En rédigeant son évangile, Luc prend soin de
préciser qu’il ne raconte pas une fable mythologique, une légende à portée
morale ou spirituelle. Ses personnages ont bel et bien existé et sont situés
dans l’histoire du monde : cela se passait au temps de l’empereur Tibère, alors
que Ponce Pilate était préfet de Judée. Hérode Antipas, fils d’Hérode le Grand,
gouvernait la Galilée et son frère Philippe, l’Iturée ; un certain Lysanias
dirigeait la région d’Abilène, au nord-est d’Israël. Au plan religieux, le
grand prêtre Hanne avait été déposé et son gendre, Caïphe, exerçait la fonction
suprême au temple de Jérusalem. Le christianisme est donc une religion
historique, non une sagesse intemporelle ni une fuite du monde.
Dans ses deux premiers chapitres, Luc a
tracé un parallèle entre les annonces et les naissances de Jésus et de Jean. Fils
du prêtre Zacharie, Jean aurait dû, comme son père, suivre la formation et
devenir prêtre au temple de Jérusalem mais il semble avoir renoncé à ce
sacerdoce héréditaire, aux liturgies et aux sacrifices d’animaux. Dieu avait un
autre dessein pour Jean : non prêtre au temple, ni « moine » dans la
solitude, il est subitement frappé par un appel de Dieu qui l’envoie comme
prophète dans le monde et Luc reprend pour lui l’expression utilisée pour
Jérémie : « La Parole de Dieu fut sur Jean, fils de Zacharie ».
Jean va donc commencer sa mission : cette «
manifestation » marque une étape capitale dans l’histoire du monde - d’où les
notes chronologiques données par Luc au début. « Jean parcourait toute la région
du Jourdain ; il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés
».
Jean a remonté un peu la vallée du
Jourdain, dans les environs de Jéricho, et il circule sur la rive orientale,
lieu de passage important pour les caravanes vers la Transjordanie. Il annonce
la purification des cœurs et le pardon de Dieu non plus par les liturgies
fastueuses ni par des ablutions toujours répétées. Il appelle à se dévêtir et à
traverser le gué du fleuve ; c’est lui qui a l’initiative de ce baptême (mot
qui signifie « bain ») qui n’est donné qu’une fois et qui comporte l’engagement
à la « conversion », au changement de vie. Cet emplacement choisi par Jean et ce «
passage » n’ont rien de banal car jadis c’est dans cette région qu’étaient
parvenus les esclaves hébreux libérés de l’esclavage égyptien et leur guide
Moïse y était mort. Le peuple passa le Jourdain sous la conduite de mais ne
parvint jamais à observer les lois de Dieu. L’Exode avait été la grâce
fondatrice d’Israël mais celui-ci n’avait pu dès lors obéir à la Loi de son
Dieu.
Or, quelques siècles
plus tard, en -587, Jérusalem et le temple furent détruits, le roi et la
population déportés à Babylone ; mais un prophète, Isaïe, se leva et proclama
la bonne Nouvelle du prochain retour, un nouvel « exode ». Et de façon
poétique, il invitait à réfectionner la route afin de permettre un retour
triomphal. On sait que, comme le premier exode, ce retour ne conduisit pas à la
réussite : Israël continua à être infidèle à la Loi de son Dieu.
Voici donc qu’à présent, à la frontière
du pays, là où les tribus se présentèrent, Jean propose son baptême comme un troisième
« exode ». Cette fois, il s’agit d’une conversion vue comme une « rentrée
» dans son vrai moi puisque le péché est une « sortie » hors de soi. L’exode n’est
plus local mais spirituel.
La Bonne Nouvelle du retour se comprend
désormais au niveau de l’intériorité : celui qui demande le baptême s’engage à
« passer sur l’autre rive », à laisser Dieu venir à lui en comblant les fossés
des désespoirs, en quittant les ornières des habitudes, en rabotant les
élévations de l’orgueil, en rectifiant les conduites sinueuses et perverses.
Alors « tout humain verra le salut de Dieu ». Demandons-nous : qui, dans
ma vie, a joué le rôle de « précurseur » de Jésus ? Reprenons conscience
de l’importance de notre baptême : décision de reconnaître ses fautes et désir
de « passer » afin de mener une vie nouvelle. Faire l’expérience de
la miséricorde de Dieu qui nous aime et nous attend.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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