« Mais qu’a-t-il fait au bon Dieu pour mériter cela ? »
C’est ainsi que l’on pourrait traduire dans un langage qui nous serait familier
l’interrogation des disciples en direction de cet homme, que beaucoup ne
remarquent même plus, au seuil du Temple. Il fait partie des meubles, pour
ainsi dire. Cette réaction, sans doute l’avons-nous eu, ces derniers jours face
au mal qui semble s’abattre sur nous et se rapprocher de celles et ceux que
nous connaissons, si ce n’est de nous-mêmes. Qu’avons-nous fait à Dieu ? Quel
sens donner à tout cela ? Et étonnamment, à cela, Jésus ne donne aucune
explication. Ici aucune démonstration cartésienne ou arithmétique. Il serait
vain pour nous de nous perdre en conjectures dans les tems présents. Suivons
plutôt l’aveugle de naissance. Nous, aussi, nous sommes plongés dans
l’obscurité de l’ignorance.
L’aveugle de l’évangile n’a curieusement pas de nom.
Pourquoi lui en donner un ? Il est aveugle. Voilà sa condition, voilà son nom :
un aveugle de naissance. Il ne connaît que le noir de sa vie, de sa condition.
Il est aveugle de naissance, c’est-à-dire que jamais il n’a vu la lumière.
C’est ainsi. Irrémédiable. L’aveugle ne demande rien. Il n’interpelle même pas
Jésus. Le regard de Jésus pourtant se pose sur lui. La guérison se fait dans la
simplicité d’une rencontre entre Dieu et l’homme. Cette semaine, je suis venu
tous les matins à l’église et prendre un bon temps de prière. En regardant le
Christ sur la croix, je me suis rappelé Don Camillo dialoguant avec le Christ
dans son église de Brescello. C’est vrai, qu’on qu’en dise : la foi est d’abord
un attachement à la personne même du Christ. Alors que la foi populaire
assimilait à l’époque de Jésus la cécité à une faute (Dt 5,9 ; Ex 20,5 ; Nb 14,
33 ; Lm 4,7), Jésus par son regard casse les clichés. Il rompt le lien
maladie-péché. Il se révèle comme un Dieu qui sauve, un Dieu qui guérit, un
Dieu qui donne vie ! Il n’est pas un Dieu qui punit, génération après
génération. Ce qui est l’œuvre de Dieu, ce n’est pas la maladie, mais la
guérison. L’œuvre de Dieu ou la mission de l’envoyé du Père c’est de donner la
vie en abondance ! Malgré la guérison spectaculaire, tous ne croiront pas. Tous
n’accéderont pas à la vue, à la lumière vivifiante comme l’aveugle qui sera
guéri corps et âme dans sa confession de foi.
Et la guérison opérée par Jésus vaut ici plus que toutes les
démonstrations savantes : Jésus, en rendant possible l’impossible, révèle que
toute la puissance de Dieu habite en lui. Il la manifeste. Voilà pourquoi les pharisiens s’opposent à ce
point à lui. Ils ne sont pas dans une logique de discussions d’idée. Car
l’évidence de la seigneurie de Jésus les aveugle en retour et ferment leur
cœur. Ils refusent ce qui est pourtant manifestent. Par deux fois ils font
comparaître l’aveugle de naissance, désormais guéri. Et comme si cela n’était
pas suffisant, ils interrogent ses parents, pensant démasquer une supercherie.
Eux répondent avec la même évidence que celle du miracle : « Nous savons bien que c’est notre fils, et
qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons
pas ».
Aux deux comparutions de l’homme devant les pharisiens
répondent les deux rencontres avec Jésus : quand il le croise à la sortie du
Temple et quand les pharisiens l’ont jeté dehors. Sa guérison suscite la
division, auprès de ses voisins, auprès des autorités juives. L’aveugle-né est
témoin de la puissance et du don divin, mais il est aussi en marche. Nous
pourrions dire qu’il illustre la vie de chaque baptisé, témoin du Christ
Ressuscité, toujours en recherche. L’aveugle ira jusqu’à la confession de foi.
C’est là le deuxième signe, le deuxième don, celui de la foi.
AMEN.
Michel
STEINMETZ †
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