Le temps de la vie qui ne connaît pas de fin
Beaucoup, depuis des mois, attendent le retour de la vie d’avant et soupirent quant au monde d’après qui n’en finit d’arriver. Il est vrai qu’il y a de quoi désespérer. Et certains sombrent dans la déprime. Rappelez-vous : c’est au moment où le jour déclinait que le corps de Jésus fut descendu de la croix et déposé au tombeau. « Déjà brillaient les lumières du sabbat », nous dit l’évangile. Et dans ce grand repos, Dieu ne restait pas inactif : il préparait une nouvelle création. C’est encore dans l’obscurité, mais cette fois celle de l’aurore – on dit qu’elle est à son paroxysme juste avant le lever du jour – que Marie-Madeleine arrive au tombeau. Sans doute son chagrin l’étreint-il à ce point qu’elle n’a pas dû trouver le sommeil. Et l’obscurité de la nuit rejoint l’obscurité de son cœur. Il n’y a pas d’issue : elle a vu Jésus mort sur la croix. Elle a vu comment on l’a déposé dans ce sépulcre. Maintenant il reste à accomplir les rites funéraires que le sabbat avait interrompu. Sa démarche est une démarche de deuil.
Pourtant, coïncidant alors au premier rayon de soleil qui vient déchirer la nuit, ses ténèbres intérieures se changent fébrilement en une joie à laquelle le doute prévaut encore, pragmatique : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » C’est alors que Pierre et Jean accourent. Est-ce seulement possible ? Jean laisse la préséance à Pierre, l’aîné et le chef, la pierre de l’Eglise naissante, pour entrer dans le tombeau. Tous deux le constatent : les linges sont posés à plat, le suaire « qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. » Et l’évangile nous dit, de manière aussi lapidaire qu’assurée : « il vit et il crut ». C’est à ce moment seulement, dans cette lumière nouvelle qui se lève, qu’ils comprennent et que toutes les zones d’ombre qui avaient subsisté pour eux de l’agir et de l’enseignement de Jésus sont dévoilées. Ils en ont la certitude : le corps n’a pas été enlevé, Jésus est vivant. « La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Le jour qui se lève marque une ère nouvelle.
Frères et sœurs, quelles que soient nos ténèbres personnelles, quelles
que soient les circonstances du moment et qui peut-être nous fragilisent,
n’attendons pas en vain un « monde d’après », car le nouveau monde
est déjà là et nous courrions le grand risque de ne pas en percevoir la
nouveauté. Ce temps de la vie qui ne connaît pas de fin et que Jésus inaugure
pour nous, nous y sommes associés par notre baptême. Nous portons en nous le
germe d’une vie éternelle, de la vie même de Dieu. Ce qu’est Jésus, vivant
ressuscité, Il l’est pour nous. Sa résurrection rejaillit sur nous. Cadeau
inestimable d’un mystère ineffable, révélé
aux témoins « que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et
bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts ». Et les Actes des
Apôtres de poursuivre : « Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et
de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts. »
Ceux qui ont mangé et bu avec lui après sa résurrection, c’est vous qui
prenez part à cette eucharistie et devenez contemporains de l’évènement pascal.
« Vous êtes le Christ des autres. Ils n’ont pas d’autres Christ que vous,
parce que c’est uniquement à travers vous qu’ils voient le Christ. Où
voulez-vous que l’homme de la rue, où voulez-vous que nos contemporains
découvrent Dieu comme une expérience vivante, sinon à travers nous ? Pour eux,
ce ne sont pas les livres, ce ne sont pas les discours qui pourront jamais rien
changer à rien… » (Maurice Zundel, Le
poème de la sainte liturgie). C’est la force du témoignage, celui modeste
d’une vie où résolument nous ne laisserons pas les ténèbres et les raisons de
désespérer de nous-même et des autres être plus fortes que le rayon de soleil à
l’aube de Pâques.
Ainsi donc, nous serons l’expression du visage glorieux du Christ. Saint
Augustin le disait : « Nous n’avons pas seulement été faits chrétiens, nous
avons été faits Christ ». A vous de l’assumer et d’en être fiers.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire