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mercredi 13 juin 2007

Notice sur le "Notre Père" dans la célébration eucharistique - à paraître in "Caecilia" N°5 / 2007


Le Notre Père, avant d’être un élément de la célébration eucharistique et d’abord une prière chrétienne qui existe indépendamment de ce cadre liturgique. Son insertion à la messe interroge sa mise en œuvre et interpelle quant au respect même de sa nature propre de prière. Cette double approche sera à mettre en regard avec la pratique concrète de nos assemblées.

Avant de réfléchir sur le Notre Père dans la célébration eucharistique, il est bon de nous interroger sur la manière dont il est effectivement déjà prié ou chanté dans les assemblées que nous fréquentons. Tantôt sera-t-il prononcé avec ferveur et respect, tantôt sera-t-il rabâché, pour ne pas dire expédié !
Ainsi, en guise d’introduction il n’est pas superflu de rappeler que la version du Notre Père que nous fait prier la liturgie est celle de l’évangile de Matthieu (9, 9-13). Il s’agit là non seulement d’une Ecriture inspirée, mais des paroles venant de la bouche même du Seigneur dans la volonté affirmée de nous apprendre à prier comme il convient. Après l’adresse profondément originale et audacieuse « Notre Père qui es aux cieux », les trois premières demandes concernent Dieu, tandis que dans les quatre dernières nous le supplions pour nous-mêmes.
Après une rapide incursion dans l’Histoire (1), nous nous proposerons de considérer le moment rituel que constitue le Notre Père pendant la messe (2) pour en aborder alors seulement la question des diverses modalités de chant comme acte de chant (3).

1. L’Histoire des formes liturgiques.

Le Pater dans la messe à partir du IVème siècle.
Dans la messe romaine, la monition qui introduit le Pater fait écho aux paroles de saint Cyprien dans son commentaire du Notre Père[1]. Mais s’agit-il pour lui de dire l’oraison dominicale[2] à la messe ? Il est bien difficile de l’affirmer car l’usage le plus ancien du Pater concerne la prière au cours de la journée. Pour avoir une attestation certaine de sa présence à l’eucharistie, il faut attendre la fin du IVème siècle ; et cette coutume ne s’est répandue que progressivement. Saint Augustin semble le placer après la fraction du pain, comme c’est d’ailleurs la pratique dans toutes les liturgies occidentales. Au temps du pape Grégoire le Grand, seule la tradition byzantine fait exception à cette règle ; aussi le pape est-il soupçonné de vouloir imiter les Grecs quand il décide de modifier les habitudes romaines. Il se justifie, arguant qu’il est logique de faire suivre le Canon, non d’une prière composée par « un écrivain quelconque », mais de celle livrée à la tradition par le Sauveur lui-même[3]. Le Pater trouve alors un statut qui le rapproche de fait de la prière consécratoire et le pape note bien que, selon la tradition de l’Eglise, c’est une formule réservée au prêtre. C’était le cas aussi en Afrique au temps d’Augustin et en Gaule alors que les Orientaux, y compris les Byzantins, y associent tout le peuple. Quant à l’Espagne, il semble que l’assemblée ponctuait par des Amen chacune des demandes chantées par le célébrant.
La prière du Seigneur est souvent prolongée par des « embolismes », c’est-à-dire un développement de quelque partie du formulaire, tel le Libera de la liturgie romaine qui pourrait remonter à Grégoire le Grand et qui amplifie la dernière demande du Pater. L’intercession de la Vierge Marie et des apôtres y est en outre invoquée pour que la paix prélude au Sacrement. Le Pater apparaît aussi comme une préparation privilégiée à la communion.

Depuis le XIème siècle, on adopte la récitation à voix basse de l’embolisme, tandis qu’on en maintient la cantillation à Milan, à Lyon, et dans le rite romain à l’office du Vendredi-saint.

