Le temps de
l’offrande
|
Le temps impatient
de la foule en attente d’un sauveur s’abîme déjà devant le temps de l’offrande
dans lequel le Christ introduit. Aussi étonnant que cela puisse paraître, jamais
vous ne pourrez vous voir vous-même dans un miroir. Un miroir peut être utile à
votre toilette, voire indispensable, mais ce n’est pas dans un miroir que vous
trouverez la révélation de vous-même. Votre vie profonde, celle par laquelle
vous vous transformez vous-même, échappe à tout artifice de l’apparence. La vie
de Jésus ne peut ainsi être comprise que dans la donation du Père qui culmine
ce soir dans le don que le Christ consent à faire de lui-même. Dieu se donnant
pour notre salut. Dieu s’abaissant jusqu’à l’insoutenable de la rupture de la
mort.
La vie
profonde échappe à la réflexion du miroir ; « elle ne peut se connaître
que dans un autre et pour lui », écrit Maurice Zundel. Et il
poursuit :
« Quand vous vous oubliez parce que
vous êtes devant un paysage qui vous ravit, ou devant une œuvre d’art qui vous
coupe le souffle, ou devant une pensée qui vous illumine, ou devant un sourire
d’enfant qui vous émeut, vous sentez bien que vous existez, et c’est même à ces
moments-là que votre existence prend tout son relief, mais vous le sentez d’autant
plus fort que justement l’événement vous détourne de vous-même. C’est parce que
vous ne vous regardez pas que vous vous voyez réellement et spirituellement, en
regardant l’autre et en vous perdant en lui. »
Jésus, en
consentant à s’abaisser, à se dépouiller lui-même, non parce qu’il y serait
contraint mais parce qu’il le choisit par amour, révèle le sens paradoxal de
l’offrande véritable. Vous n’existez pas plus en donnant quelque chose, car vous
risquez d’être renvoyés à une image qui, de manière narcissique, vous
augmentera. C’est au contraire en vous donnant, en vous oubliant, que vous
grandissez jusqu’à la maturité de vous-même, comme le fruit mûr tombé en terre
et qui porte du grain. « C’est cela le miracle de la connaissance
authentique. Dans le mouvement de libération où nous sortons de nous-mêmes, où
nous sommes suspendus à un autre, nous éprouvons toute la valeur et toute la
puissance de notre existence… Dans ce regard vers l’autre, nous naissons à
nous-mêmes », écrit encore Zundel.
|
|
Il est riche
d’enseignement pour nous qu’au jour où l’Eglise, entrant dans la célébration du
mystère pascal et faisant mémoire de l’institution de l’eucharistie, nous donne
à entendre à la fois le récit de Paul et celui de Jean. La dernière consigne
qui retentit dans le récit johannique, c’est que « vous vous aimiez les uns les
autres comme je vous ai aimés ». Et cette consigne est aussi le critère qui
fait reconnaître les disciples de Jésus : « C’est à cela que l’on reconnaîtra
que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. » Et, pour
donner une leçon de choses à ses disciples, Jésus leur lave les pieds. « C’est
un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai
fait pour vous. » Aussi curieux que cela paraisse, l’eucharistie semble avoir
disparu, elle n’est même pas nommée en cet endroit : pourquoi ? Parce qu’elle
est implicitement contenue dans ce mandatum
(ce commandement). Elle est implicitement contenue et dans le geste et dans la
consigne ultime du Seigneur, « Aimez-vous les uns les autres », parce que c’est
exactement la même chose. Si nous voulons célébrer l’eucharistie en fidélité au
Seigneur, nous ne pouvons omettre cela. Jamais. Voici le temps de l’offrande de
nous-mêmes.
AMEN.
Michel STEINMETZ †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire