui me semble pourtant évident, entre la religion et la foi semble mis à mal ces derniers temps et vient donc, comme par ricochet, interroger notre propre identité de croyant. Qu’est-ce qu’un croyant ? Que sommes-nous en définitive ? Ainsi, nous avons constaté ces dernières semaines des politiques qui, au nom de défendre les valeurs éternelles de la France, s’afficher devant des crèches pour Noël, quand bien même ils ne sont eux-mêmes pas chrétiens. Débat aussi ancien de crèches dans l’espace public de bâtiments officiels car faisant partie des « traditions ». Bref, un christianisme vidé de toute nécessité de foi, rangé parmi les produits du terroir qui ferait une nation et qui risquerait dangereusement d’être exploité comme une idéologie parmi d’autres. Ou encore un christianisme édulcoré de fait car privé du Christ, voire lui demandant d’aller voir ailleurs car sa croix serait outrageusement une provocation. Frères et sœurs, peut-être chrétien sans croire ? A quoi le baptême nous engage-t-il ?


Nous faisons aujourd’hui mémoire du baptême de Jésus sur les rives du Jourdain, dont la liturgie nous donnait à entendre le récit, il y a un instant. Or déjà en ce temps-là, l’évangile nous rapporte que nombreux sont ceux qui boivent les paroles, sans doute brillantes et énergiques, de Jean-Baptiste au point de le prendre pour le Messie attendu. Lui, pourtant, ne laisse pas s’opérer cette usurpation d’identité qui lui aurait été pour le moins gratifiante. « « Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » A cette foule qui demande des signes et dont le désir de changement lui ferait s’attacher à tout prédicateur un peu radicalisé, le Précurseur prend du recul. Le baptême qu’il prêche et qu’il dispense est un rite. Il ne se suffit pas à lui-même ; il n’est que l’expression publiquement affirmée d’un désir de conversion et de préparation au Royaume de Dieu qui vient. Son baptême à lui ne donne pas la foi et ne la suppose pas. Par contre, le baptême que le Fils de Dieu dispensera sera tout autre. Au cœur de cette foule éprise de conversion, un homme : Jésus. Comme les autres, il demande ce baptême d’eau et le reçoit. Pourtant il n’en a pas besoin, ni pour lui-même ni pour les autres. Nul besoin que le Christ s’engage à la conversion. Il décide cependant de communier à ce désir, de partager l’attente de ces hommes et de ces femmes. En étant baptisé, paradoxalement, c’est lui qui sanctifie les eaux et donne à ce rite un sens nouveau.


A la différence des autres évangélistes, Luc ne fait pas coïncider le moment du baptême à la manifestation de Dieu par les signes des cieux ouverts, de la colombe qui apparaît et de la voix du Père qui se fait entendre. Cela intervient, tout juste après, alors que Jésus est en prière. C’est la foi ! Non que les autres ne l’aient pas, nous n’en savons rien, mais Jésus, par son attitude, en montre ici la nécessité. Pour que le baptême donné et reçu porte du fruit, l’initiative de Dieu envers nous a besoin de notre réponse de foi. Le baptême donne la foi et la suppose. Mais un baptisé sans foi reste un païen. On peut mal croire, avoir du mal à croire, mais on n’est pas dispensé de s’y essayer. 


Croire, ce sera consentir à faire l’expérience, souvent humble et pauvre, que le baptême inauguré ce jour par Jésus donne sens à nos existences. En Jésus, Dieu se manifeste, et, une fois encore, se fait tout proche. Il apporte la consolation tel un père envers son enfant. Quand un papa console son enfant qui vient de tomber, il ne peut lui enlever comme par magie sa peur ou sa souffrance : mais sa présence aimante vaut tous les médicaments. Le bain du baptême nous fait sans cesse renaître quand la vie semble nous engloutir ; il nous renouvelle dans l’Esprit-Saint. 


Frères et sœurs, ne réduisez pas votre christianisme à une structure de pensée, au marqueur d’une identité, ou à des valeurs. Sans Christ, il n’est rien. Et vous n’êtes plus rien. Attachez-vous à lui car Dieu trouve sa joie en vous.  


AMEN.


Michel STEINMETZ †