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samedi 18 septembre 2021

Homélie pour le 25ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 19 septembre 2021

Fête patronale à St-Maurice 

Saint Maurice est un raté. Et ses compagnons d’infortune ne valent pas mieux que lui. Maurice, l’Africain, croyait qu’en bombant le torse et qu’en élevant la voix, il ferait plier l’empereur de Rome, Maximien. Pensait-il sérieusement que son Dieu serait plus fort que l’Auguste ? Le décurion Maurice et plusieurs légionnaires refusent de prendre part à une cérémonie païenne et pensent qu’aucun grief ne leur sera retenu. Vantards, ils disent à la barbe de l’empereur futé, qui a su les attirer dans ce piège : « Empereur, nous sommes tes soldats, mais aussi les serviteurs de Dieu. A toi, nous devons le service militaire, à Lui une conscience pure. Nous sommes prêts à porter les mains contre n’importe quel ennemi, mais nous estimons que c’est un crime que de les ensanglanter en massacrant des innocents. » (Actes de martyrs d’Agaune). 


« Attirons le juste dans un piège, car il nous contrarie, il s’oppose à nos entreprises, il nous reproche de désobéir à la loi de Dieu », voilà ce qu’annonçait le livre de la Sagesse, en donnant la parole à « ceux qui méditent sur le mal ». Bien évidemment les chrétiens ont toujours lu ce passage de l’Ecriture en l’appliquant au Christ, aux jours de sa Passion, ces jours que Jésus annonce lui-même dans l’évangile : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. » Cette expérience, c’est à n’en pas douter celle aussi de Maurice et de siens, dont la pratique de foi a été à l’encontre d’une croyance qui se voulait une foi, croyance finalement sociale, extérieure et politique, destinée avant tout à la cohésion de l’empire autour de son chef. Eux ont décidé d’emboîter le pas au Christ, dans la fidélité et l’imitation, jusqu’à subir la mort plutôt que de le renier. Ils avaient bien compris que, dans le choix qui leur était imposé, ils ne pourraient concilier la chèvre et le chou. Mais ils savaient, en leur cœur et leur âme, que Dieu ne les décevrait pas. Sans aller jusque-là, nous devons nous interroger nous-mêmes que les choix auxquels une société désormais pluraliste et largement sécularisée voudrait nous contraindre. En prenant garde de ne tomber ni dans un réflexe identitaire, et donc ghettoïsant d’une espèce en voie de disparition ni dans l’assurance hypocrite, et pire encore, d’être une caste d’élites dans un monde perverti, les chrétiens que nous voulons être se doivent de mener leur vie en interrogeant leur conscience.


« La sagesse qui vient d’en haut est d’abord pure, puis pacifique, bienveillante, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie. C’est dans la paix qu’es
t semée la justice, qui donne son fruit aux artisans de la paix », rappelait saint Jacques. A vrai dire, il ne semble pas que Maurice et ses compagnons aient voulu convertir ou l’empereur ou son état-major dans une opération de bravoure. Leur héroïcité a reposé dans leur sagesse pacifique qui, parce que dépourvue d’« actions malfaisantes », a porté ses fruits. Ils n’ont pas voulu contraindre les autres à être comme eux, mais ils ont consenti à donner un témoignage qui allait s’imposer de soi, mettant à l’unisson leur foi, leurs paroles et leurs actes. Que de fois, sommes-nous prêts, comme chrétiens, à nous ériger en donneurs de leçons, dans nos familles, dans nos lieux de vie et de débat, en oubliant de nous laisser convertir nous-mêmes ? Personne ne s’y trompe et, au lieu du témoignage, nous nous faisons la risée même de celles et ceux qui ne veulent pas croire. 


« ‘De quoi discutiez-vous en chemin ?’ Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. ». Jésus ne s’y trompe pas en leur ordonnant d’être pour tous le plus petit et le serviteur. Il n’y a d’autre voie possible pour qui veut le suivre, quand bien même cela ne flatte pas son égo. Le chrétien est celui qui aime les autres, même différents de lui, et qui consent à les servir. C’est cela la fraternité universelle. Et c’est là la clé de toute annonce de l’Evangile. Saint Maurice n’est décidément pas un raté. Mais un grand monsieur. Un grand saint. 


AMEN.


