Lorsqu'un penseur éminent disparaît, ses disciples pleurent la perte de
ce génie, composent des éloges funèbres, érigent des monuments à la mémoire du
disparu. Lorsqu’un révolté, un meneur d’hommes, est capturé et exécuté, tous
ses camarades se dispersent et disparaissent : la mort du chef provoque un
irrésistible mouvement centrifuge, son programme est anéanti et la flamme de l’espoir
s’éteint. Or, après la mort de Jésus,
tout se déroule différemment. Ses disciples réapparaissent complètement
transfigurés : ceux que la peur avait dispersés dans la nuit sont réunis. Loin
de pleurer, ils éclatent de joie ; au lieu d’organiser des pèlerinages sur la
tombe du disparu, ils affirment qu’il est le Seigneur vivant en eux ; sans
promettre des apparitions miraculeuses, ils se manifestent comme sa présence
nouvelle. Jésus est ressuscité.
Comment expliquer ce retournement, cette conversion ? On a prétendu que
les apôtres, d’abord anéantis par l’échec de ce maître qui les avait subjugués,
s’étaient convaincus de sa survie, et que, jouets d’une hallucination, ils
avaient inventé cette légende. Mais pourquoi inventer quelque chose qui allait
leur coûter tellement cher ? En effet, ils étaient rejetés par leur peuple et
même par leurs familles. Bref leur foi nouvelle les coupait de leur milieu, les
rendait dangereux à fréquenter. D’ailleurs très vite Pierre, Jean et d’autres
seront arrêtés, flagellés, jetés en prison ; Etienne sera lynché ; Jacques
décapité ; la vie de Paul sera un chemin de croix. A tous ceux qui leur
demandaient la raison d’une telle transformation, les premiers disciples n’avaient
qu’une réponse : nous avons reçu l’Esprit de Dieu, la Force divine que Dieu par
ses prophètes, puis Jésus lui-même, avaient promis d’envoyer. Cette heure est
arrivée. Tout est accompli, plus rien n’est à attendre ; il n’y a plus qu’à
répandre cette Bonne Nouvelle par tout l’univers et inviter tout être humain à
recevoir l’Esprit qui recrée une humanité nouvelle.
Celui qui reçoit l’Esprit est comparable à un miroir. Il n’est pas
lumière, il en se prend pas pour la lumière. Il n’en est que le bénéficiaire,
le réceptacle. Mais le propre du miroir n’est pas non plus de conserver la
lumière : il la réfléchit et la renvoie. Peut-être avez-vous déjà
l’expérience de distinguer un miroir au loin : il peut même éblouir. Cela
dépend de son positionnement face au soleil, de son inclination. La force de
son rayonnement est extraordinaire. Nous-mêmes qui avons reçu l’Esprit par
notre baptême et, en plénitude, au jour de notre confirmation, nous avons été polis
par la grâce de Dieu et ce n’est que
notre péché, notre non-ouverture à la grâce, qui vient ternir notre éclat. Le
disciple du Christ ne se prend pas pour une lumière car il sait qu’il la reçoit
d’un autre qui vient brûler son cœur. Le disciple du Christ est fait pour
réfléchir la lumière, pour la communiquer, pour en illuminer ceux qui souffrent
et demeurent dans les ténèbres de l’existence humaine. Voilà pourquoi le
disciple du Christ ne peut se contenter de se tapir dans un coin, bien à
l’abri, en un lieu sûr et protecteur. Il doit sortir, au grand jour ! La
prière chrétienne isole d’abord mais elle ne met pas à part, n’écarte pas dans
la solitude ni n’enferme dans un peuple ou une culture : toujours l’Esprit
démolit les protections, ouvre les portes, pousse à la rencontre, abolit toute
frontière.
Le pape François le proclame depuis son premier jour : « Ne vous
enfermez pas, je vous en prie ! C’est un danger...Quand l’Eglise reste fermée,
elle tombe malade. Imaginez une pièce fermée pendant un an : quand on y entre,
il y a une odeur d’humidité, beaucoup de choses sont en mauvais état. Une
Eglise fermée, c’est la même chose, c’est une Eglise malade. L’Eglise doit
sortir d’elle-même. Où ça ? Vers les périphéries existentielles quelles qu’elles
soient...Que se passe-t-il quand on sort de soi-même ? Il peut arriver ce qui
peut arriver à toute personne qui sort de chez elle et va dans la rue : un
accident. Mais je vous dis : Je préfère mille fois une Eglise accidentée,
exposée aux accidents, à une Eglise malade parce qu’elle ne sort pas. Allez
dehors ! Sortez ! » (Veillée de Pentecôte, 18 mai 2013)
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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