La parabole nous parle d’une veuve qui demande
justice. Il faut la situer dans le système judiciaire de la Palestine de ce
temps-là. Il existait deux juridictions. La juridiction traditionnelle
religieuse s’appuyait sur la Thora tandis qu’une autre autorité, politique
celle-là, plus arbitraire que la première, dépendait de magistrats qui
n’étaient pas liés par la Loi. Il s’agit ici d’un juge administratif. Il nous
est présenté d’emblée comme un juge inique, un homme sans foi ni loi. Cette
description nous informe déjà qu’il ne faut rien attendre d’un tel juge. Face à
lui, une pauvre veuve, le type même de l’être sans défense, mais qui sait ce
qu’elle veut. Le texte reste vague sur l’objet de sa plainte mais on sait qu’en
dépit des rebuffades reçues, elle ne se décourage pas. En cela, elle est déjà
pour Luc, un modèle de persévérance. Le juge est mal à l’aise devant son
opiniâtreté. Aussi, il finit par lui donner satisfaction. Jésus termine sa parabole
avec cette terrible question « Mais le
fils de l’homme quand il viendra, trouvera-t-il encore la foi ? ». En
trouvera-t-il à l’image de la persévérance de cette veuve ?
Ce qui mine notre foi, n’est-ce pas que Dieu
semble nous laisser dans la détresse malgré nos incessantes supplications ? En
réponse à cette question, l’histoire d’un rabbin est éclairante. Un village
connaissait une grande sécheresse et la famine menaçait. Les anciens décidèrent
de faire appel à un saint des environs afin que sa prière obtienne de Dieu la
pluie tant désirée. Celui-ci arrive et trace sur le sol un large cercle et,
installé en son milieu, il commence sa prière : « Dieu de nos pères, je me
tiens debout devant toi. Je me mets dans ce cercle et fais le vœu de prier et
de jeûner sans en sortir jusqu’à ce que tu ais fait descendre sur ce village
une pluie bienfaisante. » Mais un jour passe, puis trois, puis sept. Le ciel
est aussi bleu que la terre des champs est sèche. Le rabbin s’avoue vaincu et s’en
retourne chez lui. Les anciens, se disant que cet homme ne devait pas être
assez « juste » aux yeux de Dieu, décident de quérir un rabbin de Jérusalem, la
ville sainte. Le second accepte et suit le même scénario que son confrère. Or,
en moins de deux heures, une nuée sombre se pointe à l’horizon puis éclate en
une forte pluie. La situation est sauvée. Ayant appris cela le premier rabbin
arrive tout chaviré et questionne le second : « Comment se peut-il que le
Seigneur ne m’ait pas écouté alors que j’avais tant jeûné et prié ? » Le second
lui raconte alors une parabole : « Un roi avait deux filles. L’une était
disgracieuse, des cheveux comme des brindilles de bois, des yeux frappés de
strabisme, une démarche contrefaite et une voix proche d’une crécelle. L’autre
était, en revanche, ravissante. Ses cheveux étaient comme de la soie, ses yeux
des perles fines et sa démarche souple et légère comme celle d’une gazelle.
Enfin sa voix avait le bruissement d’une source naissante. Il arrivait à l’une
et l’autre de demander audience au roi leur père afin d’obtenir quelque faveur.
Quand la seconde venait à ses pieds, le roi prenait un tel plaisir à sa
présence et à ses propos qu’il la gardait auprès de lui le plus longtemps
possible, n’accédant à ses demandes qu’après de longues journées d’entretien.
Lorsque c’était au tour de l’autre, il éprouvait un tel déplaisir qu’il lui
accordait sur le champ l’objet de sa requête. » Et le vieux rabbin de conclure
: « cette parabole est destinée à tous ceux qui se fatiguent les genoux sans
obtenir de résultat apparent. »
Voilà qui ne doit pas nous inviter à tourner
le dos à la perfection pour être vite exaucé ! Voilà qui doit nous rappeler que
même pécheur, Dieu attache du prix à notre compagnie et à notre bonne volonté
foncière. C’est le contraire d’une fin de non-recevoir. Et rappelons-nous
toujours trois choses : il faut demander de bonnes choses, c’est à dire que ces
demandes soient orientées dans la perspective des valeurs évangéliques. Il faut
bien les demander, c’est à dire faire valoir ses titres de noblesse. « Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », priait Moïse. Il rappelait à Dieu ses
promesses et son Alliance. N’allons pas à Dieu comme des délinquants. Depuis
notre baptême nos noms sont inscrits dans le ciel. Faisons valoir notre titre d’enfant
de Dieu.
Demander de bonnes choses. Bien les demander.
Demander en étant bon soi-même. Prier, c’est n’avoir rien d’autre à offrir que
son cri. Prier, c’est accueillir la présence divine dans le creux de sa
faiblesse « temps et à contretemps ».
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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