L'évangile
de ce jour est tiré de la rencontre entre Jésus et le pharisien Nicodème. Dans
une longue tirade, Jésus lui livre les secrets de Dieu. Il peut le faire parce
qu’il vient de Dieu. Nul autre que lui ne peut le faire. « Qui, étant
monté aux cieux, en est redescendu ? » s’interrogeaient les sages d’Israël
(Proverbes 30,4). Personne évidemment, sauf Jésus. Avec une nuance cependant.
Jésus n’est pas monté au ciel pour en redescendre. Il est descendu du ciel pour
y remonter. Il a été envoyé par le Père et a été « élevé ».
On est très étonné de lire dans la déclaration de Jésus à Nicodème une phrase
comme celle-ci : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse
dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé ». Comment
peut-on comparer Jésus, même se tordant dans les douleurs du supplice, à un
serpent ? Dans la Bible, le serpent est le symbole du mal. Dès les premières
pages du livre de la Genèse, il fait les dégâts que l’on sait auprès de l’arbre
du bonheur et du malheur. Lors de la traversée du désert, il attaque le peuple
avec sa « morsure brûlante ». Sur le chemin de Paul à Rome, à Malte,
il surgit sous forme de vipère pour bloquer l’avancée de la Parole de Dieu. Et
dans l’Apocalypse il a grossi au point de devenir un dragon. Il cherche à
dévorer l’enfant mis au monde par la Femme et il n’est vaincu qu’à la fin, au
moment où la Jérusalem nouvelle descend d’auprès de Dieu. Comment peut-on
comparer Jésus à une bête pareille ?
L'explication est
ingénieuse. Reposant sur le mot « élever », elle nous ouvre de belle
perspective. St Jean reprend un épisode assez obscur de l’histoire d’Israël. Au
cours de la traversée du désert, Dieu a permis que son peuple récalcitrant soit
attaqué par des serpents venimeux. Pour le sauver, Moïse a élevé un serpent de
bronze sur un mat et lui a demandé d’élever les yeux vers cette image. Le
serpent ne sauvait pas par lui-même. Ceux qui levaient les yeux vers le serpent
levaient les yeux vers le ciel sur lequel se détachait l’image du mal vaincu.
Par delà le serpent, ils regardaient l’auteur du salut : le Seigneur. Nous
comprenons maintenant la belle image utilisée par l’évangéliste. Jésus lui
aussi est élevé sur le bois de la croix. Élevé par les hommes qui croient le
punir. Élevé en réalité par Dieu. Car dans notre passage, l’évangéliste joue
sur l’ambiguïté de l’expression. Jésus a été élevé sur le bois de la croix et
il a été élevé par Dieu. La mort de Jésus n’est pas un sacrifice destiné à
apaiser la colère de Dieu. Elle est au contraire la manifestation de l’amour de
Dieu pour les hommes.
Voilà bien ce qui
peut faire la fierté des croyants que nous sommes. Ce signe de la croix est
notre fierté. Comment le bafouer, le rendre insignifiant, le vulgariser ?
Pour nous ce n’est pas possible. Nous ne pouvons nous y résoudre, nous ne
pouvons rire avec le monde d’une croix de Jésus trop souvent dévoyée à des fins
commerciales ou publicitaires. Il serait intéressant d’observer les personnes
qui entrent dans nos églises comme vous venez de le faire ce matin. On croirait
que le signe de la croix est devenu un signe ostentatoire. Comme s’il fallait
le cacher. Pourquoi des signes de croix aussi lilliputiens, à peine
perceptibles ? Pourquoi les fidèles auraient-ils la croix honteuse et non
la croix glorieuse ?
Jadis, la première
leçon de catéchisme ne portait sur les dogmes, sur ce qu’il faut croire, mais
sur un geste : celui du signe de croix. « Que dois-je faire le matin
à mon réveil ? », demandait-on à l’enfant. La réponse devait fuser, comme un réflexe
bien acquis : « Au réveil, je trace sur moi le signe de la croix ».
Avant même d’habiller son corps pour la journée, il convient de l’habiller, de
le draper, du plus beau vêtement du salut. Des générations avaient ainsi
compris, en la vivant, la parole de l’Apôtre : « Pour moi, que la
croix de notre Seigneur Jésus-Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde
est crucifié pour moi, et moi pour le monde. » (Ga 6, 14)
Et vous, frères et sœurs,
vous arrive-t-il de faire le signe de la croix ? Comment ? Avez-vous
la croix honteuse ou la croix glorieuse ?
Michel Steinmetz †
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