Un moine d’Orient avait un jour conté cette
histoire au défunt cardinal Etchégaray. Le Christ ressuscité, après Pâques,
était en train de monter au ciel, il baissa les yeux vers la terre et la vit
plongée dans l’obscurité, sauf quelques petites lumières sur la ville de
Jérusalem. En pleine Ascension, il croise l’Archange Gabriel qui lui demande :
« Quelles sont donc ces petites lumières, Seigneur ? » Jésus répond : « Ce sont
les apôtres groupés autour de ma mère. Mon plan, à peine rentré dans le ciel de
mon Père, est de leur envoyer l’Esprit-Saint pour que ces petits feux
deviennent un grand brasier qui enflamme d’amour la terre entière ».
L’Archange, un peu perplexe, se permet de questionner : « Seigneur, que
ferez-vous si ce plan ne réussit pas ? » Après un long instant de silence, le
Seigneur réplique : « Je n’ai pas d’autre plan. »
Ainsi l’histoire du monde était suspendue non
aux ambitions des hommes politiques, à la puissance des armées, à la splendeur
de la culture, aux progrès des sciences, mais à ce petit groupe d’hommes et de
femmes pauvres, enfermés dans le cénacle à Jérusalem. Ils n’avaient pas
d’argent, pas de relations, pas de comptes en banque, pas de diplômes, pas de
relations dans les hautes sphères de la société. En moins de vingt-cinq ans,
ces hommes réussirent à fonder des communautés non seulement en Israël mais en
Egypte, en Mésopotamie, comme en Asie Mineure, en Macédoine, en Grèce, et
jusque dans la capitale de l’Empire, Rome. A la fin du Ier siècle, on avait
arrêté puis mis à mort les premiers apôtres mais l’élan missionnaire, loin de
ralentir, s’activait et l’Evangile avait atteint l’Afrique du Nord et la Gaule.
Partout des petites communautés naissaient, foyers de lumière qui brillaient au
sein des métropoles puis plus tard jusque dans les campagnes, apportant la joie
de la Bonne Nouvelle, permettant à des gens de toutes classes sociales de
s’aimer, de s’entraider, de dialoguer, de se pardonner.
Aujourd’hui certains se lamenteront qu’en
notre Occident on peine à trouver des foyers lumineux de vie chrétienne. Ces
derniers mois, certains que l’on pensait resplendissants ont pu été ternis par
l’opprobre du scandale et de l’ignominie. L’Evangile cependant n’est pas mort,
disons-le haut et fort. Il est vivant là où des hommes et des femmes acceptent
de reprendre conscience qu’ils sont faits pour « monter », pour aller au ciel
avec le Christ. Non pour se regarder le nombril et ne penser qu’au présent
immédiat, fût-ce pour le dénigrer au profit d’un passé révolu. Toutefois, ce
ciel, on n’y va pas à n’importe quelles conditions. Le Christ n’a pu se laisser
« emporter » là-haut que parce qu’il avait accompli la volonté de son Père. Il
avait accepté de donner sa vie, et c’est parce qu’il avait aimé jusqu’à tout
perdre et à en mourir que désormais, son Père lui donnait un être transfiguré,
débarrassé des contraintes terrestres et capable de le rejoindre dans l’Amour
Infini. L’Evangile est vivant quand il prend chair et veut transformer la vie
du monde pour la rendre plus belle, plus humaine et plus divine tout à la fois.
Oui, « Jésus n’a qu’un plan ». Aujourd’hui
nous ne restons pas les yeux braqués vers le ciel. Nous devons au contraire
regarder les uns vers les autres, nous aider à reconstruire des communautés
vivantes et fières d’avoir reçu la mission unique, primordiale, indispensable :
annoncer la bonne nouvelle du Salut. Mais ne nous précipitons pas : après le
départ de leur Seigneur, les apôtres n’ont pas foncé pour accomplir leur
mission car ils savaient très bien qu’ils en étaient incapables. Le Seigneur
les avait prévenus : « Restez ici : je vais vous envoyer ce que mon Père a
promis, la Force de Dieu, l’Esprit ». Et, groupés autour de Marie qui les
gardait dans sa prière et sa confiance, ils prièrent, ils attendirent.
Ils nous regardent de là-haut : qu’avez-vous fait
de notre enthousiasme originel ? Pourquoi n’osez-vous plus ? Pourquoi vous
fiez-vous à d’autres appuis que l’Esprit ? De l’Ascension jusqu’à la Pentecôte,
les apôtres restèrent en prière. A nous de les imiter. L’heure n’est pas à
tracer de nouveaux plans. Seul le don de Dieu renouvelle l’Eglise. Nous allons
le vivre ces jours à venir dans la neuvaine de Pentecôte, par les « cénacles »
que nous formerons.
AMEN.
Michel Steinmetz
†
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