En prenant place au cœur de cette foule si
versatile qui, il y a cinq jours, voulait faire de Jésus leur roi, qui, ce
matin, l’abandonnait à la vindicte populaire et à toutes les compromissions
politiques, et qui, maintenant, se tient autour du monticule du Golgotha pour
contempler, muette et voyeuse, l’agonie d’un homme, nous éprouvons peut-être le
même sentiment de gêne. En rentrant chez nous, nous nous « frappons la
poitrine », comme ceux qui assistèrent au sacrifice de Jésus, en repensant
à ce qui s’est passé (cf. Lc 23, 48). Oui, comment est-ce seulement
possible ?
Depuis hier soir, nous avions commencé à
saisir, avec les apôtres, que Jésus s’apprêtait à vivre la condition du Serviteur
souffrant et qu’il allait le faire librement. Pourtant le chemin des douleurs
emprunté depuis les humiliations des soldats jusqu’au sommet du calvaire,
pourrait laisser entrevoir un homme passionné par la cause qu’il a voulu servir
de manière jusqu’au boutiste. Cela nous émeut. Mais, après tout, cela le
regarderait d’abord lui au sens où la croix ne serait que le constat et la
conséquence de son échec. Il n’est pas arrivé à se faire suffisamment entendre,
à imposer ses idées, les idées de son Dieu. Il n’aura pas su composer avec
l’échiquier des forces en présence. Alors, nous sommes là et nous contemplons,
pétris d’une révérence polie devant ce destin tragique, au cœur d’une multitude
consternée en le voyant, « car il était si défiguré qu’il ne ressemblait
plus à un homme ». Oui, « nous l’avons méprisé, compté pour rien ».
Nous pourrions encore être pris aux tripes
par les souffrances concrètes de cet homme suspendu finalement très injustement
à la croix. Et ces souffrances sont réelles. De récentes enquêtes historiques
permettent d’ailleurs de la montrer ; non seulement l’angoisse de Jésus
consentant à la mort, mais encore les douleurs qu’on lui inflige par supplice,
tout cela est d’une profonde atrocité. Notre émotion, une fois encore, reste
extérieure devant le tragique ainsi exhibé. D’autres ont souffert et soufrent
encore. Des malades en fin de vie, des victimes de la barbarie de la guerre.
Jésus apparaît comme un de cela, solidaire avec les souffrants du monde, ceux
de toutes les époques. Avec Lui, en Lui, Dieu décide de se faire proche,
jusque-là.
Mais voici que nous ne pouvons plus seulement
rester là, à regarder. Parce que la mort de Jésus n’a de sens que si toutes les
souffrances endurées sont aussi nos propres souffrances. Comme l’annonçait déjà
Isaïe : « c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont
il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu,
humilié. » De fait, « le Seigneur a fait retomber sur lui nos fautes
à nous tous. » Cela signifie bien, ainsi que l’exprimait saint Léon le
Grand, que : « devant le Christ élevé en croix, il nous faut dépasser
la représentation que s’en firent les impies, à qui fut destinée la parole de
Moïse : ‘Votre vie sera suspendue sous vos yeux, et vous craindrez jour et
nuit, sans pouvoir croire à cette vie’. » Ici, le dolorisme compatissant
n’est pas de mise. Frères et sœurs, nous ne souffrons pas d’abord pour Jésus,
mais c’est au contraire Lui qui souffre pour nous.
Sa mort, maintenant, n’a encore de sens que
si nous vénérons la croix, ainsi que nous allons le faire, comme l’instrument
de notre salut. « Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances
l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui
obéissent la cause du salut éternel » (He 5, 9). Le Christ veut clouer sur
ce bois tout ce qui dénature notre condition humaine, la rend difforme, la tord
de douleurs. Voilà pourquoi il consent à tout prendre sur Lui. « C’était
nos péchés qu'il portait, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos
péchés, nous vivions pour la justice. » (1 P2). « Par ses blessures,
nous sommes guéris ». Ainsi pour que la résurrection commence déjà à faire
son œuvre de guérison en vous, confiez au Christ toutes vos souffrances et
communiez à sa mort. Il fera de vous des vivants.
AMEN.
Michel Steinmetz †
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire