Le contexte de ce passage de
l’évangile est celui d’une fête de la Pâque, non pas celle où Jésus allait
lui-même s’offrir en sacrifice mais une autre plus ordinaire. C’est la première
occasion pour Jésus d’indiquer l’enjeu de ce qui allait être son sacrifice.
L’enjeu est dévoilé, bien involontairement sans doute, par l’interpellation des
Juifs : « Quel signe peux-tu nous donner ? ». Le signe, l’évangile de Jean n’en
fait pas mystère puisque dès ses premières pages, il l’annonce : ce sera la
mort et la résurrection de Jésus. Mais de quoi est-ce le signe et en quoi
est-ce un signe pour nous ? Les disciples ne le comprirent eux-mêmes que bien
plus tard, après que Jésus les eut physiquement quitté, comme s’il fallait que
Dieu s’absente, que Dieu s’éclipse, pour que l’homme entre dans la
compréhension de sa présence. Les disciples d’Emmaüs en feront l’expérience
troublante au soir de Pâques. C’est une expérience que chacun a pu faire : les
choses les plus évidentes, on ne les voit plus ! Ou c’est quand une personne
vient à manquer que devient évident ce que sa présence produisait. C’est aussi
le sens de ce soupir de Jésus dans l’évangile de Marc après la multiplication
des pains : « Qu’a cette génération à demander un signe ! », alors que le signe
était là, qu’ils pouvaient le voir, le toucher et l’entendre ! Et ils ont le
toupet de lui demander un signe (sous-entendu un autre signe) à lui, le signe
par excellence, la présence même de Dieu.
L'épître aux Corinthiens se
fait l’écho de cette difficulté à comprendre ce qui se passe pourtant sous nos
yeux. Et le monde grec (entendons : cette approche qui ne se fie pas aux sens
mais aux ressources de la raison) n’y réussit pas mieux. Il y a au moins deux
sources à cette incompréhension. La première tient au message lui-même, non pas
qu’il soit compliqué, mais il est paradoxal. Pensez donc ! Venir annoncer un
Messie crucifié alors qu’on attendait un Messie réglant par sa toute-puissance
tous les problèmes qu’on avait été incapable de surmonter (que l’on avait
créé...) à cause de notre faiblesse morale ! S’entendre parler d’un Dieu
victime d’un misérable complot humain dans un trou perdu alors qu’on attendait
le Principe explicatif de la mécanique du monde ! Et nous, qu’attendons-nous ?
Avons-nous compris le déplacement mental, l’inversion mentale que représente le
message chrétien par rapport à la logique du monde ?
Mais notre incompréhension
n’est pas qu’une affaire mentale ; elle a une autre source : comportementale.
Les Juifs de l’évangile ont le toupet de demander à Jésus de donner un signe de
son autorité à chasser les marchands du Temple mais ils ne se demandent pas un
instant quel signe, quel contre-témoignage, donnaient ces marchands de ce que
Dieu était pour eux. En cela ils sont quelque peu autistes. De même que pour
comprendre quelque chose des sciences de la raison, il faut une discipline
d’esprit qui astreint à rester à l’étude (les étudiants le savent bien !)
; de même, pour comprendre quelque chose de Dieu, il faut une discipline, pas
seulement d’esprit, mais de vie, avant même d’être entré dans la compréhension
du message divin et pour pouvoir y entrer. Bien des personnes aujourd’hui
pensent pouvoir se dispenser de cette discipline et sont profondément tristes
ou scandalisées de constater que la foi
n’est pas une affaire d’automatisme, que le relation à Dieu a besoin de temps
pour se construire, qu’entrer dans la compréhension de la foi demande de
l’effort. Bref, que tout cela n’est en rien comparable avec les mirages de la
télé-réalité ! La première étape dans l’histoire du Peuple hébreu,
immédiatement liée à la libération par rapport au monde du mal, est le don de
la Loi, du Décalogue. La voie que Dieu indique à son peuple pour le rejoindre,
ce n’est pas un cours de théologie, mais de suivre quelques règles concrètes de
comportement porteuses, bien sûr, d’un état d’esprit. De plus, en mettant ces
prescriptions en pratique, même sans trop comprendre, on rend Dieu présent au
monde qui nous entoure car, oui, comme nous, aussi maladroitement que nous, il
ne cesse de demander des signes.
Quelle image, quel signe
donnons-nous de notre relation à Dieu devant le monde ? Bonne question qui
pourrait sans doute nous faire progresser dans notre montée vers Pâques.
AMEN.
Michel Steinmetz.
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