Michel STEINMETZ † 


vendredi 10 septembre 2021

Homélie pour le 24ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 12 septembre 2021

Au long des dimanches que nous venons de vivre en méditant sur l’évangile de saint Marc, nous avons vu comment se formulait une question sur l’identité de Jésus, à partir de l’enseignement qu’il donnait avec autorité, à partir des signes de puissance, des miracles qu’il a accomplis. Tous disaient : mais qui est-il celui-là ? Qui est cet homme ? Mais à mesure que l’enseignement de Jésus se développait et que ces signes étaient plus diversifiés, plus expressifs, peu à peu l’idée se développait qu’il n’était peut-être pas simplement le fils de Marie, le charpentier de Nazareth, mais qu’il y avait chez lui quelque chose de plus profond, de plus fort, de plus mystérieux. Un peu comme si une couche de vernis – un vernis de banalité humaine, disons-le – se craquelait pour laisser apparaître en-dessous la réalité même et que la divinité de Jésus transparaissait ainsi. A l’image d’une toile de maître recouverte par les enduits des restaurations hasardeuses de peintres sans génie.


Les disciples vont ainsi non seulement entendre ce qu’on dit de lui, à la manière de sondeurs d’opinion, mais plus encore se faire leur propre opinion. Ce qu’ils savent de lui, c’est évidemment ce qu’on leur a dit, ce qu’ils ont vu, ce dont ils ont fait l’expérience depuis des mois de compagnonnage. Finalement, ils commencent à pressentir qu’il est un peu tout de ce que les gens disent de lui, mais qu’il est encore plus. Il n’est pas seulement Jean-Baptiste qui serait revenu des morts ni même Elie. Il est tout à la fois. Ce que l’Ecriture avait annoncé, et qu’ils connaissent, s’accomplit en Lui. Il est ainsi donc aussi, et plus encore, que le Serviteur souffrant annoncé par le prophète Isaïe.


Comme lui, il rend « sa face dure comme pierre ». Nous dirions volontiers aujourd’hui qu’il demeure de marbre. Mais les souffrances à venir librement endurées de la part du Christ ne sont pas le signe de son impassibilité. Jésus ne fait pas semblant, comme il ne fera pas semblant sur la croix. Car, encore pour reprendre une expression courante : il n’a pas une pierre à la place du cœur. S’il rend sa face dure comme pierre, c’est pour signifier que rien ne pourra entraver ou arrêter la volonté de Dieu qu’il va réaliser pour nous réconcilier avec Lui. Malgré l’angoisse qui l’étreint à la pensée du terme de sa mission, « il sait qu’il ne sera pas confondu ».


La question directement posée aux disciples remet en cause la propre relation des disciples avec Jésus. Qu’est-ce qu’ils veulent faire avec lui ? Mais apparaît aussitôt le basculement auquel Jésus va les contraindre, car s’il accepte ce titre de Christ et de Messie, il commence à dire ce que cela représente. La profession de foi de Pierre serait un peu la conclusion heureuse du chemin positif parcouru par Jésus. Ce serait une manière de dire que tout s’est bien passé et qu’on le reconnaît comme un envoyé de Dieu, sorte d’happy end avant le terme. Mais voilà que Jésus rebondit et ajoute : « Le Fils de l’homme doit souffrir beaucoup, … être tué avant de ressusciter » (Mc  8,31). Ici, le basculement ne se situe plus simplement dans la relation entre les disciples et Jésus, mais sur le contenu même de leur foi. Il en est de même pour vous. 


Qu’est-ce que cela signifie de dire que Jésus est le Christ ? Est-ce qu’il sera le Messie glorieux qui rétablira le royaume d’Israël dans son ancienne puissance ? Ou bien, comme Jésus l’annonce ici, et comme le prophète Isaïe l’avait annoncé, il sera le Messie souffrant, humilié et crucifié. Nous voyons tout de suite comment ce basculement rencontre de plein fouet la représentation que se font les disciples : « Pierre le prend à part et lui fait de vifs reproches » (Mc  8,32). Cela veut dire qu’à partir de maintenant, les événements, les enseignements, les signes que Jésus va opérer, ne vont plus contribuer à enrichir son image de maître, mais initier peu à peu les spectateurs et les auditeurs à comprendre quel est le chemin du salut. 


Ainsi, frères et sœurs, nous sommes remis ensemble devant la décision radicale qui oriente la vie de tout disciple de Jésus : acceptons-nous, est-ce que j’accepte, que le Dieu auquel je crois, manifesté en Jésus de Nazareth, est un Dieu crucifié ? 


AMEN.


