Le seul instrument qui trouve pleinement grâce
aux yeux des Pères de l’Eglise dans les quatre premiers siècles de l’Eglise est
la voix humaine. Peu à peu, sous le registre de la comparaison tout d’abord, l’idée
progressera qu’un instrument de musique peut devenir un lieu parmi d’autres de
rencontre entre l’initiative de Dieu et la liberté de l’homme. Mais
l’instrument sera toujours une image du corps humain Clément d’Alexandrie ose
ainsi :
«
C’est à ce genre de fête que l’Esprit oppose la liturgie digne de Dieu, quand
il dit dans le psaume : […] ‘avec les instruments à cordes et avec l’orgue,
louez-le’ : par orgue, il veut dire notre corps et par cordes les nerfs de
ce corps, grâce auxquels il a reçu une tension harmonieuse et exprime des sons
humains quand il est touché par l’esprit […]C’est ainsi qu’il a fait parvenir
cet appel à l’humanité : ‘Que chaque souffle loue le Seigneur’, parce qu’il a
étendu sa protection sur chaque souffle qu’il a créé.» [1]
L'apôtre Paul évoque l’unité dans la diversité
en prenant la comparaison du corps humain dans la première Lettre aux
Corinthiens (12, 12-14.27) :
Frères,
prenons une comparaison : notre corps forme un tout, il a pourtant plusieurs
membres ; et tous les membres, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ. Tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes
libres, nous avons été baptisés dans l'unique Esprit pour former un seul corps.
Tous nous avons été désaltérés par l'unique Esprit. Le corps humain se compose
de plusieurs membres, et non pas d'un seul. (...) Or, vous êtes le corps du
Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps.
Quand Tertullien évoque cette diversité
unifiée, il se réfère curieusement à l’image de l’orgue hydraulique, un
lointain ancêtre de l’instrument qui nous connaissons aujourd’hui.
« Un seul corps est constitué de divers membres, de sorte qu’il y ait unité et non division. Observez la merveilleuse création d’Archimède – je veux parler de l’orgue hydraulique – avec ses nombreuses parties, sections, connexions, passages – une telle variété de sons, une telle diversité de modes, cet alignement de tuyaux – et cependant tout cela constitue une grande entité. Ainsi en est-il de l’air qui, chassé d’en-bas par l’agitation de l’eau, n’est pas pour autant divisé en parties parce que réparti entre différents lieux ; mais il est un en substance, bien que divers en fonctions. »[2]
Le parallèle s’établit donc, via l’orgue, entre
le corps humain et le corps ecclésial dans une nouvelle fonction d’interface de
l’instrument au cœur de l’espace de célébration. Le bâtiment-église est le
signe de l’Eglise faite des pierres vivantes des baptisés ; au cœur de
l’architecture, l’orgue introduit à un rapport nouveau, démultiplié, entre les
deux corps. Sa voix devient celle de tout un peuple, tour à tour soutenant
l’assemblée, dialoguant avec lui, suscitant sa supplication ou sa louange,
conduisant à la médiation. Les poumons de l’orgue se gonflent, ses nerfs se
tendent pour que résonne sa voix. Cette voix sera celle, par mandat, des
fidèles qui louent et implorent. Cette voix se joindra à celle des croyants
pour inciter leur chant, le soutenir, le raffermir.
En participant à l’action liturgique, et en y
exerçant un ministère, par celui de l’organiste, l’orgue donne dans la
diversité de ses timbres une image sonore et polyphonique de la diversité du
corps ecclésial. La diversité se trouve réunie en une unité symphonique. Frères
et sœurs, telle est bien la réalité qui fait notre rassemblement. De nos
différences légitimes, de la variété de nos origines, de nos difficultés à
croire, Dieu se plaît à nous intégrer à son unité. Non comme des clones, mais
comme les membres son corps. Cette unité grandit à la fois entre nous et avec
Lui à chaque fois que nous nous laissons nourrir de sa chair donnée et de son
sang versé. Son sang coule en nos veines et sa chair se mêle à la nôtre. Nos
pauvres individualités s’enrichissent pour devenir réellement le Corps du
Christ. A la fois complexe et pourtant si simple, c’est là notre dignité dès
lors que nous consentons à faire ce qu’il nous a dit de faire.
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