Sans doute le secret dont parle Jésus n’a rien
à voir avec la dissimulation. Il est plutôt de l’ordre de l’intériorité. Le
Christ en effet appelle à ne pas vivre les choses de manière ostentatoire au
risque d’en rester à l’apparence et de sombrer dans l’hypocrisie. C’est
vrai : nous pourrions vivre cette quadragésime de manière fort
respectueuse en priant plus, en donnant plus, en nous privant plus. Mais
irions-nous pour autant au fond des choses ? Le Carême n’a pas l’ascèse
pour finalité. Consentir à « faire des efforts », comme on l’enseigne
parfois aux enfants dans une détestable catéchèse. Le Carême est un moyen pour
revenir au Christ lui-même. Au bout de la route de ces quarante jours, il y
aura la célébration du mystère pascal, ce mystère dont notre vie baptismale est
emprunte. Nous y avons été plongés. Et justement, l’apparence, la
superficialité, la routine nous éloignent du don inestimable qui nous a été
fait. Alors il faut « revenir » ; il faut se
« convertir » ; il faut « se laisser réconcilier ».
Or le tumulte et l’agitation du monde ne sont pas
des lieux propices. C’est pourquoi Dieu mène son peuple au désert pour qu’il y
soit dépouillé. Et dans cette apparente pauvreté il y retrouve
l’essentiel : l’expérience de l’alliance avec son Dieu. Nous savons
combien Dieu, mystérieusement, conduit et accompagne son Eglise en ces temps
difficiles vers un désert purificateur et bienfaisant. Nous comprenons que nous
ne pouvons demeurer dans la superficialité des discours ou des opinions. Nous
sommes obligés à une profonde conversion.
Comment allons-nous vivre cette conversion
ecclésiale ? Tout d’abord en nous sentant toutes et tous concernés. Ce serait
péché d’orgueil que de s’imaginer que la conversion serait l’affaire de
certains seulement. Face au péché et à l’urgence d’un changement, la fuite
n’est pas une option possible pas plus que son occultation méthodiquement
organisée. Le prophète Joël demande : « déchirez vos cœurs et non pas
vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu ». Il ne s’agit donc pas
d’une opération extérieure qui concernerait l’enveloppe ou la carcasse, il
s’agit bien d’agir sur le cœur, c’est-à-dire au plus profond de son être, siège
de sa volonté et de ses passions. Alors, Dieu « pourrait revenir, il
pourrait renoncer au châtiment, et laisser derrière lui sa bénédiction ».
Cette conversion ne sera pas non plus un repli
sur soi. Le chrétien qui voudrait vivre son Carême comme une autruche,
c’est-à-dire en enfouissant sa tête dans le sable, n’aurait rien compris. Ce
Carême doit avoir des allures de « sortie ». Débordement du cœur qui
retrouve son bon sens et sa pureté, qui redécouvre combien il est aimé de Dieu
d’un amour précisément débordant. « Que le jeune époux sorte de sa maison,
que la jeune mariée quitte sa chambre ! ». Cela n’est en rien en
opposition avec ce que Jésus demande : « quand tu pries, retire-toi
dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent
dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » Car
l’essentiel n’est pas dans l’apparence ou l’effet de communication – le buzz
médiatique, il est dans l’inclination profonde et résolue d’une volonté.
A l’image des retables de notre église qui
sont désormais fermés jusqu’à la nuit pascale où ils resplendiront à nouveau,
brillant de tous leurs ors, nous allons prendre soin de notre intériorité pour
que notre cœur s’y découvre renouvelé par l’amour du Seigneur. Nous allons
demeurer auprès du Seigneur dans le silence pour qu’il nous réconcilie avec
nous-mêmes et avec Lui. C’est le moment favorable : et, si nous le voulons
bien, laissons le Seigneur en faire un temps de salut et de bénédiction.
Michel
Steinmetz †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire