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samedi 28 mars 2020

Homélie du 5ème dimanche de Carême (A) - 29 mars 2020

Lazare est confiné au tombeau depuis plus de trois jours. Et son confinement dans la mort est tel que même les bandelettes de son suaire l’ont figé. Aucun doute possible : Lazare est mort. Et « il sent déjà ». La putréfaction du corps délaissé par la vie a commencé.


Ici, c’est le septième et dernier signe accompli par Jésus que rapporte saint Jean. Il ne s’agit pas du pouvoir de Jésus de changer l’eau en vin mais de sa capacité de transformer la mort en vie. Jésus s’est réfugié avec ses disciples au-delà du Jourdain par crainte des Juifs et la famille de Lazare habite Béthanie, à quelques kilomètres de Jérusalem derrière le Mont des Oliviers. L’espace est divisé en deux par le Jourdain : l’orient et l’occident. L’orient où se trouve Jésus, dans la lumière, l’occident à Béthanie avec son cortège de ténèbres: la mort et la haine des Juifs. Le texte comporte une vingtaine de verbes de mouvement qui indique moins un déplacement dans l’espace qu’une mutation dans les esprits. Tout le monde quitte l’endroit où il se trouve. Les messagers d’abord puis Jésus en sens inverse traversent le Jourdain. Marthe comme Marie vont à la rencontre de Jésus. Lazare sort de son tombeau. Et les Juifs hostiles partiront à Jérusalem. Le symbole des quatre jours atteste à la fois la réalité de la mort de Lazare car dans la tradition rabbinique, c’est le temps qu’il faut à l’âme pour quitter le corps après avoir tourné autour du cadavre pendant trois jours, tant qu’il est reconnaissable. C’est aussi le jour de YHWH, celui où il intervient quand les hommes ne peuvent plus rien pour leur salut.
 
Dieu, notre Dieu, n’est pas le Dieu des morts, il est le Dieu des vivants. Dieu ouvre les tombeaux. Il arrache l’homme au pouvoir de la mort pour l’aspirer dans le règne de la vie. Il ne veut pas que l’homme soit anéanti, ni par la violence, ni par le mépris, ni par le mal, ni par le péché. Ce qu’il veut pour nous, c’est nous faire sortir du tombeau, non pas pour quelques mois ou quelques années, comme ce fut le cas pour Lazare, appelé à re-mourir, mais pour toujours. Comme il appelle Lazare à sortir du tombeau, comme il le fait apparaître encore empêtré des bandelettes qui entourent son corps, il appelle l’humanité à sortir de l’ombre de la mort pour resplendir de la lumière de la vie. Comme Lazare, nous n’avons pas encore récupéré toutes nos capacités ; comme Lazare, nous sommes encore empêtrés dans les liens anciens qui sont liés à notre mort ; comme Lazare, nos membres sont encore attachés par des bandelettes et notre visage recouvert, mais comme pour Lazare, Jésus dit : « Déliez-le, libérez-le de ses liens, rendez-lui la vie ». Le Christ veut que nous soyons déliés de tout ce qui nous rattache encore à la mort. En ces jours, nous faisons l’expérience, malgré nous, du confinement. Celui-ci révèle peut-être des fragilités dans nos personnalités. Ou il met en exergue certaines habitudes, voire addictions, auxquelles nous ne pouvons plus goûter.
Comme Jésus le demande à Marthe, il nous demande aujourd’hui : « Crois-tu ? » Crois-tu que je peux te faire vivre ? Crois-tu que la puissance de mon amour est plus forte que les liens de la mort et que toutes les entraves ? Crois-tu que la délivrance jaillie du cœur du Christ est plus vaste que les regrets, la culpabilité ou la faute ? Crois-tu que Dieu est plus grand que ton cœur ? Crois-tu qu’il peut te relever ? Crois-tu qu’il peut t’appeler et te dire : « Sors » ? Crois-tu que tu peux sortir ?

 

Peut-être que, finalement, le confinement que nous vivons pourrait devenir une catéchèse de Carême et une expérience paradoxale de libération. Et si la vie habituelle que nous menions, il y a encore quelques jours, était celle qui nous retenait dans les entraves des bandelettes du sépulcre ? Et si nous découvrions en ces jours ce qui fait l’essentiel de la vie dans l’attention à Dieu, aux autres, à soi-même ? Expérience profondément pascale qui pourrait nous préparer de manière atypique et inédite à la célébration de la mort et de la résurrection du Seigneur…                                                                                                       
 
AMEN.
 
Michel STEINMETZ † 

dimanche 22 mars 2020

Homélie du 4ème dimanche de Carême (A) - 22 mars 2020

« Mais qu’a-t-il fait au bon Dieu pour mériter cela ? » C’est ainsi que l’on pourrait traduire dans un langage qui nous serait familier l’interrogation des disciples en direction de cet homme, que beaucoup ne remarquent même plus, au seuil du Temple. Il fait partie des meubles, pour ainsi dire. Cette réaction, sans doute l’avons-nous eu, ces derniers jours face au mal qui semble s’abattre sur nous et se rapprocher de celles et ceux que nous connaissons, si ce n’est de nous-mêmes. Qu’avons-nous fait à Dieu ? Quel sens donner à tout cela ? Et étonnamment, à cela, Jésus ne donne aucune explication. Ici aucune démonstration cartésienne ou arithmétique. Il serait vain pour nous de nous perdre en conjectures dans les tems présents. Suivons plutôt l’aveugle de naissance. Nous, aussi, nous sommes plongés dans l’obscurité de l’ignorance.
L’aveugle de l’évangile n’a curieusement pas de nom. Pourquoi lui en donner un ? Il est aveugle. Voilà sa condition, voilà son nom : un aveugle de naissance. Il ne connaît que le noir de sa vie, de sa condition. Il est aveugle de naissance, c’est-à-dire que jamais il n’a vu la lumière. C’est ainsi. Irrémédiable. L’aveugle ne demande rien. Il n’interpelle même pas Jésus. Le regard de Jésus pourtant se pose sur lui. La guérison se fait dans la simplicité d’une rencontre entre Dieu et l’homme. Cette semaine, je suis venu tous les matins à l’église et prendre un bon temps de prière. En regardant le Christ sur la croix, je me suis rappelé Don Camillo dialoguant avec le Christ dans son église de Brescello. C’est vrai, qu’on qu’en dise : la foi est d’abord un attachement à la personne même du Christ. Alors que la foi populaire assimilait à l’époque de Jésus la cécité à une faute (Dt 5,9 ; Ex 20,5 ; Nb 14, 33 ; Lm 4,7), Jésus par son regard casse les clichés. Il rompt le lien maladie-péché. Il se révèle comme un Dieu qui sauve, un Dieu qui guérit, un Dieu qui donne vie ! Il n’est pas un Dieu qui punit, génération après génération. Ce qui est l’œuvre de Dieu, ce n’est pas la maladie, mais la guérison. L’œuvre de Dieu ou la mission de l’envoyé du Père c’est de donner la vie en abondance ! Malgré la guérison spectaculaire, tous ne croiront pas. Tous n’accéderont pas à la vue, à la lumière vivifiante comme l’aveugle qui sera guéri corps et âme dans sa confession de foi.
Et la guérison opérée par Jésus vaut ici plus que toutes les démonstrations savantes : Jésus, en rendant possible l’impossible, révèle que toute la puissance de Dieu habite en lui. Il la manifeste.  Voilà pourquoi les pharisiens s’opposent à ce point à lui. Ils ne sont pas dans une logique de discussions d’idée. Car l’évidence de la seigneurie de Jésus les aveugle en retour et ferment leur cœur. Ils refusent ce qui est pourtant manifestent. Par deux fois ils font comparaître l’aveugle de naissance, désormais guéri. Et comme si cela n’était pas suffisant, ils interrogent ses parents, pensant démasquer une supercherie. Eux répondent avec la même évidence que celle du miracle : «  Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ».
Aux deux comparutions de l’homme devant les pharisiens répondent les deux rencontres avec Jésus : quand il le croise à la sortie du Temple et quand les pharisiens l’ont jeté dehors. Sa guérison suscite la division, auprès de ses voisins, auprès des autorités juives. L’aveugle-né est témoin de la puissance et du don divin, mais il est aussi en marche. Nous pourrions dire qu’il illustre la vie de chaque baptisé, témoin du Christ Ressuscité, toujours en recherche. L’aveugle ira jusqu’à la confession de foi. C’est là le deuxième signe, le deuxième don, celui de la foi.
 
