Lazare est confiné au tombeau
depuis plus de trois jours. Et son confinement dans la mort est tel que même les
bandelettes de son suaire l’ont figé. Aucun doute possible : Lazare est mort.
Et « il sent déjà ». La putréfaction du corps
délaissé par la vie a commencé.
Ici, c’est le septième et dernier
signe accompli par Jésus que rapporte saint Jean. Il ne s’agit pas du pouvoir
de Jésus de changer l’eau en vin mais de sa capacité de transformer la mort en
vie. Jésus s’est réfugié avec ses disciples au-delà du Jourdain par crainte des
Juifs et la famille de Lazare habite Béthanie, à quelques kilomètres de
Jérusalem derrière le Mont des Oliviers. L’espace est divisé en deux par le
Jourdain : l’orient et l’occident. L’orient où se trouve Jésus, dans la
lumière, l’occident à Béthanie avec son cortège de ténèbres: la mort et la
haine des Juifs. Le texte comporte une vingtaine de verbes de mouvement qui
indique moins un déplacement dans l’espace qu’une mutation dans les esprits.
Tout le monde quitte l’endroit où il se trouve. Les messagers d’abord puis
Jésus en sens inverse traversent le Jourdain. Marthe comme Marie vont à la
rencontre de Jésus. Lazare sort de son tombeau. Et les Juifs hostiles partiront
à Jérusalem. Le symbole des quatre jours atteste à la fois la réalité de la
mort de Lazare car dans la tradition rabbinique, c’est le temps qu’il faut à
l’âme pour quitter le corps après avoir tourné autour du cadavre pendant trois
jours, tant qu’il est reconnaissable. C’est aussi le jour de YHWH, celui où il
intervient quand les hommes ne peuvent plus rien pour leur salut.
Dieu, notre Dieu, n’est pas le
Dieu des morts, il est le Dieu des vivants. Dieu ouvre les tombeaux. Il arrache
l’homme au pouvoir de la mort pour l’aspirer dans le règne de la vie. Il ne
veut pas que l’homme soit anéanti, ni par la violence, ni par le mépris, ni par
le mal, ni par le péché. Ce qu’il veut pour nous, c’est nous faire sortir du
tombeau, non pas pour quelques mois ou quelques années, comme ce fut le cas pour
Lazare, appelé à re-mourir, mais pour toujours. Comme il appelle Lazare à
sortir du tombeau, comme il le fait apparaître encore empêtré des bandelettes
qui entourent son corps, il appelle l’humanité à sortir de l’ombre de la mort
pour resplendir de la lumière de la vie. Comme Lazare, nous n’avons pas encore
récupéré toutes nos capacités ; comme Lazare, nous sommes encore empêtrés dans
les liens anciens qui sont liés à notre mort ; comme Lazare, nos membres sont
encore attachés par des bandelettes et notre visage recouvert, mais comme pour
Lazare, Jésus dit : « Déliez-le, libérez-le de ses liens, rendez-lui la vie ».
Le Christ veut que nous soyons déliés de tout ce qui nous rattache encore à la
mort. En ces jours, nous faisons l’expérience, malgré nous, du confinement.
Celui-ci révèle peut-être des fragilités dans nos personnalités. Ou il met en
exergue certaines habitudes, voire addictions, auxquelles nous ne pouvons plus
goûter.
Comme Jésus le demande à Marthe,
il nous demande aujourd’hui : « Crois-tu ? » Crois-tu que je peux te faire
vivre ? Crois-tu que la puissance de mon amour est plus forte que les liens de
la mort et que toutes les entraves ? Crois-tu que la délivrance jaillie du cœur
du Christ est plus vaste que les regrets, la culpabilité ou la faute ? Crois-tu
que Dieu est plus grand que ton cœur ? Crois-tu qu’il peut te relever ?
Crois-tu qu’il peut t’appeler et te dire : « Sors » ? Crois-tu que tu peux
sortir ?
Peut-être que, finalement, le
confinement que nous vivons pourrait devenir une catéchèse de Carême et une
expérience paradoxale de libération. Et si la vie habituelle que nous menions,
il y a encore quelques jours, était celle qui nous retenait dans les entraves
des bandelettes du sépulcre ? Et si nous découvrions en ces jours ce qui fait
l’essentiel de la vie dans l’attention à Dieu, aux autres, à soi-même ?
Expérience profondément pascale qui pourrait nous préparer de manière atypique
et inédite à la célébration de la mort et de la résurrection du Seigneur…
AMEN.
Michel STEINMETZ †
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