L'endroit dans lequel Jésus choisit de poser la question à
ses amis n’est pas neutre. Il est plein de sens. Il nous aide à mieux
comprendre la réaction du Christ, et à comprendre que son interrogation est
bien plus profonde qu’il n’y paraît. Césarée-de-Philippe, ville hautement
religieuse dans sa diversité. La ville était parsemée de pas moins de quatorze
temples dédiés au dieu syrien Baal. Mais ces dieux syriens étaient loin d’avoir
le monopole du culte et de la vénération. Il y avait également une caverne dans
laquelle, le dieu grec Pan, dieu de la nature vit le jour. Pour les Juifs de l’époque,
le Jourdain prenait sa source dans cette même caverne. Les Romains, eux aussi, y
avait érigé un temple de marbre blanc en l’honneur de la divinité de César. Dès
lors, je crois que nous pouvons affirmer que cet endroit choisi par le Christ
pour poser ses fameuses questions est loin d’être neutre. Voilà un homme, un homme
simple, entouré de douze hommes tout aussi simples, dans un endroit
littéralement submergés de magnificence, de temples syriens, grecs, romains,
dans un lieu plein de sens pour les juifs également ; voilà cet homme qui
demande à ceux qui l’accompagnent « Le Fils de l’homme, qui est-il d’après ce
que disent les hommes ? ».
Ce que nous pourrions prendre au premier abord comme une
crise d’identité de Jésus : qui suis-je ? quelle est finalement ma
mission, ma raison d’être ?, est plus une question posée à ses disciples. Vous
qui êtes déroutés par tant de cultes réunis en un seul lieu, que dites-vous de
moi ? Pensez-vous que je sois un maître à penser parmi d’autres ? Estimez-vous
que le Dieu dont je suis le visage soit un parmi d’autres ?
Les réponses fusent. Elles ne répondent pas à la question
posée. Elles en restent au niveau du qu’en-dira-t-on ? Chacun répond de
manière extérieure, sans se déterminer, donc sans s’engager. Au résultat, Jésus
est peut-être bien tout le monde, sauf lui-même ! Cette question de l’identité
de Jésus est sans cesse posée dans l’évangile. Elle l’est encore, et parfois
violemment, à ceux qui aujourd’hui se risquent à annoncer l’évangile. A chacun,
Jésus pose alors la question de manière personnelle : « Pour vous,
qui suis-je ? ». Ce que déclare Simon-Pierre et qui lui est révélé
par le Père des cieux : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu
vivant » va devenir le trésor de la foi, confiée dès lors à l’Eglise. Pour
l’heure, Jésus ordonne à ses disciples de ne dire à personne qu’il est le
Messie. En effet, pour que s’accomplisse ce qu’il annonce, il lui faut aller
jusqu’au bout de sa mission : la passion, la mort et la résurrection.
Cette histoire s’est passée il y a bientôt deux mille ans. C’était
bien loin d’ici. Les lieux ont changé et il en va de même pour les dieux. Ces
derniers sont aujourd’hui différents mais tout aussi présents. Nos dieux
contemporains sont peut-être plus matériels, leur soi-disant bonheur est
immédiat. Ils sont en tout cas plus palpables, plus réels. Mais comme les
faux-dieux d’hier, ils risquent de nous enfermer dans une spirale qui va nous
éloigner de nous-mêmes, nous enlever de notre raison d’être. C’est sans doute
pourquoi cet évangile s’adresse à chacune et chacun d’entre nous dans le
silence de nos cœurs. Un peu comme si le Christ nous susurrait : « je n’attends
pas d’abord de toi une connaissance intellectuelle sur moi ; je vous demande
juste une petite chose : me connaître, c’est-à-dire entrer en relation avec
moi. Rien de plus ». Cette relation se vivra de diverses manières, en fonction
de chacune de nos histoires personnelles. Elle sera directe, régulière pour
certains ; elle passera par l’amour et l’amitié pour d’autre. Chacune et chacun
nous avons notre chemin de rencontre avec Jésus. Il n’y a pas de recette. Il n’y
a pas de chemin tout tracé. Puisqu’il s’agit avec tout d’une rencontre, d’une
relation, voire même d’un amour, c’est à nous de trouver notre manière de
connaître le Christ. Epris de ce désir, de cette soif de connaissance, nous
aussi nous pourrons dire : « Oui, tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ».
AMEN.
Michel Steinmetz †
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