Ce récit de guérison, comme il y a en a tant dans les évangiles, n’est pas un signe de plus... Il illustre le combat entre la lumière et les ténèbres pour cet homme, mais aussi pour chacun de nous. Le Christ vient vers nous, qui bien souvent ne lui demandons rien. À nous de faire le pas supplémentaire. Y compris en ces temps obscurs et incertains. « Crois-tu au Fils de l’homme ? – Je crois, Seigneur ! »
AMEN.
Michel STEINMETZ †

samedi 7 mars 2020

Homélie du 2ème dimanche de Carême (A) - 8 mars 2020

Peut-être certains parmi vous bénéficient-ils de la fibre optique à leur domicile ou sur leur lieu de travail. Une fibre optique est un fil dont l’âme, très fine, en verre ou en plastique, a la propriété de conduire la lumière et sert pour la fibroscopie, l’éclairage ou la transmission de données numériques. Si à l’époque des Grecs anciens, le phénomène du transport de la lumière dans des cylindres de verre était déjà connu, et bien que le principe de la fibre optique date du début du XXe siècle, ce n’est qu’en 1970 qu’est développée une fibre utilisable pour les télécommunications. Imaginez un peu que l’âme – nom au demeurant charmant – connaisse ou bien un défaut ou une torsion, le chemin de la lumière ne sera plus possible.
 
Quand Jésus est transfiguré, l’évangéliste prend soin de préciser : « son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière ». La lumière émane de lui et se fait irradiante. Bien qu’éblouissante, elle demeure à ce point agréable que Pierre propose, maladroitement, de dresser trois tentes au sommet de la montagne. Mais si Jésus les a conduits jusque-là, ce n’est pas pour rien. Bien sûr, dans le langage biblique, la montagne est le lieu par excellence de la révélation de Dieu. Songeons à l’expérience de Moïse au Sinaï, ou d’Elie au mont Carmel. Gravir le sommet permet certes de prendre de la hauteur, de regarder ce qu’il y a plus bas avec un regard renouvelé par un changement de perspective. Ceux qui aiment la montagne le savent bien. Pourtant atteindre le sommet permet aussi de se rapprocher du ciel. Bien souvent, on domine les nuages quand la plaine, elle, reste enveloppée de grisaille. Il fallait donc que Jésus élève Pierre, Jacques et Jean : au-dessus de la grisaille de l’existence, au-dessus de la pollution qui envahit leur cœur. Pour élever leur foi en effet, en l’enveloppant du prisme de la lumière pascale qui révèlera Celui qui se lève d’entre les morts, il faut que les disciples dépassent ce qui, en eux, freine ou empêche la lumière d’arriver au plus profond de leur cœur. Comme dans la fibre optique. Jésus va ainsi nettoyer dans cette vision le chemin de leur cœur par le ravissement opéré dans la vision. En nous-mêmes, cette course de la lumière est si souvent obstruée par notre péché, nos doutes, nos routines : autant de torsions et de défauts qui brouillent notre communication avec Dieu. Sans doute faut-il consentir à nous laisser élever pour goûter à cette pure lumière, celle qui débarrassée de toute pollution atmosphérique, se fait à la fois intense et paisible.
Saint Paul le rappelait à sa manière : « Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté ». Nous devons nous souvenir que nous ne sommes pas à l’origine de la lumière de la grâce quand nous éprouvons la tentation de nous prendre pour des « lumières ». C’est Dieu qui nous a appelés, comme Pierre, Jacques et Jean, à être baignés de sa lumière à lui. Et c’est sa grâce qui nous sauve. C’est-à-dire que nous sommes dès lors interrogés quant à notre capacité à recevoir la grâce en nous, dans toute son intensité. Il nous appartient d’entretenir notre fibre optique intérieure. Et s’il le faut, il est de notre devoir de nous laisser élever, non pour notre gloire personnelle, mais pour dépasser la pollution du péché afin d’être introduits plus encore dans la proximité de Dieu. Cela suppose parfois de quitter notre terre, celle de nos certitudes bien établies, de nos habitudes addictives et mortifères qui nous retiennent dans nos mornes plaines. Là nous continuons de vivoter mais sans vivre réellement.
 
Ouvrez-vous, en ce Carême, frères et sœurs, à Celui qui « en détruisant la mort », « a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile ». Seigneur, il est bon qui nous soyons ici avec toi. Et que nous puissions y demeurer.
 
