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samedi 3 novembre 2012

Recension de l'ouvrage "Der Zeit voraus, Devancer son époque"

Recension de l’ouvrage

Martin KLÖCKENER, Bruno BÜRKI, dir.,
Der Zeit voraus, Devancer son époque,
la science liturgique à l’Université de Fribourg Suisse,
Fribourg : AkademicPress, 2011

 
Michel STEINMETZ


« Der Zeit voraus ». L’ouvrage entend célébrer les cinquante ans d’enseignement de la science liturgique à l’Université de Fribourg en Suisse. Il propose au lecteur de jeter un regard en arrière – un demi-siècle, et même au-delà – mais aussi, fort de ce passé, d’envisager un avenir riche en défis.
« Der Zeit voraus » ou comment la notion de science liturgique (Liturgiewissenschaft) telle qu’elle s’est forgée à Fribourg et qu’elle y a été mise en œuvre a « devancé son époque » par rapport au développement des disciplines théologiques ailleurs. Le volume s’attache à décrire des personnes et des projets qui ont cristallisé l’émergence d’une science liturgique particulière en sa fondation et en sa modalité d’expression. L’ouvrage contient des articles sur l’histoire de la science liturgique au XXe siècle (1), des concepts de théologie liturgique qui mettent au centre le profil christologique, eschatologique et symbolique de la liturgie(2). Les tâches de la science liturgique face aux défis contemporains qui se posent à l’Église et à la société sont de même honorées, en élargissant la perspective d’approche jusqu’au contexte œcuménique du travail en science liturgique. Dans une dernière partie (3), sont présentés les enseignants et chercheurs en science liturgique de l’Université de Fribourg, ainsi qu’une large documentation sur des projets, des études et publications qui ont marqué ces cinquante dernières années.

1. Un particularisme fribourgeois. Le livre est porteur de ce contexte spécifique qui a marqué la manière d’appréhender la recherche liturgique et son enseignement. Si la ville de Fribourg est francophone, l’enseignement dispensé à l’Université est bilingue : cours en français croisent des cours en allemand. La richesse du bilinguisme rejaillit dans la diversité d’approche propre à chaque langue et aire linguistique. La question liturgique se pose différemment, ou au moins avec différents accents, dans ces deux aires. La Suisse, par ailleurs, connaît à la fois une quête de créativité manifeste et un visage plus traditionnel ou conservateur du catholicisme. Les étudiants de Fribourg sont représentatifs de ces divers visages d’une même Eglise. Cette diversité, culturelle, linguistique, mais aussi œcuménique, nourrit le débat, comme en témoigne l’article de Bruno Bürki (4).

2. Le chemin de la science liturgique dans les disciplines universitaires. L’histoire de l’émergence d’une science liturgique est intéressante à plus d’un titre. En effet, Martin Klöckener nous donne de re-parcourir ce chemin depuis le XIXe siècle finissant : participant d’une théologie pastorale, comme la catéchèse, l’homilétique, la liturgie ne peut prétendre à une existence autonome dans l’enseignement. Nulle chaire ne lui est consacrée en propre. A Fribourg, à partir du début du XXe siècle, cependant, les lignes commencent à bouger : la question liturgique se trouve traitée dans plusieurs enseignements, ce qui tend à montrer sa richesse et son implication dans des domaines différents de la vie de l’Eglise. La liturgie se trouve abordée tant de le droit canon, que dans l’archéologie chrétienne, la patristique ou la pastorale. Le Prince Max de Saxe, quant à lui, est le premier à faire de la liturgie la matière d’un enseignement spécifique à partir de 1900. Le traitement spécifique de la liturgie reste néanmoins lié à des personnes sans bénéficier d’un statut propre au sein de l’université. Plusieurs professeurs proposent d’envisager la liturgie dans leurs programmes semestriels sans qu’une chaire lui soit encore pleinement consacrée. On assiste alors à un cheminement, non sans difficultés, de la question autour de figures emblématiques et il faudra attendre 1956 pour que soit enfin inscrit dans le marbre la création d’une chaire de science liturgique à l’Université de Fribourg. Long cheminement, et pourtant six ans avant l’ouverture du Concile Vatican II et sept avant la promulgation de la constitution sur la sainte liturgie. Anton Hänggi sera le premier titulaire, avant de devenir évêque de Bâle. Ce parcours est prophétiquement paradigmatique ce qui adviendra avec la définition conciliaire. Elle affirmera que « si la liturgie n’épuise pas toute l’activité de l’Eglise » (SC 9), « elle le sommet vers lequel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu » (SC 10). La liturgie irradie l’enseignement des autres disciplines théologique, mais non comme quantité négligeable ou partie congrue, mais bel et bien comme principe fédérateur et unificateur qu’elle est en droit de revendiquer, comme un enseignement spécifique vers lequel convergent et se retrouvent tous les autres.

