Quoi de plus légitime, de plus normal, de plus compréhensible que de préparer son avenir, et qui plus est lorsque les temps sont troubles, incertains ? N’avons-nous pas déjà connu pareille tentation ? Faire jouer du piston, comme on dit, pour se préparer un avenir assuré et tranquille, pour avoir, peut-être même, le pouvoir et être servi ? Ne jetons pas trop vite la pierre à Jacques et Jean ! Leur demande est finalement bassement humaine.
« Vous ne savez pas ce que vous demandez ! ». Voilà la réponse de Jésus. Il recadre les choses. Siéger à la droite et à la gauche du Fils de l’Homme, ce n’est pas rien ! Le Christ rappelle, si besoin était, que d’accorder cela ne lui revient pas mais relève de l’initiative du Père. Lui-même se reçoit du Père et reçoit de lui son pouvoir. Boire à la coupe que Jésus s’apprête à boire, recevoir le baptême dans lequel il va être plongé, voilà les conditions sine qua non pour accéder au Royaume. La coupe est souvent, dans l’Ancien Testament, un symbole de la souffrance ; à cette image, Marc ajoute celle du baptême, qui désigne la mort à soi-même pour la renaissance en Dieu. Jésus, en effet, ne vient-il pas d’annoncer pour la troisième fois, sa Passion, alors même que, déterminé, il fait route vers Jérusalem ? Entrer dans le Royaume ne pourra jamais se confondre avec un pouvoir, ou pire encore un abus de pouvoir.
Jacques et Jean réponde à l’interrogation de leur maître de manière on ne peut plus claire : « Nous le pouvons ». Et ils le pourront, en effet : leur vie de foi toute entière vouée à l’annonce de l’Evangile et couronnée par la gloire du martyre n’en est-elle pas l’expression parfaite ? Ils ont persévéré, ils ont tenu fermes. « A cause de ses souffrances [ ou, comme nous le suggère un autre traduction : ayant payé de sa personne], le Serviteur verra la lumière, il sera comblé », nous dit le prophète Isaïe.
Isaïe parle de « payer de sa personne ». Peut-être est-il bon de nous rappeler que venir en aide à nos frères, se faire le serviteur de tous demande toujours un effort. Le Christ nous invite, pour le rencontrer, à nous faire solidaires les uns des autres. Il nous exhorte, comme il le faisait pour Jacques et Jean, à boire avec lui la coupe du salut, c’est-à-dire non à courir au devant des souffrances ou de faire de notre volonté de service l’étendard de notre vanité, mais à persévérer dans la foi. Ces jours, cela passe sans doute dans le fait de le reconnaître, Lui broyé par la souffrance, dans les souffrances des victimes d’abus dans l’Eglise.
Alors nous comprendrons, au travers, parfois, d’âpres moments de combat et de purification intérieure, que c’est celui qui persévèrera jusqu’à la fin qui sera sauvé. Celui qui garera sa conscience pure et son discernement éclairé. Et c’est la seule gloire que nous devons désirer. Les autres ne sont que vanité.
« Pouvez-vous boire au calice où je vais boire ? » C’est-à-dire : êtes-vous prêts à donner votre vie pour vos frères par-delà toute souffrance ? Voici la question que nous retiendrons avec cette consigne : en attendant la gloire, mettez-vous au service de vos frères ! Voilà la seule manière d’imiter le Christ et de lui ressembler, la seule manière de ne pas se tromper quoi qu’il advienne !
AMEN.
Michel STEINMETZ †
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