Le chrétien s’imagine souvent que sa prière doit
être la plus parfaite possible. Régulière, fidèle, pieuse. Ensuite il faudrait
trouver les bons mots, la bonne méthode. Certains diront qu’il vaut mieux
essayer de prier tout le temps, d’autres penseront qu’il vaut mieux trouver des
moments propices, non perturbés par le quotidien et ses tracas. Et puis nous
savons que la prière chrétienne doit entrer en résonnance avec la volonté
divine ; nous savons aussi que cette prière s’insère dans celle d’une
communauté. Tout cela est vrai. Mais dit comme cela, nous avons l’impression qu’il
faudrait trouver le bon moyen pour se faire entendre de là-haut, voire pour l’amadouer
au mieux.
Et voilà que Jean nous raconte dans l’évangile
que Jésus prie. Il prie pour ses disciples, les disciples qui sont avec lui au
soir de la Cène, mais aussi les disciples de tous les âges et de tous les
temps, c’est-à-dire nous ici ! Quelle preuve plus belle du prix immense
que nous avons à ses yeux ? Jésus nous reçoit de son Père, jésus nous
présente à son Père, Jésus nous confie à son Père. Cette prière est notre roc,
notre rempart, notre encouragement dans l’épreuve.
Nous comprenons par là notre propre prière. Nous
savons qu’elle est vraie, qu’elle est efficace, qu’elle sera exaucée quand elle
se fonde sur la personne du Christ. Elle n’est pas d’abord un pieux marchandage ;
elle est ouverture à la prière du Christ pour nous. Il désire que nous soyons
unis à Lui. C’est l’enjeu le plus important, le plus vital : communier à
sa mort-résurrection pour entrer dans la gloire du Père. Il est bon d’entendre
ce passage de l’Evangile dans les jours qui suivent l’Ascension. Bien qu’il ne
soit plus physiquement présent au milieu de la communauté des disciples, le
Ressuscité continue son œuvre. En montant au ciel, il ne fait pas que de
désigner une direction, ou même d’ouvrir un avenir, il nous attend près du Père
et nous désire avec lui.
Comment donc imaginer que la prière du Fils pour
nous ne soit pas exaucée ? « Qu’ils aient en eux ma joie », accueillons
toujours davantage cette joie de lui appartenir. « Que tu les gardes du
Mauvais », rejetons les ténèbres pour vivre enfants de lumière. Et quel
est ce Mauvais ? Quel est ce démon qui peut nous détruire ? C’est l’orgueil et
l’amour-propre. C’est le péché originel, c’est le péché d’Adam. Adam, en voyant toute la beauté de Dieu, a
pourtant préféré faire sa vie tout seul, sans Dieu. Il a piqué sa crise d’adolescence. Mais il faut aussi qu’il devienne adulte, c’est-à-dire
qu’il découvre ses forces comme sa faiblesse structurelle, et sa faiblesse comme
sa fierté. L’homme n’est pas fait pour
vivre seul. L’homme ne peut pas vivre
sans Dieu. Le Mauvais rôde dans le cœur
de chacun d’entre nous, car nous tous, nous voulons être maîtres de notre vie
et de notre destin, nous voulons même être maîtres de notre entourage et nous
ne sommes même pas capables d’être maîtres de notre corps, de notre esprit, de
notre cœur. Nous ne sommes pas maîtres
de notre vie, nous ne sommes pas maîtres de notre mort.
C’est encore pour cela que le Christ demande
dans sa prière : « sanctifie-les dans ta vérité » : depuis
le jour de notre baptême, la sainteté est notre vocation, et la Parole de Dieu
ne cesse d’éduquer notre cœur. Enfin, quand le Christ pour que « nous
soyons un », comme le Père et lui-même, cela concerne à la fois le groupe
des disciples et chacun de ses membres. Si notre cœur est unifié sous le regard
du Christ, si notre vie est unifiée par l’Evangile, alors l’unité grandira dans
nos familles, dans nos communautés, dans tous nos cercles d’appartenance.
Le ferment de l’unité authentique, c’est l’amour,
l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs, qui nous rend capables de répondre à
toutes les situations – y compris les tensions, les tracas, voire la haine –
par l’amour et la miséricorde. A la prière du Fils, que l’amour du Père
grandisse en nous et ne cesses de nous façonner à son image.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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