AMEN.
Michel Steinmetz   

Homélie du Mercredi des Cendres - 26 février 2020

« Retire-toi dans ta pièce la plus retirée ». Quelle sorte de Carême allons-nous vivre ? Sera-t-il un Carême de « retrait » ? Mais alors retrait de quoi ? Du monde tel que nous le voyons et que nous le percevons peut-être comme insupportable ? De la société si peu apte, à notre goût, à servir l’homme ? De l’Eglise dont on doute de sa sainteté ? De nos familles mêmes ? Et si retrait il y a, pourquoi ? Pour nous préserver, nous protéger, nous réfugier ? Pour vivre un Carême comme une autruche, c’est-à-dire en enfouissant sa tête dans le sable ? Voire en guise de réflexe identitaire, telle celui d’une tribu menacée ? Retrait qui, alors, s’accompagnerait d’un raidissement tout azimut.
 
Au contraire, ce Carême devra avoir des allures de « sortie » dans une ouverture à l’autre, aux autres, et évidemment d’abord à Dieu. Car lui seul permet de poser sur moi et sur les autres un regard miséricordieux, valorisant et aimant. Son regard n’est en rien laxiste ou libertaire, il ne dissimule pas la vérité du voile pudique de la honte ou de la bien-pensance. Il n’est pas plus celui qui prendrait plaisir à nous prendre en défaut. Ce regard de Dieu sur nous et sur les autres nous impose de rejeter les étiquettes qui collent à la peau, avec leur lot de rengaines qui enferment et condamnent : « il/elle ne changer jamais ! », « c’est un bon à rien ! », « on n’en fera jamais quelque chose ! ». Kyrielle de condamnations et qui sont contraires l’agir de Dieu. Pas de retrait donc, mais une sortie. Pour voir les autres, il faut aller vers eux ; pour nous voir nous-mêmes, à la fois tels que nous sommes ou tels que Dieu nous désire, il nous faut prendre de la distance.
 
Il convient, dans ce Carême qui, aujourd’hui, s’ouvre à nous de revenir au Seigneur, et, revenant à Lui, de ne pas nous focaliser sur notre péché. Entendons-nous bien : le péché est détestable. Il nous enlaidit et il faut le fuir. Une fois que cela est dit, pourtant, rien n’est dit. Fuir le péché, certes, mais pour aller où ? Nous perdre dans notre introspection qui ne fera toujours plus que mettre au jour nos petitesses, nos infidélités, nos bassesses ? C’est en ce sens qu’il ne faut nous focaliser sur notre péché. Tel un virus (chinois ?), il prolifère, nous atteint et finit par se transmettre en atteignant les autres. Nous connaissons bien sa capacité de nuisance et de putréfaction. Il faut donc aller à l’antidote, revenir au Seigneur et refaire sa rencontre. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le sacrement du Pardon et de la Réconciliation – que nous pourrons peut-être redécouvrir d’ici Pâques – invite le pénitent à ce double mouvement inséparable : confesser l’amour de Dieu en même temps que notre péché. Car l’amour de Dieu est le seul point de référence.
 
 
Quand il s’agit de « se » rencontrer par la médiation symbolique de la liturgie, disons-le clairement, il ne s’agit pas de faire œuvre d’introspection au seul psychologique du terme. Le croyant qui consent à un tel mouvement va la rencontre de celui qui est plus intime à lui-même que lui-même: « « En suivant le sens de la chair, c’est toi que je cherchais !  Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même. Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo ! » [1] Augustin le désigne comme  le Maître intérieur.[2] Il faut se retirer, mais pour trouver celui qui est déjà là et que la vie, avec son lot de souffrances, de soucis ou de difficultés à croire, nous a fait oublier, ne plus voir, ne plus entendre. Le retrait n’aura rien d’une fuite en avant, toujours vaine, car nous traînons nos démons avec nous.
 
Ce Carême sera le « moment favorable », celui du rendez-vous galant, amoureux avec Dieu. Et nous nous y apprêterons ; ce sera l’occasion d’une fête, celles de nos retrouvailles, et donc de notre renaissance. Prenez rendez-vous et, dès aujourd’hui, prenez date ! A vos agendas !
 
Michel Steinmetz   


[1] Augustin, Confessions, III, 6, 11.
[2] Cf. Augustin, Homélies sur la première épître de saint Jean III, 13, BA 76, p.177-179 : « Car vous voyez là, mes frères, un grand mystère. Le son de nos paroles frappe les oreilles ; le maître est à l’intérieur. Ne croyez pas qu’un homme puisse apprendre quelque chose d’un autre homme. Nous pouvons vous avertir en faisant du vacarme avec notre voix ; s’il n’y a pas à l’intérieur quelqu’un pour vous instruire, c’est en vain que nous faisons du bruit. »