La Parole de Dieu est décidément remplie de contrastes, voire d’apparents
paradoxes, comme si Dieu décidait de nous secouer pour ne jamais nous voir
sombrer. Alors qu’Isaïe contemple le Seigneur dans sa gloire, « siégeant
sur un trône élevé » et que les pans de son manteau débordent de partout
pour occuper le Temple, Jésus, lui, est assis dans une modeste barque de pêcheurs
transformée pour l’occasion en chaire à prêcher !
Dans le récit d’Isaïe, c’est alors que le prophète fait l’expérience de
la grandeur du Seigneur au milieu du concert des séraphins, ces créateurs
célestes dont nous nous unirons tout à l’heure au chant au début de la prière
eucharistique, qu’il fait concomitamment l’expérience de sa pauvreté et de sa
petitesse. « Malheur à moi ! Je suis perdu, car je suis un homme aux
lèvres impures. » Il se reconnaît pécheur avec tous les siens et ce
sentiment est exacerbé devant la magnificence qui se dégage de ce qu’il voit. Face
au Seigneur, il lui semble impossible de tenir la route. Mais l’apparente
contradiction va plus loin encore. Car c’est au moment où l’ange lui brûle les
lèvres avec un charbon pris sur l’autel – ce qui devrait, par la blessure
infligée, le réduire fatalement au mutisme –, qu’il est non seulement purifié
mais rendu capable d’annoncer la parole du Seigneur ! Il est guéri de son
péché et envoyé en mission. Au moment où il entre en contact avec ce qui vient
du Seigneur, par la médiation du charbon ardent pris sur l’autel, ce qui aurait
dû entraver sa vocation de prophète devient le lieu de son témoignage.
Dans l’évangile que nous entendions, il se passe quelque chose d’étonnant.
Y avez-vous prêté attention ? Simon, le pêcheur, lui aussi, découvre que
la présence de Dieu révèle la distance immense qui le sépare de Jésus. La
quantité impressionnante de poissons ne doit pas cachée les autres fruits de la
présence divine. En effet, la prise de parole va désormais remplacer en lui la
crainte ou le doute. Alors qu’avec ses associés, il a peiné toute la nuit « sans
rien prendre », et que visiblement cette nuit-là aucun ban de poissons n’était
aux alentours, Jésus lui ordonne de se remettre à l’ouvrage. N’est-ce pas là
exagéré ? Il n’y aurait qu’à attendre un jour meilleur, assurément la nuit
prochaine. Or c’est au moment où Pierre consent à obéir, et donc à se fier plus
à la parole de Jésus qu’à sa propre expérience, que le miracle s’opère. « Sur
ta parole, je vais jeter les filets ». Le résultat est parfaitement
surprenant : de rien, ils remplissent deux barques pleines. Devant cette
puissance de Dieu à l’œuvre en Jésus, Pierre est saisi d’effroi au point d’en
tomber à genoux. Pourtant, c’est à ce moment précis que Jésus lui annonce sa
mission : il ramassera des hommes en nombre dans les filets de Dieu par l’annonce
de l’Evangile.
Frères et sœurs, cette Parole que nous recevons en ce jour nous invite
à nous dessaisir. Que de fois ne voulons-nous pas tout maîtriser et nous
peinons alors désespérément. Quand, alors, nous consentons à laisser agir le
Christ en nous, nous nous découvrons capables d’atteindre des horizons jusque-là
insoupçonnés. Faisons-Lui confiance, aveuglément. Abandonnons nos rivages
balisés et sécurisés, et suivons-Le.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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