3. Un enseignement qui nourrit l’agir et s’enracine autour de figures emblématiques. Un autre aspect remarquable de l’ouvrage est bien de nous présenter la liturgie non comme une science froide et désincarnée, mais comme une science au service de la vie ecclésiale. Avec ses méthodes d’investigation propre, ses transversalités avec d’autres domaines de la liturgie, le demi-siècle d’enseignement de la Liturgiewissenschaft à la Fribourgeoise s’écrit autour de figures humaines : celles qui auront permis de lui donner corps et qui se seront battues pour obtenir sa reconnaissance de plein-droit, celles qui lui auront permis de devancer son époque en travaillant à son inscription dans l’œcuménisme. C’est ainsi que l’on mesure combien la personne d’Anton Hänggi ou celle de Jakob Baumgartner auront marqué cette histoire. Le témoigne de François Roten est à ce propos particulièrement significatif (5). L’universitaire demeure un homme, un croyant avec son tempérament et sa recherche pédagogique s’enrichit de ses qualités humaines. La rétrospective présentée ici est aussi celle, aussi, d’une aventure humaine.
A côté de telles figures, l’enseignement se double d’un projet de recherche ; la vitalité et la variété des chantiers ouverts, y compris, d’édition (6) augure d’un bel avenir. La Liturgiewissenschaft existe pour se communiquer. L’apport de l’école fribourgeoise est significatif pour le monde des liturgistes : par delà sa localisation bien particulière en contexte suisse, son double ancrage plurilingue et international est à cet égard un atout majeur. L’actuel professeur titulaire, Martin Klöckener, trop discrètement présenté ici, œuvre de manière déterminée à promouvoir ces liens.
La Liturgiewissenschaft existe encore pour servir la vie de l’Eglise. La recherche universitaire à Fribourg précède une nouvelle fois son époque quand, sous la conduite de Hänggi, on songe à fonder un Institut de Liturgie en lien avec l’épiscopat dès 1957. Il sera créé en mars 1963, c'est-à dire avant même que ne soit promulguée la constitution conciliaire ! Institut géographiquement quelque peu itinérant dans son histoire, il se réinstalle à Fribourg en 2004 à l’occasion d’une refondation (7).

En faisant œuvre de rétrospective, l’ouvrage Der Zeit voraus entend ouvrir un avenir pour la recherche en science liturgique à Fribourg. La liste impressionnante des professeurs, chargés de cours et autres intervenants durant cinquante ans témoigne de l’ouverture de cette recherche. La recension des ouvrages publiés, des travaux de recherches, mais aussi des mémoires et thèses suivis par les enseignants montre, s’il le fallait encore, combien la vie de l’Eglise, en Suisse et bien au-delà, en est infusée. La recette d’une telle fécondité réside sans doute dans la volonté de résister à l’enfermement dans une institution universitaire. Mais l’Université de Fribourg est elle-même « génétiquement » riche d’une telle ouverture sur le monde et l’Eglise. Ainsi la Liturgiewissenschaft se situe entre enseignement et recherche, Université et Eglise, science et pastorale, comme le souligne Birgit Jeggle-Merz (8). Fribourg tente de le vivre depuis cinquante ans et invite à entrer dans cette heureuse et féconde tension. Sans faire de la cité suisse un jardin d’Eden pour des liturgistes parfois dubitatifs quant à leur utilité et à leur présence dans le débat théologique, Fribourg interroge. Au-delà du cadre scientifique, la liturgie, « lieu théologique », a une vocation théologale. Puisse-t-elle y être fidèle ad multos annos là-bas et ailleurs !

 
(1) Martin KLÖCKENER, « Vorgeschichte und Errichtung des Lehrstuhls für Liturgiewissenschaft an der Universität Freiburg (Scweiz) im Jahre 1956 », p. 20-56.
Walter von Arx, “Anton Hänggi (1917-1994) : Liturgiehistoriker und Seelsorger”, p. 102-110.
Guido MUFF, “Wie ich die Person und dem wissenschaftlichen Wirken von Anton Hänggi begegnet bin. Ein persönliches Statement.”, p. 111-114.
Alberich Martin ALTERMATT, “Professor Dr. Jakob Baumgartner (1926-1996) : ein leidenschaftlicher Pastoralliturgiker”, p. 115-129.

(2) Patrick PRETOT, « Profil de la science liturgique actuelle en théologie francophone », p. 57-72.

(3) Partie V, « Dokumentation », p. 296-238.

( 4) Bruno BÜRKI, « Un espace pour la science liturgique œcuménique à l’Université de Fribourg », p. 87-100.

(5) François ROTEN, “Ce qu’il me reste de Jakob Baumgartner”, p. 130-134.

( 6) On se reportera à la partie III, « Laufende Forschungs- und Editionsprojekten », p. 145 sq., notamment sur le Spicilegium Friburgense et les Spicilegii Friburgensis Subsidia.

(7) Gunda BRÜSKE, « Das Liturgische Institut des Schweizer Bischöfe : ein Beitrag zur Konzilsrezeption », p. 176-182.
Peter SPICHTIG, « Rückkehr zu den Ursprüngen : Profil, Aufgaben und Perspektiven des Liturgischen Instituts in Freiburg », p. 183-194.

(8) Birgit Jeggle-Mertz, « Das Profil des Liturgiewissenschaft heute zwischen Lehre und Forschung, Universität und Kirche, Wissenschaft und Pastoral : eine Orstbestimmung aus der deutschprachigen Liturgiewissenschaft », p. 73-86.

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