Dans le Missel de 1570, le Pater lui-même va être dit à voix basse par le prêtre: le servant ou les ministres répondent à la fin, en disant « Sed libera nos a malo ».

En 1964, Paul VI impose aux prêtres de dire à haute voix plusieurs parties de la messe dont l’embolisme du Notre Père et fait dire ce dernier par l’assemblée entière[4].

2. Le Notre Père comme moment rituel.

La place du Notre Père dans la célébration eucharistique.
Au sortir de la prière eucharistique et de son Amen final par lequel les fidèles expriment leur union et leur unité, les rites de communion visent à conduire à la communion eucharistique elle-même comme démarche physique de réception de l’hostie consacrée. Or, comme les termes latins et français le rendent bien, qui dit communion suppose et sous-entend comme préalable l’union de tous en vue de l’union d’un chacun avec le Seigneur et affirme réciproquement que la communion au Seigneur est facteur et gage d’accroissement de la communion de tous. La communion est donc un acte à la fois personnelle et éminemment ecclésial : nous ne faisons qu’un avec le Christ, et, en Lui, nous ne formons qu’un seul Corps. « Nous devenons ce que nous recevons », selon saint Augustin. « Qui mange ma chair a en lui la vie éternelle… Il demeure en moi et moi en lui » (Jn 6, 54-57). La communion est encore partage de vie : la vie du Christ devient notre vie et notre vie appartient au Christ, à tel point que Paul ose dire : « Ce n’est plus moi qui vis. C’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). En disant ou chantant le Notre Père, nous faisons une expérience profonde de communion : par cette prière familière bien souvent depuis l’enfance, nous unissons nos voix pour ne faire plus qu’un dans la supplication, « comme Jésus nous l’a enseigné ».
En étant unis de la sorte, nous pouvons aussi nous préparer à recevoir dignement le corps eucharistique du Christ pour que les choses saintes soient aux saints, selon l’antique formule[5]. La PGMR rappelle cette dimension de préparation spirituelle propre à la fraction du pain et aux rites préparatoires (N°56), dont fait partie le Notre Père.

L’architecture du Notre Père.
La monition du prêtre, la prière du Seigneur elle-même, son embolisme et la doxologie forment un ensemble « architectural » cohérent. Le prêtre invite toute l’assemblée à oser prier : Notre Père, ce qu’ils font ensemble puis, conformément à la tradition de l’Eglise, il développe la dernière invocation « Délivre-nous du mal » avec un texte sans doute rédigée par l’Eglise de Rome en proie aux invasions barbares. Demander au Seigneur de nous protéger de tout mal et de nous rendre forts dans les épreuves en conservant notre espérance reste actuel quelles que soient les époques. La doxologie, enfin, dont la formulation diffère quelque peu si elle est dite ou chantée, trouve ses racines dans l’Ecriture sainte, et notamment dans le livre de l’Apocalypse. Les Eglises issues de la Réforme avaient su garder vivante cette tradition doxologique héritée des plus anciens manuscrits. Il est heureux que nous l’ayons retrouvée.

La question de l’embolisme.
On affirme parfois que l’embolisme ferait doublet avec la prière pour la paix qui suit en développant la même thématique. Néanmoins, l’embolisme s’adresse à Dieu, que nous prions avec Jésus comme un Père ; il amplifie la dernière demande de la prière dominicale et son ancrage historique est antique. La prière pour la paix, quant à elle, est une ancienne prière privée du prêtre de préparation à la communion que le Missel de Paul VI fait dire à haute voix et qu’il relie au geste de paix qui suit : elle s’adresse d’ailleurs directement au Christ et fait tout autant mention de la foi de l’Eglise que de la paix qu’elle invoque pour son unité. On le constate aisément : et par leur histoire, et par leur statut, ces deux prières ne constituent nullement un doublet.