Michel STEINMETZ  †  


vendredi 3 septembre 2021

Homélie pour le 23ème dimanche du Temps ordinaire (B) - 5 septembre 2021

Il n’y a pas à dire : ce pauvre homme n’a guère de chance dans la vie. Comme si cela ne suffisait pas de ne pas entendre, il a du mal aussi à s’exprimer. Deux handicaps qui le laissent quelque peu en dehors de la communauté de ses semblables. Ces derniers pourtant – et c’est sans doute la première leçon de cet évangile – se soucient de lui. Hors de question de le laisser ain
si. Ils se sentent solidaires de celui que son mal met ainsi au ban de la communauté. Ils décident alors de l’amener à Jésus et de le supplier de faire quelque chose. Tant qu’à faire, cela ne coûte rien d’essayer. Au cas où…  


Au retour d’un passage en Phénicie, Jésus est donc de retour dans le territoire de la Décapole sur les rives du Jourdain. Il y est déjà reconnu comme thaumaturge. Marc prend le soin de préciser que c’est bien « un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler » qu’on conduit à Jésus. Or ce dernier verbe n’apparaît qu’une seule fois dans la Bible, en Isaïe 35, 5-6, que la liturgie nous fait entendre en première lecture. Nous verrons la raison de cette référence. Jésus accède à la demande mais curieusement, au lieu d’opérer la guérison d’un mot et sur-le-champ, il entreprend une démarche thérapeutique mystérieuse même si l’on sait que de tels gestes étaient également pratiqués par les guérisseurs de l’époque. Alors que, si souvent, Jésus guérit d’une parole, ici il semble se heurter à un obstacle difficile qui d’abord exige le secret : l’homme doit expérimenter une rencontre seul à seul avec Jésus. Puis il faut des contacts, des touchers avec les organes malades. A juste titre, Jésus guérit d’abord l’ouïe car c’est à cause de la déficience de ce sens que l’homme ne parvient pas à s’exprimer. Le langage correct vient d’une écoute normale. Ensuite Jésus fait appel à la force divine : « les yeux au ciel, il soupire… » : il invoque « le Père qui est aux cieux » et appelle le Souffle de l’Esprit. Enfin il prononce un ordre que Marc a conservé dans la langue originale : « Effata » et que la liturgie du baptême a conservé jusqu’à nos jours. L’homme était enfermé en lui-même : n’entendant pas, il ne pouvait bien s’exprimer, il bredouillait des sons informes. Jésus lui rend la communication, le langage, la parole. Alors Jésus lui recommanda de n’en rien dire à personne ; « mais plus il le leur recommandait, plus ils le proclamaient ».


« La revanche de Dieu », ainsi que parle Isaïe, ou pour le dire autrement l’avènement du temps de Dieu, correspondra à ce moment où la communauté des hommes sera profondément rassemblée et unie. Elle ne sera plus défigurée par le mal, par ce qui oppose ou clive. Tous pourront s’entendre et tous pourront parler. Ce temps annoncé et espéré, Jésus vient en offrir les prémisses. En lui, l’humanité se réconcilie. Très astucieusement encore, Marc termine son petit récit en plaçant dans la bouche des païens la phrase d’Isaïe 35 : « il a bien fait toutes choses ». En fait ce texte évoquait l’allégresse du Liban lorsque les Judéens exilés revinrent de Mésopotamie au VIe siècle avant Jésus-Christ. Pour l’évangéliste, l’événement passé n’est pas qu’un souvenir à rappeler : il devient une promesse de l’avenir. En Jésus, effectivement, Dieu se révèle comme Celui qui ne juge pas selon les apparences mais comme Celui qui considère d’abord ceux qui « sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume », comme le disait saint Jacques. 


Nous savons bien ces derniers temps combien les opinions ont pu se cliver dangereusement et violemment, parce que les mois derniers ont ébranlé chacun à des titres divers. Pourtant, celui qui veut suivre le Christ ne peut céder à cette tentation. Il doit accueillir les signes du Sauveur comme des pansements en faveur de la réconciliation et de l’unité. Avant de parler, ou d’essayer de le faire, l’évangile nous rappelle qu’il est nécessaire d’entendre. Entendre les autres, mais avant tout Dieu lui-même en sa Parole. Et pour bien entendre, il faut aussi savoir se taire. Nous ne cèderons pas alors trop rapidement aux options tranchées qui opposent. Au contraire, nous poserons un regard juste et nous prononcerons des paroles qui unissent. Comme Jésus, qui « fait bien toutes choses ». 


AMEN.


Michel STEINMETZ †