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samedi 9 juin 2007

Notice sur le "Sanctus" de la messe - à paraître in "Caecilia" N°4 / 2007

Le chant du Sanctus, qui prend place après la préface de la messe, a cette caractéristique fondamentale propre de constituer un rite en lui-même et d’unir au moment même de la célébration de l’eucharistie l’Eglise du ciel et celle de la terre.

Le Sanctus est défini comme un chant qui concourt à affirmer le caractère communautaire de la messe. Il fait partie des acclamations qui ne sont pas que « des signes extérieurs de la célébration commune, mais des éléments qui favorisent et réalisent la communion entre le prêtre et les fidèles » (PGMR 14). La Présentation Générale du Missel Romain va même plus loin en classant le Sanctus parmi les chants qui « constituent un rite ou un acte ayant valeur en lui-même » (PGMR 17a.)[1], comme le Gloria, l’Alléluia, ou l’anamnèse. C’est-à-dire des moments de la célébration où le chant est un rite en lui-même, contrairement à l’Agnus Dei, qui accompagne la fraction du pain, ou au processionnal de communion pendant la distribution de la communion.
Pour mieux encore saisir l’importance du Sanctus, il nous faudra passer par l’Histoire pour nous rendre compte de sa présence multi-séculaire à cet endroit de la messe (1), puis nous nous intéresserons particulièrement au texte, à ses origines diverses et à l’ensemble cohérent qu’il forme (2). Ces éléments posés, il sera indispensable de considérer avec attention l’insertion du Sanctus dans l’ensemble et de la liturgie eucharistique et de la prière eucharistique. Alors, enfin, nous serons en mesure d’aborder la question de la mise en musique de cette acclamation de manière à répondre aux critères préalablement définis.

1. Un détour par l’Histoire.

La Tradition apostolique d’Hippolyte de Rome (vers 225). On y trouve la première prière eucharistique semblable aux nôtres[2]. On note l’absence du Sanctus.
Deux témoins syriaques. Hippolyte n’est pas le seul témoin de l’Antiquité : nous possédons, au moins partiellement, deux autres textes qui font état, quant à eux, d’un Sanctus préalablement introduit. Cette présence, néanmoins, pourrait être déjà une addition venant interrompre la trame d’une rédaction plus ancienne.
L’organisation des rites du IVème au VIIIème siècle dans les Eglises d’Occident. Cette période est celle d’une intense créativité et si le Sanctus trouve bien sa place dans des anaphores[3] bien travaillées, il donne, dans un grand nombre d’autres, l’impression d’une pièce rapportée. Il ne fait pas s’en étonner si l’action de grâce chrétienne trouve ses origines dans les prières juives de bénédiction de la table, où il ne figure pas. Pourtant le Sanctus – au moins en partie – se retrouve dans la liturgie de la synagogue à l’office du matin, depuis le IIème siècle de notre ère. Il est attesté dans les liturgies chrétiennes depuis le troisième quart du IVème siècle dans la région d’Antioche, ainsi qu’en Egypte. A la même époque, les Pères latins en commentent le texte sans faire mention de son éventuel usage liturgique. Il faut attendre le Vème siècle pour qu’un témoin affirme, en Italie du Nord, que le peuple uni sa voix à celle du prêtre pour dire cette acclamation « dans presque toutes les Eglises orientales et dans quelques Eglises d’Occident ». En Gaule, le Sanctus a débord été introduit aux messes festives, puis le Concile de Vaison, en 529, a prescrit son usage à toutes les messes.
Au Moyen-Age. L’habitude de dire la prière eucharistique à voix basse s’étend et, à la fin de la préface, le prêtre élève la voix pour inviter les fidèles à s’unir au Sanctus.
Le Missel de saint Pie V. Le Sanctus occupe la même place qu’aujourd’hui, son emploi est systématique. De fait, aux messes solennelles, il commence après la préface mais son chant peut se poursuivre jusqu’à la consécration, tandis que le prêtre en dit le texte à l’autel et poursuit la récitation du Canon.