3. Le Notre Père comme acte de chant.

Chanter ou ne pas chanter ?
La PGMR (N°56a) précise que l’ensemble (monition, prière, embolisme, doxologie) est soit chanté soit dit à haute voix. La question reste donc ouverte et est soumis à un discernement pastoral. En effet, il n’apparaît pas judicieux de systématiser l’une ou l’autre option. Une récitation lente, méditative et à mi-voix de la prière du Seigneur par l’assemblée entière peut constituer « un acte de parole très singulier »[6]. Mais le texte de cette même prière se prête aussi fort bien à « une cantillation en demi-teinte qui évitera d’aller jusqu’à la mélodie qui joue son propre jeu et, inévitablement, censure le texte »[7]. Quoi qu’il en soit, il s’agit de tenir compte de l’assemblée effective et de lui offrir la meilleure participation à la prière. Dans bien des cas, face à des fidèles en marge des célébrations ecclésiales – c’est souvent le cas lors de mariages, d’enterrements ou de premières communions, ou à des fidèles peu familier du chant, le Notre Père reste la seule prière encore largement connue de tous ou accessible. Il serait, dans ces cas-là, plus que regrettable que l’assemblée ne puisse faire l’expérience d’une authentique communion priante. Par ailleurs, même avec une assemblée régulière, on évitera de changer trop souvent de mélodie, cette dernière – rappelons-le – n’étant qu’un support au texte et n’ayant pas de fin esthétique en soi.

Quelle mise en musique ?
Ici la musique servira le texte et, par sa simplicité, favorisera une forte unanimité. La musique, aussi, ne trahira pas le texte : elle respectera rigoureusement ces paroles de Jésus sans les déformer, sans rien y ajouter ou y soustraire ; elle en respectera pareillement les inflexions, la prosodie et le plan (les trois « souhaits » et les quatre « demandes »). Elle servira à faire du Notre Père une prière plus familière et plus spontanée encore. La mélodie grégorienne du Pater semble référentielle ; le ton officiel français du Missel romain est lui aussi une bonne cantillation, même si le mode de « si » n’est pas bien perçu par tous La polyphonie ne sera pas déplacée si elle n’exclue personne de la prière commune aux enfants de Dieu et si elle reste bien dans l’esprit : on citera ici, pour les plus connues, celle d’après Rimski-Korsakov ou celle de Xavier Darasse.

Comment chanter ?
La première remarque concerne l’unité de ton : la PGMR insiste d’ailleurs sur ce point. Soit on chante l’ensemble (de l’introduction à la doxologie), soit on le récite. Quelque soit la solution retenue, il importe ensuite que la monition du prêtre, là encore chantée ou dite, conduise naturellement à ce que tous débutent ensemble la prière avec ses premiers mots, qui constituent par ailleurs une des originalités de la foi chrétienne : « Notre Père qui es aux cieux ». Enfin, on sera attentif au changement de texte, non dans le fond, mais dans la forme, de la doxologie, suivant qu’elle est chantée ou dite.

Le Notre Père est un moment de profonde communion entre tous qui prépare à la communion eucharistique. En reprenant les paroles de Jésus, nous nous présentons avec Lui au Père dans le souffle de la prière eucharistique. Prière du Seigneur qui devient celle des tous les enfants du Père ; prière qui gagnera à garder son caractère sacré, recueilli et ecclésial ; prière qui veillera à ne laisser aucun enfant de Dieu sans voix…
Michel STEINMETZ, Juin 2007.
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[1] Cyprien, De dominica oratione, 2.
[2] Oraison dominicale désigne le Notre Père, « dominicale » n’ayant ici rien à voir avec le jour de la semaine mais comme étant « du Seigneur » (Dominus, en latin).
[3] Grégoire le Grand, Lettre à Jean de Syracuse.
[4] Paul VI, Décret Inter oecumenici, AAS 56, 1964, pp. 877-900.
[5] Sancta sanctis ! : Les choses saintes aux saints !
[6] Joseph Gelineau, Les chants de la messe dans leur enracinement rituel, Paris : Cerf, 2001, p. 70.
[7] Ibidem.

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