Visiblement il ne suffit pas de vivre dans la
proximité de Jésus pour pouvoir dire qui il est. Jésus offre à ses disciples,
encore incertains à son sujet, l’occasion de s’exprimer. En pédagogue plus qu’en
curieux, il s’intéresse à la manière dont les gens le perçoivent. Nulle
question pour lui de s’intéresser aux études d’opinion ou à sa côte de
popularité. La manière dont les gens le perçoivent rend compte de son activité
messianique. Unanimement les paroles qu’ils prononcent, les gestes qu’ils posent
sont reconnus comme venant de Dieu. Le Fils de l’Homme, tel qu’il se présente
lui-même, apparaît bien être reçu comme l’envoyé de Dieu. Mais cela reste
superficiel. Il est souvent très facile de se faire le porte-parole, de
rapporter le qu’en-dira-t-on, de ne retenir que ce que les autres pensent, il
est par contre bien plus difficile de rendre compte de ce en quoi nous croyons
nous-mêmes. Comme s’il y avait là une pudeur à partager ce qui nous habite en
profondeur.
Après donc leur avoir demandé ce que les gens
pensent de lui, Jésus insiste : « Et vous, que dites-vous ? Pour
vous, qui suis-je ? ». On connaît la réponse, celle de Pierre, et qui
retentit depuis des siècles dans l’Eglise : « Tu es le Christ, le
Fils du Dieu vivant ! ». « Simon, fils de Yonas », ne la
tient pas de son père « de chair et de sang », mais du Père des cieux
auquel Jésus vient nous donner accès. Aussi, en recevant de Jésus un nom
nouveau, Simon-Pierre reçoit une promesse qui va bien au-delà de son existence
propre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ;
et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle ».
Dans la Bible, le rocher qui soutient et sauve
de la mort, est le symbole de Dieu qui accompagne son peuple. Après l'Exode, le
peuple d’Israël est assoiffé dans le désert (Ex 17, 1). Il cherche querelle à
Moïse et demande à boire. Et Dieu va donner à boire aux Israélites. Comment
va-t-il faire ? Dieu donne à boire au peuple en ordonnant à Moïse de frapper le
rocher. Drôle de moyen pour obtenir de l’eau ! Il est clair que cet acte est un
signe porteur d’un message. Quel est ce rocher ? C’est l'apôtre Paul qui nous
permet de décoder cette image. Dans sa première lettre aux Corinthiens (10,
1-4), il revient sur cette expérience des Israélites dans le désert, et il
écrit que les Hébreux buvaient à un rocher spirituel qui les suivait ; et que
ce rocher était le Christ. De la même façon, l’Eglise, grâce à la puissance de
Dieu, ne sera jamais abandonnée face aux forces de la mort.
Un autre symbole caractérise le pouvoir donné
à Pierre : « les clés du Royaume des Cieux » qui lui conféreront
le pouvoir et lier et délier « sur la terre et dans les cieux », tel
le serviteur Eliakim à qui est remise la clef avec laquelle il « ouvrira
et fermera » l’accès à « la maison de son père ». Les clés
évoquent le pouvoir de pardonner les péchés. Pierre, chef de l’Eglise, recevra
l’autorité pour pardonner les péchés et ouvrir l’accès du Royaume des cieux.
Ainsi l’Eglise rassemble un peuple de pécheurs pardonnés et Pierre lui-même
fera grandement l’expérience de la miséricorde de Dieu. Songeons ici à l’épisode
du reniement au moment de la Passion du Seigneur. L’Eglise est le lieu du
pardon. Elle n’est pas la communauté des parfaits mais la communauté des
pécheurs qui ont besoin du pardon et qui le cherchent. C’est même une des
demandes-clé de la prière que Jésus nous a laissée, le Notre Père. Toute la mission de l’Eglise est là. Réconcilier les
hommes avec eux-mêmes, entre eux et avec Dieu pour qu’ils puissent vivre, pleinement
et sans aucune entrave, la relation d’enfant de Dieu. Parce que c’est la
mission de l’Eglise, reçue du Christ, c’est aussi la mission de tous les
baptisés. Etre acteurs de ce pardon qui sait parfois se donner jusque dans la
folie de l’amour.
Si chacun de nous est capable de pardonner
plus que de haïr, de se laisser pardonner et relever plus que de s’enfermer
dans des fautes passées, alors le monde sera transformé par une force à
laquelle rien ne peut résister, celle du Christ qui ouvre grand les portes des
cieux.
AMEN.
Michel Steinmetz †
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