Par huit fois, Jésus
qualifie certains de « bienheureux ». Il considère, à bien entendre
l’Evangile, comme particulièrement heureux huit groupes de personnes. Car être
« bienheureux », c’est bien plus que d’être happy, que de se sentir « bien ». Bienheureux signifie un
état de bonheur tout à fait extraordinaire. En quoi consiste donc ce bonheur
des bienheureux ?
C'est ici que la
liste des huit béatitudes nous intrigue. Car ce qui est présenté et loué comme bonheur
suprême ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons du bonheur. Les
pauvres, les affligés, les persécutés, ceux que l’on insulte, que l’on
calomnie, sont appelés « heureux ». Il est difficile d’être d’accord
avec tout cela. C’est vrai aussi : il est plus facile d’adhérer aux
béatitudes restantes. Que les doux, les miséricordieux, les justes et les
artisans de paix soient déclarés heureux, c’est juste. Tout simplement. Mais on
ne peut retenir dans les béatitudes uniquement celles qui nous conviendraient
et rejeter les autres. Alors quel est ce bonheur promis ? Bonheur pour
tous ou bonheur d’une élite de puristes ? Arrivera-t-il un jour ?
Jésus ne dit-il pas à la fin de l’évangile : « Soyez dans la joie et
l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux ! ».
Ce ne serait donc
qu’une consolation après la mort ? L’opium du peuple chrétien pour nous
faire patienter bien sagement dans l’antichambre ou la salle d’attente ?
Mais à bien écouter l’évangile, nous entendons Jésus s’exprimer au présent.
Heureux, car le Royaume « est » à vous, maintenant ! On peut
déjà en faire l’expérience, et non pas on ne sait quand. Que chacun examine son
parcours personnel : si j’observe la liste des huit situations qui
génèrent le bonheur, n’y en a-t-il pas une parmi elles, dont je puisse dire :
« cela je l’ai vécu moi aussi » ?
Ainsi en ce qui
concerne les artisans de paix. C’est sans aucun doute une joie profonde, quand
on réussit, dans une situation conflictuelle, à ramener la compréhension, la
réconciliation et la paix. On oublie alors tous les efforts qu’il a fallu
déployer pour ramener la paix, tous les revers et toutes les résistances qu’il
a fallu surmonter. N’est-ce pas un bonheur profond d’être miséricordieux et
compatissant, plutôt que dur et sans cœur ? C’est toujours
particulièrement émouvant de rencontrer des personnes au cœur pur et limpide,
sans fausseté ni sournoiserie, mais droits et sincères. Assurément ce bonheur
n’est pas simple. Ce sont souvent les pacifiques et les bienveillants qui ont
la vie difficile. Car, eux, tentent de prendre en compte les autres. Ceux qui
ne vivent que pour eux-mêmes semblent s’en tirer à bien meilleurs frais.
Etre pauvre devant
Dieu ? Qu’y a-t-il de bienheureux ? Mais si. Et rappelez-vous
l’évangile de dimanche dernier : celui de la parabole du pharisien et du
publicain ? C’est une source de vrai bonheur que de se savoir pauvre
devant Dieu, de paraître devant lui les mains vides, et de ne pas être
satisfait de soi-même.
Certainement, le plus
difficile à comprendre c’est que le deuil ou la persécution puissent apporter
le bonheur. Vous avez sans doute déjà rencontré, comme moi, des personnes qui,
au cœur d’un deuil ou d’une situation humaine difficile, comme la maladie,
impressionne ou par la joie ou pour la sérénité qui transparaît en eux. A vue
humaine, cela n’est pas possible. C’est parfois même déroutant. D’où pourrait
venir cette paix et cette foi sinon de Dieu ? Elles sont le signe de sa
présence bienveillante et de son action efficace. Elles sont la trace de la
proximité du Royaume des Cieux, ici pour nous. Nous percevons que nous sommes
comme devant un infini insaisissable.
Tout cela s’est
confirmé en la présence de Jésus. Les huit béatitudes sont en accord parfait
avec sa vie. Elles sont comme de brefs résumés de son itinéraire. Cet évangile
est lu aujourd’hui, à la fête de Tous les Saints, parce qu’il décrit exactement
comment les hommes deviennent des saints. Et aucun saint n’a jamais donné
l’impression d’être triste. Un saint triste serait un triste saint.
AMEN.
Michel
Steinmetz †
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