2. Le texte.

Le texte du Sanctus est un agrégat de textes bibliques. A l’origine, la liturgie synagogale juive n’en emploie que notre première partie. La citation psalmique et évangélique, quant à elle, « Béni soit… Hosanna au plus des cieux ! », apparaît en Occident dans la première moitié du VIème siècle avec saint Césaire d’Arles.

Voici le plan du chant séraphique, comme on le désigne aussi :
Adoration
Saint, saint, saint le Seigneur, Dieu de l’univers !
(Isaïe 6, 3 ; Apocalypse 4, 8)
Proclamation
Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire ! (Isaïe, 6, 3)
Acclamation
Hosanna au plus haut des cieux !
(Matthieu 21, 29 ; Marc 11, 10)
Proclamation
Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur !
(Psaume 118, 26 ; Matthieu 21, 9 ; Marc 11, 9 ; Luc 19, 28)
Acclamation
Hosanna au plus haut des cieux !
(Matthieu 21, 29 ; Marc 11, 10)

Loin de former un ensemble hétéroclite, le Sanctus, au contraire, est un texte à la fois scripturaire et ecclésial, parfaitement construit littérairement et théologiquement. « Saint, saint, saint… », ce sont les paroles qui retentissent aux oreilles d’Isaïe contemplant la gloire divine chantée par des anges, les séraphins, dans le Temple. Le mystère même de Dieu se dévoile à ses yeux, lui « l’homme aux lèvres impures au milieu d’un peuple aux lèvres impures ». Dans un chant inouï, écho d’une acclamation usuelle dans la liturgie juive, les créatures invisibles de Dieu reconnaissent son unique sainteté et adorent le Dieu trois fois saint, « le Seigneur Sabaoth », traduit tout à tour comme le Dieu des armées célestes, le Dieu de l’univers, le Dieu tout-puissant.
« Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire ». Là, c’est la totalité de l’univers qui est convoquée, au-delà de ce que nos yeux et notre intelligence peuvent en percevoir. Toute chose est porteuse de la gloire infinie de Dieu.
« Hosanna[4]… Béni soit… ». Cette acclamation messianique tirée du psaume 118 rythmait aussi l’entrée dans le Temple, en cortège, rameaux en mains le septième jour de la fête des Tentes ; les foules vont la reprendre pour acclamer le Christ lors de son entrée triomphale à Jérusalem.
La liturgie chrétienne fait donc se rejoindre avec force et cohérence ces deux passages de l’Ecriture pour en faire un élément capital et irremplaçable de la prière eucharistique.

3. L’insertion à la liturgie eucharistique et à la prière eucharistique.

La liturgie eucharistique débute avec la préparation des dons et se termine avec l’oraison après la communion. L’offrande du pain et du vin, « fruits de la terre, de la vigne, et du travail des hommes », participe déjà d’un mouvement d’action de grâce – c’est le sens même du mot ‘eucharistie’. Cette action de grâce se traduit dans la louange dont le Sanctus est l’expression la plus manifeste de la part de l’assemblée juste avant que le prêtre, en son nom, ne prononce la prière eucharistique et avant qu’elle ne ratifie ses paroles par l’Amen final de la doxologie « Par lui, avec lui et en lui ».
La prière eucharistique commence par le dialogue entre les fidèles et le prêtre, assentiment requis qui permet de poursuivre avec la préface : « Vraiment il est juste et bon de te rendre grâce… ». Et la préface à son tour appelle le Sanctus, mobilisant à la fois le ciel et la terre dans une louange unanime. Déjà unis à l’adoration de l’Eglise du ciel, nous n’en finissons de passer en revue à fin de la préface « les archanges, les anges, les puissances d’en-haut et tous les esprits bienheureux », unis à la contemplation de l’Eglise en sa part invisible, dans la communion des saints rassemblés devant la face de Dieu, nous pouvons chanter avec eux. Le Sanctus nous rappelle que l’acte liturgique en sa portée dépasse les cadres étroits du temps et de l’espace : il nous fait entrer, et advenir en le chantant, dans la louange éternelle. Mais le Sanctus, loin d’être un moment cosmique isolé dans la liturgie, introduit aussi la suite de la prière eucharistique : « Tu es vraiment saint, Dieu de l’univers, et toute la création proclame ta louange… » (PE III)[5].

