Saint Jean XXIII, au moment d’ouvrir le Concile Vatican II, parlait de l’Histoire comme « maîtresse de vérité ». Il s’agit non pas tant de considérer l’Histoire comme un carcan duquel nous serions prisonniers car bridant toute évolution possible, mais de l’envisager comme un substrat duquel on ne peut se passer au risque d’errer, voire d’aller à sa perte.
Depuis huit jours, cette Octave de Noël nous aura fait rencontrer à nouveau des figures bibliques de « mémoire » au sens le plus honorable du terme. En effet, toutes et tous ne cessent de méditer ce qui leur a été donné de vivre comme une force qui les pousse et les motive aujourd’hui. L’évangéliste Luc s’attache tout particulièrement à nous les présenter : ainsi Marie « qui retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur » ; les bergers qui ; « après avoir vu », « racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant ». Nous sentons combien, dans l’Ecriture, la mémoire est toujours nécessaire. Elle impose de se souvenir de ce que Dieu fait pour nous. Déjà dans l’Ancienne Alliance, cette faculté est indispensable de la foi. Le Peuple l’a bin compris quand il ne cesse de faire mémoire des hauts-faits et des bénédictions de Dieu. La première lecture nous le rappelait : ses paroles de bénédiction ne cessent de marquer, aujourd’hui encore, le judaïsme et sont pour nous un rappel à ne jamais oublier.
Se souvenir, cependant, ne saurait suffire dans le registre de la foi. Le croyant ne peut s’estimer en règle avec ce seul devoir de mémoire. Le Christ qui l’appelle exige de lui qu’Il le suive. Ainsi les bergers ont à cœur, nous l’entendions, de « raconter », c’est-à-dire de faire le récit des événements. Sans doute ne l’ont-ils pas fait de manière froide et détachée, mais bel et bien de la manière dont ils ont eux-mêmes été touchés et saisis par le mystère qu’ils ont contemplé. Frères et sœurs, nous avons perdu cette capacité à « faire le récit ». Dans nos communautés mais aussi, et tristement, dans nos familles. Quels grands-parents prennent-ils encre le temps de « raconter » à leurs petits-enfants le monde de leur jeunesse et la façon dont ils ont vécu les soubresauts de l’Histoire et ses grands moments ? Car le monde d’aujourd’hui est certes différent, son rythme s’est accéléré, les techniques ont fait des bonds prodigieux, mais c’est la même histoire qui nous relie. En matière de foi, cette mise en récit est de l’ordre du témoignage : non ce que j’ai appris, non ce que je devrais redire, mais d’abord la manière dont je ressens que Dieu m’a touché et qu’il s’est fait proche de moi. Le récit des bergers ne laisse pas indifférent puisque « tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers ».
« Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé », poursuit saint Luc. C’est ainsi que la mémoire conjuguée à la mise en récit – au témoignage, dirions-nous – produit la louange. Ces hommes ne sont pas seulement éblouis ou ébahis de ce qu’ils ont vécu : une joie profonde les envahi tau point que la louange déborde d’eux-mêmes. Puissions-nous sortir, frères et sœurs, d’une amnésie spirituelle qui nous pousse au défaitisme ! Oui l’année qui nous venons de quitter aura été marquée par des crises, y compris au niveau ecclésial. Nous ne devons balayer cela du revers de la main comme on tournerait la page d’un livre. Mais nous allons conserver tout cela dans notre cœur, car Dieu nous en dévoilera tout le sens.
AMEN.
Michel STEINMETZ †
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