La peur de
se donner
En
s’abaissant devant ses disciples pour leur laver les pieds, Jésus bouleverse
notre rapport les uns avec les autres. Il renverse la pensée bien ancrée dans
notre monde que le plus fort gagne, que c’est celui qui est le plus beau, le
plus intelligent, le plus riche qui devrait être servi. Lui qui est-il ?
Ce soir, Il est avec ses plus proches, ceux qui L’ont suivi, parfois en n’y
comprenant pas grand-chose, depuis trois ans. Mais peu à peu, ils sont entrés dans
son intimité, dans ce rapport si particulier qu’Il a avec Dieu et qu’il
s’autorise à appeler son « Père ». Eux-mêmes comprennent, parce qu’Il
le leur a appris, que c’est ainsi qu’ils doivent le prier. Pourtant, ils le
reconnaissent, Jésus, comme leur Seigneur
et leur Maître. Ils ont été impressionnés par les miracles qu’Il accomplit,
par l’autorité avec laquelle ils parlent et qu’ils découvrent comme venant de
Dieu. Alors, maintenant, Jésus, sachant
que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en
va vers Dieu, se met dans la position de l’esclave. Car le geste qu’il
s’apprête à poser est bien celui-là : celui de l’esclave lavant les pieds
de son maître à son retour à la maison, en un temps où l’on marchait pieds nus
ou avec des sandales sur des routes poussiéreuses. Inconcevable. Pierre
réagira. Cela n’est pas tolérable. Jésus demande qu’on le laisse faire.
A Pierre qui
demande d’être alors lavé tout entier, Jésus répond : Quand on vient de prendre un bain, on n’a
pas besoin de se laver, sinon les pieds. Ce bain, c’est celui de la vie en
Dieu. Celui de notre baptême. C’est celui que les Apôtres vivront en étant
plongés dans les heures à venir dans le mystère de la mort et de la
résurrection du Seigneur.
Jésus laisse
un exemple, qui sera un commandement : Si
donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous
devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai
donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.
Comment désormais celui qui s’estime plus riche, plus intelligent, plus beau,
plus puissant pourrait-il refuser de s’abaisser devant son frère qui n’a pas la
même chance que lui dans la vie ? Puisque le Fils de Dieu l’a fait et
qu’il mourra par amour sur la croix, comme le dernier de tous.
Bien
souvent, nous avons peur de l’autre, de celui qui ne nous ressemble pas, de
celui qui est fragile. Parce que celui-là nous place devant nos propres
pauvretés et fragilités. Il les reflète comme le ferait un miroir. Celui que
nous essayons d’être, pour être quelqu’un aux yeux du monde, se découvre, lui
aussi, faible et petit. Alors il préfère détourner le regard, vitupérer contre
celui qui ferait mieux de travailler que de mendier, de s’insérer plutôt que de
vivre à la marge. Nous n’osons ni un regard, ni évidemment un geste ou une
parole. Ce soir,
Jésus ne nous laisse pas le choix. Il faut dépasser sa peur de l’autre, du
frère, de la sœur, quel qu’il soit et tel qu’il est. Il faut se mettre à son
niveau, entrer en relation avec lui et lui ouvrir son cœur. Ces dernières
semaines, dans la proximité des échéances électorales, certains voudraient
faire grandir notre peur devant le prochain. Jésus, par son geste au moment où
Il s’offre pour nous, terrasse cette peur. Il montre clairement que son
disciple se met au niveau de son prochain et l’accueille comme un frère. Ce qui montrera à tous les hommes que vous
êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres.
Ce soir, le Christ inaugure sa victoire pascale parce que, ce soir, il consent
à se donner lui-même. Ceci est mon corps,
qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. N’espérons être riches en
Dieu si, d’abord, nous ne consentons pas à nous mettre à genoux les uns devant
les autres, à nous reconnaître chacun et chacune frères et sœurs.
Frères et
sœurs, êtes-vous prêts à dépasser votre peur, à assumer vos propres fragilités,
pour accueillir l’autre ?
Michel STEINMETZ †
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