4. La mise en musique

Le problème du texte français. Le principal obstacle réside dans le monosyllabe trois fois répété : « saint », nasal et sourd. Des transformations du texte pour contourner cet écueil en « Dieu saint », ou « Saint est le Seigneur » traduisent en déclaration ce qui doit rester une invocation.
La participation de l’assemblée. La PGMR y insiste fortement. Il faut donc que les mélodies soient facilement accessibles sans pour autant être banales. La polyphonie n’est nullement exclue d’autant plus si elle peut intégrer ou se superposer à la voix de l’assemblée. Il en va de même pour l’accompagnement instrumental (des cuivres peuvent parfaitement trouver leur place ici, ils rappelleront d’ailleurs la liturgie du Temple). Pour ce qui est des Sanctus issus des messes polyphoniques du répertoire baroque ou romantique, sont-ils forcément à bannir ? La question mérite de rester ouverte : si la participation de l’assemblée s’impose, peut-être peut-elle exceptionnellement s’exercer sous la modalité d’une communion dans l’écoute ?
Le caractère du Sanctus. Il appelle des couleurs, « non pas bruyantes et chatoyantes, mais larges et solennelles – évoquant le Dieu de majesté »[6] par lesquelles « les fidèles doivent se découvrir célébrants de la liturgie éternelle »[7]. Pas de somptuosité, mais de la solennité. Pas de pompe, mais de la dignité. Pas de grandiloquence, mais un infini respect.
La forme du Sanctus. Les formes habituellement retenues pour le chant d’assemblée ne conviennent guère au traitement musical qu’exige le chant séraphique. Ainsi la forme responsoriale, prenant comme refrain « Hosanna au plus haut des cieux ! », neutralise les attitudes visées par les incises du chant. La forme choral offre un traitement trop linéaire où la mélodie développe tout du long sa propre logique. La forme musicale idoine consiste à mettre en valeur les attitudes et actes de langage si caractéristiques du Sanctus.
Le lien à la préface et à la suite de la prière eucharistique. Le Sanctus doit immédiatement pouvoir s’enchaîner après la cantillation ou, à défaut, la proclamation de la préface sans vide ni cassure : si l’orgue l’entonne, il le fera en veillant à donner sobrement la note, voire les premiers accords, mais sans plus. Ici l’improvisation bavarde n’est pas mise ! L’idéal serait que la fin du Sanctus arrive aussi à ménager une transition avec la reprise de parole du célébrant.

Si le Sanctus change de dimanche en dimanche, il aura bien du mal à devenir le chant unanime du peuple des sauvés, rassemblés en une seule communion du ciel et de la terre ! Que son chant nous donne le goût de la liturgie céleste célébrée devant le Trône de Dieu !

[1] Cette précision est intégralement reprise dans la PGMR de la Tertia typica de 2002 (la 3ème édition du Missel, non encore publiée en français).
[2] Ce texte, cependant, même s’il prétend s’inspirer de la tradition et qu’on peut lui attribuer des origines romaines, n’est peut-être pas le reflet exact des pratiques de cette église puisqu’à l’époque les prières ne sont pas consignées dans un missel mais sont prononcées par cœur par l’évêque.
[3] C’est l’autre nom pour désigner une prière eucharistique.
[4] « Hosanna ! », mot hébreu passé tel que dans la liturgie chrétienne, signifie « Sauve donc ! », et est souvent traduit par « Donne le salut ! » ou « Donne la victoire ! ».
[5] La prière eucharistique IV, avec sa préface propre, est sans doute le meilleur exemple d’une insertion parfaitement accomplie du Sanctus.
[6] Michel Wackenheim, Guide pour chanter la messe, Bayard, p. 71.
[7] Ibid.

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